Une Histoire sur http://revebebe.free.fr/
n° 23063Fiche technique10585 caractères10585
1771
Temps de lecture estimé : 8 mn
15/05/25
Présentation:  Ce texte est un spin-off de récit "Cul posé, secrets lâchés" de L’artiste. Je vous recommande vivement de lire l’original pour mieux apprécier celui-ci et ses clins d’œil.
Résumé:  À Saint-Fondu-en-Bouse, le banc mystique va de nouveau plonger ses habitants dans une nouvelle tragédie.
Critères:  #humour #ruralité #nonérotique #confession
Auteur : Rainbow37      Envoi mini-message

Projet de groupe : Confessions assises
Le grand secret de la Francine

L’histoire qui suit, comme toutes celles de la collection « Confessions assises », est un écho au texte Cul posé, secrets lâchés qu’il est recommandé de lire en premier.



Sous le ciel lourd de Saint-Fondu-en-Bouse, le bistrot de la place exhale une odeur de vin aigre et de bois usé. Les tables, marquées par des décennies de verres renversés, semblent murmurer les secrets des habitués. Ce midi-là, le plus illustre et assidu d’entre eux, Jeannot, sa moustache frémissant comme une herbe sous le vent, partage un énième dernier verre de rouge avec Hervé, son beau-frère et compagnon d’innombrables méfaits juvéniles. Une casquette élimée couronne le crâne de Jeannot, tandis qu’Hervé, les joues rougies par la chaleur de l’été, ou le vin, triture un cure-dent avec une nonchalance étudiée.



Jeannot laisse échapper un rire rauque, ses yeux plissés scrutant le liquide rubis dans son verre.



Hervé esquisse un sourire, mais son regard glisse à travers la fenêtre entrouverte vers la place, où le banc, verni d’un éclat presque surnaturel, semble attendre, immobile sous le soleil de plomb. Une brise légère agite les feuilles des platanes, comme pour murmurer une invitation.



Un claquement sec interrompt leur échange. La porte du bistrot s’ouvre sur Francine, son chignon d’un gris argenté aussi impeccable qu’une calligraphie. Son tablier fleuri flotte autour d’elle comme une bannière, et son regard suspicieux balaye les deux hommes, à savoir son ivrogne de mari et son abruti de frère.



Jeannot sent une chaleur lui monter aux joues, tandis qu’Hervé, secoué d’un rire silencieux, renverse une goutte de vin sur sa chemise. Une médaille de plus.



Francine s’éloigne, son pas assuré résonnant sur le pavé. Les deux hommes échangent un regard complice, leurs verres tintant doucement.



Hervé pose son verre, son visage prenant une gravité feinte, comme un acteur récitant un monologue.



Jeannot s’esclaffe, son rire ricochant contre les murs du bistrot. Puis il lève son verre et le descend d’une traite, pour le remplir à nouveau. Mais une lueur s’allume dans ses yeux, une vieille obsession ranimée par le vin et la malice.



Hervé incline la tête, ses doigts tapotant le bord de son verre, soudain captivé.



Ce dernier frappe la table du poing, faisant tinter les verres comme des clochettes. Quelques gouttes s’en échappent et éclaboussent la table.



Après une bonne heure de réflexion, et une attention particulière à ne pas se déshydrater, car ils suivent les bons conseils du docteur, ils se lancent dans un complot d’une ingéniosité discutable, leurs voix baissées comme celles de conspirateurs dans un roman d’aventures. Hervé propose de feindre une crise de sciatique pour obliger Francine à s’asseoir. Jeannot, plus dramatique, imagine un faux ticket de tombola promettant « un an de baguettes gratuites », mais il ne trouve pas comment l’utiliser pour faire poser les fesses à sa femme. Finalement, ils optent pour une ruse hybride : Hervé simulera quand même une douleur, et Jeannot posera un panneau près du banc comme l’avait fait la Gertrude, avec l’inscription « REPOSEZ-VOUS ICI – SIÈGE RÉSERVÉ AUX DAMES ». Francine, toujours prompte à corriger les incivilités, ne pourra pas y résister.


Fiers de leur stratagème, les deux comploteurs trinquent pour sceller leur prochain méfait.


L’après-midi, la place baigne dans une lumière dorée. Hervé, plié en deux, gémit avec un talent d’acteur de foire, attirant les regards curieux. Francine, qui revient de la cueillette aux mûres avec Josette, fronce les sourcils en l’apercevant.



Francine toise le banc, ses yeux plissés trahissant une méfiance ancienne. Elle l’avait évité depuis son arrivée, comme on évite un miroir trop sincère. Mais une pauvre feuille scotchée et annotée « REPOSÉ VOUS SUR LE SIÈGE RÉSERVEZ AU DAME » la pique au vif. Elle marmonne :



Poussée par son sens de l’ordre, elle arrache le papier, plisse les yeux, semblant reconnaître cette écriture grossière. Sans y penser, absorbée par son enquête graphologique, elle pose son derrière sur le bois lustré.


Jeannot, tapi derrière un platane, retient son souffle, son cœur battant comme un tambour de guerre. Hervé, oubliant sa comédie, a la paupière qui frétille. Josette se demande si elle fera de la confiture ou un clafoutis avec les mûres. Un pigeon, perché sur une branche, roucoule, indifférent au drame à venir.


Francine, immobile, fixe l’horizon, ses mains crispées sur son panier. Puis, d’une voix claire comme une cloche, elle parle :



Jeannot sent une sueur froide couler le long de sa nuque, il se relève pour sortir de sa cachette, et son dos craque. Hervé écarquille les yeux. La place semble retenir son souffle, suspendue à la confession. Jeannot, dans son esprit, voit déjà Francine avouer une passion défendue, des étreintes furtives dans l’ombre d’une grange avec l’ennemi. Ses poings se serrent, son souffle se bloque.


Francine poursuit, impassible :



Un silence tombe, lourd comme une enclume. Puis un soupir collectif s’élève. Jeannot émerge enfin, son dos ayant finalement réussi à se déplier, le visage cramoisi, ses bras battant l’air.



Hervé, plié en deux, rit à s’en étouffer.



Francine, toujours assise, croise les bras, un sourire gêné jouant sur ses lèvres. Puis elle se rebiffe.



Jeannot ricane, prêt à railler, mais Hervé, piqué dans son orgueil, bombe le torse.



Il s’installe, son menton relevé comme celui d’un roi. Trois secondes s’écoulent, lentes comme une goutte de miel. Puis sa bouche s’ouvre, et les mots jaillissent :



Le silence qui suit est si profond qu’on entendrait une feuille tomber. Jeannot, pétrifié, laisse sa mâchoire s’effondrer. Francine éclate d’un rire cristallin, son panier basculant, libérant quelques mûres sur le sol. Jacky et Gertrude, comme deux vautours en goguette, assistent au carnage le sourire aux lèvres.


Hervé, visage écarlate, bondit du banc.



Il s’élance, ses jambes raides le portant à peine. Jeannot, réveillé de sa stupeur, s’élance à sa poursuite, son pas alourdi par l’arthrose.



Francine, seule sur le banc, essuie une larme de rire. Ses doigts effleurent le bois, comme pour saluer un vieil ami.



La place retrouve son pouls, mais à Saint-Fondu-en-Bouse, le banc des confessions, tel un oracle de bois, n’a pas fini de révéler les âmes. Et Jeannot, lui, contemple désormais sa casquette avec une méfiance nouvelle et passe de longues minutes devant le miroir pour la faire apparaître bien droite sur sa trombine.



FIN