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Temps de lecture estimé : 31 mn
04/11/07
Résumé:  Que représente la mystérieuse photo déchirée ? Marion et Raphaël se découvrent dans un décor de pierre et de mer, et passent lentement du tango à la valse-hésitation.
Critères:  f h fh sport amour photofilm fellation préservati pénétratio -amourpass
Auteur : Isilwen            Envoi mini-message

Série : Les Mains Gantées

Chapitre 04 / 05
Croisements

NB : Ce chapitre n’est pas dissociable du reste de la série. La lecture des épisodes précédents est vivement recommandée






Épisode 4 : Croisements



Partie 8

Éclats de pierre




Assis sur un tabouret dans son atelier, Raphaël pensait aux paroles de Luette. Enfin, les paroles… c’était vite dit !


Il avait été son professeur de dernière année aux Beaux-arts. Un petit homme, costaud, certainement vieux, une énigme de chair qui s’exprimait peu. Ce que les étudiants savaient de lui, c’était sa réputation, rien de plus. Ses collègues ? il n’en avait pas, car il ne les voyait pas. Son monde, son univers n’étaient pas fait d’humains mais de pierre et de ceux qui pouvaient la faire parler.


Il ne faisait pas de commentaires sur le travail de ses élèves, il se contentait de donner un outil. Toujours celui qu’il fallait pour parfaire le travail, le plus adapté. Du moins quand le résultat était en bonne voie, ce qui d’après lui était rarissime. Sinon, d’un geste lent et sûr appliqué à la base de la sculpture, il la poussait de son socle jusqu’à la voir se briser à terre. Et personne n’aurait songé un instant à retenir ce mouvement destructeur par lequel ce maître à l’ancienne donnait note et appréciation.


Sauf Raphaël.


Ce jour-là, il n’était pas satisfait de son travail. Il avait quelque chose entre les mains qu’il n’arrivait pas à exprimer et la ronde-bosse s’en ressentait. Luette avait commencé à la pousser vers la chute. Raphaël s’était interposé. Le vieil homme l’avait regardé comme s’il avait été éveillé d’un songe.



Ces mots étaient tombés comme une sentence mais l’étudiant n’avait pas cédé.



Ils s’étaient regardés de longues minutes, non en se défiant, mais en essayant de se comprendre mutuellement.



Ce qu’il fit, sa statuette sous le bras.


Une fois chez lui, il était allé directement dans son atelier, au-dessous de l’appartement qu’il occupait. Enfant, c’était sa pièce de jeux, aménagée ainsi dans l’arrière-boutique par sa tante, devenue sa tutrice après la mort de ses parents. Elle tenait à vivre dans une maison calme, sans pourtant brider son neveu.


Le soulagement de son départ, à sa majorité, il s’en souvenait bien. Bien mieux que des années précédentes. Il avait attendu cette délivrance avant de cultiver le souvenir de son père et sa mère.


Une sorte d’instinct l’avait poussé à oublier temporairement la vie qu’il avait eue avant, l’amour qu’il avait reçu afin de ne pas mesurer toute l’ampleur de cette perte. Il n’avait pas été un orphelin malheureux et maltraité. Cette tante ne pouvait pas remplacer ses parents, ne pouvait pas l’aimer comme ils l’avaient fait, et sa présence dans la maison l’avait empêché d’accéder à ses souvenirs. Le jour de son départ, il l’avait aidée à faire ses bagages. Il lui était reconnaissant pour l’éducation qu’elle avait achevée et les soins qu’elle lui avait apportés mais elle était restée une étrangère pour lui. Un homme majeur et responsable, voilà ce qu’elle avait fait du gamin qu’il était. Il allait pouvoir redevenir un enfant qui pleure ses parents.


C’est ce qu’il fit. Durant des semaines, Raphaël pleura ses parents, fouilla les photos qu’ils avaient faites sans jamais avoir eut le temps de les classer, se souvint de l’amour échangé. Il avait mal, comme un petit garçon, mal de ces années sans pleurer, sans rire, en pensant à eux.


Il n’avait pas classé les photos mais les avaient rangées dans un grand coffre en bois, avec les lettres d’amour qu’avaient échangées ses parents avant de vivre ensemble. Dans cette boîte, il retenait le temps et l’amour de ses parents.


Au fil des années, le goût, l’apprentissage, la passion, avaient transformé cette salle de jeux en atelier. Il y restait encore des pièces de Lego cachées sous le vieux canapé défoncé, derrière le pied du bureau, ce qui l’empêchait de le coller complètement contre le mur. Il s’était toujours dit que si ces pièces étaient là, ce n’était pas un hasard, alors il les laissait à leur place. Comme la poussière et les éclats de pierre…


Cette pièce n’avait pas vu l’ombre d’un aspirateur depuis des années. Raphaël voulait conserver tout ça, comme des morceaux à part entière de ses sculptures. Chaque particule avait sa place dans son œuvre, car chacune s’en était détachée pour lui permettre de l’accomplir. Il éprouvait une sorte de reconnaissance envers elles et ne souhaitait pas les voir vulgairement jetées dans une benne à ordure. Un jour, peut-être, il les rendrait à la nature. Mais ce n’était pas encore l’heure.


