Une Histoire sur http://revebebe.free.fr/
n° 22740Fiche technique35282 caractères35282
6477
Temps de lecture estimé : 26 mn
04/11/24
Résumé:  Une étudiante, un petit boulot, de quoi vivoter... mais pas toujours si évident.
Critères:  fh hplusag
Auteur : Jane Does      Envoi mini-message

Série : Couleurs

Chapitre 01 / 03
L'annonce

Un compte en banque dans le rouge ! Notre lot à nous tous, les étudiants ? Je vous parle là, de ceux qui n’ont, bien sûr, pas une famille aisée pour les soutenir. Et comme je ne fais pas partie de cette race de privilégiées, j’en suis réduite à faire de petits boulots comme bien des autres de mes congénères. Quand je dis « petits boulots », il s’agit de trucs payés de la main à la main et donc très souvent au black. Ça reste souvent compliqué à dénicher et puis ils sont très éphémères, ce qui finalement n’arrange seulement mon porte-monnaie que sur du court terme.


Alors, lorsque ce matin, devant le tableau d’affichage du bahut, je lis une annonce toute fraîche qui m’intéresse, je m’empresse de la retirer. Bon, je sais ! Pas clean pour les copains ! Mais après tout, c’est chacun pour soi et puis je me jure de la remettre en place, si d’aventure elle ne me convenait pas. Reste à savoir de quoi il s’agit vraiment. En substance, elle dit ceci :


Étudiantes, vous qui cherchez un petit job, quelques heures par semaine, contactez-moi !


Suivent un numéro de téléphone et une adresse. Je glisse donc le précieux poulet dans ma poche, tout en priant le ciel pour que pas trop de personnes n’aient relevées les coordonnées de celui ou celle qui offre un peu d’air aux finances estudiantines. Bien ! J’avoue que je ne suis pas super fière de ce retrait pur et simple de l’annonce, mais sait-on jamais ? Peut-être que quelques sous peuvent atterrir dans mon escarcelle, et c’est toujours bon à prendre le cas échéant. C’est l’exact reflet de mes pensées alors que je me rends à mes cours.


Une matinée sans histoire, calme et studieuse. Puis le déjeuner en compagnie de mes amis, et enfin, quelques heures plus tard, je me retrouve à marcher vers ma chambre. Ce n’est qu’en déposant mon sac sur la table que glisse de celui-ci le bristol arraché au panonceau d’affichage. C’est vrai, je l’avais oubliée cette annonce. Alors n’écoutant que mon courage, je compose les dix chiffres du numéro de téléphone écrit sur le carton. Une sonnerie, deux et puis…



Il me dicte une adresse que je m’empresse de griffonner sur mon carnet. Il ajoute encore quelques mots.



Le silence qui suit me met bizarrement dans un drôle d’état. La voix du bonhomme m’a paru très posée, sans accent particulier. Finalement, c’est du coup un flot de questions qui m’assaille vraiment. Que peut bien signifier le terme « atelier » dont m’a parlé ce type ? De toute manière, je me suis engagée, et samedi c’est déjà après-demain. J’ai tout le temps de réfléchir à la situation. Et demain à la sortie de mes cours, j’irai faire un saut du côté de l’adresse que m’a filé l’inconnu. Une reconnaissance s’impose. Une bonne chose de faite, reste à savoir en quoi consiste le job proposé par ce Paul.



— xXx — 



Le bus numéro douze dessert la ville d’est en ouest ! Je l’emprunte pour visiter des quartiers qui me sont peu familiers. À part ceux qui entourent la fac, je ne m’égare guère dans les autres recoins méconnus de notre bonne vieille cité. Un voyage agréable, au rythme des arrêts où des passagers anonymes descendent et montent dans la voiture. Enfin, je me coule dans la rue au numéro que j’ai relevé sur mon calepin. Rien de bien spécial, si ce n’est une sorte de longue verrière derrière laquelle je ne distingue absolument aucun mouvement.


Il faut dire qu’elle se situe au second étage d’un immeuble dont elle se trouve être le sommet. Je suppose donc que c’est l’atelier en question du bonhomme. Apparemment, ce Paul n’est pas chez lui, ou en tout cas pas visible de la rue. Un peu désorientée, déçue même, il ne me reste qu’à faire le voyage en sens inverse. C’est presque dépitée que je regagne ma piaule. Pas très envie de me plonger dans mes bouquins ce soir. Je rêvasse à je ne sais quoi pour finir par songer qu’une douche me serait salutaire.


