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Temps de lecture estimé : 6 mn
15/01/25
Présentation:  Parfois, un sourire suffit à tout changer.
Résumé:  Entre réflexions légères, apparences, préjugés et magie des hasards de la vie, Victor observe le monde avec un mélange d’ironie et de détachement.
Critères:  #réflexion #société #nonérotique #rencontre #personnages
Auteur : L'artiste  (L’artiste)      Envoi mini-message
Pain au Chocolat, ou Chocolatine ?

Assis sur le balcon de son petit appartement, Victor était devenu spectateur de la vie citadine qui s’écoulait en bas. Ce quartier, un mélange hétéroclite de vieilles pierres et de modernité criarde, offrait un théâtre permanent de scènes quotidiennes. Ici, tout se déroulait au grand jour : les disputes, les rires d’enfants, les sermons improvisés d’un homme tenant une pancarte biblique, et même parfois les baisers volés dans l’ombre d’une ruelle.


Ce jour-là, un couple discutait bruyamment à la terrasse d’un café. Lui, vêtu sobrement, agitait les mains dans une tentative d’emphase, tandis qu’elle restait immobile, les bras croisés. Plus loin, un groupe de jeunes adultes dévoilait des bribes de conversations où des mots crus se mêlaient à des idées grivoises. Tout cela dans un chaos harmonieux, une toile d’humanité qu’il aimait observer, bien qu’elle le questionne. Victor se demandait souvent : « Qu’est-ce que ça leur apporte ? » Ce besoin d’être vu et validé l’agaçait plus qu’il ne l’admettait.


Religion et sexualité relevaient pour lui d’une sphère intime inviolable. Cela ne signifiait pas qu’il était hostile aux personnes qui ne partageaient pas ses convictions. Mais il ne comprenait pas cette tendance à en faire des étendards, des identités publiques. Que ce soit le prêtre qui prêchait devant le bureau de tabac, ou le militant éclatant de fierté sous une banderole bariolée, tous lui semblaient à la fois excessifs et tragiquement similaires.


Il avait grandi dans une famille où la religion était un rituel sans foi. Le dimanche, on allait à la messe non pas pour prier, mais pour rencontrer les voisins. C’était une tradition vidée de son sens, et Victor, adolescent, avait vite cessé de s’en soucier. Sa mère avait résumé un jour avec une franchise désinvolte : « Chacun fait ce qu’il veut, tant qu’il ne vient pas m’emmerder. » Ce credo laïque était devenu sa boussole.


Son regard se posa sur une femme d’âge moyen qui promenait son chien, un minuscule Yorkshire qui sautillait joyeusement, insensible au ridicule de son collier serti de faux diamants. Vêtue d’un pantalon rouge vif et d’un chemisier jaune criard, elle rayonnait d’exubérance. Victor sourit. « En voilà une qui vit comme elle l’entend. » Elle participait malgré tout à cette parade constante d’identités et d’apparences.


Pensif, il se souvint d’une conversation qu’il avait eue avec un ancien camarade de fac devenu militant. Celui-ci lui avait reproché son manque d’appartenance.



Mais Victor lui avait répondu avec une pointe d’ironie :



Cela n’avait pas convaincu son ami, mais résumait bien sa philosophie.


Il alluma une cigarette, savourant le moment où la fumée envahissait ses poumons. « Le plaisir de l’instant, » se dit-il. Voilà ce qui manquait souvent à ces débats interminables sur ce qui était bien ou mal, acceptable ou scandaleux. Les gens oubliaient de vivre, préoccupés qu’ils étaient par l’image qu’ils projetaient ou les valeurs qu’ils défendaient.


Victor se demandait parfois s’il était désabusé ou simplement pragmatique. Après tout, pourquoi se soucier de ce qui ne le regardait pas ? Les passants continuaient de défiler, chacun enfermant ses propres luttes et convictions. Le monde tournait ainsi depuis la nuit des temps, et il était bien décidé à ne surtout pas s’en mêler.