Il se roula une cigarette de tabac blond, posa à nouveau les yeux sur cette ébauche de sculpture abstraite qu’il n’avait jamais achevé. Dix ans qu’elle rayonnait de son imperfection dans la pièce. Dix ans qu’il s’y référait pour devenir meilleur. Il sourit en se rappelant Luette entrer ici, le soir de leur dispute.



Le gamin serrait les poings.



Le jeune homme s’exécuta. Il avait acquis ce mètre cube sans savoir ce qu’il allait en faire, mais ce soir-là il s’était décidé. Saisissant ses outils, il avait entamé la pierre avec férocité, sous le regard du petit vieux, pas si vieux d’ailleurs. Sa chevelure blanche indomptable semblait imprégnée de poussière et ses traits n’étaient pas si grossiers que ça. Il cachait sa sensibilité sous un masque dur et méprisant, mais en regardant ce gamin suer, lutter avec la roche, son regard se fit plus attentif. Il s’approcha et par derrière, modifia l’inclinaison du bras de Raphaël.



Raphaël avait envie de le repousser, lui et ses conseils. Il aurait eu envie de ne pas avoir besoin de son regard sur son travail, et pourtant il était à l’écoute de son souffle, du moindre de ses déplacements, il espérait un commentaire encourageant, il attendait tant de cet homme que cela décuplait sa rage. Il aurait voulu tout apprendre de lui, le serrer dans ses bras pour en extraire la sève et le génie. Il aurait voulu que son père soit là.


Des larmes coulaient sur son visage sans qu’il n’y prête attention. Il voulait les cacher, mais le moindre geste aurait attiré le regard du maître sur lui. Après avoir fini le gros œuvre il échangea la pointe et la gradine pour le ciseau plat, il était épuisé par plus de quatre heures passées à faire éclater sa rage. Ses mains lui faisaient mal, couvertes d’ampoules, encore jeunes pour le maniement des outils. Il s’épongea le front avec sa manche, se remit à tailler sans relâche. Les cloques étaient ouvertes et chaque nouveau coup de massette lui mordait un peu plus la chair. Il avait dépassé sa douleur, il s’en servait, s’en nourrissait, oubliant même les yeux posés sur lui.


C’est cette nuit-là que Raphaël était réellement devenu sculpteur, en découvrant que l’Art exigeait tout, qu’il devait tout donner à son œuvre, que créer était une façon de transcender la douleur, la peine, la mort.


Luette était parti tard dans la matinée. Il était resté éveillé, à observer son élève jusqu’à ce qu’il soit tout proche. Alors, il lui avait laissé, posé sur son bureau, ses premiers outils, conservés religieusement dans une trousse de cuir usé par les années. Ce gamin méritait ce présent. En une nuit, il avait compris que même la colère contenait aussi de l’amour. Lui, il avait mis des années à le comprendre. Voilà pourquoi il avait toujours était excellent technicien, mais artiste moyen, sauf sur la fin de sa vie, lorsque cela n’importait plus.


Raphaël l’avait entendu partir alors qu’il finissait à la lime les courbes et creux de calcaire. Il ne s’était pas retourné. Il avait cessé de pleurer, la colère était retombée, et bien qu’il ait les membres cassés et les yeux rongés par l’épuisement, il souriait. Il se recula pour avoir une vue d’ensemble. Là, devant lui, se tenaient, ouvertes, les mains de Luette. Puis il aperçut la trousse d’outils et sa joie se mua en étonnement.


Durant cinq ans, ils s’étaient vus dans cet atelier, sans beaucoup parler. Luette était devenu pour Raphaël « Perluette ». Il débarquait parfois le soir, prodiguait quelques conseils muets et le regardait travailler.


Le lendemain de la première exposition de Raphaël, il entra dans l’atelier, très ému. Raphaël l’attendait, la gorge serrée. Tous deux savaient. Le vieux tira une chaise et fit signe au jeune de s’asseoir en face de lui. Il le regarda très longtemps, les pupilles presque fixes. Le jeune homme avait le cœur lourd. Les conseils étaient devenus plus rares, le regard plus tendre. Ils se levèrent en même temps. Raphaël était bien plus grand, il avait aussi acquis une carrure large, son regard questionnait moins, quémandait moins un avis. Il était affranchi.


Pour la première fois, ils se serrèrent la main. Et ils sentirent les mêmes cals, la même force. Il partit et ne revint plus jamais. Tous deux étaient fiers l’un de l’autre.


