n° 22776 | Fiche technique | 14082 caractères | 14082 2445 Temps de lecture estimé : 10 mn |
26/11/24 corrigé 02/12/24 |
Présentation: Les mésaventures d’une jeune femme de la haute société dans le Paris du milieu du 19e siècle. | ||||
Résumé: Ruiné suite à des placements hasardeux, le comte de Beauchamp exige de sa fille qu’elle épouse un vieillard fortuné. | ||||
Critères: #drame #historique #aventure contrainte | ||||
Auteur : Stiletto Envoi mini-message |
DEBUT de la série | Série : L'éducation d'Adélaïde Chapitre 01 / 04 | Épisode suivant |
Note du comité éditorial
Cette série est à replacer dans son contexte du dix-neuvième siècle. La condition de la femme n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui. Heureusement que cela évolue (lentement) dans le bon sens.
Paris, sous le règne de Napoléon III
Dans le magnifique salon d’un hôtel particulier luxueux, un homme rudoie vertement sa fille.
« VLAM ! »
Le bruit sec de la gifle résonne dans l’immensité de la pièce.
La comtesse Joséphine de Beauchamp, qui observe la scène sans rien dire comme il sied à une dame de son rang, décide de sortir de sa réserve.
« VLAM »
À son tour, la main de la comtesse heurte violemment la joue de sa fille.
Tandis que la jeune demoiselle quitte le salon en claquant la porte, le compte Edmond de Beauchamp s’emporte. Comment sa propre fille ose-t-elle se comporter d’une façon aussi insolente ? Il n’a pas de doute à ce sujet, la faute en revient à sa mère.
Au bord de la crise d’apoplexie, il tourne donc sa colère contre son épouse.
Il faut à Joséphine toute sa contenance, pour ne pas rétorquer qu’un jour viendra où les femmes auront les mêmes droits que les hommes.
Bien que respectueuse des convenances, la comtesse n’est cependant pas le genre de femme à se laisser intimider, et encore moins par son mari. Ne pouvant pas s’opposer à lui directement, elle décide de le « moucher » d’une façon plus… Comment dire ? Féminine ?
Joséphine a vu juste. Elle sait que le comte de Beauchamp n’a aucune envie que la contribution de sa femme soit étalée au grand jour.
Le ton de ce dernier se radoucit donc subitement.
Quoi qu’il en soit, je vous demanderais de raisonner Adélaïde. Mes derniers investissements se sont révélés désastreux, et nous sommes au bord de la faillite. Sans ce mariage avec le baron d’Harcourt, nous serons contraints de vendre cette maison. Pour nous tous, ce serait non seulement la ruine, mais aussi le déshonneur.
La comtesse a beau être maintenue éloignée des questions financières, comme toute femme respectable de son époque, elle est parfaitement consciente de la situation catastrophique dans laquelle les a mis son époux.
Ce n’est pas la première fois que ce dernier est dans une position délicate, et elle a déjà dû user de ses relations à maintes reprises pour le tirer d’affaire. Mais cette fois-ci, elle sait que ses talents ne seront pas suffisants, et puis Adélaïde est maintenant en âge de prendre époux.
Joséphine éprouve cependant un petit pincement au cœur : et oui, sa fille a raison, c’est bien elle qui a manigancé ce projet de mariage.
Pendant que ses parents se rejettent la responsabilité de son éducation ratée, Adélaïde ressasse ses sentiments dans sa chambre. Elle le sait, c’est sa mère qui est derrière tout ça, c’est elle qui a fomenté ce projet ignoble. Et pourquoi ? Tout simplement pour préserver son titre, son rang, sa fortune… Toutes ses prétendues valeurs qu’elle honnit.
La jeune fille est même certaine que c’est elle qui a convaincu son père bien aimé. Elle sait très bien que lui est incapable d’une telle bassesse.
Décidément, elle hait sa mère !
Quand on connaît la façon dont celle-ci la traite depuis son enfance, ce sentiment est compréhensible. Joséphine de Beauchamp est une femme austère, snob, froide, hautaine, inflexible, qui se montre toujours très dure, très exigeante, en particulier avec sa fille. Ainsi, Adélaïde passe ses journées entières à apprendre le français, le latin, le grec, mais aussi les sciences, les mathématiques, alors que les jeunes filles de son âge apprennent certes à broder, à tenir une maison, à être une épouse dévouée, mais aussi à s’amuser.
Et tout ça sans la moindre indulgence, la plus petite erreur est toujours sévèrement punie ! Adélaïde ne compte plus les coups de baguette sur les doigts, les heures passées à genoux sur une règle, et les autres punitions infligées par sa mère.
Fort heureusement, il y a son père. Lui est à l’opposé de sa génitrice. Toujours à la couvrir de cadeaux, de belles robes, à lui offrir des confiseries… Toujours prêt à la complimenter, à la prendre dans ses bras pour la consoler…
Bref, il la traite comme une princesse, et elle l’aime autant qu’elle le vénère.
Non, son père ne va pas la laisser tomber, il s’opposera à la volonté de son épouse. Adélaïde en est certaine.
Mais c’est sans compter sur le caractère veule de ce dernier :
« Le devoir ? » Quel devoir ? se dit Joséphine, une réunion ennuyeuse à l’assemblée, ou… les bras d’une maîtresse ?
La comtesse de Beauchamp observe son époux quitter la maison, en lui laissant, encore une fois, le soin difficile de trouver une solution. Elle en a l’habitude, et réfléchit promptement à la situation : le baron d’Harcourt est un homme âgé, chauve et bedonnant, et elle comprend parfaitement la répugnance de sa fille à l’épouser. Cependant, elle n’a pas le choix. Ils sont au bord de la faillite, et le rôle d’une fille est d’obéir à son père, comme celui d’une épouse est d’épauler son mari en toutes circonstances. Et dans les situations difficiles, l’une comme l’autre doit savoir se sacrifier.
