n° 23170 | Fiche technique | 24635 caractères | 24635 4468 Temps de lecture estimé : 18 mn |
04/07/25 |
Résumé: La pluie sur les carreaux, et puis... les jours heureux qui s’évanouissent... | ||||
Critères: #psychologie #drame #nostalgie fh ff | ||||
Auteur : Jane Does Envoi mini-message |
DEBUT de la série | Série : Conjugaison ! Chapitre 01 / 02 | Épisode suivant |
Râleurs ! Oui, nous sommes de vrais râleurs. Quand il pleut, on réclame du soleil et dès que « Ra » nous tape un peu fort sur la tête, ce sont des plaintes à n’en plus finir. Toujours quelque chose qui va de travers, quoi ! Eh ben, moi, j’adore la pluie et j’ose le dire. Ce matin, elle bat mes carreaux de ses gouttes drues. Le front appuyé sur la baie vitrée de la porte-fenêtre, je regarde les feux de la voiture de Michel qui s’éloignent. Nous avons passé la nuit ensemble. Un moment fabuleux que cette eau qui dégringole du ciel rend encore plus joyeux pour moi, en ce début de matinée de lundi. Je repense à tout ce qui s’est achevé au petit jour, avec cette fatigue saine au creux des reins dont je sais les causes.
Il ne vient que pour ces heures de partage que nous volons au temps. À une autre aussi, celle qu’il a épousée il y a fort longtemps et… que j’envie parfois. Mais je connaissais la vie de cet homme avant de m’aventurer dans une relation qui me fait toujours autant rêver. Il est… beau, il est fougueux et j’en suis éperdument amoureuse. Mais elle est là et je dois donc partager l’amour de cet homme. Parfois, je me dis qu’il en existe des milliers d’autres avec qui je serais sûrement tout aussi heureuse. Ai-je vraiment eu le choix ? Mon cœur, mon âme, mon corps, tout a sans doute décidé pour moi. Je vis avec l’ombre d’un Michel qui se cache pour venir passer une nuit en ma compagnie.
Je ne vais pas ce matin bouder mon plaisir. Mes reins endoloris sont de toute façon là pour me rappeler que je n’ai guère dormi. Nous avions tant de choses à nous raconter. Et ça s’est traduit comme toujours par des corps à corps dans une guérilla amoureusement menée par ce diable d’homme qui ne saura jamais vraiment désigner l’une ou l’autre et se sent sûrement très bien dans cette posture ambiguë. Drôle également comme j’ai le sentiment d’un danger imminent, sans percevoir d’où il peut bien arriver. Je regarde la pluie tomber et le chant des gouttes me berce, alors que la voiture et son conducteur ont disparu depuis longtemps dans le petit jour.
— xXx —
Michel ne m’a pas appelée depuis deux ou trois jours. Anormal puisque d’ordinaire, il ne reste guère plus de vingt-quatre heures sans me donner des nouvelles. Souvent depuis son bureau, pour s’assurer de n’être pas entendu par celle qui reste sa femme. Je trouve étrange ce long silence. Bon ! Il est déjà arrivé depuis que nous nous aimons qu’il devienne muet quelques jours et je n’ai aucune raison de m’alarmer outre mesure. Et j’ai une montagne de boulot. Donc ça me permet de me sortir mes craintes de la tête. Quelle heure est-il ? Dix heures du matin ce samedi ? Oui… c’est ça. Je ne travaille plus les samedis. Alors ? Ce coup de sonnette, une cliente qui m’apporte du raccommodage ?
Je viens ouvrir, insouciante et souriante. Une femme ! Mon âge ou quelque chose d’approchant, c’est ce que je lui donne, alors qu’elle est dans l’encadrement de ma porte.
Le ton est très bizarre. Empreint d’une certaine sécheresse, mais d’un autre côté très éraillée par des trémolos dont je ne comprends pas la raison. La pluie depuis le début de la semaine est omniprésente. La femme a les cheveux qui dégoulinent de cette flotte qui n’en finit plus de la tremper.
