n° 23113 | Fiche technique | 11455 caractères | 11455 2172 Temps de lecture estimé : 9 mn |
01/06/25 |
Présentation: *Librement inspiré d’une chanson de Pascal Obispo... (Dis-moi) | ||||
Résumé: Une fuite après une scène de ménage. Une rencontre entre deux parfaits inconnus. | ||||
Critères: #nonérotique #rupture #lieupublic dispute | ||||
Auteur : Jane Does Envoi mini-message |
Projet de groupe : Une chanson, une histoire |
Il n’y a rien à expliquer, encore moins à comprendre. Je suis là, paumée au milieu de tout ce monde. La fête espérée est, d’un coup, gâchée par notre coup de gueule. Et comme toujours, dès que mes réponses ne plaisent pas à Renaud ou que je fais quelque chose qui ne lui va pas, il se met en crise. Là, parmi la foule qui danse sur la place de la mairie, ses mots blessants ne sont sans doute pas passés inaperçus… J’ai droit à une volée de bois vert, une bordée de noms d’oiseau et je craque. Quelques têtes se tournent vers notre couple, qui, pour la énième fois s’entredéchire. Et j’ai honte de voir ces visages interrogateurs qui nous fixent sans comprendre.
Mince… Cette fois, j’en ai vraiment marre et je le plante là ! Qu’il danse tout seul, puisqu’à ses dires, je suis « une pute », que je fais tout pour aguicher les mecs des alentours. Dire que c’est lui qui m’a demandé de m’habiller très sexy, de mettre mon corps en valeur et, dès qu’un gars me sourit, c’est le drame. Merde, après tout, qu’il se débrouille tout seul ! Et je file rouge de honte de cette vexation publique. Non ! Mais quel connard ! J’en ai ras le bol. C’est donc les yeux pleins de larmes que je marche, droit devant moi, sans me préoccuper des flonflons du Quatorze Juillet. Pour moi, c’est encore une défaite !
Les néons d’un bar ! Je m’y réfugie, attirée tel un papillon par la lumière qui scintille dans ma nuit. Combien sont-ils dans troquet ? Quelle importance ! Je me faufile entre les consommateurs, en majorité masculins, qui squattent le zinc. Pas moyen de stopper ces sanglots qui me font déverser ces larmes que je voudrais réprimer. C’est le barman qui s’approche de moi, me tend une boîte de Kleenex, avant de me demander ce que je veux boire. Je hausse les épaules, sans trop savoir.
Je renifle encore un peu et sèche mes larmes. Le bonhomme est aussi âgé que mon père et il pose devant moi un verre au liquide ambré. Il a un bon sourire de père de famille et je trempe mes lèvres dans le breuvage. C’est âpre, fort également et ça coule dans mon estomac avec une sensation de brûlure. Un autre type se rapproche alors que je toussote. Celui-ci est du même côté du comptoir et me tapote dans le dos…
Il fait signe au serveur et le gaillard avec un sourire attrape mon verre vide pour le remplir. Lorsqu’il le ramène de nouveau dosé, il me gratifie d’un clin d’œil malicieux…
C’est l’autre qui à mes côtés rigole qui lui répond.
Il se tourne vers moi, empoigne sa bibine et la lève dans le but évident de trinquer avec moi. Mon visage ravagé par les pleurs, il ne peut pas ne pas le voir ! Je bois, quasiment cul sec.
Pff ! Pas possible ! Il n’y a donc pas moyen d’être peinarde et de digérer ma déconvenue toute seule ? Il faut que je tombe sur un dragueur impénitent, c’est pas de bol. Ses yeux me scrutent, il a l’air d’être si sérieux que ça me met mal à l’aise.
Il me reluque des pieds à la tête et je suis toute conne ! Bon sang, c’est vrai que j’en ai gros sur la patate. Mais de là à discuter avec un inconnu de mes problèmes de couples, il y a une sacrée marge. J’ai toujours mon verre vide entre les doigts. Et je ne sais plus trop quoi dire à cet inconnu qui sent bien mon désarroi. Il est plus grand que moi, et plus âgé de quelques années aussi, sans nul doute. Mais il a l’air sympa et, finalement, il ne s’agit peut-être pas d’un plan drague comme je le crois. Sa mine me montre qu’il est sincère, malheureusement, je n’ai pas grand-chose à raconter.
