n° 23082 | Fiche technique | 7284 caractères | 7284 1347 Temps de lecture estimé : 6 mn |
22/05/25 |
Résumé: Le temps qui passe. | ||||
Critères: f h | ||||
Auteur : Jane Does Envoi mini-message |
Projet de groupe : Une chanson, une histoire |
Jean somnole sur le sofa, perdu dans des songes dont je ne fais pas, plus, partie. Depuis l’encadrement de la porte, je reste un long moment à suivre des yeux sa poitrine qui monte et descend très régulièrement. Que nous arrive-t-il ? Comment lui dire que je vais partir ? Lui est là bienheureux, loin de ce bouillonnement intérieur qui me fait frissonner. J’ai mal pour lui. L’usure du temps, la routine auront eu raison de notre amour ! Oh ! Pas de raison très précise, pas de crise profonde entre nous, seulement une lassitude et pour moi l’attrait d’autre chose. Jean et moi… une longue histoire qui s’essouffle, comme c’est souvent le cas dans les affaires de cœur. À quarante ans, nous sommes parvenus au terme de ce que nous avions à vivre lui et moi. Et en moi, coulent des mots qui m’égratignent le cœur, qui me laissent sans force…
« Avec le temps
Avec le temps, va, tout s’en va
On oublie le visage, et l’on oublie la voix
Le cœur, quand ça bat plus
C’est pas la peine d’aller chercher plus loin
Faut laisser faire, et c’est très bien
Avec le temps »
Oui ! Le temps, c’est l’ennemi de l’amour ! Il nous vole ce que nous imaginons au début éternel. Puis les choses se mettent en place et chacun de nous s’installe dans une petite existence qui, jour après jour, effrite les meilleurs sentiments, érode les plus vives pulsions. Bien sûr que nous avons fait souvent des folies de nos corps, que nous les avons aimés, que nous les renouvelions avec ce plaisir qui rend les hommes heureux et belles les femmes. Mais la passion s’étiole, se dilue au mur trop haut de nos attentes déçues, aux sourires enjôleurs également d’autres que nous croisons et… tout se dégrade au fil de ces heures qui nous fuient. Et Jean… sur le canapé ne doute plus de rien. Oubliées les fleurs d’anniversaire, le muguet du premier mai. Une somnolence des sentiments qui mène à ce naufrage programmé.
« Avec le temps
Avec le temps, va, tout s’en va
On oublie le visage, et l’on oublie la voix
Le cœur, quand ça bat plus
C’est pas la peine d’aller chercher plus loin
Faut laisser faire, et c’est très bien
Avec le temps »
Mon visage ? Le sien ? Si je ferme les paupières, suis-je encore capable d’en redéfinir les plus grands traits ? Et sa grosse pogne qui sur mes joues se faisait velours, depuis quand a-t-elle déserté le parchemin rose et lisse ? Son souffle courant sur ma nuque lui aussi n’est plus qu’un lointain souvenir qui s’estompe dans de muets face-à-face qui ne parviennent plus à nous rapprocher. Les mots… vers qui nos yeux se tendaient pour les recevoir en offrande de cet amour si fort, sont désormais si peu empreints de ces émotions qui nous rendaient beaux. Là… le cœur qui bat toujours dans nos poitrails, ne le fait plus à nos approches. Il n’est plus, pour chacun de nous, que l’instrument qui nous permet de vivre, sans vibrer. Oui !
« Avec le temps, va, tout s’en va
Même les plus chouettes souvenirs, ça, t’as une de ces gueules
À la galerie, j’farfouille dans les rayons d’la mort
Le samedi soir quand la tendresse s’en va toute seule
Avec le temps »
Les souvenirs ? Ben, s’il en reste bien sûr, ils ne sont plus que de pâles reflets de ces instants heureux où nous y croyions encore. Puis L’habitude est venue prendre d’abord un peu de place pour finalement envahir notre espace pour déborder totalement nos existences trop bien rangées. Oui… la mort lentement est venue asphyxier ce qui vivait encore de cet amour malmené. Oh ! Jean ! Tu ronfles maintenant, les bras croisés sur ta bedaine. Où est le beau jeune homme qui jurait n’aimer que moi ? Là sur ce divan, dans la position semi-assise, tu es tellement loin de tes promesses. Mais sans doute ai-je tout autant de torts que toi. Et c’est vrai que la séance du samedi soir, celle où ta main dans la mienne nous allions voir un film, il y a si longtemps que le rideau est tombé dessus.
