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Temps de lecture estimé : 12 mn
07/06/25
Présentation:  Un petit essai pour le plaisir.
Résumé:  Les textes de certaines chansons sont un scénario de film à elles toutes seules... Si ce titre n’est pas le plus connu de Lavilliers, j’ai quand même eu envie d’en faire une histoire. Bref, bienvenue à LA en 1981.
Critères:  #policier
Auteur : Someone Else            Envoi mini-message

Projet de groupe : Une chanson, une histoire
Night Bird

Note au lecteur : mon petit challenge personnel était de reprendre un maximum de phrases et d’expressions de la chanson sans n’y rien changer. Résultat, la concordance des temps grince parfois un peu… Veuillez m’en excuser et bonne lecture.



Night Bird


Je sais ce que vous allez me dire : quand t’as le FBI au cul, tu peux bien te planquer derrière tes lunettes, prendre une Corvette noire – ou de n’importe quelle couleur, en fait – pour remonter le Sunset en espérant passer inaperçu, ce n’est sans doute pas l’idée du siècle. Cependant, ce matin-là, j’avais décidé de laisser dériver quelque peu mon délire parano et c’est ainsi que, sans trop savoir où aller, je traversais Hollywood tout en pensant à tous ces monstres sacrés, ces fameuses stars embaumées selon l’expression qui va bien, qui résidaient ou avaient résidé là, presque coude à coude. De temps à autre, les pubs pour des films placardées un peu partout me donnaient cette impression que l’on ne produisait plus que des films de terreur, peut-être pour exorciser la tension extérieure.


C’est une saignée dans la route qui me sortit de ma torpeur… Comme très régulièrement dans cette région, la Terre avait tremblé cette nuit et soudain m’était revenue à l’esprit cette fameuse fissure qui, un jour après l’autre, diminue le futur et nous rapproche de celui où la Californie sombrera dans l’azur.


Mais, à la télé, comment dire… À les écouter, tout cela me laissait froid comme le scorpion – mon frère – et, à les entendre, j’étais fait à l’image du monde qui m’a créé, de plus en plus cynique, de plus en plus glacé, paraît même que j’enjambais des cadavres depuis quelques années et que je n’avais plus rien de bon et rien de spontané. De fait, cela faisait huit jours que je dormais dans des parkings ou des cinémas permanents, bien conscient de ma liberté en leasing, tout cela pour une soi-disant erreur d’appréciation ayant laissé le sang du directeur sécher sur le standing.


Sauf que c’est ma fierté, je n’ai jamais tué personne… J’ai fait sans doute toutes les conneries du monde, vidé quelques chargeurs dans le paysage – surtout dans les moteurs des bagnoles de flics en essayant de les arrêter – voire même peut-être éventuellement collé deux ou trois pruneaux dans les genoux de types encore moins recommandables que moi, mais mon tableau de chasse est vierge. Non, c’est ce connard de Riton qui, sans que je sache pourquoi, a refroidi ce pauvre dirlo qui n’avait pourtant rien demandé… Et comme il s’est fait descendre deux minutes plus tard, il ne parlera plus jamais.


Alors, pourquoi est-ce que j’étais en cavale alors que je savais que la balistique ne pourrait que se prononcer en ma faveur ? Peut-être parce à cause des journaleux qui, toujours avides de gros titres et d’expressions ronflantes, me voyaient très lucide, couper au machine-gun trois voitures de police hurlant au maximum. Ben voyons ! Moi, en réalité, je me voyais plutôt serré à vie, entouré de pédés, à St-Quentin-sur-Mer, quartier sécurité.


C’est la vision d’une jeune et jolie Asiatique en goguette qui me donna une idée : entre Compton et Watts, alors en pleine guerre des gangs, survivait un marchand d’armes de Thaïlande qui, peut-être, pourrait m’offrir une porte de sortie. Manque de pot, j’arrivai au moment précis, juste un peu tard, il saignait, cinq kilos d’héro sur le comptoir.


