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Temps de lecture estimé : 9 mn
22/05/25
Résumé:  Une invitation très particulière...
Critères:  #érotisme #volupté
Auteur : Laetitia            Envoi mini-message

Projet de groupe : Une chanson, une histoire
L'hôtel particulier

Deuxième histoire pour ce jeu d’écriture, tirée de l’album « L’histoire de Melody Nelson », de Serge Gainsbourg. Cette fois, c’est « L’hôtel Particulier ».

Je tente de m’inspirer de l’ambiance de la chanson (je tente, essayer d’égaler Mr Gainsbourg est illusoire…), j’en épouse le début, avant de m’en éloigner.


Encore une fois, écoutez la chanson avant de commencer votre lecture. Laissez-la vous envoûter, avec toujours cette ligne de basse tellement ensorcelante.




La nuit avait ce parfum d’interdit et de mystère. Paris, drapée de ténèbres, scintillait de mille lumières derrière les vitres embuées de la limousine. Martin regardait distraitement le carton d’invitation qu’il tenait entre ses doigts. Quelques mots énigmatiques écrits d’une écriture élégante et manifestement féminine :


Au cinquante-six, sept, huit, peu importe

De la rue X, si vous frappez

À la porte

D’abord un coup, puis trois autres

On vous laisse entrer

Seul et parfois même accompagné


En bas du carton figurait une seule phrase sibylline :


Là où la nuit dévoile ses vérités.


Et enfin au dos :


Oserez-vous ? Si oui, une voiture vous attendra samedi soir à minuit, devant le 17 de la rue de la Boétie.



Rien d’autre… Ces mots ne lui évoquaient pas grand-chose. Intrigué par le mystère planant autour du message, il s’était laissé tenter. Pourtant, l’invitation lui était arrivée entre les mains d’une manière qui ne laissait rien au hasard. Une femme, qu’il avait à peine vue, lors d’un cocktail mondain à l’occasion d’un vernissage dans une galerie à la mode des quais de Seine, lui avait glissé l’enveloppe en murmurant simplement :



Le temps qu’il réalise, qu’il se retourne, elle avait disparu entre les convives. Il avait juste aperçu son dos et son ombre, lorsqu’elle quittait la pièce. Ne lui restait plus que la réminiscence imprécise d’une vision mystérieuse, d’une impression fugace, d’une voix qu’il avait trouvé envoûtante et celui de la fragrance d’un parfum qu’elle avait laissé dans son sillage. Brune ? Blonde ? Il n’en avait aucun souvenir.


Alors que la limousine quittait Paris, pour rejoindre les avenues huppées d’une ville de la banlieue ouest, Martin tournait le carton d’invitation entre ses doigts, comme pour en percer le secret.


Le véhicule ralentit en pénétrant dans une impasse étroite, dissimulée derrière une rangée d’arbres.

À l’angle d’un vieux mur de pierre recouvert de lierre, Martin aperçut enfin le bâtiment. Un hôtel particulier, imposant et silencieux, dont la façade aux moulures délicates trahissait l’opulence discrète. La voiture faisait crisser les graviers dans l’allée. Le chauffeur s’arrêta sans un mot. Martin inspira profondément avant de sortir. L’air était chargé d’une odeur de terre mouillée, amenée par l’orage d’été qui avait éclaté sur la capitale au cours de l’après-midi.

Il marcha pour rejoindre la grande porte noire en haut d’un perron, encadrée par deux lanternes à la lumière vacillante. Martin avançait d’un pas mesuré, absorbé par l’aura énigmatique de la bâtisse qui se dressait devant lui. Il n’aurait su dire pourquoi il était venu. La mystérieuse invitation déposée entre ses mains avec un murmure à peine audible n’avait cessé de l’obséder.

Devant la porte, aucune enseigne, aucune plaque, aucune indication.


Relisant son carton d’invitation, il frappa la porte, d’abord un coup, puis trois autres.


Elle s’ouvrit. Deux hommes en costume sombre se tenaient de chaque côté d’un large hall.

Ils ne portaient aucun insigne, mais leur posture, droite et impassible, rappelait celle des gardes d’un sanctuaire secret.

Martin s’avança. L’un des hommes tendit la main. Il lui présenta le carton sans un mot. Un bref regard, un léger hochement de tête, les deux hommes s’écartèrent et il put entrer. Derrière lui, il entendit la porte se refermer, l’aspirant dans un univers parallèle.




Une servante, sans vous dire un mot

Vous précède

Des escaliers

Des couloirs sans fin se succèdent

Décorés de bronzes baroques

D’anges dorés

D’Aphrodites et de Salomés



Il fut frappé par l’atmosphère. Tout semblait conçu pour troubler les sens. Ici, tout exhalait une sensualité trouble.