Chez moi, c’est devenu invivable. La jalousie de Renaud me devient insupportable. Il me demande de m’habiller comme ci ou comme ça et, dès qu’un sourire s’esquisse sur les lèvres d’un mec qui me jette un regard, j’ai droit à une sérénade. Il me jure qu’il m’aime et m’empêche de vivre… de là à m’en ouvrir à un parfait inconnu, c’est impensable. Mais l’autre là, bien rasé, vêtu sport, d’un polo sympa et d’un jean reste là à me jauger. Qu’est-ce qu’il veut, qu’est-ce qu’il attend de moi ? Je ne suis pas certaine que lui narrer mes déboires conjugaux peut vraiment m’aider. Et j’entends sa voix claire qui rappelle « Jacky », le préposé au bar.
C’est lancé sur un ton rempli d’humour et j’esquisse une risette. Il pense peut-être qu’il vient de marquer un point. Qu’est-ce qu’il me veut, ce lascar ? J’en ai soupé des mecs qui, pour un oui, pour un non, deviennent agressifs. Je n’ai pas le temps de dire un mot que Jacky a déjà repris mon glass vide. Celui du loustic aussi qui me fait face avec une gueule d’ange. Et… ? Ben c’est un troisième service que la patte du serveur place devant mon nez, sur le comptoir. Si j’avale encore ça, Dieu seul sait ce qui va m’arriver !
L’autre relève sa mousse sans faux col et, instinctivement, mes doigts se referment sur le calice qui m’attend.
Il marmonne entre ses dents, réitère des mots que je ne comprends pas tous et j’avale en deux fois le contenu de mon verre. C’est bizarrement moins âcre, ça coule mieux dans ma gorge. On s’y fait, quoi, à cet alcool un peu douceâtre désormais. Lui ne descend pas son demi aussi rapidement, c’est plus raffiné, plus en douceur. Il me toise toujours, avec je ne sais quoi dans les prunelles.
Il rit sans gêne et je demeure un instant estomaquée. Comment peut-il se foutre de moi de la sorte ? J’ouvre la bouche pour cracher un peu de venin sur sa raillerie, mais il ne m’en donne pas l’occasion. Sa voix rauque me remonte dans les tympans. Et ces mots… bon sang, combien ils sonnent juste à mes oreilles !
Il est là face à moi et je me sens vaseuse. L’effet de mon engueulade avec Renaud ? Ou la conjugaison de celle-ci avec les trois alcools ingurgités trop rapidement ? J’ai du coup moins envie de pleurer. Le type là est finalement plus sympa que je ne le voudrais…
Et cette fois, nous nous retrouvons les fesses sur deux sièges, moi à lui raconter un quotidien bien morose et lui à m’écouter religieusement. Ça ne change pas vraiment grand-chose au fond du problème. Je suis la seule à pouvoir prendre la bonne décision ! Quitter Renaud ou revenir au domicile de moins en moins conjugal. Ethan, cet homme qui, sans me couper, me laisse narrer toute mon histoire, avait raison. Me savoir entendue me soulage bougrement. Nous buvons un café qui, lui aussi, allège mes sensations d’enivrement. Et le temps passe sans que je m’en rende compte. C’est Jacky qui nous vire pour fermer sa boutique.
Là, sur le trottoir, devant le bar aux portes closes, l’homme m’invite… à poursuivre notre dialogue chez lui ! Que faire ? Qui sait où tout ceci va me mener ? Et quelle est la bonne décision à prendre dans toutes celles qui s’ouvrent devant moi ? J’ai quelques phrases qui dansent dans ma tête.
À qui dire qu’on est seul
À qui dire qu’on est seul, qu’on est seul, qu’on est seul ?
La main qui serre la mienne là, n’est pas celle de Renaud… mais elle est si douce et puis… son propriétaire sait si bien entendre sans impatience… alors ? Que faire, mon Dieu, que faire ?
Juste suivre mon instinct ?
Pascal Obispo - À qui dire qu’on est seul
https://www.youtube.com/watch?v=GscOQqanOGo