Vous le sentez, là, le doux parfum de la viande grillée à la sauce chaise électrique ? Parce que pour ceux qui l’auraient oublié, quand t’es déjà recherché pour braquage plus un meurtre, même si tu sais que tu n’as pas commis et tu te retrouves comme par hasard face à un macchabée avec grosso modo cinquante millions de dopes oubliées comme par mégarde sur le coin du bar, t’as subitement gagné une bonne tête de vainqueur ! Surtout quand on sait qu’aux USA – comme dans pas mal d’autres patelins, hélas – lorsqu’il leur faut un coupable à qui faire porter le chapeau, peu importe que le galurin en question ne soit manifestement pas à ta taille : même si ce n’est pas le bon, un mec de refroidi, ça donne toujours l’impression au bon peuple que la police fait correctement son travail.


Bref, il ne me restait plus qu’une solution, décarrer le plus vite possible… C’est alors qu’une panthère dorée, dans un éclair de strass, m’attira vers le fond, une main dans son sac… Pendant que, surgis d’on ne sait où et prévenus par je ne sais qui, tout le quartier ratissait la boutique : des aveugles, des armoires, des blacks, des chicanos, des junkies de soixante-dix, rien que la peau sur les os, des maquerelles, des gourous, des mouchards, des pompistes, des poètes, des marins, des tueurs, des analystes, des chauffeurs syndiqués, des gardiens de cimetière, des laveurs de carreaux, des rouleurs de carrure, des joueurs de go, des ramasseurs d’ordures, bref tout ce que la ville produit de sportif et de sain avait rendez-vous là…


Elle me dit, allez viens…

Et cet oiseau de nuit m’emporta dans sa jungle, dangereuse et secrète, du venin sous les ongles. Je l’aimais…


Enfin, je dis ça, mais en vérité, c’est plutôt elle qui m’a aimé ! Un juge un peu trop tatillon lui avait offert trois ans de placard tous frais payés pour une histoire de vol de voitures qui avait pris un petit côté industriel qui commençait à se voir un peu trop. À la clé, trois ans de célibat et de chasteté forcée et, avec moi, elle comptait bien rattraper le temps perdu !


Notre histoire dura huit jours et elle aurait bien pu durer encore pas mal de temps, mais, quand on en est à attaquer les croquettes périmées du chat, c’est qu’il y a un problème ! Fallait qu’au moins l’un de nous deux sorte chercher de quoi grailler, sauf qu’aux dernières nouvelles, la flicaille m’avait toujours dans le collimateur. C’est donc elle qui s’en est chargée, d’autant que sa couleur de peau attirerait moins l’attention dans le quartier.



Tu parles… Elle n’avait pas franchi la porte de la cuisine depuis trois minutes qu’une horde de condés défonçait l’autre porte. Ce n’était pas possible autrement, cette garce m’avait donné ! La dernière chose dont je me souviens avant de prendre un coup de crosse en pleine tête, c’est de la voir emporter ma sacoche, emmenant mon cash, mes deux calibres, mes faux passeports… Les diamants étaient vrais.


Sept ans. Cette fantaisie m’a valu sept ans de placard. Sans surprise, l’enquête a démontré que ce n’était pas moi qui avais flingué le directeur, mais que j’étais bel et bien sur les lieux lorsque cela s’était produit, motif suffisant pour me mettre à l’ombre, surtout avec mon passif. Circonstance aggravante qui les avait passablement agacés, l’impossibilité de remettre la main sur le butin… Et pour cause !


Bref, pendant sept ans, j’ai des milliers de fois imaginé le jour où je la retrouverais et, en attendant, j’aurais aimé qu’elle entende ma voix comme un murmure et qu’elle sache à quel point je cultivais derrière mes murs une vengeance qui suppure et que je connais (sais) la nuit de sa mort.


Et puis, certains soirs, certaines nuits, ma haine se transformait en autre chose et je me disais qu’avec celle que j’appelais Night Bird – qui était son nom de scène, je ne l’ai su que beaucoup plus tard – j’avais connu en réalité ma seule histoire d’amour tout en me demandant encore une fois pourquoi ce petit monstre m’avait donné… J’aurais aimé lui faire savoir que la nuit et le jour je pense à elle, comme un boxeur juste avant son combat !


J’ai appris par la suite qu’elle était partie avec un médium, soi-disant amoureux et impuissant, qui la touchait – encore une fois de ce qu’on m’en avait rapporté – de ses longs doigts d’aluminium. Pourquoi d’alu plutôt que de cuivre ? Quand j’aurai l’occasion de le voir, celui-là, je ne manquerai pas de lui demander !