Quand Perluette mourut, Raphaël n’alla pas aux obsèques. Il s’assit par terre, adossé à sa première sculpture, tout contre les mains de son maître pour lui rendre un hommage correspondant à sa nature : muet.




Voilà à quoi il pensait. Il aurait voulu qu’il soit encore là, il aurait voulu savoir quoi faire, se sentait perdu comme tant de fois auparavant. Le père Luette lui manquait. Il lui aurait dit quoi ? Indiqué quels outils ? Déposé sur son bureau quel fragment de roche ? Syénite, grès, marbre, stéatite ?


Il se leva en direction de sa première ronde-bosse, la caressa en fermant les yeux.



oooOOOooo



C’est au contraire les yeux grands ouverts que Thomas travaillait. Il avait fait un retirage des négatifs de la séance précédente, pour faire un étalonnage des contrastes. Ces photos l’obsédaient, parasitaient sa concentration. Il avait annulé toutes les autres séances prévues. Marion avait eu la délicatesse de retenir sa colère lorsqu’il lui avait téléphoné, ce qui n’avait pas été le cas de Raphaël. Cela le perturbait d’avoir fait naître de tels sentiments. Il leva les yeux pour voir l’agrandissement géant qu’il avait fait de ce cliché, punaisé au mur de son labo. Cette émotion pure, parfaite, pourquoi n’arrivaient-ils pas l’un et l’autre à l’accepter ?



oooOOOooo



Marion travaillait sa capacité d’oubli en ce dimanche frileux. Le simple souvenir de ce cliché la tétanisait. Dévoilée dans cette émotion si intime, entre ses mains, la preuve de ce qu’elle avait ressenti, et qui était si absurde pour elle. C’était trop rapide, trop facile, trop brutal. Ça ne pouvait pas être ça.


Après la séance photo, elle ne s’attendait pas à avoir de ses nouvelles avant plusieurs jours, mais lorsque Thomas lui avait téléphoné pour savoir quand elle passerait prendre ses épreuves, qu’il demanda des nouvelles de Raphaël, elle sut que tout ne s’était pas déroulé selon son idée.


Elle questionna, doucement d’abord, puis l’inquiétude l’emporta. Si Thomas hésitait autant à lui dire ce qui s’était passé, c’est qu’il y avait eu un vrai problème. Il avoua finalement, mortifié, que le gantier était parti en n’emportant que la photo déchirée, visiblement perturbé.


Une boule se forma dans la gorge de Marion, et une sueur froide coula le long de sa colonne vertébrale. Elle avait réussi à cacher ses larmes à son amant quand ils étaient enlacés, mais Thomas les lui avaient dévoilées. Elle se sentait trahie. Serrant sa main sur le combiné pour ne pas s’en prendre au photographe – c’était elle, après tout, qui les avait entraînés là-dedans –, elle lui dit simplement qu’elle allait régler cela, avant de raccrocher, sourde aux excuses de Thomas.


Un masque était tombé.


Qu’avait-il ressenti en voyant cette photo ? Elle se perdait en conjectures, en réflexions aux conclusions plus fragiles que satisfaisantes. Et une interrogation lancinante : qu’avait éprouvé Raphaël ? Avait-il seulement compris les larmes sur le visage de la jeune femme ? Elle formulait des hypothèses aussi variées que blessantes sur l’interprétation qu’il pouvait faire de ces quelques gouttes salées. La panique s’emparait de Marion.


Elle voulut chasser ces pensées. Elle tenta de se perdre dans la poésie de Prévert, affalée dans son fauteuil, et ferma les yeux pour imaginer l’odeur, le bruit des vagues sur les plages de l’Atlantique…



oooOOOooo



Raphaël ouvrait les siens, regardait autour de lui. Qu’aurait pensé Luette ? Il aurait dit que c’était du mauvais travail. Ou qu’il avait trouvé la perfection, qu’il n’avait plus à chercher.


Il se déplaçait dans l’atelier, fuyant le regard de Marion accroché au centre d’un mur blanc. Elle le regardait. Que dégageait-elle ?


Il caressait la pierre, cherchait la chaleur de Marion… non, ce n’était pas ça, il peinait terriblement, comme dans ses premières années. Bon Dieu, que lui arrivait-il ? Il n’arrivait pas à la saisir, à la posséder. Combien lui faudrait-il de mètres cubes pour enfin la frôler ? Des milliers de coups de ciseau, des nuits blanches… et non, toujours pas. Il ne retrouvait toujours pas cette sensation qui l’envahissait lorsqu’il la regardait.