Une jeune femme en tenue de servante l’invita à monter l’escalier. Arrivée sur le palier, elle lui tendit un masque noir. Il hésita un instant, puis l’ajusta, suivant ce qui semblait être le rituel silencieux d’une société secrète.

Elle lui indiqua d’un geste un long couloir sur lequel donnaient de nombreuses pièces. Aucun mot n’avait été échangé entre eux.


Martin s’avança dans le couloir. Chaque pas lui faisait appréhender de nouveaux détails, qui semblaient conçus pour dérégler la perception, abolir le temps et effacer les limites entre réel et imaginaire.

L’ambiance était feutrée, presque irréelle, la lumière tamisée, émanant de lustres d’époque et de candélabres disposés à intervalles réguliers. Les murs, drapés de velours carmin, absorbaient les sons, transformant les conversations en murmures étouffés. Un parfum d’encens, capiteux, flottait dans l’air, un mélange de bois de santal, de cuir et d’ambre qui enveloppait les lieux d’une chaleur envoûtante.

Dans les vastes salons de chaque côté et parfois traversant le long couloir, des silhouettes évoluaient avec une grâce troublante. Hommes en smoking, femmes en robes fluides, tous masqués. Les conversations n’étaient que chuchotements qui se noyaient dans la musique. De leurs visages, on ne distinguait que des regards et des lèvres entrouvertes sur des rires feutrés.

Le silence n’existait pas ici, juste un murmure continu, une symphonie d’éclats de voix feutrés, de soupirs étouffés et de rires voilés qui semblait flotter dans l’atmosphère comme une brume invisible.


Il continua d’avancer, lentement, absorbant chaque détail de l’endroit.


Des couples masqués se croisaient sans un mot, les regards se frôlant comme dans des promesses muettes. Des robes glissaient sur des peaux chauffées par la langueur ambiante, des doigts traçaient des chemins sur des bras nus, et, parfois, un geste esquissé trahissait une invitation silencieuse.


Les salons se succédaient dans une enfilade de décadences élégante.


Appuyée près d’une porte, une femme le dévisagea, puis penchant la tête et, comme si elle se désintéressait de lui, elle se détourna et entra dans le salon.


Il la suivit du regard. À l’intérieur, de profonds divans accueillaient des silhouettes abandonnées à la lenteur d’une caresse ou d’un baiser. Plus loin, une femme en robe fendue jusqu’aux hanches riait doucement tandis qu’elle laissait un homme, penché vers elle, effleurer son cou du bout des lèvres. Elle lui murmurait des mots que Martin ne pouvait entendre. Celle qui l’avait dévisagé dans le couloir les rejoignit et s’assit sur l’accoudoir du fauteuil, il vit sa main disparaître sous le tissu de la robe de la femme assise.


Dans une autre pièce, des rideaux diaphanes filtraient la lumière dorée de bougies, qui projetaient sur les murs des ombres mouvantes qui dansaient au rythme lent d’une musique diffuse. Des corps, parfois en partie dénudés, se devinaient derrière les voilages, se cherchaient, s’effleuraient, dans un rituel dont Martin ne pouvait que capter des fragments.


Il se sentit aspiré dans ce tourbillon de sensualité et de mystère, comme un intrus soudainement toléré dans un rêve interdit.


Il progressait toujours, chaque pièce semblait une alcôve conçue pour l’abandon et la luxure.


Dans une pièce, il perçut un murmure diffus, un bruissement de soupirs retenus, comme une mer sensuelle où chaque vague n’était qu’un souffle. Là, des corps se mélangeaient, par deux, par trois, parfois plus.


Puis, au détour d’un corridor, il la vit.


Elle était adossée à une colonne sculptée, une coupe de champagne entre ses doigts fins. Sa courte robe noire épousait son corps avec une perfection troublante et révélait la peau dorée de ses jambes sous les jeux d’ombre et de lumière. Son décolleté soulignait la naissance de sa poitrine, tandis que ses longs cheveux cascadaient le long de ses épaules nues.

Mais ce furent ses yeux qui l’atteignirent de plein fouet. Deux prunelles claires, glaciales et brûlantes à la fois, qui semblaient transpercer le masque qu’elle portait.

Elle ne bougeait pas. Elle se contentait de l’observer, le fixer à travers la brume de fumée qui montait des encensoirs, comme une panthère alanguie, mais néanmoins aux aguets.

Ses lèvres s’entrouvrirent légèrement comme si elle allait dire quelque chose. Mais elle n’en fit rien. Elle porta simplement son verre à sa bouche, laissant ses doigts effleurer le cristal avec une lenteur calculée.


Elle ne bougeait pas. Elle le défiait seulement sans un mot.


