n° 09296 | Fiche technique | 19043 caractères | 19043Temps de lecture estimé : 11 mn | 18/06/05 |
Résumé: La genèse du fantasme médical. | ||||
Critères: h jeunes médical religion complexe vacances noculotte photofilm init nonéro | ||||
Auteur : Le Kawjer |
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J’entends la prison qui se prépare au rituel du couvre-feu, je suis seul dans mon bureau. Après une journée épuisante, toute la misère pathologique du monde est passée devant moi, du cancer au sida en passant par l’hépatite et l’addiction aux drogues. Pas de moyens, aucune considération ni de l’administration, ni de mes patientes, je pénètre les premiers cercles de l’enfer sans aucune Béatrice pour me guider. Avais-je d’autres choix ? Je regarde ces murs sales devant moi, la porte métallique avec sa grosse serrure, l’indigence de cet univers, avais-je d’autres choix ? Sans l’intervention de mon père et de ses amis influents au Conseil de l’Ordre, où serais-je aujourd’hui ? Sans doute dans une de ces cellules puantes, au dernier degré dans l’échelle d’une société qui préfère subventionner la misère et cacher sa déliquescence plutôt que d’offrir une vision, un avenir et de l’espoir, avec cette honnêteté et ce sens politique qui ont permis aux grands hommes du XXème siècle, ces géants trop rares, de sortir le monde de la nuit et de la barbarie.
L’exercice d’introspection ne me convient pas, chaque fois, je bute sur l’inexplicable, sur ces pulsions qui me dirigent et dont le Docteur C., mon excellent confrère psychiatre, m’a fait découvrir la réalité après la malheureuse affaire de Nice. Cependant, j’appréhende toujours avec difficulté ces dérèglements que je continue à nommer : la bête ; c’est ainsi, lorsque j’étais plus jeune, que je ressentais physiquement cette chaleur qui me brûlait le sternum : comme une bête qui se rampe sous ma peau.
Lorsque je repense à ma vie, je crois qu’en réalité et sans que je m’en rende compte, la première fois que la bête s’est réellement manifestée, c’était pendant les grandes vacances, chez ma grand-mère qui habitait une grande propriété en Lozère. Une de ces bâtisses bourgeoises massives, une façade sans fioriture, percée de fenêtres alignées entre lesquelles courait un lierre grimpant. Une maison de famille, qu’Oncles et Tantes paternels se partageaient ouvertement sans considération pour ma pauvre Grand-mère. Cette maison et son parc magnifique étaient l’univers des vacances passées ensemble avec mes cousins et mes cousines. Au fond du parc, dans une minuscule maisonnette, accolée à un appentis de planches et de tôle, vivait le gardien. Il s’agissait en fait d’un vieil homme qui avait été autrefois l’ordonnance de mon Grand-père et qui avait gagné le droit d’y mourir, ayant dignement servi notre famille. Pour nous les enfants, cette cabane toujours soigneusement fermée par un énorme cadenas, était un lieu mystérieux, l’antre de l’ogre. Mes cousins plus âgés nous parlaient de bruits étranges et de mouvements nocturnes bizarres. J’ai même passé de longs instants dans la fraîcheur du soir pour en percer le mystère, ne réussissant qu’à paniquer, terrorisé par les bruits de la nuit et, frigorifié, à rejoindre la sécurité de la grande maison et la chaleur de mon lit bateau.
Aussi, lorsqu’un matin, faisant le tour de la propriété à bicyclette, j’aperçus la porte ouverte, je n’hésitai pas un instant. Le battant était assez largement ouvert, cette remise ne contenait qu’un amas de vieilleries, en tout cas aux yeux d’un enfant de 12 ans, et un vaste établi posé contre le mur. Le mur au-dessus de l’établi était couvert de pages de magazine grossièrement punaisées. Avant que je ne réalise de quoi il s’agissait, mon regard avait accroché cette photo, une photo que jamais de toute mon existence je ne pourrai oublier, une photo que je n’ai jamais revue et toujours recherchée. Mes yeux déchiffrèrent, sur ce papier sépia découpé dans une revue, les formes d’une femme souriante, accroupie comme une sirène, ses mains soulevant sa chevelure avec art. À l’instant même où je compris que les formes sur sa poitrine étaient des seins et qu’ils étaient nus, la bête s’éveilla pour la première fois sans que je puisse mettre un nom sur le phénomène. Pour la première fois, mon souffle devint rauque, mes tempes douloureuses, car, sur ce mur à côté de cette naïade, étaient épinglées des centaines de femmes nues, des images bistres et sanguines. Certaines étaient debout en sous-vêtements, l’arc clair de leurs gaines soulignant des bas-ventres sans culotte, lisses et vides comme ceux des poupées en celluloïd de mes cousines. Ma respiration était si difficile que je devais garder la bouche ouverte, d’autres femmes presque hilares semblaient heureuses de baisser leur culotte sur des fesses que leurs drôles de poses rendaient encore plus grosses. Sur certaines images, plusieurs femmes - toutes étaient nues - en file indienne, éclataient d’un beau rire joyeux. Mes yeux s’affolaient, allaient de l’une à l’autre, mon corps était bouillant, ma peau picotait, leurs seins étaient si beaux, ils ressemblaient à ces « têtes de nègre » qu’aime tant mon père, avec un petit renflement sur le devant et, posé sur ce renflement, un grain de café.
