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n° 23099Fiche technique12031 caractères12031
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Temps de lecture estimé : 9 mn
28/05/25
Résumé:  Deux chansons, deux histoires qui s’imbriquent. Certains diront que j’aurais pu choisir une autre fin… J’ai préféré respecter celle des chansons qui m’ont inspiré.
Critères:  #journal #chronique #confession #nostalgie
Auteur : Patrick Paris            Envoi mini-message

Projet de groupe : Une chanson, une histoire
Boulevard Richard Lenoir

C’était un immeuble haussmannien du boulevard Richard Lenoir, façade en pierres de taille, balcons en fer forgé, quatre étages, grandes fenêtres au premier et mansardes sous les toits. Deux appartements par étage, le hall était petit mais chic et accueillant, un tapis rouge dans l’escalier donnait un air cossu. L’ascenseur ne desservait pas le dernier, il avait été installé dans les années 60, dans le peu d’espace disponible.


Il n’y avait plus de concierge ni de gardienne, depuis longtemps. Les habitants étaient discrets, ils se croisaient de temps en temps, juste quelques mots ou un petit signe de tête, sans vraiment se connaître.


Au premier, un couple sans âges, deux retraités, qui avait l’air d’être là depuis toujours. Ils occupaient tout l’étage, dans un grand appartement qui avait dû héberger une famille nombreuse. Personne ne savait comment ils s’appelaient, le temps avait même effacé leur nom sur les boîtes aux lettres, en parlant d’eux, on disait « les vieux du premier ».


Au second, un jeune couple, monsieur et madame Faure qui avait aménagé lors de la dernière rentrée des classes. Leurs deux enfants, Louise et Maëlle, étaient les seuls rires qui résonnaient dans la cage d’escalier. En face, sur le même palier, une veille fille, Iolanda, enfin pas vraiment une vieille fille, elle vivait seule, ayant perdu son mari assez jeune. Toujours gaie, elle disait bonjour avec un grand sourire. D’origine espagnole ou italienne, avec son accent exotique et sa façon de rouler les « r », elle aurait pu en séduire plus d’un, pourtant à presque quarante ans, elle n’envisageait pas de refaire sa vie.


Au-dessus, Serge, célibataire endurci. Pas très grand, pas très sportif, les femmes ne se retournaient pas sur lui. Il aurait pu se marier dix fois, justement, c’était neuf de trop. Ses conquêtes ne restaient que quelques mois, voire quelques semaines. Monsieur discret, un peu vieille France, il avait dépassé la quarantaine depuis plusieurs années. Ses quelques cheveux gris lui donnaient un charme qu’il n’avait pas plus jeune. Il était seul à cet étage, l’autre appartement était libre depuis le décès du doyen de l’immeuble, il faut croire que les héritiers n’étaient pas pressés.


Le quatrième était habité par une même famille, d’un côté une femme plus très jeune, madame Lemesle qui avait vécu là de nombreuses années avec son mari. De l’autre, son fils unique s’était installé avec sa famille, par commodité et certainement pour profiter des largesses de sa mère. Il attendait avec impatience le moment de réunir les deux appartements.


Enfin, sous les toits, les anciennes chambres de bonne étaient louées à des étudiants, une dizaine, jamais les mêmes. Parfois, des chants et de la musique remplissaient l’immeuble, pour un anniversaire ou tout simplement pour faire la fête. Jamais patients pour attendre l’ascenseur, on entendait souvent une cavalcade dans les escaliers.


— --oOo-- —


IOLANDA



La pluie m’a surprise en sortant du métro, c’est bien ma veine, moi qui suis passée chez le coiffeur à midi, je vais être belle. J’accélère le pas, comme si cela allait me permettre de passer entre les gouttes. Quand une voix m’interpelle :



Un bel homme, ou plutôt un jeune homme, m’offre de me protéger avec son grand parapluie.

Sans me poser de questions, je profite de l’aubaine. Nous marchons à côté l’un de l’autre dans la même direction, sans m’en rendre compte, je m’accroche à son bras.

Une pensée me traverse l’esprit, comme dans la chanson « un petit coin de paradis, contre un coin de parapluie », je souris d’une telle pensée. Guidée par cet inconnu, je fais surtout attention à ne pas tomber. Je prends alors conscience que nous sommes arrivés devant mon immeuble, il pousse la porte pour me laisser passer.