Elle était jolie, mais elle ne savait pas à quel point. Elle ne connaissait pas sa puissance de femme, la force de son corps parfait, tout en harmonie. Il serra sa main sur les volumes. Ses mains, ses jambes, son ventre, l’ouverture de ses cuisses, la cambrure de ses reins… mais bon Dieu son visage, non, rien à faire. Il n’arrivait pas à rendre ce regard pur et malicieux, enfant d’un ange. Elle se donnait à lui dans sa pleine essence, cela le rendait fou de ne pas arriver à le retranscrire sous ses outils.


Il ne pouvait croire ce que disait ce regard emprisonné sur le papier glacé, ni comprendre pourquoi elle le lui avait caché. Il avait envie qu’elle soit là, pouvoir la toucher, comparer, trouver enfin ce qui manquait à ses sculptures. Il avait besoin d’elle.


Il frémit. Dialogue intérieur qui allait bon train. « Besoin de Marion ? elle n’est qu’une femme parmi tant d’autres, elle n’a rien d’exceptionnel, tu étais en panne d’inspiration et elle t’a redonné la flamme, c’est tout. Ne confond pas ta queue avec ton cœur. » Il passa ses mains sur son visage. Non, non, ce n’est pas que ça. Alors c’était quoi ?


Il s’adossa contre un mur, se laissa glisser au sol et défit son jean. Il sortit sa verge et commença à se caresser. Il regardait ce qu’il avait créé de ses mains, il sentait ce qu’elle avait mis en lui avec ses mains à elle. Il écarta un peu les cuisses pour être plus à son aise, et serra fort son poing autour de sa verge pour chasser les idées qui lui venait. « Que fait-elle ? Pense-t-elle à moi ? Un homme est-il couché sur elle et lui offre-t-elle ces cris qui me feraient pleurer de bonheur ? ». Il attrapa ses bourses, de sa main gauche comme Marion le faisait, et les mâchoires serrés, il poursuivit, comme si son souffle en dépendait. Il la revoyait jouir, il était hanté par ce regard sur la photo, sa main accélérait, « je la veux », l’odeur de sa peau lui revenait, ne le quittait jamais, l’obsédait. Il murmurait à voix basse le prénom de cette femme qui l’avait envoûté avec un sourire, dont les caresses, les soupirs le faisait jouir, une jouissance si intense, une explosion intérieure, oh oui, pendant ces instants elle était à lui, elle se donnait à lui seul !


Il sentit sa sève monter, releva son pull et se répandit sur son ventre contracté. Jouissance fade de la masturbation depuis qu’il l’avait rencontrée. Jouissance attristée par la peur de ne pas la revoir, de ne pas la comprendre.


Il regardait sa semence couler sur son côté. Il se sentit si seul soudain. Et si con, couvert de son sperme, à fantasmer sur une femme qui ne pensait certainement déjà plus à lui, qui pouvait avoir les hommes à ses pieds, alors pourquoi lui accorderait-elle… Il se mit en chien de fusil sur le sol, dans la poussière. Il perdait la raison, ça devait être ça.


La boule au fond de lui grondait et ses mains lui refusaient la possibilité de s’exprimer. Il contracta ses muscles pour rejeter cette idée qui le hantait, qui le réveillait la nuit : il n’avait plus envie de sculpter, il la voulait, ELLE.


Cette lionne lui manquait. Pourquoi n’écrivait-elle pas ? Que fallait-il qu’il fasse pour la conquérir, la reconquérir, qu’elle soit à nouveau entre ses mains ? Il la voulait pour lui seul ; sans Marion ses mains si coutumières des outils semblaient perdues. Il avait mal, il connaissait la souffrance, mais ça ne l’avait jamais empêché de sculpter. Certaines de ses œuvres restaient cachées de tous, même de lui une fois le travail accompli. Quoiqu’il ressente, il le donnait à la pierre, mais Marion lui avait pris ses burins, allégé sa massette, éteint le feu qui brûlait comme celui d’une forge dans son torse.


Surpris, il avait cru que c’était elle qui bercerait son cœur tourmenté, celle qu’il cherchait sous ses ciseaux depuis des années, cette femme qui serait tout pour lui, qu’il avait presque créé de ses mains calleuses.


Le front dans la poussière, il lui parlait, refusait l’idée qu’elle ait pu partir en ayant tout pris de lui. L’idée de s’être trompé sur elle lui causait une douleur insupportable qui lui rongeait le ventre. Après lui avoir fait découvrir la paix dans ses bras, au fond de son ventre, elle ne pouvait pas partir en ne lui laissant qu’un cliché déchiré sur lequel il avait vu des larmes. Lui avait-il fait mal, qu’avait-il fait de mal ?



oooOOOooo



Marion laissait le vague à l’âme des poèmes la prendre dans son flot. Elle s’imaginait à nouveau sur ces plages de silice sans fin, le soleil doux et pourtant chaud qui léchait sa peau avec tendresse, la marée taquine qui lui faisait parcourir des centaines de mètres pour toucher l’eau ou qui venait lécher sa serviette de plage.