Mais pour prendre celle-ci, je dois me rendre, comme tous les autres locataires des chambres, sur le palier. Je m’emballe donc dans un immense drap de bain, et traverse le vaste corridor qui mène aux cabines de douche. Par chance, les trois sont vides et je peux tout à loisir me prélasser dans la première. Je frictionne ce corps qui ne demeure pas totalement insensible à mes auto-caresses. Au bout de dix ou quinze minutes, j’ai bel et bien réussi à m’échauffer les sens. Et c’est dans ma turne, sans témoin, que je finis à la main mes massages érotiques.


Un petit plaisir solitaire pour jeune fille sage. Mon ventre sait gré à mes mains de lui offrir un zeste d’une affection et ma gorge ponctue ces manipulations digitales par des soupirs à la limite des gémissements. Une fois n’est pas coutume, l’orgasme se fait appeler « Désiré ». Je renonce au bout d’un long moment. Rien ne sert de chercher l’introuvable. Je n’arrive qu’à me faire plus de mal que de bien. Quand ça ne veut pas, il est bon de ne pas insister. Mais je suis plutôt amère. Si je ne suis pas capable de me faire jouir… qui le pourra ?


C’est sur cette réflexion d’une haute intensité littéraire que je m’endors. Mon corps au repos laisse libre cours à mes songes les plus fous ? Si je rêve, il n’en transpire rien au petit matin suivant. Et nous voici donc arrivés à ce fameux samedi du rendez-vous. Je ne peux pas jurer que je l’aborde d’une manière très sereine. Tendu serait même le maître-mot de ce début de matinée. Nouvelle douche pour enfiler ce qui à mes yeux est le plus classe de ma penderie. Une robe pas trop élimée, sous laquelle un corsage blanc à col « Claudine » vient parachever l’œuvre.


L’œil critique que je jette sur le miroir de mon armoire me rappelle que, côté vestimentaire, il y a encore quelques progrès à faire. Pas d’autres choix que de garder ce que je porte, puisque, de toute façon, ce sont mes plus beaux atours. La moue dégoûtée que le reflet me renvoie arrive tout droit de mes propres lèvres. Voulue ou non, elle émane de cette nana que je suis devant une glace sans pitié.

Et me voici lancée vers l’inconnu, faisant le pied de grue à la station en attente du bus Numéro douze. Le parcours n’est pas différent de celui de la veille et, cependant, il me semble bien plus court. Mes yeux se sont habitués à l’environnement, sans doute. Les visages qui vont et viennent changent aussi à chaque nouvel arrêt. Et la fin de mon périple se rapproche davantage à chacune des haltes du voyage. Le car s’éloigne et je demeure plantée sur un bout de trottoir, face à l’adresse indiquée sur mon agenda de poche. Je souffle un peu, jette un coup d’œil sur ma montre.


C’est l’heure ! Quelques enjambées pour traverser la chaussée, et d’un index hésitant, je brave les à-coups de mon palpitant en pleine débandade. Pourquoi suis-je aussi stressée ? Il ne s’agit que d’une rencontre de boulot, non ? Une éternité avant que près de mon oreille gauche ne grésille un interphone dont j’ai zappé la présence.



Le bruit caractéristique de l’ouverture électrique de la serrure, ma main qui enfonce le battant, et me voici au bas d’une cage d’escalier. Nette, très belle, repeinte de neuf. Devant moi, les marches en bois d’un escalier. Allez ma vieille, un peu de courage. Et un à un je gravis les degrés de cette échelle de chêne qui mène chez un parfait inconnu. Mon cœur ne se calme vraiment pas. Encore quelques pas et… il est là. Un type entre deux âges ! Impossible de lui en donner un avec exactitude. La bonne fourchette serait entre quarante et soixante.


Les tifs en bataille, pas très bien rasé, il me paraît être châtain. Une chemise à carreaux dont les manches sont retroussées sur deux avant-bras très velus, un pantalon en velours côtelé, je ne sais quoi penser de ce mec qui me sourit. Il me tend une main… bleue ! Oui bleue. Bien entendu, j’hésite à avancer la mienne vers cette patte étrange. Il a un geste de recul et se met à rigoler.