Je suis confuse de ne pas me souvenir de lui et flattée qu’il m’ait remarquée. Pour me faire pardonner, je l’invite à prendre un verre, il accepte sans hésiter. Son parapluie dégouline, je le pose rapidement dans la douche, et l’invite à s’asseoir, avant d’aller chercher deux verres dans la cuisine.


Curieux, il me pose un tas de questions, sur mon travail, ma vie, il me complimente sur mon accent, voulant savoir d’où je viens. S’étonnant qu’une femme comme moi soit seule, il est désolé en apprenant ce qui est arrivé à mon mari.

Je l’interroge aussi, sur ses études. Une grosse tête, un matheux, il est en classe préparatoire aux grandes écoles, il a eu son bac l’an dernier. Je suis étonnée qu’il soit si jeune. Si beau et si jeune.


Le temps passe vite, il est tard. Il remonte chez lui, tandis que je vais dans la cuisine préparer mon repas, j’ai toujours aimé cuisiner des petits plats, même quand je suis seule. Je tiens ça de ma mère. Alors que je vais passer à table, la sonnette de la porte d’entrée me tire de ma rêverie, qui cela peut-il être à cette heure. Heureusement que j’ai un judas pour ne pas ouvrir à n’importe qui. C’est lui, il a oublié son parapluie.

Il n’a certainement pas mangé, je lui propose de partager mon repas. Après une courte hésitation, nous voilà attablés tous les deux.

La soirée se termine assez tard, en partant, machinalement, je lui fais deux bises, heureuse de me retrouver dans ses bras.


C’est comme ça que tout a commencé… Petits bonjours dans l’escalier, trajets en métro, repas impromptus.

Pour lui plaire, j’ai ressorti ma trousse de maquillage. J’aurais donné n’importe quoi pour le séduire. Je me faisais tout un cinéma sans vraiment y croire, il était trop jeune, trop beau, et moi, j’en étais à compter mes automnes plutôt que mes printemps.


Un soir, il m’a dit « j’ai envie de toi », avec l’insolence de la jeunesse. Je l’ai laissé m’embrasser, il n’est pas remonté dans sa mansarde. Il ne m’a pas parlé d’amour, il pensait que les mots d’amour sont dérisoires. Au matin, je ne savais quelle attitude adopter, j’ai préparé le café comme si j’étais sa mère, il m’a pris par les épaules et m’a embrassée comme un amant.


Je savais que ça ne durerait pas, ça ne pouvait pas durer. J’avais peur du regard des autres, j’avais peur de tomber amoureuse. En croisant les voisins, j’avais l’impression qu’ils me jugeaient, jusque dans le métro, le regard anodin des autres passagers semblait dire « c’est elle qui a détourné le petit jeune », « si c’est pas une honte ! ».


L’été arrivait, je devais passer deux mois chez ma sœur dans le Lubéron, comme tous les ans, pour garder ses enfants. Lui, il avait des projets de voyage plein la tête, à l’autre bout du monde.


Une fête était prévue au dernier étage pour fêter la fin des examens, gentiment, il m’invita. J’hésitais, comment les autres étudiants allaient-ils réagir, que savaient-ils ?


J’étais anxieuse, lui très décontracté. Je suis partie assez vite, prétextant mes valises à terminer, les laissant entre eux, il ne m’a pas retenue.


Deux jours plus tard, après une dernière nuit d’amour, je prenais le train pour le sud.



— --oOo-- —



SERGE


J’étais tranquillement installé chez moi dans mon fauteuil préféré, quand j’ai entendu des cris dans l’escalier. Curieux, je suis allé voir. Une étudiante descendait en trombe du dernier étage, je l’avais déjà remarquée, sans savoir qui elle était.



Tandis que j’allume mon ordinateur, elle s’assoit à côté de moi. En quelques clics, Internet affiche la page qui nous intéresse. Deux coups de fil, un professionnel va venir d’ici une demi-heure.


Il fallait s’y attendre, au bout d’une heure, il n’est toujours pas là, et son téléphone est sur répondeur.

Pour passer le temps, j’ai débouché une bouteille de rosé. Nous faisons connaissance, elle parle de la fac, elle parle de sa famille, je parle de mon travail, je parle de ma famille.