À quand remontaient ses dernières vacances d’étudiante, le volley avec sa troupe d’amis et des inconnus, réunis par la joie de la dépense ludique, la jouissance de faire un footing sur la plage, au petit matin en se faisant aussi légère qu’une plume, la bénédiction de l’eau fraîche après l’effort ? Depuis quand sa vie était-elle calculée à la seconde, y compris ses divagations ?


Elle avait choisi sa vie, son engagement corps et âme à sa cause, son rêve. Tous les sacrifices n’en étaient pas, elle travaillait à son rêve. Et pour cela elle avait laissé des amis sur le bord de la route, séparation de destinées, il lui fallait la liberté de ne pas entendre « Tu travailles trop ». Paroles qui ne rimaient à rien sauf à la mettre en colère.


Elle s’étira dans son fauteuil. Le temps de la frivolité estudiantine était bien loin déjà. Déléguée de classe, major de promo, étudiante acharnée, Marion avait souvent été prise en exemple par ses condisciples. Un humour féroce, une répartie à toute épreuve, alliés au tact et au charisme qu’elle possédait comme par miracle lui assuraient une certaine tranquillité. En cours, elle était loin des préoccupations des autres, elle ne vivait pas sur la même planète. Et derrière son sourire élégant, ses yeux baissés face aux compliments de ses professeurs, elle cachait son indifférence à tout cela. Marion était une rêveuse hypersensible, ce qu’elle avait vite appris à cacher.


Ses parents l’avaient élevée en aiguisant son sens critique, en nourrissant son esprit librement, à son rythme. Voilà comment à 14 ans elle avait écumé la quasi-totalité de la bibliothèque parentale et avait pu en discuter avec eux. C’était sa chance et son malheur. Adolescente, elle avait découvert Camus et son Étranger, elle avait été choquée, bouleversée, glacée, pendant que ses camarades de classe parlaient garçons et maquillage.


Quand elle fut convoquée à son entretien d’embauche, Marion se trouva face à un défi : enfin, son rêve était à portée de main. La joie. Et c’est la peur de faillir qui l’avait poussée à se dépasser. Puis la rage de devoir faire ses preuves avant d’atteindre le sommet, la rage de prouver qu’elle était faite pour cela. Et cette bataille durait depuis trois ans déjà. Jamais elle ne baissait les bras, jamais elle ne réfléchissait à l’échec. Elle y arriverait.


C’était ce qui pourrait se passer ensuite qui lui donnait le vertige. Le rêve réalisé, où prendrait-elle la force de continuer sa vie ainsi ? Voilà plus de vingt ans qu’elle vivait avec cet idéal, qu’elle poursuivait cette quête, mais lorsque le Graal serait trouvé ?


Marion rouvrit les yeux pour interrompre sa pensée qui glissait doucement vers l’angoisse. La buée sur les vitres était le signe d’un dimanche vraiment froid, trop pour aller courir, ce dont elle aurait eu besoin pourtant. Elle se leva pour faire du thé et, sur le pas de la porte de la cuisine, son regard couvrit amoureusement sa batterie. Instrument qu’elle adorait, atypique pour une femme.


Le rythme était sa seule croyance, sa seule obédience. La vie était une rythmique non linéaire, le battement de son cœur se transmettait à ses mains, ses pieds. Ses amis musiciens avec lesquels elle jouait riaient de son jeu : cette femme toute fine était une vraie « tapeuse ». Elle aimait le jazz-blues pour le raffinement, la délicatesse du jeu, mais elle se libérait sur un morceau de rock, alliant la lourdeur des basses au son aérien des cymbales.


Dès son premier cours elle sut qu’elle ne supporterait pas d’être enfermée dans le décompte des temps. La batterie, ça ne passait pas par son cerveau qui devait ordonner la dissociation de ses membres, mais par le fond de son ventre et l’association des gestes. Marion ne comptait pas les noires et les croches, elle chorégraphiait ses mouvements.


Jouer en ce jour férié n’était pas raisonnable à cause des voisins. La bouilloire sifflait, elle sentait monter son envie, à laquelle elle céda comme une gamine prendrait un bonbon en cachette. Le plaisir de l’interdit transgressé.


Elle s’installa, prit les baguettes en main et débuta sur une rythmique de bossa-nova, tout en roulement et en belles accentuations sur les cymbales ; rapidement elle dévia sur un morceau des Doors, chorégraphie qu’elle aimait.


Et lui revint le plaisir qu’elle avait à être dans les bras du gantier. Encore quelques mesures, le roulement des basses et de la musculature de Raphaël, le souffle délicat du charley et de ses gémissements sur elle, l’éclat de la ride et de son sourire.

Marion était décidée.


Elle ne savait pas ce qu’il était pour elle, mais elle savait ce qu’il n’était pas : une aventure d’un soir.


