Une Histoire sur http://revebebe.free.fr/
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1861
Temps de lecture estimé : 8 mn
26/05/25
Présentation:  Autrefois, j’imaginais dans cette chanson, la mort apportant l’oubli à un cœur brisé. Aujourd’hui, j’y vois une femme offrant le réconfort, le goût de vivre.
Résumé:  Dans les bras d’une fille de la rue, un homme reçoit plus que le plaisir charnel. Sans rien attendre en retour, elle lui offre tout, à l’inverse de sa promise. Une révélation qui bouleverse son regard sur l’amour, le désir et la vie.
Critères:  #volupté fh cadeau prost
Auteur : Maryse      Envoi mini-message

Projet de groupe : Une chanson, une histoire
Milord

Cette histoire s’inspire de Milord, chanson écrite par Georges Moustaki et interprétée par Édith Piaf en 1959. Ce titre émouvant et indémodable a été repris par de nombreux artistes, dont Dalida en plusieurs langues et, plus récemment, Patricia Kaas. Même le général de Gaulle, dit-on, l’aurait entonné en plein conseil des ministres.




Deux âmes s’étreignaient dans l’obscurité. Leurs souffles haletants couvraient le brouhaha de la taverne qui traversait sourdement le parquet en bois aux lames disjointes. Le lit aux draps rêches gémissait sous leurs lentes ondulations.


Elle lui offrait le réconfort de l’oubli, prolongeant sans cesse le plaisir.


Il se laissait emporter, tel un navire à la dérive, flottant dans la volupté de ce corps si tendre, si accueillant.


Son chagrin s’était évanoui… Grâce à elle, grâce à cette chanson murmurée tout contre son cœur :


Allez, venez, Milord

Je soigne les remords

Je chante la romance

Je chante les milords

Qui n’ont pas eu de chance

Regardez-moi, Milord

Vous n’m’avez jamais vue


Un rythme qui revenait sans cesse, comme le ressac de la mer qui lui avait tout pris. Sous ses paupières closes, les souvenirs remontaient. Le roulis de leurs deux corps emboîtés s’accordait aux vagues qui léchaient les quais.


Il se rappela…


Le port était noyé sous un ciel bas, l’atmosphère saturée de sel et d’embruns. Les pavés suintaient l’écume des vagues qui s’écrasaient contre les môles, déchirant la nuit de coups détonants. Les lanternes vacillaient à chaque rafale de vent, projetant des ombres inquiétantes sur les façades crasseuses des bâtisses. Il se tenait là, figé comme une statue incongrue, dressée là où elle n’aurait jamais dû être. Transi sous sa redingote élégante, le regard rivé vers le large….


Le navire s’éloignait lentement, sa silhouette sombre s’effaçant peu à peu dans l’obscurité. Elle était à bord. Elle partait, emportant avec elle la douceur de ses promesses, l’éclat de ses yeux enjôleurs. Il ne restait que l’écho déchirant des adieux et le grincement sinistre des amarres qu’on relâche. Une bourrasque soudaine l’avait fait vaciller, le giflant de sa rudesse.


Alors, des mots surgis de nulle part avaient chanté son désespoir.


Dire qu’il suffit parfois

Qu’il y ait un navire

Pour que tout se déchire.

Quand le navire s’en va,

Il emmenait avec lui

La douce aux yeux si tendres

Qui n’a pas su comprendre

Qu’elle brisait votre vie.


Et là, alors qu’il était en train de serrer la crosse de son pistolet dans sa poche, les yeux gonflés refusant de pleurer, transpercé par la douleur, un frôlement sur son bras l’avait fait sursauter. Il avait tourné la tête et avait croisé un regard insouciant, lueur réconfortante, au milieu de cet endroit lugubre.


Allez, venez, Milord

Vous avez l’air d’un môme

Laissez-vous faire, Milord

Venez dans mon royaume

Allez, venez, Milord

Vous asseoir à ma table

Il fait si froid, dehors

Ici c’est confortable


Elle l’avait entraîné à l’intérieur, dans un lieu de mauvaise vie, au milieu de la chaleur des corps serrés, des rires et du tumulte, de l’odeur entêtante du tabac de pipe et de l’alcool bon marché. Assis côte à côte sur un banc de bois mal dégrossi, un peu bancal, elle lui avait entouré les épaules de son bras et l’avait blotti contre elle. Son parfum grisant l’avait étourdi.