Soudain, un jeu s’imposa à son esprit. Pourquoi ne pas tenter de deviner leurs croyances ou leur sexualité ? Il repéra un homme blond aux yeux bleus, très sobrement vêtu. « Peut-être musulman. Pourquoi pas ? Les apparences peuvent parfois être trompeuses. » Quelques secondes plus tard, il se surprit à imaginer que ce même homme pourrait tout aussi bien être un libertin invétéré ou un adepte du yoga tantrique. Victor sourit à cette éventualité saugrenue.


Une jeune femme attira ensuite son attention. Un pantalon droit et une veste qui lui donnaient une allure très masculine. Mignonne, mais peu apprêtée. « Lesbienne, probablement. » Cette pensée l’amusa brièvement avant qu’une autre ne la chasse : « Et si elle était nonne ? » Une association incongrue qui le fit éclater de rire. Comment une même silhouette pouvait-elle lui inspirer des idées si opposées ? Il la fixa pourtant plus longtemps qu’il ne l’aurait voulu.


Continuant son jeu, il tenta de deviner la vie secrète de chacun et chacune. Une vieille dame au visage ridé avançait lentement, son sac usé battant contre sa hanche. Victor imagina d’abord une existence sage et rangée, à tricoter au coin du feu. Mais après tout, peut-être avait-elle dansé pieds nus dans un champ, sous les étoiles, des marguerites dans les cheveux. Était-elle une révoltée des sixties ? Cette pensée le fit sourire.


Un jeune homme en survêtement à capuche, passa ensuite. Victor haussa les sourcils : « Le cliché du gars des cités, non ? » Puis il se surprit à songer à ce garçon, fort et viril, dans des étreintes passionnées homosexuelles. Ce dernier s’arrêta brusquement et, d’un geste naturel, se pencha pour aider une vieille dame à hisser son chariot de courses sur le trottoir. Victor plissa les yeux, intrigué par ce contraste. « Qui sait ? Peut-être récite-t-il des poèmes de Baudelaire à ses heures perdues, ou pleure-t-il devant des comédies romantiques ? » Décidément, ce jeu était aussi absurde qu’enivrant.


Puis son regard revint à la jeune femme au pantalon droit. Elle était immobile devant une boulangerie, semblant hésiter entre entrer ou continuer sa route. Il se leva, intrigué. Et si… pourquoi pas ? Une pensée irrépressible le poussa à agir. Sa cigarette écrasée, il attrapa sa veste et descendit quatre à quatre les marches de son immeuble.


En sortant, il erra d’un pas tranquille, comme s’il ne s’était rien imposé, mais ses yeux la cherchaient. Elle était là, encore plantée devant la vitrine de la boulangerie, le regard plongé dans le vide.


Il s’approcha, hésitant sur la manière de l’aborder.



La jeune femme tourna la tête, un brin décontenancée, puis éclata de rire. Il sentit un étrange pincement au cœur, comme si ce son brisait une coquille qu’il s’était toujours efforcé de consolider autour de lui. « Ne fais pas l’idiot », pensa-t-il. Mais il était trop tard.



Elle était ravissante. Victor était pris de court, mais un sourire s’étira sur son visage.



Cette première phrase fit naître un échange léger, parsemé de regards hésitants et complices. Il découvrit qu’elle s’appelait Clara, qu’elle travaillait dans une galerie d’art du quartier et qu’elle avait une passion pour la peinture abstraite. Victor, de son côté, glissa quelques anecdotes sur son propre quotidien et son goût pour l’observation des passants.


Le jeu qu’il avait inventé plus tôt semblait soudain bien futile face à cette rencontre inattendue. Clara n’était ni un fantasme ni une silhouette à deviner. Elle était une personne, avec ses mystères et ses contradictions, qui entrait dans sa vie d’une manière aussi anodine qu’inespérée.


La séduisante femme s’éloigna, mais pas avant de lui lancer une œillade par-dessus son épaule qui semblait dire : « Alors, tu viens ? »


Peut-être était-elle hétéro, en fin de compte. Et peu importe sa religion ; Victor, immobile, sentit son cœur battre plus fort. La vie lui donnait une chance. Restait à savoir s’il aurait le courage de la saisir. Un frisson le parcourut, non provoqué par la fraîcheur de l’air, mais par l’idée qu’une nouvelle histoire s’offrait à lui, réelle, sans clichés ni projections.



Lorsqu’elle se retourna, son sourire n’était pas seulement une invitation, mais une promesse.