« Avec le temps, va, tout s’en va
L’autre à qui l’on croyait pour un rhume, pour un rien
L’autre à qui l’on donnait du vent et des bijoux
Pour qui l’on eût vendu son âme pour quelques sous
Devant quoi, l’on s’traînait comme traînent les chiens
Avec le temps, va, tout va bien
Avec le temps »
Bien sûr que j’ai encore parfois peur pour toi. Mais la tendresse la plus pure ne remplacera jamais un amour. Et avachi dans ton bien-être égoïste, où est ton grand amour ? Que sommes-nous devenus ? Deux êtres qui vivent l’un près de l’autre, sans plus se regarder ! Deux personnes qui ne se reconnaissent plus dans le tourbillon d’une existence qui n’a plus de sens. La vie commune… elle nous fane, effaçant sans faire de bruit, comme à tâtons les plus jolies pages de ce qui nous a réunis. Sur tes lèvres un sourire, une de ces risettes, mon Jean, qui me chavirait… avant. Et là, ce n’est plus que l’objet de mon envie de fiche le camp, le plus rapidement possible. Oui ! Qu’y a-t-il de si solide qui peut encore me retenir ? Je ne trouve rien de sympa pour y faire face. Si ta bouille s’éclaire de je ne sais quelle pensée, la mienne se referme sur mes désillusions.
« Avec le temps, va, tout s’en va
On oublie les passions et l’on oublie les voix
Qui vous disaient tout bas les mots des pauvres gens
Ne rentre pas trop tard, surtout ne prends pas froid
Avec le temps »
Le plaid est tombé et je ne me sens pas le courage de le ramasser. Où es-tu ? Dans quel paradis artificiel vogue ton âme endormie ? Si tu souris aux anges, de mon côté je vis mal l’instant présent. Il suffirait de presque rien, d’un mot, d’un regard, que tu t’éveilles et que tu me lances quelques belles paroles gentiment, pour que je me sente vivante. Mais là, statue de sel qui suit la montée monotone de ton torse et sa descente non moins triste, je suis perdue. Oui… un regard, ta bouche pour balbutier un semblant de « viens » ou de « je t’aime encore » pourrait-il apaiser ce malaise profond qui me crucifie devant ce corps qui n’est plus tout à fait toi ? Jean… qu’avons-nous fait de nos promesses ? De ces espérances de faire tout le chemin ensemble ? Tu dors et je me morfonds. Je ne me sens pas le courage de faire ce pas qui… nous sauverait. Non ! Tout lasse, tout passe !
« Avec le temps, va, tout s’en va
Et l’on se sent blanchi comme un cheval fourbu
Et l’on se sent glacé dans un lit de hasard
Et l’on se sent tout seul peut-être, mais peinard
Et l’on se sent floué par les années perdues
Alors vraiment »
Elle résonne dans ma tête, cette chanson ! J’ai froid, malgré la chaleur extérieure. Oui ! Fourbue ? C’est pire que cela, je suis morte sans doute de ne plus être ton aimée. Jean… qui dort, qui envoie des risettes à je ne sais qui dans des songes où je n’ai plus ma place ! Jean… ma main cramponne le montant de l’encadrement de la porte. Là, sous ma chevelure blanchissante, tu parais heureux. Mais tu m’as oubliée, je ne suis plus que cette femme qui vit là, à tes côtés, celle que tu ne vois plus du tout. Jean… mes yeux cherchent encore une miette, une parcelle d’un amour qui pourrait rallumer la flamme. Mais tu ne sors pas de ta torpeur… alors je lâche mon soutien et reflue vers ce qui fut longtemps une chambre d’amour. Là… sans bruit, le cœur lourd, sans vraiment encore respirer… je sors une valise où j’entasse de quoi quitter ce qui n’est plus un nid… mais juste un dortoir.
« Avec le temps on n’aime plus »
https://www.youtube.com/watch?v=ZH7dG0qyzyg