Laissez-vous faire, Milord

Et prenez bien vos aises

vos peines sur mon cœur

Et vos pieds sur une chaise


Les secondes s’étaient égrenées, suspendues entre la douleur de l’abandon et le réconfort de l’oubli. Elle était là, tout contre lui, ses doigts effleurant les siens, sa voix perçant son chagrin. Il aurait dû fuir, résister à cette étrange douceur qui s’était insinué en lui, mais il n’en avait pas eu la force.


Et maintenant, il était dans cette chambre, allongé sur le dos, elle à califourchon sur lui. Tout en se caressant les seins, elle ondulait sensuellement, en faisant tournoyer lentement son bassin, l’enserrant de son ventre bouillant. Elle bougeait langoureusement, avec un art consommé, un rythme lancinant qui le maintenait aux portes de l’extase, sans jamais la lui accorder.


Les mains agrippées à ses cuisses moelleuses, il ne voyait plus que le visage penché au-dessus du sien, les yeux brillants dans lesquels ils se dissolvaient. Il geignait doucement, chaque fois qu’elle s’immobilisait pour retarder la jouissance. Et dans les volutes de feu, qui l’embrasaient, il n’entendait plus que le doux refrain :


Je vous connais Milord

Même si vous ne m’avez jamais vue.

Malgré votre foulard de soie

Flottant sur vos épaules,

Que vous aviez le beau rôle,

Vous ne connaissez pas le prix de ces petits instants

qui changent tout, qui font le bonheur.

Alors moi la fille de la rue,

Laissez-moi vous apprendre…


Il avait l’impression d’être soulevé par une houle immense. Il avait la sensation de retrouver son corps, de renaître à la vie comme une fleur conservée trop longtemps dans la pénombre et qui retrouvait enfin la lumière du jour. Il ne vivait plus que le moment présent. Il n’était plus que sensations, vertige, désir. À fleur de peau. Et cette chanson qui déferlait vague après vague, l’entraînant toujours plus loin, toujours plus haut :


L’amour, ça fait pleurer

Comme quoi l’existence

Ça vous donne toutes les chances

Pour les reprendre après.

Mais pas avec moi Milord,

Ce que je donne, c’est pour la vie…


Le souffle coupé, il s’abandonnait au plaisir qui montait inlassablement à l’assaut. Malgré le voile qui lui brouillait la vue, la silhouette sensuelle se découpait en lignes de feu, se gravant dans ses prunelles. De ses doigts, elle continuait à lui titiller les tétons. L’extase et l’impatience se mélangeaient, l’engloutissant dans un cocon éblouissant. Il laissa échapper une plainte. Et de nouveau cette chanson bouleversante :


Laissez-vous faire, Milord

Venez dans mon royaume

Je soigne les remords

Je chante la romance

Je chante les milords


Comme mus par une volonté propre, leurs doigts s’entrelacèrent. Ils restèrent un long moment ainsi, yeux dans les yeux, elle toujours au-dessus de lui, savourant la magie de l’instant. Il aurait dû s’inquiéter que leur intimité et leurs gestes de tendresse allaient trop loin. Qu’ils étaient des inconnus qui ne se reverraient jamais plus. Mais il s’en moquait. Il n’avait jamais rien connu de 2tel et il fallait que ce soit sur le port, au milieu de nulle part, que tout cela devenait réalité. Alors, il sentit une caresse chaude couler le long de sa joue. Une larme. Et la voix douce, encore et toujours :


Mais vous pleurez, Milord ?

Ça j’l’aurais jamais cru

Eh ben, voyons, Milord

Souriez-moi, Milord

Mieux qu’ça, un petit effort

Voilà, c’est ça !


Sans même le réaliser, il la tira vers lui, l’allongeant sur son cœur, leurs deux corps se serrant. La petite voix dans sa tête qui l’avait au début exhorté à réagir, à mettre fin à ce mirage ensorcelant, avait bel et bien disparu. Comme si elle n’avait jamais existé. Seules comptaient la chanson et cette fille de port contre lui, qui le plongeaient dans un vertige incessant. Totalement nouveau.


Je vous connais, Milord

Vous n’m’avez jamais vue

Je n’suis qu’une fille du port

Qu’une ombre de la rue.