J’étais tétanisé, j’y serais resté si mon regard n’avait pas accroché, dans la masse de ce mur de femmes, tout en bas, à la frontière de l’ombre, une photographie en noir et blanc. Je dus m’en approcher, car c’était un très petit format sur papier glacé, bordé d’une frange crénelée. Sur cette image assez floue et craquelée, il y avait bien sûr une femme nue, mais aussi un homme nu, elle était allongée, l’homme, avec son bras tendu, lui maintenait une jambe en l’air, lui-même était accroupi devant elle comme un gymnaste, un genou plié vers l’avant et une jambe en extension derrière lui, leurs corps étaient presque entremêlés. Brutalement en regardant cette pose étrange, je réalisai qu’aucune des femmes sur les images épinglées n’écartait leurs jambes sauf celle-là. Elle ouvrait de larges cuisses sur une tache noire, centre de gravité de l’image, de laquelle dépassait une matière plus claire, par analogie avec mon anatomie, je compris qu’il devait s’agir du sexe de l’homme et qu’il était collé dans cette masse informe, la bête inconnue s’évanouit instantanément, j’eus la nausée, je m’enfuis en courant vers la maison.
Chaque soir, jusqu’à la fin des vacances, la vision de ces femmes nues et joyeuses hanta mes nuits et mes moments de solitude, et, chaque fois, sur ces images de paradis sensuel, venait se superposer la petite photo, la tache noire et informe, et chaque fois la bête me mangeait la poitrine. Je n’en avais parlé à personne, pas même à mes cousins. Chaque jour, plusieurs fois par jour, je passais devant l’appentis, en vain, jamais la porte ne fut à nouveau laissée ouverte. L’été prit fin et ce fut le retour à la Maison, la rentrée à la pension des Rosiers.
J’y suis revenu bien plus tard, la Maison était en vente, les Oncles et les Tantes n’ayant jamais pu s’entendre. J’ai garé ma voiture devant la masure du gardien, elle était en ruine, mon cœur battait. Mais de l’appentis mystérieux, il ne restait qu’un tas de débris calcinés, un enchevêtrement de formes noires et indistinctes. À l’aide d’un bâton, j’ai tenté de soulever cette masse collante. Avec quel espoir ? Celui de revoir ma sirène bistre avec ses bras déployés comme les ailes d’un ange ? Celui de sentir à nouveau la puissance fabuleuse de mon premier émoi ? Sans doute ! J’ai jeté le bâton qui, en se plantant à mes pieds, souleva une fine couche de ce mille-feuille gluant, d’où je vis distinctement apparaître le coin calciné d’une petite photo crénelée, en noir et blanc, une image sur laquelle on pouvait encore distinguer une main qui semblait saluer le néant, comme un signe figé dans l’éternité…
L’année, qui suivit ces vacances, était celle de la communion solennelle, la pension des Rosiers, institution catholique, donnait chaque année une pompe particulière à cette cérémonie, la transformant en une grand-messe de l’élite, glorifiant le culte de la réussite et de la position sociale. Cette année-là, la semaine de retraite spirituelle à laquelle nous étions contraints pour purifier nos âmes avant de nous présenter devant l’autel, était animée par le Père Jacques De M…, missionnaire Dominicain à Lambaréné au Cameroun. Le Père Jacques De M… était un homme puissant, barbu comme seuls peuvent l’être les ogres dans les contes ; il promenait avec vigueur sa soutane blanche dans les gradins du petit amphithéâtre qui accueillait notre retraite. En Afrique, il pourchassait le démon jusqu’au cœur de la forêt vierge, ses histoires étaient pleines de Marabouts, de fétiches et de rites initiatiques. Il avait déposé sur le bureau du magister des statues impies qui représentaient des femmes noires, avec des seins en pain de sucre et de drôles de fentes là où je savais – par mon expérience de vacances - qu’il n’y avait rien que de la peau lisse comme le ventre. Le Père faisait un parallèle entre ses Africains animistes et fétichistes et la jungle des turpitudes dans laquelle nous ne devions jamais nous engager.