Elle était ma seule histoire d’amour, on se reverrait forcément un jour…


J’ouvre ici une parenthèse : quand la fille que tu convoitais depuis des lustres te file enfin un rencard, tu te dis qu’elle ne va pas avoir fait le voyage pour rien, que tu vas lui en coller des kilomètres et qu’elle n’aura jamais couiné aussi fort de sa vie… Sauf que le jour J, en fait de faire des étincelles, tu essaies surtout de ne pas envoyer la purée trop vite sous peine de passer pour un gros blaireau.


Eh bien, quand on mijote une vengeance, c’est pareil, tu vois les choses en grand. Dans mon délire, il était question de sanglant rasoir, d’éclairs rasants comme un foulard sur son cou blanc, que ses métaphores sont rectilignes et que les mots d’amour, quand il les signe, sont toujours à l’encre de Chine. Oui, je sais, quand je disjoncte, ce n’est pas à moitié.


Autres nuits, autres délires. Certes, nous avons vécu tous les vices, mais… pourquoi ce petit monstre m’a-t-il aimé ? Je me disais que je l’ai cherchée sans le savoir, trouvée sans le vouloir, mais aussi que le sang est beau lorsqu’il est frais, et je connais la nuit de ta mort. Oui, cela s’appelle le grand écart… Lorsque s’agit de vengeance, cela tourne souvent à la débloque pure et simple.


Il n’est de longs jours dont le soir vienne qu’il a dit le poète… Et il en est de même pour les années de placard. Je devais faire sept ans, je n’en ai fait que six, libéré pour bonne conduite.


Il m’a fallu plusieurs semaines pour la retrouver vu que, bien entendu, elle avait déménagé. Dans mon esprit, c’était devenu beaucoup plus clair : fini les délires à coups de rasoir, j’allais simplement lui en coller deux dans le buffet et l’on n’en parlerait plus.


Le seul truc que je n’avais pas prévu, c’est que lorsque j’ai sonné à la porte de chez elle, c’est une jolie petite métisse de cinq ou six ans qui m’a ouvert la porte. J’ai cru sur le coup que je m’étais trompé d’adresse, mais quand le fameux petit monstre est apparu au bout du couloir, j’ai compris qu’il n’y avait pas d’erreur.


Sans montrer la moindre émotion, elle a demandé à la gamine à qui elle était accessoirement en train de préparer un chocolat d’aller se replonger devant ses dessins animés tout en m’invitant, moi, à prendre un café dans la cuisine… Sauf qu’en fait de sucre, c’est un calibre qu’elle a sorti et qu’elle m’a collé sous le nez.



Croyez-le ou non, quelque chose me dit qu’elle l’aurait fait sans hésiter.



Purée… Piégé comme un perdreau de la veille. Il n’y a pas si longtemps, je les aurais repérés à deux kilomètres, mais là, je n’ai rien vu venir.



De fait, à partir du moment où elle ne pouvait pas être au courant de ma libération anticipée, il y a très peu de chances qu’elle ait pu organiser ce traquenard.



Vous savez quoi ? Ça s’appelle avoir l’air con. Elle poursuit.



Plus tard, elle me dira qu’en fait, il est très probable que ce sac de diamants aurait bien pu disparaître une seconde fois comme par magie… Cela se serait déjà vu.



Dans la noirceur, le froid ou le chaud de ma cellule, j’avais envisagé tous les plans, mais celui-là, je ne l’avais pas vu venir… Bref, je vous la fais court, trois heures plus tard et après avoir récupéré un sac de toile dans une consigne de l’aérodrome, une connaissance à elle nous déposait au Mexique à la nuit tombante. Là, comment se fait-il que mon faux passeport avait fait merveille tout comme les leurs, pourtant aussi bidon que le mien ? Voilà une question qu’elle est bonne… Quoi qu’il en soit, elle avait coupé court à toutes mes interrogations.



Mais les bonnes habitudes ne se perdent pas, c’est bien connu… Je m’en suis rendu compte le lendemain vers onze heures du matin : elle avait sans doute mis du somnifère dans ma bière et les deux donzelles s’étaient tout simplement barrées en ayant toutefois eu la bonne idée de me laisser la moitié de la quincaillerie et même l’adresse d’un fourgue. Bref, largement assez pour recommencer une nouvelle vie en espérant qu’elle soit, cette fois, un peu plus peinarde.