Elle fait deux pas et s’arrête. Ses grands yeux sont brillants et me scrutent sans que je sache vraiment de quoi il retourne. Je ne sais plus quelle contenance adopter…
Je ne suis pas, plus du tout à l’aise. Qui est cette nana et si elle n’a pas de fringues à me faire repriser ou de frusques a lui coudre, qu’est-ce qu’elle me veut. Bon ! Elle n’a pas l’air bien méchante, mais venir déranger les gens un jour de repos… je ne vais pas la chasser sans savoir ce qu’elle me veut. Elle n’est pas là par hasard sûrement. Mais je n’arrive pas à la remettre et elle m’a bel et bien appelée par mon prénom. Donc elle sait qui je suis, et que je suis couturière aussi, ça ne fait aucun doute. Alors ? Je lui tends une serviette sèche et elle s’éponge les tifs. Une fois cette opération terminée, elle reste là, figée debout dans mon entrée. Que faire, que dire ?
Elle me précède alors que je la guide vers la cuisine. La cafetière, je prépare deux doses d’arabica et la prie de s’asseoir. Ce qu’elle fait tout en jetant de fréquents regards un peu partout autour d’elle. Je commence à flipper. Qui est cette nana qui s’intéresse à mon environnement personnel sans vraiment m’exposer le but de sa présence chez moi ? L’arôme du café se répand dans la pièce. La femme serre sur ses genoux son sac à main et son manteau mouillé sur les épaules, je songe qu’elle ne doit pas vraiment être à l’aise. Mais… pourquoi s’obstine-t-elle à fouiller du regard le moindre recoin de ma cuisine ? Voilà ! Les deux tasses sont prêtes à être consommées. J’en pousse une sur sa soucoupe devant elle.
Deux grands yeux se posent sur moi et je me sens toute bizarre. Déshabillée par la paire de mirettes d’un vert très spécial. Couleur encore rehaussée par ces paillettes brillantes qui constellent ses quinquets. Pour un peu, je jurerais que cette femme vient de pleurer. Mais pourquoi ? Puis dans ce silence douloureux qui s’instaure entre elle et moi, je vois ses lèvres trembler. Elle va ouvrir la bouche, elle va dire quelque chose et je ne sais pas pourquoi, la sensation de danger refait surface avec une violence insoupçonnable.
Elle vient de me couper le souffle. Ces mots sont remplis de pleurs et mes larmes aussi jaillissent soudain. Mon cœur se serre et je ne veux pas croire ces mots qui me crucifient sur ma chaise. Le café a un goût amer soudain. Elle sort un mouchoir de son sac, s’éponge les yeux.
Je n’ai plus de répartie. Mes sanglots me secouent sans que je sois en mesure de les retenir. Et curieusement, c’est la femme, cette rivale, qui se lève et vient m’entourer de ses bras. Moi qui suis son ennemie jurée ! Comment et où peut-elle trouver ce courage de ne pas m’étriper, mais surtout comment arrive-t-elle à surmonter sa propre douleur pour calmer la mienne ? Je ne suis plus en état de penser. Sans sa venue, je ne saurais rien. Je n’aurais pas seulement su que Michel… non ! C’est horrible, impensable et sans réfléchir, mes bras ceignent aussi ce corps de femme éplorée pour une étreinte hors du commun. Elle savait donc pour lui et moi ! À ses yeux, je dois être la pire des salopes et cependant, elle me cajole pour me rassurer.
Merde alors ! La vie est une saloperie qui se fiche de toutes nos espérances, elle nous vole le plus précieux et c’est bien dans les bras l’une de l’autre que nous pleurons de concert le seul homme qui va nous manquer pour toujours. Lorsqu’enfin nous nous calmons, je me retire prestement de cette poitrine trop présente contre laquelle se frottent mes seins. Des endroits que « notre Michel » affectionnait tout particulièrement chez moi, et je suppose qu’il devait aimer aussi ceux de cette femme. La seule qui aux regards de la loi et de la morale a droit de cité. Sans force, je refais deux tasses d’un breuvage qui d’un coup a moins de saveur.
Une longue plage sans trouver ni elle ni moi de mots et puis, elle se lance dans une lente narration entrecoupée de sanglots. C’est dans leur garage, alors qu’il s’apprêtait à sortir sa voiture pour aller au travail, qu’il a fait un malaise. Mais occupée dans sa cuisine ce n’est qu’après des minutes à entendre le ronronnement du moteur sans que le véhicule ne soit visible que Sylvie s’était rendu compte d’un problème. Et il est évident que ces minutes précieuses perdues avaient fait toute la différence. Elle avait appelé les secours, mais malheureusement, Michel n’avait pu être ranimé. Et il repose désormais au funérarium de leur village. Comment et pourquoi est-elle venue pour m’avertir ? Un grand mystère qu’il n’est pas l’heure d’éclaircir.