Quand elle commença à écrire à Raphaël, elle avait repris son masque.




Partie 9

Gouttes salées




Raphaël,

Retrouvons nous au Belvédère, samedi à midi.

Marion



Pendant que Marion gravissait déjà les collines balayées par le mistral, lui hésitait encore à se rendre à Sugiton. La lettre lui était parvenue le mardi, mais il ne l’avait pas ouverte immédiatement. Il ne le fit que samedi matin. Cette lettre arrivait tard, trop peut-être. Il ne savait que répondre, que dire. En enfilant ses chaussures de marche, il songea que c’était peut-être elle qui avait quelque chose à dire, en commençant éventuellement par expliquer cette photo.


Quand il gara sa voiture au pied des Calanques, il calcula rapidement son itinéraire. Il se savait en retard, aussi décida-t-il de rejoindre Sugiton d’un pas très soutenu par la crête des Escrampons


En ces lieux il se sentait infiniment petit. L’impression que les éléments lui parlaient, mais qu’il ne comprenait que rarement leur murmure. Cette sensation d’être aspiré par les couleurs, de n’être plus rien, un peu comme si le vide se faisait en lui, à la fois insignifiant et nourri d’une force extraordinaire, invincible.


Au sommet, il balaya l’horizon et son regard y trouva la jeune femme, assise au bord de la falaise, face au vent, plongée dans ses pensées.


Elle éprouvait un mélange de paix, de calme et de tristesse, comme si elle avait connu ce paysage en des temps plus favorables. Gamine, elle n’éprouvait que de l’émerveillement. Était-ce la perte de l’innocence enfantine, mais un jour elle s’était mise à cet endroit, jusqu’à la tombée de la nuit. Il lui manquait quelque chose. Et cette boule dans sa gorge qui refusait de partir. Elle avait eu envie de pleurer, de se jeter du pic, furieuse de ne pouvoir acquérir la force de cet assemblage de matière et de couleur. Comme tout était robuste ici ! Elle ne voulait pas être fragile comme le suggérait la nature. Marion voulait être comme elle. Adaptable, magnifique, toujours droite, qui ne pliait ni sous le vent ni sous le froid ou le soleil écrasant.


Elle entendit les pas de Raphaël approchant derrière elle. Non qu’elle reconnut sa démarche, mais parce qu’il n’y avait pas foule de randonneurs par ce froid cinglant. Il s’assit à côté d’elle, sans un mot, posant son sac à côté du sien. Elle le laissa reprendre son souffle.


Il leva les yeux et contempla la mer, l’aiguille de Sugiton, sur la droite le Torpilleur, toujours aussi impassible malgré les vagues et le soleil. Le contraste entre le bleu intense de la mer et la blancheur calcaire de la roche était tranchant. La garrigue semblait figée par le froid, ondulant à peine sous le vent, immobile et altière, résolue à l’ignorer, refusant en guise de protestation de libérer son parfum si riche. Révolte impressionnante de silence.


Marion regardait les mains du sculpteur caresser la roche autour de lui. Ses longs doigts effleuraient avec grâce le calcaire, n’omettant de flatter aucun creux. Il passait ensuite de ces cavernes minuscules aux pics culminants à quelques centimètres de hauteur dans un ballet léger, presque aérien : du bout des doigts, il couvrait toutes les Calanques.


Ses mains calleuses ne sentaient plus la morsure des arêtes de la pierre depuis bien longtemps. Il aurait voulu pouvoir sculpter à la main, sans l’intermédiaire des outils. Raphaël s’était essayé au modelage, mais la fadeur de la glaise lui était insupportable. Il préférait partir d’un matériau brut, dur, pour arriver à obtenir la joie d’un polissage parfait, comme s’il l’avait fait à force de caresses amoureuses.


Il se leva et se plaça derrière Marion, pour l’enlacer, réchauffer ses mains avec les siennes. Il lui semblait qu’elles étaient toutes petites, qu’elles auraient pu se perdre entre ses doigts puissants. Il aimait ça. Elle se laissa aller, un peu plus détendue, à la chaleur de cette étreinte. Il rompit le silence :



Il fit une pause.



Il la serra un peu plus contre lui.



La jeune femme s’était abandonnée à la mélopée des mots. C’était la première fois qu’il parlait vraiment de lui. Il évoquait sa peine avec douceur. Elle aurait dû parler de la photo. Mais elle n’en avait pas envie.



La jeune femme était pensive.



Elle sentit la lassitude l’envahir. S’ouvrir ne lui paraissait pas être le meilleur choix. Elle ne pouvait mettre de mots sur ce qu’exprimait le cliché. Elle n’était pas sûre d’elle ; était-ce la simple expression de son plaisir ou… d’un sentiment plus profond ? Jamais elle n’oserait exprimer ses doutes.