Quelque chose de plus fort que tout le poussait à s’abandonner à la caresse affolante des mains sur son visage. À se laisser enivrer par les mots qui résonnaient comme une berceuse obsédante, infinie. À se fondre dans la pression des seins qui épousaient son torse, à la douceur qui enveloppait son sexe tendu, comme un écrin. Ses jambes lui avaient enserré la taille pour mieux se perdre en elle. Et lorsque la bouche s’était posée sur la sienne, devenue si sensible, il avait capitulé.


Ce qui s’était passé après restait très confus dans sa mémoire…


Des doigts, des lèvres l’avaient investi, tout comme cette chanson qui tournait en boucle, incessante, qui se gravait en lettres de feu dans son esprit :


Laissez-vous faire, Milord

Et prenez bien vos aises

Vos peines sur mon cœur

Et vos pieds sur une chaise…


Elle se mélangeait avec ses râles, ses gémissements, ses sanglots, résonnant inlassablement à ses oreilles, attisant cette impression de pur éblouissement…


Comme l’éclat de l’océan à l’aube d’un nouveau jour, lorsque le soleil apparaît à l’horizon irisant les flots de ses couleurs or et oranger.


Puis leurs souffles saccadés s’accélèrent, déchaînant la tempête. Arqués, leurs doigts accrochés, ils se laissèrent entraîner par le tourbillon de leur désir.


Il chavirait. La houle l’engloutissait, le remontait. Le roulis du plaisir l’emportait vers des eaux inconnues. Plus d’horizon, plus de rivage. Seulement le va-et-vient incessant des flots et cette tension intolérable qui le faisait défaillir.


Et cette mélodie qui le portait au paroxysme :


Vous aviez le beau rôle,

On aurait dit le roi,

Vous marchiez en vainqueur

Au bras d’une demoiselle.

Je ne suis pas aussi belle,

Mais moi je vous ai tout donné

Sans rien demander en retour.


Un dernier cri, un dernier râle, emporté par une lame sans fin. Et dans le tumulte, la voix qui chantonnait :


Mais oui, Milord.

Bravo, Milord,

Encore, Milord.


Une révélation bouleversante. Une renaissance. Jamais il n’aurait pu croire qu’un tel phénomène puisse exister. Aucun mot n’était suffisamment approprié pour décrire la force mystérieuse qui l’avait littéralement englouti. C’était comme s’il avait été immergé dans un océan de pures sensations, folles, intenses, enivrantes. Déraisonnables. Qui lui avaient fait perdre tous ses repères. Qui lui avaient fait briser tous ses tabous.


Il s’était donné dans un lieu sordide, dans les bras d’une fille du port. Qui lui avait offert la vie, qui lui avait révélé de nouvelles perspectives, comme une lumière d’espérance après une longue nuit noire. Elle, l’inconnue d’une nuit.


Laissez-vous faire, Milord

Et prenez bien vos aises

Vos peines sur mon cœur

Et vos pieds sur une chaise.

Je vous connais, Milord

Vous n’m’avez jamais vue.

Je n’suis qu’une fille du port

Qu’une ombre de la rue.


Bien plus tard, lorsqu’il avait repris ses esprits, il était seul, le visage trempé de sueur, encore tremblant de tout ce qu’il venait de recevoir. Le silence était épais, pesant. Seul un bruit résonnait : le craquement du bois, semblable à celui d’un navire dérivant doucement sur les flots après la tempête, porté par un courant qui le poussait vers un rivage inconnu.


Et toujours cette comptine, en écho, insidieuse…


Allez, riez, Milord

Allez, chantez, Milord

Mais oui, dansez, Milord

Bravo, Milord

Encore, Milord…


Et il comprit.


Toute sa vie, il avait poursuivi une ombre, chéri un mirage. Sa promise, qu’il avait tant idéalisée, ne lui avait laissé que désolation, attentes déçues et espoir vain.


Et pourtant, cette fille du port, ombre de la rue, ange providentiel effleuré l’espace d’une nuit, lui avait tout donné. Sans retenue, sans attente, sans illusion. Elle lui avait offert plus qu’un instant de passion : une révélation.


Ce n’était pas le regret qui l’étreignait, mais une étrange reconnaissance. Comme un marin qui, après la tempête, réalise que l’île sur laquelle il a échoué ne signe pas sa perte, mais l’aube d’une nouvelle Odyssée.


Allez, riez, Milord

Allez, chantez, Milord

Mais oui, dansez, Milord

Bravo, Milord

Encore, Milord…



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Pour écouter la chanson interprétée par Edit Piaf :


Edith Piaf - Milord

https://www.youtube.com/watch?v=nZcdI1u_9o8