Pressée d’entrer, je suis ébahie par le spectacle qui s’impose à ma vue. Une large place sous la verrière visible de la rue. Au milieu, un chevalet et une sorte de table avec des tas de chiffons, des tubes de couleurs. Contre le mur, un long sofa rouge fait d’une étoffe indéfinissable. Celui-ci est encombré par des tas de toiles. Certaines vierges, d’autres pas et le mec planté au milieu de sa carrée qui semblent m’observer. Je me sens pareil à un animal de foire. J’attends sans plus faire un mouvement.


J’attends quoi en fait ? Ben ! Qu’il me dise pourquoi je suis là, pourquoi il a mis son annonce ? Mais il paraît aussi surpris que moi par ma présence dans son univers. C’est terriblement gênant pour moi, et angoissant, je dois me l’avouer. Il ouvre la bouche, hésite, se ravise et finit au bout de longues secondes par enfin décrocher quelques mots.



Il se déhanche devant son canapé. Les toiles qui ensevelissent l’assise vont s’entasser deux mètres plus loin et il me fait un signe du menton, me signifiant par-là que je peux coller mes fesses sur son divan. Je fais donc ce qu’il préconise. Le tissu est doux, et je m’enfonce mollement sur les coussins alors que lui s’active pour préparer ses caouas. Il y a d’abord le bruit de l’eau qui bout, puis un arôme alléchant se répand dans son antre. Il me rejoint avec deux tasses fumantes.



Je ris en prononçant ces mots. Mes cinquante kilos tout mouillés ne doivent pas transpirer d’une graisse superflue. Pas que je sois vraiment à cheval sur le poids énoncé par les rares fois où je me pèse. Non ! C’est juste qu’à force de sauter des repas un jour sur trois, le corps finit par garder une finesse de bon aloi. Et son café, que je sirote par petites gorgées, est bon, ce qui ne gâche rien à un plaisir bien éphémère. Une idée trotte depuis un instant sous ma tignasse brune. Pensée idiote qui revient, telle une alarme dans mon crâne. Encore faut-il oser poser la question.


Il m’en donne l’occasion quelques minutes après avoir reposé sa tasse sur une table basse envahie par des pots de ce qui ressemble bougrement à de l’huile ou du vernis.



Nous discutons encore de longues minutes, comme deux vieux potes et, enfin, je prends congé de ce Paul que je dois bien, pour un temps, nommer « patron ». Je lui promets d’être là demain après-midi et je me lève pour partir. C’est à cet instant qu’il se précipite vers la table accolée à son chevalet. Il entrouvre le tiroir qui s’y trouve, en extirpe un portefeuille aussi élimé que ma robe. Entre son index et son pouce, je vois réapparaître des billets. Il les plie soigneusement et me les glisse dans la paume de la main.




— xXx — 



Plus riche de quelques sous, j’envisage l’avenir d’un œil plus serein. Et d’un coup, j’ai un grand poids qui fiche le camp. C’est si bon de ne plus se poser de question pour se payer un vrai déjeuner, et même un superflu inavouable. En plus d’un poulet frites, un mille-feuille dégoulinant d’une crème pâtissière qui me fait saliver. Et cerise sur le gâteau… une bouteille de vin blanc qui me fait entrevoir un avenir plus radieux. Il est vrai que je ne songe plus à l’inconvénient majeur de ce petit boulot.


Me foutre à poil devant le vieux mec, je préfère ne pas y songer en dégustant une cuisse de volaille, tout en sifflant un peu de picrate. Il fera jour demain et il sera temps d’affronter mes vieux démons, mes angoisses et puis zut… je n’ai volé personne ni rien promis non plus. Dans cette caboche soudain réchauffée par les libations et une sorte de confort que l’abondance génère, je suis prise de remords. Ne pas honorer mon rendez-vous demain serait, d’une part, faillir à la parole donnée, et puis, plus insidieusement, me priver d’une source de revenus substantielle. Drôle comme l’esprit s’accommode de petits arrangements lorsqu’il est en fête !


Je n’ai pas utilisé un quart de ce que Paul m’a offert. Le reste va me servir pour les jours à venir. Une poire pour la soif ? N’ayant que très peu l’habitude de boire de l’alcool, après trois verres lors de mon repas, me voici la tête chamboulée. Et dans celle-ci se bousculent des tas de trucs innommables. Ce type aux tempes grisonnantes prend une place que le vin accentue trop. Il ne s’agit pas de sexe ou d’amour, juste que la crainte de ce qu’il veut de moi engendre une réaction que je juge malsaine. Et je délire presque en m’imaginant retirer un à un mes vêtements devant lui.