Il était temps de reprendre les rênes de cette relation qui lui échappait avant que la joie n’en disparaisse. Il était hors de question pour elle de perdre ce bonheur qu’elle avait de le voir, de le toucher.



Elle se retourna vers lui, enleva ses lunettes de soleil en souriant. Un instant, elle regarda son visage rougit par le froid, ses paupières plissées par le soleil. Du bout du doigt, elle suivit l’arête de son nez avant de passer sur ses lèvres. Il n’était pas rasé, et elle trouvait que ça lui donnait un charme fou.



Elle lui coula un regard coquin. Il était un peu décontenancé.



Il sourit. Il savait pourtant qu’elle mentait. Qu’il y avait autre chose dans cette photo. Pour autant, il n’avait pas envie de la confondre : pourquoi aurait-il réclamé qu’elle lui confie la raison de ses larmes ? Elle avait fait le choix de le lui cacher, et lui non plus ne se dévoilait pas pleinement.


Il replongea plutôt dans ce regard rieur auquel il ne savait résister.



Il n’avait pas fini sa phrase que Marion s’était déjà jetée sur lui en riant :



À nouveau cet éclat de rire qui les rapprochait. Elle se sentit enfin apaisée. Elle avait réussi à faire ressurgir la joie de leur rencontre. Elle avait gagné.


Elle sauta sur ses pieds :



Il se demandait s’il allait subir un cours d’histoire tout aussi improvisé que celui d’anatomie, quand il comprit pourquoi elle ramassait son sac à dos. Il la regarda s’avancer vers le sentier qui descendait à la calanque, il vit son sourire taquin et sa prise d’élan. Alors il se leva, se dit qu’elle était infernale et qu’il aimait diablement son attitude avant de s’engager vers le chemin.


Le sentier était étroit et malaisé. Il constata cependant que la belle gazelle avait déjà une bonne centaine de mètres d’avance. Il serait bien resté là, à la regarder dévaler la pente avec agilité, coupant parfois le sentier en sautant de petits bosquets de thym et de romarin. Un frisson de plaisir le fit sourire, elle serait toute imprégnée de l’odeur de la garrigue. Puis il se mit en route, ne voulant pas gâcher son plaisir : après tout, une course n’est excitante que si l’on a des poursuivants…


Un peu plus bas, Marion s’arrêta doucement pour couper l’élan que lui donnait la pente. Il serait dommage de se faire une entorse maintenant, avec ce qu’elle avait derrière la tête. Elle se retourna et fut surprise de le trouver à seulement quelques enjambées d’elle. Il courait, empruntant le même trajet qu’elle avec désinvolture, décontracté comme s’il se baladait sur la Corniche.


Elle sentit ses muscles se tendre sous l’effet de l’adrénaline. Elle reprit sa course, non sans lui avoir lancé qu’elle s’impatientait. Encore quelques secondes égrainées comme les cailloux qui roulaient sur leur passage, et il était à une enjambée d’elle.



Elle avait repéré un rocher au centre d’un lacet du sentier, qui en deux bonds lui permettrait de semer Raphaël. Stoppant net sa course, elle vira sur la gauche et avec un pas d’élan, sauta. Réception en douceur sur la surface plane et minérale, qui cependant était moins stable qu’elle n’y paraissait.



Le bruit si caractéristique de la semelle qui glisse légèrement au moment de l’impulsion la fit réagir. Elle bondit aussitôt sur le sentier, et se retourna au juron de Raphaël quand il sentit le rocher basculer sous son poids. Il tomba les mains en avant dans un argelat, râla et s’assit en tailleur en se tenant la main gauche.



Elle sortit son couteau suisse et la pince à épiler qu’il contenait. Un souffle plus tard, elle l’entraînait vers la mer, pour désinfecter sa plaie, l’arbuste lui ayant déchiré la peau sur quelques centimètres.



Ils cheminèrent plus tranquillement le long du sentier. Marion racontait ses exploits d’enfant, quand elle partait faire du camping sauvage en colonie ; comment elle s’était faite cette cicatrice au pouce avec une scie, comment elle avait réagi quand elle avait senti la dent centrale de la fourche qu’elle avait en main perforer la chair de sa cheville…



Leurs chaussures de randonnées s’enfonçaient dans le gravier de la plage. Encore quelques pas, et elle défit son anorak, ses lacets, enleva chaussures et chaussettes, roula le bas de son pantalon :



Elle asséna cette remarque sur un ton de défi, dans l’eau jusqu’aux genoux. Amusé, il fit de même. Une fois partiellement dévêtu, il la rejoignit dans les flots.



Et elle prit sa main pour la plonger dans l’eau salée. Il ne réagit pas. Le sculpteur la regardait. Il sentait pourtant la morsure du sel sur sa chair, mais il s’interrogeait sur la portée de sa phrase. Le contraste ? Mais il comprit quand, sortant sa main de l’eau, au mépris des gouttes glacées, elle se mit à sucer son pouce. La chaleur de sa bouche était intense, douloureuse après le froid engourdissant.