Lorsqu’elle se tait, elle est toute pâle et je dois être dans un état tout à fait semblable. Mes jambes ont l’air de ne plus vouloir me supporter et c’est très bizarre comme situation. La femme et la maîtresse réunies autour d’un café, pleurant d’un chagrin impossible à décrire.
Le regard qu’elle lève vers moi a quelque chose d’indéfinissable. Pourquoi ai-je le sentiment que dans ces deux billes émeraude qui me scrutent, il y a comme un reflet des quinquets de ce Michel qui nous manque autant à l’une qu’à l’autre ? Sa main fébrile soulève sa tasse, et malgré le brouillard qui me brouille la vue, je devine le tremblement de ses lèvres qui vident d’un trait le breuvage au ressenti d’un coup plus amer. Puis lentement, elle se redresse. Je sais qu’elle va quitter ma cuisine, ma maison et bon sang que j’ai mal à sentir le poids de l’immense solitude qui va soudain, me peser sur les épaules. Je l’accompagne sans un mot, jusqu’à la porte. Dans ma tête… je maudis déjà ce jour de notre rencontre, à cette Sylvie et moi…
— xXx —
À oublier également ce moment de recueillement qui nous réunit toutes deux, dans la chambre mortuaire où avant l’ouverture nous sommes venues ensemble lui dire toute notre peine. À la droite du gisant et Sylvie face à moi, chacune une main sur celles croisées sur le ventre de cet homme que nous avons aimé, nous sanglotons sans pouvoir traduire en mot, ce que nous fait ce dernier moment auprès de Michel. Je suis la première à lâcher prise et sors donc de ce qui me fait si mal. Je ne veux pas non plus assister à ce qui suit. Le bruit glaçant d’un tournevis électrique qui referme à jamais un chapitre si merveilleux de ma vie, va sans doute être gravé dans mon cerveau pour toujours.
Digne, droite comme un I, d’une pâleur effrayante, l’épouse assiste de son côté à l’enfermement définitif de la dépouille de notre amour commun. Quand elle sort de la chambre, livide et tremblante, sous le regard de quelques amis ou proches, tous inconnus pour moi, c’est vers moi qu’elle se dirige directement. Mon Dieu ! Elle vacille, chancelle et je la soutiens, alors que je ne dois pas spécialement offrir un plus joli spectacle. Ce qui suit n’est plus qu’une longue chaîne de douleur et tantôt elle me donne du courage, tantôt c’est à mon tour d’être là pour la garder debout. Cérémonie sobre, émouvante avec des tas de visages tournés vers les deux femmes qui occupent le premier rang sans que personne ne sache bien qui je suis.
Et je m’en balance totalement. Mon cœur semble vouloir s’arrêter alors que le chariot glisse lentement sur des rails qui l’emporte vers ce feu qui va nous le voler. Les ongles de Sylvie s’enfoncent dans la chair de cette main qu’elle s’obstine à cramponner, telle une bouée de sauvetage. Et trois perles rouge sang naissent sur le dos de ma patte, sans que je fasse un mouvement pour arrêter les griffures profondes. Ensuite, nous nous éloignons et personne ne cherche à nous approcher. Dans une petite salle, quelques sièges, un écran où… je ne veux pas voir ça. L’épouse de Michel s’assoit et je quitte les lieux, ne supportant plus la vue de ce film irréel qui diffuse la fin de nos amours dans des flammes qui le dévorent.
Un peu d’air frais, pour retrouver un semblant de calme. Je me sens désespérément seule, au beau milieu de ce parking. Personne d’autre qu’un jeune homme qui nerveusement tire sur une cigarette. Une autre façon de se détendre ? Je n’entrevois pas vraiment son visage et puis… mon esprit est ailleurs. Apparemment, lui n’est pas non plus en bonne forme. Il écrase son mégot dans un cendrier fixé au mur et s’élance vers moi. Pourquoi ? Que me veut-il ? À l’intérieur du crématorium, la cérémonie est toujours en cours.
Il s’écarte de nouveau. C’est à cet instant que les battants de l’entrée s’ouvrent pour livrer passage à ces gens qui assistaient à la crémation. Sylvie est la dernière à passer le seuil de la sortie. Elle a le visage baissé, et du noir lui fait deux longues traînées sur les joues. Elle marche tel un zombie, sans vraiment regarder où elle met les pieds. Le jeune homme qui est venu discuter avec moi la rejoint. Il la soutient en lui prenant le bras. Quand elle s’arrête, les personnes présentes vont vers le couple ainsi formé et sans doute lui murmurer quelques paroles de réconfort. Je m’éclipse sans bruit, en catimini, ma place n’est plus là, auprès de cette veuve qui pleure ses amours… nos amours.