Martin sentit son souffle s’accélérer. Tout en elle était invitation. Mais une invitation dangereuse. Invitation, mais pas abandon, c’était certain. Une invitation silencieuse, mais criante.

C’était un piège assurément, mais un piège dans lequel il brûlait de tomber.

L’hôtel particulier, avec ses mystères et ses jeux nocturnes, venait d’ouvrir une porte qu’il n’était pas sûr de pouvoir refermer.


D’un léger mouvement du menton, elle lui désigna le salon qui se trouvait en face. Ce n’était pas une demande, plutôt une injonction.


Martin savait qu’il aurait dû dire quelque chose, poser une question, rompre le sortilège. Mais il n’en fit rien.


Dans une lenteur étudiée, un contrôle absolu, comme si cela était inévitable, elle s’avança vers la pièce tamisée.


Il hésita, mais il n’y avait pas de place pour l’hésitation. Il la suivit. Il sentit un frisson glisser le long de son échine.


Ils atteignirent un petit salon où une lumière rouge baignait les murs, jetant des reflets mouvants sur les tissus et les quelques silhouettes dénudées allongés sur les sofas.

Elle se tourna enfin.



Il obéit. Il se tendit lorsqu’il sentit le bout de ses doigts effleurer sa mâchoire, remonter le long de sa tempe.


Puis au moment où il croyait sentir ses lèvres se poser sur les siennes…



Un éclat de voix, le bruit sec d’une porte qui s’ouvre brutalement.


Toutes les lumières s’allumèrent d’un coup, déchirant l’obscurité et dissipant l’illusion.


Martin rouvrit les yeux, elle était toujours là, mais cette fois, elle tenait un badge dans une main et une paire de menottes dans l’autre.




C’était bel et bien un piège, et il venait de se refermer.




Un instant plus tôt, tout n’était qu’ombres et mystères, à présent, sous les lumières crues, l’hôtel particulier révélait son vrai visage : un cercle fermé où se mêlaient personnalités influentes, artistes, politiciens… et Martin, perdu au milieu de cette mascarade qui tournait au cauchemar.

Il reconnut, stupéfait, entre autres, un député bien connu, un autre du bord opposé, une actrice célèbre, un chanteur. Plus loin, la présentatrice d’un talk-show à la mode réajustait le haut de sa robe, avant d’être menottée. Tout ce petit monde était comme lui, blême, figé d’effroi et emmené par des policiers vers des voitures dont les gyrophares inondaient d’une lumière bleutée les jardins de la propriété.




oooOOooo




À l’arrière de la voiture de police, menottes aux poignets, Martin se demandait comment il était arrivé là. Il avait bien tenté de clamer son innocence. Rien n’y avait fait, il avait été embarqué avec les autres convives.


Pourquoi ?


L’hôtel particulier, derrière son vernis de luxe et de mystère, pouvait-il être le théâtre d’activités illégales ? Un cercle de débauche réservé à l’élite, où se mêlaient corruption, trafic d’influence, voire des pratiques encore plus sombres ? La police aurait mené une enquête en secret, infiltrant l’établissement pour frapper à point nommé. Martin se trouvait juste au mauvais endroit au mauvais moment. Pris dans un engrenage qu’il ne maîtrisait pas, il serait devenu un dommage collatéral dans une affaire qui le dépasse.


Peut-être que les propriétaires des lieux utilisaient ces nuits interdites, pour piéger des gens connus en les filmant à leur insu, afin de les faire chanter.


Et si Martin n’était pas un simple invité ? Peut-être a-t-il été attiré dans un piège précisément pour être compromis, pour le forcer à entrer dans un jeu qu’il ne contrôlait pas. Après tout, il occupe un poste à responsabilité dans une entreprise du CAC40. Ou bien, la femme qui l’a guidé était une policière infiltrée, utilisant son charme pour le pousser à un faux pas. D’ailleurs, était-ce la même femme que la policière qui l’avait arrêté ?



On le fit patienter longtemps dans une salle d’interrogatoire à peine éclairée. On lui avait retiré ses menottes, c’était déjà ça.

Enfin, la porte s’ouvrit. Martin posa les yeux sur celle qui, quelques heures plus tôt, allait l’embrasser dans l’ombre. Mais elle n’était plus l’énigmatique créature de la nuit. Elle s’était changée, délaissant la robe si suggestive qu’elle portait plus tôt, pour un tailleur-pantalon bleu marine. Ses cheveux étaient attachés en queue de cheval. Elle marchait droite, vers la table. Elle s’assit en face de lui, posa sur la table un gobelet de café et un épais dossier devant elle :







Serge Gainsbourg - Histoire de Melody Nelson - 5 L’hôtel particulier


https://www.youtube.com/watch?v=9lFzkoLjZTs