Pire, je me vois allongée sur son sofa, position obscène oblige pour les besoins de sa peinture. Et aussi étrange que cela puisse paraître, mon corps ne réagit pas d’une manière « honnête ». Non ! Il s’enfièvre, et me renvoie des sensations inconvenantes. Comme si, dans mes veines, un feu neuf se mettait à circuler, charriant avec lui des scènes limites pornographiques. Dire que j’en savoure pratiquement la venue est un euphémisme. J’ai beau me raisonner et me dire que c’est ce que j’ai bu qui me rend euphorique, mon cerveau dément tout en bloc.


Dans l’étroitesse de ma chambre, avec tout autour de moi les bruits normaux d’une vie en bâtiments collectifs, je suis affalée sur mon lit avec des pensées… plus salaces que toutes celles qui m’assaillent d’ordinaire. Je n’ai rien d’une oie blanche, bien sûr. Plus vierge non plus, et ceci depuis un bon bout de temps. Une histoire idiote avec un garçon, paumé comme moi, avec qui un soir… enfin, une suite normale à un flirt plutôt poussé et réussi. Aux premières lueurs d’une aube nouvelle, le charme n’opérait plus. Nous ne nous étions pas hasardés à renouveler l’expérience.


Après quelques-uns avaient retenté leur chance, en compagnie de deux ou trois, nous avions franchi le pas, mais la limite permise d’une nuit ne débordait jamais sur plus. Alors, ils filaient tous vers d’autres corps, peut-être plus bienveillants que le mien. Pas d’amertume, juste quelques flashs qui me remontent du fond du cerveau. Mais là, mon ressenti est totalement différent, du moins, c’est ce que je veux croire. Oui, là, ce que je perçois, ça n’a rien à voir. Le vieux Paul ne me donne pas envie de faire l’amour, c’est de m’imaginer à poil chez lui, étalée sur son canapé alors qu’il me regarderait, qui fait bouillir mon sang et dérègle mes sens.


Le trouble ne se dissipe pas alors que partout dans les alentours de mon minuscule « chez moi », les uns et les autres vaquent à leurs occupations familières. Le grand chamboulement de mes hormones m’entraîne à me laisser porter par des évènements dont je ne peux que les supposer. Bien sûr, ma main, tel un archet, finit par venir tirer une sorte de musique de cette source de plaisir qu’est le sexe féminin. Et les nerfs à fleur de peau, je suis terriblement réceptive à ces attouchements que je me distille seule. Il arrive donc ce qui doit survenir, un orgasme très long me surprend dans cette démarche où je fais tout pour le provoquer.


Et à quatre heures de l’après-midi, à demi bourrée, l’esprit, les sens et le corps repus, je m’enfonce dans un sommeil agité. Il fait nuit depuis belle lurette lorsque je sors de mon coma alcoolisé. Maux de tête, nauséeuse, je refais surface dans le noir de ma chambre. Une grimace plus qu’un sourire et le chemin de la douche s’entrouvre en commençant par celui du corridor qui mène aux cabines. Pas âme qui vive cette fois encore, mais c’est heureux. Je n’ai pas seulement pris la peine de m’enrouler dans mon drap de bain.


C’est avec mes produits d’hygiène dans une main, la serviette sous l’autre bras que je traverse en courant d’air le couloir. Je ne réalise ma nudité qu’en pénétrant dans le réduit qui contient une pomme de douche. Cette fois, je rigole béatement en imaginant la tronche d’un de mes voisins, si d’aventure… il m’avait rencontré dans cette tenue ! Et enfin l’eau domestique vient effacer mon sourire de crétine. Si ça ne calme pas ma céphalée, au moins la douche évacue-t-elle les reliquats des sécrétions de mon tripotage. En un mot comme en mille, ce passage sous la flotte me remet plus ou moins d’aplomb.


Et je reste avec mon problème entier ressurgissant de ma mémoire tel un boomerang. Me rendre ou pas demain, chez le vieux peintre ! Je me laisse la nuit de sursis pour décider. Un temps long de plusieurs heures durant lesquelles mon cerveau n’arrive pas à s’atteler aux révisions pressantes de mes cours. Rien n’y fait, et je dois abandonner l’idée de bosser cette nuit. Je me recouche donc, ruminant sans arrêt ce curieux dilemme qui s’impose à moi. Un sommeil cauchemardesque finit par embrasser mon corps et je sombre dans un néant bien glauque.