En attendant, la nuit, le jour, je pense à elle.


Night bird, ma seule histoire d’amour

Night bird, on se reverra un jour.

Petit monstre, petit monstre, petit monstre…









Night Bird

Chanson de Bernard Lavilliers ‧ 1981


La Corvette noir métal remontait le sunset

Le F. B. I. au cul, caché par mes lunettes,

Je laissais dériver mon délire parano

Pendant que le batteur vrillait ma stéréo.


Ne sachant où aller, je traversais Hollywood

Où les stars embaumées se touchent coude à coude,

Où l’on ne produit plus que des films de terreur

Comme pour exorciser la tension extérieure.


L’univers qui craquait et puis celle fissure

Qui un jour après l’autre diminue le futur,

Quand la Californie sombrera dans l’azur,

Tout ça me laissait froid comme le scorpion, mon frère.


J’étais fait à l’image du monde qui m’a créé,

De plus en plus cynique, de plus en plus glacé,

J’enjambais des cadavres depuis quelques années,

Je n’avais rien de bon et rien de spontané.


Huit jours que je vivais dormant dans les parkings

Cinéma permanent, liberté en leasing.

Erreur d’appréciation laissant sur la vitrine

Le sang du directeur sécher sur le standing.


Je me voyais très lucide couper au machine-gun

Cinq voitures de police hurlant au maximum,

Ou bien, serré à vie, entouré de pédés,

À Saint-Quentin-sur-Mer, quartier sécurité.


Entre Compton et Watts, en pleine guerre des gangs,

Survivait un marchand d’armes de Thaïlande

J’arrivais au moment précis, juste un peu tard,

Il saignait cinq kilos d’héro sur le comptoir.


Une panthère dorée, dans un éclair de strass,

M’attira vers le fond, une main dans son sac.

Pendant que tout le quartier ratissait la boutique

Des aveugles, des armoires,

Des blacks, des chicanos,

Des junkies de soixante-dix,

Rien que la peau sur les os,

Des maquerelles, des gourous,

Des mouchards, des pompistes,

Des poètes, des marins,

Des tueurs, des analystes,

Des chauffeurs syndiqués,

Des gardiens de cimetière,

Des laveurs de carreaux,

Des rouleurs de carrure,

Des joueurs de go,

Des ramasseurs d’ordure,

Tout ce que la ville produit

De sportif et de sain

Avait rendez-vous là.


Elle me dit, allez, viens…


Et cet oiseau de nuit m’emporta dans sa jungle,

Dangereuse, secrète, du venin sous les ongles.

Je l’aimais.


Petit monstre, petit monstre, pourquoi m’as-tu plaqué

Emmenant mon cash, mes deux calibres, mes faux passeports,

Les diamants étaient vrais.


Entends ma voix, comme un murmure,

Je cultive derrière mes murs

Une vengeance qui suppure.

Je connais la nuit de ta mort


Night bird, ma seule histoire d’amour.

Night bird, on se reverra un jour.

Petit monstre, petit monstre, pourquoi m’as-tu donné


La nuit, le jour, je pense à toi

Comme un boxeur juste avant son combat.

T’es partie avec un médium.

Amoureux fou et impuissant.

Qui te touchait de temps en temps

De ses longs doigts d’aluminium.


Night bird, ma seule histoire d’amour.

Night bird, on se reverra un jour.


Sanglant rasoir, éclair rasant

Comme un foulard sur son cou blanc

Tes métaphores sont rectilignes,

Sanglant rasoir, tes mots d’amour quand tu les signes

Sont toujours à l’encre de chine.


Petit monstre, petit monstre, pourquoi m’as-tu aimé

Nous avons vécu tous les vices,

Petit monstre pourquoi m’as-tu aimé.

Je t’ai cherchée sans le savoir,

Je t’ai trouvée sans le vouloir,

Le sang est beau lorsque il est frais.

Je connais la nuit de ta mort.


Night bird, ma seule histoire d’amour

Night bird, on se reverra un jour.

Petit monstre, petit monstre, petit monstre…



Bernard Lavilliers – Night bird


https://www.youtube.com/watch?v=Ub9PwU1SjE8