Joséphine soupire. Son époux a raison, se dit-elle, l’éducation de sa fille est un échec total. Pourtant, elle partait d’un bon sentiment, celui de faire d’Adélaïde une jeune femme épanouie, cultivée, indépendante…
Mais sa mère a oublié une chose primordiale : le monde dans lequel elles évoluent est dirigé par les hommes ; une femme libre n’y a pas sa place !
Si encore Adélaïde disposait d’une certaine fortune, elle pourrait s’en faire une, l’argent permet en effet d’acheter sa liberté, mais l’incurie de son père l’en a privé !
Joséphine s’en veut, en voulant le bien de sa fille, elle a en fait construit son malheur. Au lieu de laisser se développer chez elle des idées contestataires, elle aurait mieux fait de lui apprendre à être une épouse dévouée, comme toutes les demoiselles de son âge.
La comtesse sait qu’il va maintenant falloir briser la résistance d’Adélaïde pour la ramener à la raison, mais comment faire ? Elle n’aura jamais la force de dompter seule ce cheval fougueux qui lui ressemble tant ; il lui faut de l’aide.
Elle ferme les yeux et se met à réfléchir. Peu à peu, une idée germe dans son esprit, mais elle la rejette aussitôt : « non, tout, mais pas ça ! » se dit-elle.
Elle replonge dans ses réflexions, analyse la situation sous tous les angles, aborde le moindre aspect, ne néglige aucun détail, étudie toutes les hypothèses… Pourtant, malgré tous ses efforts, elle ne parvient pas à trouver une solution viable.
Alors, peu à peu, tel un champignon vénéneux en automne, son idée de départ refait surface. Et d’un simple germe, elle devient bientôt une plante vigoureuse qui occupe tout son esprit. Joséphine essaie de la chasser à maintes reprises, bien sûr, comment une mère pourrait-elle faire cela à la chair de sa chair ? Mais elle est bien obligée de se rendre à l’évidence. Oui, c’est la solution.
La seule !
La mort dans l’âme, la comtesse s’empare du cordon à l’entrée de la pièce, et le secoue avec vigueur. Quelques secondes plus tard, comme par magie, une jeune servante essoufflée fait son apparition.
La domestique disparaît aussitôt et se précipite à l’écurie :
Une voix pleine de colère interrompt cette discussion :
Une demi-heure plus tard :
Eh bien, se dit le cocher en essuyant une goutte de sueur sur son front, ce n’est pas le moment de la contrarier, la comtesse est d’humeur massacrante.
Durant tout le trajet, le regard perdu de Joséphine de Beauchamp contemple le paysage sans s’y attarder. « Mon Dieu, que suis-je en train de faire ? se demande-t-elle tristement.
Au bout d’une heure, sa mélancolie est interrompue par la voix de Firmin :
Le cocher descend prestement de son perchoir pour ouvrir la porte du cabriolet à sa maîtresse. Celle-ci lui tend la main afin qu’il l’aide à descendre, avant de dire sèchement :
Malgré la remontrance qu’il a subie peu avant, Firmin ne peut s’empêcher d’intervenir encore une fois en voyant les mines patibulaires qui hantent les lieux.
Le cœur dans l’âme, le domestique laisse sa patronne traverser seule la place, pour ensuite s’engager dans une ruelle sombre.
Aussitôt, tels des loups de leur tanière, des silhouettes inquiétantes surgissent de l’ombre et s’approchent lentement de la belle dame. Mais une fois arrivées à quelques mètres, elles font demi-tour pour retourner dans le ruisseau.
Quant à Joséphine, indifférente à ce qui l’entoure, elle s’enfonce sans hésiter dans l’obscurité, et, tandis qu’elle marche à pas décidés, elle entend des chuchotements :
D’autres chuchotis leur répondent :
Oui, c’est elle.
La comtesse avait raison, elle ne risque rien. On reconnaît certainement en elle la bienfaitrice de ces lieux, celle qui organise chaque année un gala de charité pour leur venir en aide. Oui, c’est forcément cela, quoi d’autre pourrait empêcher ces misérables de se jeter sur elle pour la dépouiller ?
La ruelle n’est pas très longue et, bientôt, Madame de Beauchamp arrive devant une lourde porte cochère, aussi sinistre que solide. Elle s’empare de l’anneau en bronze et le fait résonner bruyamment. Peu après, un Juda s’ouvre, laissant apparaître deux yeux injectés de sang.
Le rustaud au visage balafré observe longuement cette étrange visiteuse. Qu’est-ce qu’une dame du monde peut bien vouloir à sa patronne ? Et pourquoi donc est-elle venue par la porte de service ?
Ce ne sont pas ses oignons après tout, et il hausse les épaules avant de répondre sèchement :
Le Juda se referme d’un coup, laissant Joséphine seule dans la pénombre. Mais peu après, la porte s’ouvre, et une femme à l’allure indéfinissable vient l’accueillir.
Pendant ce temps, Firmin, resté avec les chevaux sur la place des Anges, comme sa maîtresse le lui a ordonné, se fait un sang d’encre pour elle. C’est donc avec soulagement qu’il la voit revenir indemne, au bout d’un laps de temps qui lui a semblé une éternité.
Avant de remonter dans le cabriolet, la comtesse s’adresse à lui d’une voix ferme :
À suivre…