Voilà une chanson que j’aime beaucoup, l’Amour avec toi de Michel Polnareff. Une bien belle déclaration, jugée trop subversive à l’époque, puisqu’interdite à la radio avant 22 heures. J’ai toujours été sous le charme de la voix, la musique et les textes de Michel Polnareff. À l’occasion de ce jeu d’écriture, j’en ai fait une courte histoire, mais au second degré.

Alex est un romantique dans l’âme. Mais pas un romantique à l’ancienne, non. Il n’envoie pas de lettres d’amour enflammées ni ne déclame de la poésie sous les balcons et la pluie. Il n’est pas un romantique mièvre à envoyer des bouquets de roses rouge vif en forme de cœur. Son truc à lui, ce sont les ambiances bien pensées, les gestes subtils, les petites attentions bien dosées, qui, mis bout à bout, finissaient forcément par faire leur petit effet sans avoir l’air trop étudiées.

Depuis des semaines, il a le béguin pour la jolie Alice, sa collègue de travail. Il applique avec elle cette méthode. Il cultive l’art du flirt patient.

Il est attentif, mais pas envahissant, galant, mais pas vieux jeu.

Par exemple, il est devenu expert pour apparaître « par hasard » là où elle se trouve, sans jamais donner l’impression de la suivre. À la machine à café, il va chronométrer ses pauses pour les faire coïncider avec les siennes. Il s’arrange pour lui laisser subtilement le dernier croissant, tout en lançant un modeste :

• — Oh, je n’ai pas très faim ce matin…

Elle sourit à chaque fois, et lui, intérieurement, il sabre, le champagne.

Il la fait rire aussi, ce qui, selon lui, était son plus grand atout, même si ses blagues sont parfois douteuses. Elle répond aussi à ses messages avec enthousiasme, et, à deux reprises, elle a posé une main furtivement sur son bras en parlant.

Alex y voit tous les signes d’un intérêt réciproque.

Après ces semaines de cour assidue, il se décide à franchir un cap. Il vient de l’inviter à dîner et elle a accepté. Ce soir sera une soirée inoubliable : leur premier rendez-vous en tête-à-tête.

Et il n’a pas fait les choses à moitié.

Depuis le matin, Alex est survolté. Tout devra être parfait, jusque dans les moindres détails. Il a préparé son appartement avec une précision militaire. Son deux-pièces, d’ordinaire un joyeux chaos de vêtements éparpillés et de tasses de café vides, a subi un relooking express digne d’une émission de home staging.

Le canapé ? Parfaitement ordonné, avec les coussins artistiquement disposés, comme s’ils étaient tombés négligemment, mais avec élégance.

La lumière ? Tamisée, juste ce qu’il faut, pour éviter l’effet salle d’interrogatoire de police, ou à l’inverse, celui d’un repaire de vampires.

Les bougies ? Allumées en nombre raisonnable. Il tient à créer une ambiance romantique, pas un rituel satanique.

Le menu ? Choisi avec soin et préparé avec attention tout au long de l’après-midi.

Et surtout la musique…

Il a soigneusement élaboré une playlist romantique, oscillant entre douceur et sensualité, avec en point d’orgue, le clou du spectacle : « L’amour avec toi » de Michel Polnareff. Une chanson à la fois sensuelle et explicite, mais qui, selon lui, exprime avec élégance ce qu’il n’ose pas dire tout haut. Directe sans être vulgaire en quelque sorte.

En se regardant une dernière fois dans la glace, il se sent prêt, son reflet lui renvoyant une image flatteuse. Il passe en revue chaque détail de sa personne. Sa chemise est légèrement déboutonnée, mais pas trop, un soupçon de parfum bien dosé, et surtout… sa coiffure du soir, un brushing savamment travaillé.

• — Du volume, du panache, du charisme et une légère audace rock’n’roll, se dit-il.

Il se dit aussi qu’Alice sera forcément sensible à cette touche de folie capillaire.

Alex jette des coups d’œil nerveux à l’horloge. 19 h 58, Alice va arriver d’une minute à l’autre. Son cœur bat fort. Ce n’est pas du simple stress, c’est ce frisson d’excitation, ce mélange délicieux d’anticipation et de trac. Et si elle ne riait pas à ses blagues ? Et si elle trouvait son vin mauvais ? Et si… elle ne ressentait pas la même chose que lui ?