Les miennes aussi sont mortes et je suis glacée en dedans alors que je reprends la direction de mon domicile. C’est fini… plus jamais Michel ne me prendra dans ses bras, plus jamais son rire ne résonnera à mon oreille. Son souffle va me manquer, et je me sens si vide. Il me faut faire des efforts pour ne pas avoir un accident. La vie me vole ce qui en faisait le sel, je suis comme Sylvie… orpheline, veuve de tous mes rêves. Saloperie d’existence qui fait que d’un coup je ne suis plus rien ni même personne. Est-il rassurant de songer brièvement qu’au moins il n’a pas eu le temps de souffrir ? Bien piètre consolation…
La première soirée du jour de cette cérémonie est un cauchemar. Toute une marée de souvenirs qui déferlent sous ma tignasse brune et des larmes à n’en plus finir. C’est sur le canapé, recroquevillée à l’endroit même où il aimait se reposer lors de ses visites chez moi que je m’enfonce dans un drôle de combat. Fait de bribes de dialogues en flash-back, de voix venues de nulle part et de sursauts à chaque fois que mon esprit paraît vouloir s’envelopper dans un brouillard en guise de sommeil. Oui ! Une nuit entrecoupée d’incessants appels et de geignements que mon cerveau s’ingénie à ramener sur le devant de mon front, comme pour mieux me martyriser, encore et encore.
Douleur et crises de larmes sont un lot quotidien pour des jours qui n’en finissent plus de se conjuguer avec absence et manque. Michel est omniprésent, qui défie toutes les lois d’une nature implacable. Et lentement, je n’ai plus d’eau à laisser échapper de mes mirettes rouges à force de trop de pleurs. Mon cœur se remet à battre sinon sereinement, du moins plus régulier dans ses pulsions. Le temps me file entre les doigts et la solitude me voûte le dos. Plus de goût à rien, je ne mange plus vraiment, grignotant seulement pour survivre. Combien de ses semaines sans joie, juste parce qu’il faut aller, seulement pour mettre un pied devant l’autre, combien sont nécessaires ? J’en oublie ma salle de bain, je traîne dans ma couche en rêvant de tous ces moments échangés entre lui et moi…
Alors… recluse volontaire dans ma propre maison, j’erre sans trop de buts. Ma force est partie, il n’existe pas, plus de ressort pour me redonner un espoir. Je ne guette plus d’appel téléphonique, rejetant systématiquement ceux qui s’affichent en « inconnu » sur mon portable. En quoi est-ce que celui de ce matin est différent de tous ceux des jours précédents ? Aucune idée, mais c’est bien machinalement que je me retrouve avec l’appareil entre les doigts à appuyer sur la prise d’appel. Le sort ? Un sixième sens ? Qu’en sais-je finalement ? Et si… s’il s’agissait d’un pressentiment, à moins que ce ne soit Michel qui me guide pour prendre la communication ? Je ne le saurai jamais !
Elle me parle, reparle et je n’arrive plus à me concentrer. Tant et si bien que je finis par ne plus trop savoir où j’en suis. Au bout de quelques minutes, je cède lamentablement et me voici engagée dans un processus que je redoute. À savoir sortir pour me rendre là où Michel et elle avaient des habitudes, des gestes, une vie en fait équivalente à celle que nous partagions à mon domicile. Dès qu’elle raccroche, je m’en veux de ma lâcheté, et de cette concession à me rendre chez elle. Le miroir de la porte de l’armoire de ma chambre me renvoie une image épouvantable de ce que je suis devenue en l’espace de trois ou quatre semaines.
Une épave à la dérive ! Mal peignée, mal fagotée, les traits tirés, les yeux enfoncés dans leur orbite… oui ! Un cadavre à peine mouvant et du pâle sourire que je veux afficher, il n’en ressort qu’un rictus innommable ! Quel boulot vais-je devoir entreprendre pour remettre de l’ordre dans cette pagaille ? Je n’ai pas seulement une idée précise de comment m’y prendre. Le mieux c’est de passer d’abord par la case douche. Et c’est exactement là où je dirige mes pas. Bon ! Il me reste trois bonnes heures pour me ravaler la façade. Sera-ce suffisant ? J’ai dit oui à son forcing et me voici dans l’embarras le plus complet. Il est temps de me bouger…
À suivre…