— xXx — 



Beaucoup diraient une gueule de bois. Je n’ai cependant pas assez bu hier pour me retrancher derrière cette façade alcoolisée. Nous sommes dimanche et c’est l’heure des grandes décisions. Me rendre à mon rencart chez Paul, c’est en accepter les termes d’un contrat moral. Ne pas y aller ? Un manquement à ma parole. Tout en touillant l’eau bouillante sur l’infâme poudre d’un café soluble, je demeure perplexe. La douche est bonne conseillère ? Celle de ce matin j’en doute ! Machinalement je me fringue. Jupe pas trop courte, chemisier trop moulant à mon goût, et sous ces nippes des sous-vêtements neufs.


Coordonnés dans leurs coloris, j’ai l’impression que je ne les passe que pour sortir. Parce que, cette fois, c’est décidé. Je vais bien rejoindre le peintre. Tant pis pour ce qui va arriver. Il n’avait pas l’air d’un vicieux, encore que souvent les vieux cochons cachent bien leur jeu. Ça grouillotte dans ma caboche. Tout un tas de clichés qui vont et viennent, faisant la part belle à des idées reçues. Après tout, pour deux cents balles, deux heures en position allongée valent bien la chandelle. Et c’est exactement ce que je rumine en prenant la même ligne de bus que la veille.


Curieusement le trajet me paraît plus court. Le bouton de la sonnette… me livre un coup de sang identique à celui de la veille. J’ai tout juste effleuré celui-là que le grésillement du pêne dégage la serrure et ma patte immédiatement appuie sur l’ouvrant. Un pincement au cœur dès la première marche, et il dure tout au long de ma prudente ascension vers… celui qui doit attendre. Bon ! Je suis relativement à l’heure. Paul est derrière l’huis de son antre entrouvert. Une chemise, qui, si elle est toujours à carreaux n’a pas tout à fait les mêmes tons. Le pantalon lui est différent. Une toile noire épaisse et cet ensemble hétéroclite se trouve à demi couvert par un tablier sans âge.


Des coulées de peintures maculent l’ensemble de ce drap qui, un jour, a dû être blanc ou écru. Par contre, ses mains, elles, sont d’une teinte « normale ». Dans ses quinquets, un reflet spécial, un merci muet de me voir arriver ? Il se précipite dans ma direction.



Un pas, un seul, et mes regards parcourent l’atelier avec des yeux qui cherchent un changement dont mon instinct m’avertit. Ah ! Je sais. Dans un angle, le bonhomme a déplié une sorte de paravent à trois volets. Il reste là à jauger sur pied la bête de foire qui ne sait plus trop quoi ficher de sa carcasse. Mon trouble est visible, mais je ne peux guère le cacher.



Je lui lance par bravade ce d’accord qui ne me rassérène nullement. L’odeur du jus qui passe dans la machine fait frétiller mes narines. La tasse que me tend Paul tremble dans ma main. Mince alors, je ne vais pas tout renverser ! Il est chaud à m’en brûler la langue et le gaillard qui s’escrime à tirer un linge sur son canapé, sourit-il de cette bécasse qui ne sait plus sur quel pied danser ? Je bois le contenu noir et excellent sans en perdre une goutte. Un exploit en soi, tant je me sens godiche !



Quand je voudrai ? Il en a de bonnes lui ! Qu’est-ce que je fais de sa tasse ? Il a compris et ses doigts viennent la cueillir, avant qu’elle ne finisse en éclats sur le parquet de sa verrière. Mes guibolles sont en coton alors que je fais un effort surhumain pour me glisser derrière la cloison mobile déployée à mon intention. Un soupir de satisfaction puisque, désormais, je suis à l’abri de sa vue. Mais le plus difficile reste à venir. Il est vrai que je porte bien peu de hardes. Une question, aussi idiote que tout ce qui me passe par la tête en cet instant. Je la lui pose ?



Il me semble qu’il rit, je n’en jurerais pas. Mes mains s’affolent sur les boutons de mon corsage. Je prends tout mon temps pour le mettre bien dans les plis sur un cintre. Chaque seconde perdue est une seconde de gagnée. Drôle de pensée qui m’assaille sans cesse. Pour ma jupe… seul le fermoir garde close la ceinture et il ne résiste que si peu à mes doigts gourds. Me voici en soutien-gorge et culotte, plantée derrière un si frêle rempart. L’éponge me couvre les reins. Il me faut sortir, avancer vers… le lieu du crime. Bon sang qu’ils sont malaisés à faire ces deux mètres en pleine lumière.