Les turpitudes ! Il n’avait que ce mot à la bouche, même après en avoir lu la définition dans le dictionnaire, nous comprenions mal la connotation sulfureuse que le Père lui conférait. Les bons frères de la pension des Rosiers avaient institué un système de délation et d’autocritique tel, que même si d’aucun parmi nous avait eu, comme c’était le cas pour moi, une idée plus réelle de la femme et des choses interdites, il ne s’en serait jamais ouvert aux autres. Alors, aller demander au Père blanc ce que signifiaient ces turpitudes, qu’il stigmatisait à longueur de journée, était un acte quasi suicidaire.
Vint le jour de la confession. Durant une semaine, le Père Jacques De M. nous y avait préparés, insistant sur cet instant de grâce, ce face à face entre notre conscience et Dieu, nous exhortant à laver toutes les souillures qui salissaient nos âmes avant de recevoir, en état de candeur divine, pour la première fois au sein de communauté des adultes, le corps de notre Sauveur. Mes nuits furent agitées, tant je luttais contre moi-même et l’envie de cacher mon aventure de vacances, mais que pouvais-je faire ? Dieu allait m’entendre…
Lorsque ce fut mon tour, je pénétrai dans le confessionnal, récitai mon acte de contrition et à l’invitation du Père, je confessai les peccadilles de ma vie rangée, les mensonges rose bonbon, les dissimulations domestiques. Je repoussais l’instant de vérité, lorsqu’à mon grand étonnement, le Père me demanda :
J’étais déstabilisé, affolé, je restai silencieux un moment.
Je ne savais ce que « licencieuses » signifiait, mais je répondis :
Je lui racontai mon aventure de vacances dans le détail, à l’exclusion toutefois de la petite photo et du triangle noir et flou que je ne pus me résoudre à avouer. Je m’attendais, à une réprimande, à des moqueries ou pire encore. J’étais mort de honte, oubliant que ces mots ne pouvaient sortir du confessionnal. Il me questionna tout à coup d’une manière tout à fait inattendue :
J’étais désespéré, je ne comprenais pas à quoi il voulait en venir, honnêtement, à cette époque, je ne m’étais encore jamais « touché », alors pour faire bonne figure et pour éviter à ma famille, la honte de l’excommunication, je répondis :
Dieu, pourquoi n’as-tu pas entendu la détresse de l’enfant qui venait te parler d’un cœur léger et pur, pourquoi m’as-tu laissé seul face à ces questions, dont la bête comprit peu à peu la finalité, je sentais ses mouvements et son souffle dans mes poumons. Des écoulements ? De quoi voulait-il parler ?
Je sentais au ton de sa voix que la confession touchait à son terme, et j’attendais l’absolution, lorsqu’à la suite d’un étrange silence, rythmé par son souffle, il reprit d’une voix ferme :
Je ne pus répondre et je m’effondrai en larmes contre le guichet. Le Père Jacques De M. respecta un autre long silence, psalmodia les mots de l’absolution puis, pour pénitence, m’imposa la récitation de dix Ave Maria en guise d’hommage à la Sainteté de la Femme/Mère éternelle et pure, et la lecture des tentations de Jésus dans le désert, chaque soir pendant un mois plein.
Et là, ce soir, dans la froideur de l’univers carcéral, je réalise que c’est durant cet été que la bête est apparue sans que je sache lui donner un nom. Je repense à ma communion, un hoquet de dédain soulève mes épaules, c’est le Père Jacques De M. qui, indirectement, m’a initié à la masturbation. Et par la suite, masturbé je me suis ! Avec délectation. J’avais engrangé, en quelques minutes devant cette cabane ouverte, plus d’images érotiques qu’il n’en fallait à un jeune adolescent pour se perdre dans ses fantasmes. Et chaque nuit, je sombrais dans le sommeil après avoir parcouru les allées d’un jardin magnifique, où se prélassaient des centaines de femmes nues et souriantes qui prenaient des poses pour moi, ou baissaient leurs culottes sur de magnifiques ventres lisses qui se perdaient uniformément entre leurs cuisses. J’avais acquis, guidé par mon instinct, une grande dextérité et très rapidement le plaisir survenait, laissant la place à cette matière un peu collante qui devenait froide, ces écoulements chers au Père Jacques De M., que je peinais à essuyer sur mes poils naissants. Mes slips kangourou et mes draps en étaient tout auréolés de taches jaunes, et je crois que Madame Loivejot, notre bonne, veillait en bonne mère poule à escamoter ces détails auprès de ma mère.