Il secoue la tête. Non, il ne doit pas penser à ça. Ce soir, tout va bien se passer.

Quand la sonnette retentit enfin, il sent un courant électrique lui parcourir le dos. Il inspire profondément, recompose son expression faciale dans le miroir avant d’ouvrir (ni trop détendu, ni trop excité), et du bout des doigts replace une mèche de cheveux.

Alice est là, resplendissante. Elle porte une robe printanière fluide et élégante. Et ce parfum léger qui lui donne envie de fermer les yeux pour mieux le savourer.

• — Salut, dit-elle en entrant.
• — Salut, répondit-il, légèrement troublé.

Bon complètement troublé… Il n’est pas prêt à ce que son cœur saute un battement en la voyant. Elle balaye la pièce du regard et hausse un sourcil amusé.

• — Eh bien, tu as mis les petits plats dans les grands.
• — Disons que… je voulais qu’on passe une belle soirée.

Elle sourit. Alex sent son estomac faire une légère embardée. Cette soirée, il en rêve depuis si longtemps et tout semble commencer à merveille.

Il s’installe sur le canapé pour un apéritif, avant de passer à table. Ils discutent, rient, partagent des souvenirs d’enfance et des anecdotes de bureau. Alice joue nonchalamment avec son verre de vin et Alex se sent de plus en plus à l’aise. Son trac initial s’est dissipé, remplacé par une douce euphorie.

La playlist se déroule. Après une série de chansons d’ambiance, « L’amour avec toi » débute. Alex se dit que le moment est venu.

Il pose son verre, se penche légèrement vers elle, la regarde droit dans les yeux et murmure d’une voix suave :

• — Alice… j’ai envie de faire l’amour avec toi…

Un silence. Alice le fixe, un sourire mystérieux au coin des lèvres.

• — Alex… moi aussi…

Le cœur d’Alex explose dans sa poitrine. Il l’a fait ! Il a osé ! Et ça a marché. Il sent la chaleur monter en lui, un vertige délicieux l’envahir.

Alice se penche vers lui, effleurant son oreille du bout des lèvres. Son souffle chaud le fait frissonner. Puis elle murmure avec une douceur qui ressemble presque à une caresse :

• — Mais pas avec cette coupe de cheveux.

Alex s’est figé.

Alice recule et observe, amusée par le brushing soigneusement sculpté, défiant les lois de la gravité. Il a passé presque une heure à la concevoir devant le miroir, s’inspirant de Polnareff lui-même, de la hauteur, une œuvre capillaire, chaque frisette pensée et à la bonne place.

• — Là, c’est vraiment pas possible, dit-elle en éclatant de rire.

Puis se reprenant un peu :

• — C’est un hommage à Polnareff ou tu t’es battu avec ton sèche-cheveux ?

Sidéré d’abord, il ouvre la bouche, la referme puis éclate de rire à son tour. Il adore son humour, mais il ne s’attendait pas à ce que son brushing devienne l’obstacle de la soirée.

• — Je voulais une touche originale, répondit-il mi-figue mi-raisin, en passant sa main dans ses cheveux.
• — Original ? C’est réussi ! On dirait un mélange entre la crinière d’un lion et un nuage.

Elle attrape un chouchou dans son sac, s’approche de lui, et d’un geste expert, lui fait une petite couette ridicule sur le sommet du crâne.

• — Voilà… Maintenant, on peut en discuter.

Et elle repart dans son fou rire. Alex mi-amusé, mi-résigné se dit que, finalement, il n’est pas en train de vivre le moment sensuel qu’il a imaginé, mais il y a autre chose.

Une complicité nouvelle, une légèreté s’est nouée entre eux. Quelque chose de sincère et de spontané.

Alice se lève, quitte la table et s’installe sur le canapé. Elle tapote la place à côté d’elle.

• — Viens là, Polnareff junior.

Il la rejoint en riant.

La conversation reprend, plus fluide que jamais. Les heures passent sans qu’ils s’en rendent compte. L’ambiance romantique s’est transformée en une soirée à rire aux éclats, à parler de tout et de rien, sans pression, sans masque.

Au fond, Alex se dit que c’est peut-être encore mieux que ce qu’il a espéré. Surtout au moment où Alice se lève, tend sa main vers lui et l’entraîne vers sa chambre.

Michel Polnareff : l’amour avec toi

https://www.youtube.com/watch?v=uISOuKDDArA