Enfin, il arrive, il en a juste pour quelques minutes. Pour me remercier, elle m’invite à entrer chez elle, la pièce est petite, quand on est étudiant, il faut se contenter de peu.


Quelques jours plus tard, alors que je me demande ce qu’il reste dans mon frigo, la sonnette retentit. Elle est devant ma porte, un grand sourire aux lèvres :



Surpris de cette visite, je m’écarte pour la laisser passer. Connaissant déjà les lieux, elle s’installe sur mon canapé, comme si elle était chez elle.


En buvant un petit verre de saké, elle se blottit dans mes bras et, sans que je m’y attende, pose ses lèvres sur les miennes. J’ai hésité, elle est si jeune, si belle, je vivais un rêve.

Emporté par nos sens, je l’ai invitée à partager mon lit. Je n’étais pas le premier, bien sûr, elle était douce, attentive, j’étais comblé en l’entendant jouir.


Elle était très occupée, ses études avant tout. Nous nous retrouvions le samedi soir, restaurant et cinéma, c’est devenu un rituel. Elle rentrait chez elle le dimanche soir, la porte refermée, déjà, je l’attendais.


Un dimanche matin, nous avions fait durer le petit câlin un peu plus longtemps que d’habitude, je l’ai prise dans les bras, elle m’a regardé de ses grands yeux, j’ai cru y lire de l’amour. Je l’ai embrassée tendrement, j’aurais voulu lui dire « je t’aime » et la couvrir de promesses. Je n’ai pas osé, trop de rides nous séparaient. Ah ! Si j’avais eu, ne serait-ce, que dix ans de moins.



Les étudiants du dernier étage organisaient une petite fête pour la fin de l’année, je suis bien sûr invité, mais je ne veux pas me faire remarquer, je préfère l’attendre chez moi. J’ai entendu leur musique, leurs chants, leurs rires. Je l’ai attendue longtemps et me suis endormi.


Le lendemain matin, elle est passée me voir avec des croissants. Elle ne s’est pas attardée, elle devait passer à la fac avant de préparer ses affaires pour les vacances.


Deux jours plus tard, elle a débarqué chez moi, un petit sac à la main, sushis et Bo bun, comme le premier jour. Petite dînette improvisée, j’ai ouvert une bouteille de rosé, comme le premier jour.


La nuit fut douce, nous nous sommes aimés comme si c’était la dernière fois, sachant qu’elle partait dans la journée. Elle n’a pas voulu que je l’accompagne à la gare, pas d’effusion, rendez-vous en septembre.


J’étais triste. D’un coup, je me suis senti seul, très seul.


Ne soyons pas égoïstes, moi aussi, j’avais prévu quelques jours de vacances, j’aurais tant voulu les passer avec elle.



— --oOo-- —



L’été se termine, la vie parisienne reprend son cours, métro, boulot, dodo. Serge est revenu depuis quelques jours déjà, Iolanda a attendu la rentrée des classes pour aider sa sœur avec ses trois enfants.


Ce matin, ils se croisent par hasard, lui dévalant l’escalier, elle sortant de l’ascenseur. Bonjour d’usage, ils parlent des vacances, du temps qui change, des premières pluies, des changements dans le quartier, le chantier qui a ouvert, la boulangerie qui a fermé.


Sur le trottoir du boulevard Richard Lenoir, ne sachant dans quelle direction aller, ils continuent quelques minutes leur discussion, quand la porte de l’immeuble s’ouvre brusquement. Deux étudiants sortent en riant, l’air complice. Un peu gênés, ils saluent rapidement, en souhaitant une bonne journée.


Serge et Iolanda les regardent partir main dans la main. Iolanda écrase une larme sur sa joue, Serge serre les dents une boule dans la gorge.


Sans un mot, sans un regard, ils se dirigèrent d’un même pas vers la station de métro.




— --oOo-- —


Dalida chante « Il venait d’avoir 18 ans », Serge Reggiani, « Il suffirait de presque rien ».


Dalida - Il venait d’avoir 18 ans

https://www.youtube.com/watch?v=BzLwXSfXaKs


Serge Reggiani - Il suffirait de presque rien

https://www.youtube.com/watch?v=kKsxiwgKShA