Je tourne la tête, sautille comme si j’avais froid. Et c’est plus en courant qu’en marchant finalement que je viens m’avachir sur le divan. Mes seins… je ne peux pas cacher le bas et aussi le haut avec le simple confetti qu’il m’a déposé sur la patère. Lui est absorbé par la mise en place de sa toile vierge sur son chevalet. Il ne s’occupe pas de mon passage dans son dos. Peut-être qu’il fait semblant de ne pas me voir, pour ne pas me mettre plus mal à l’aise que je ne le suis déjà ? Ce premier contact de ma peau avec le tissu me donne une chair de poule incroyable.


Après mes fesses, je soulève mes gambettes et place mon corps tout entier allongé sur l’étoffe qui fait ressortir le teint de ma peau. Cette fois, la serviette bien calée sur mon ventre invisible, je me permets de relever le menton. Lui est debout, face à moi et son pinceau dans sa main me cible. Il reste interdit, sans un geste. Nos regards se croisent et je rougis. Une honte imprévue lui prouve que je n’ai guère l’habitude de ce genre de situation. Lui non plus ne sait plus trop où il en est apparemment.


Il me balbutie quelques mots.



Il fonce vers le meuble contre le mur et en tire un vieux bouquin.



Le volume est dans mes pattes. Le titre ! L’ennui ! Est-ce qu’il a fait exprès ? Pourquoi un tel livre ? Je l’ouvre et commence ma lecture. Mince alors, ça a l’air plutôt pas mal. Lui s’est retiré vers le support de sa toile et il se déhanche dans un ballet surréaliste. Placé de trois quarts par rapport à l’endroit que j’occupe, je le devine dans un état second. Habité par sa passion, j’entends les bruits que font les touches de son fusain sur la toile. Moi… et bien je plonge dans la lecture et découvre avec stupeur cette Cécilia qui, comme moi, pose pour un vieux peintre. Il m’a collé ce livre dans les pognes pour me faire passer un message secret ?


J’ai bien du mal à croire que c’est fortuit… mais je suis becquée par les mots de ce romancier inconnu de moi. C’est précieux, direct et si bien vu. Mon esprit tout entier est captivé par l’aventure de cette jeune femme, et de ce Dino barbouilleur, plus que véritable artiste. Je suis dans la trame alors qu’à deux pas de mon divan, Paul continue sa drôle de prestation. Je suis tellement prise par ma lecture que sa main qui se pose sur mon épaule me sort de cette fascinante affaire.



Il me regarde et ses yeux sont brillants. Sa main est toujours sur la rondeur de mon épaule. Douce, chaude, elle me transmet une sorte de force. Sa seconde patte vient remonter une mèche de tifs brune qui barre mon front. Pourquoi est-ce que j’ai l’impression qu’un instant il hésite ? Je m’attends à ce qu’il approche son visage du mien, à ce qu’il m’embrasse. C’est presque à regret que je le vois couper court à mes attentes. Et j’en suis… comment dire, un soupçon… désabusée. Le paravent, j’en oublie jusqu’à la serviette qui me ceint les reins. Elle glisse sur le chemin entre canapé et cloison mobile.


Lui a suivi la courbe de mes hanches, les volumes de mes fesses dénudées. Je lui adresse un mot qui a le don de le faire rire.



Il réplique bien entendu avec humour.



Il murmure encore quelque chose que mes oreilles ne captent pas du tout… À moins que ma surdité passagère soit volontaire. J’ai des frissons et me traite de folle en passant un à un mes vêtements. Quand je sors, je trouve aux côtés de mon sac le prix de la séance. Je rougis une fois encore. Cet argent… trop facilement gagné, me brûle les quinquets autant que les doigts. Lui nettoie ses outils et une forte odeur d’essence de térébenthine se répand partout dans la verrière. Il se désintéresse complètement de ma petite personne. C’est donc moi qui viens le saluer avant de filer.


Quand il se retourne pour me tendre la main, je me sens toute conne. Il y a cet éclat dans ses prunelles… un reflet pareil à celui qui danse dans les miennes. Mais je me sauve en lui promettant donc une nouvelle visite pour mercredi matin, comme convenu. Ses sous sont bien à l’abri dans mon baise-en-ville et deviennent la promesse d’un beau début de semaine. Je n’ai pas osé embarquer « L’ennui ». Je sais bien que je vais reprendre ma lecture la prochaine fois, là où je l’ai abandonné aujourd’hui. J’en digère les passages mémorisés… un bien beau roman !



— xXx — 



À suivre…