De ses mains encore froides, elle défit son pantalon et prit son sexe recroquevillé entre ses doigts. Malgré cette sensation glaciale, il fut rapidement en érection. Collée à lui, elle caressait sa hampe et le plaisir montait en lui, déjà, il ne sentait plus ses pieds gelés par l’eau. Il sentit que le visage de la jeune femme échappait à ses baisers, pour se pencher vers l’eau. D’une main, elle prit un peu de Méditerranée entre ses lèvres, avant d’emboucher la verge de Raphaël. Marion laissait s’échapper un peu d’eau à chaque mouvement sur la verge et progressivement, après le froid, le gantier retrouva la chaleur de la gorge féminine.


Il ouvrit les yeux, elle passa derrière lui. Tout contre lui.


Le mistral donnait une légère ondulation à la Méditerranée, caressait les crêtes des vaguelettes qui venaient de l’infini jusqu’à s’échouer à leurs mollets.



Il ne dit mot. Elle frissonna quand il referma si tendrement ses doigts sur les siens. Marion revit les mains de Raphaël ainsi effleurer la roche, au sommet de Sugiton…


Elle ne voulait pas être apprivoisée, pas comme la roche.



Le sentier en sens inverse au pas de course, trajet en voiture rapide durant lequel elle trouva Raphaël très excitant, ainsi concentré sur la route sinueuse. Une fois dans la ville, elle fit une chose qu’elle avait toujours estimée dangereuse : défaisant la braguette du gantier, elle le prit en bouche, le temps de remonter un long boulevard. Elle rit en voyant son sourire bienheureux quand elle reprit sa place avant l’entrée dans le rond-point.






Partie 10

Indomptable matière



La chance fut de leur côté, il trouva à se garer rapidement. Quatre étages plus tard, Marion constatait qu’elle avait oublié de mettre le chauffage dans son appartement.



Elle poussa un cri :



Elle aimait sa façon de rebondir.



Ils arrivèrent dans la salle de bains, il referma la porte en prenant un air faussement menaçant :



Elle s’empara du jet de douche, tourna à fond les deux robinets et inonda le jeune homme en criant :



Surpris, il s’immobilisa puis éclata de rire :



Il se pencha pour régler la température et fermer la bonde :



Quelques minutes plus tard, ils barbotaient comme des gamins dans l’eau brûlante. Ils jouaient à s’asperger, finissant d’inonder complètement la pièce en poussant des cris de joie.


L’espace n’était pas grand, mais eux oui. Aussi Marion avait-elle placé ses jambes écartées au-dessus de celles du gantier. Parfois, quand la mousse du bain lui en laissait l’occasion, il pouvait apercevoir sa fine toison, ses hanches, son joli ventre qui semblait lui sourire. Qu’elle soit femme policée, maîtresse de ses gestes et de ses attitudes, ou nue dans un bain, échevelée et riant à gorge déployée, elle était d’une même beauté pour lui.



Cessant ses attaques, il lui demanda lequel.



Il suivit son regard et vit son gland qui dépassait de la surface de l’eau, coiffé d’un peu de mousse. Ils éclatèrent de rire en même temps. Marion, du bout du doigt arrangea un peu la mousse et déclara avec une intense fierté :



Il n’aurait jamais cru découvrir une femme aux fantaisies si simples quand il l’avait vu entrer dans la ganterie. Il n’avait eu de cesse de vouloir être à sa hauteur, raffiné, élégant, surprenant et là, elle se dévoilait : une gosse dans des habits de femme. Raphaël était ému de pouvoir être le témoin d’une si belle joie de vivre, cadeau qu’elle lui faisait peut-être sans le vouloir, comme ses larmes sur papier glacé.


Elle se pencha avec difficulté sur lui et déposa un baiser du bout des lèvres sur la partie émergée de son anatomie. Il caressait sa joue avec tendresse et l’attira vers lui pour l’embrasser. Tendue comme un arc pour atteindre ses lèvres, elle glissa sur le fond de la baignoire, comme un pingouin sur la banquise, justement.


Après plusieurs manœuvres périlleuses durant lesquelles le niveau de la mer de la salle de bains remonta de plusieurs centimètres, elle se cala dos à lui, entre ses jambes. Raphaël, de la main, ramenait de l’eau sur ses seins, autant pour qu’elle n’ait pas froid ainsi hors de l’eau, autant pour les caresser. Ses doigts glissaient sur la peau satinée par le savon, et il se surprit à s’imaginer être l’une de ses extrémités, courant entre et sur ces montagnes de chair, gravissant les pics pour profiter de la vue donnant sur les nuages de mousse. Il souriait doucement. Il était tout simplement heureux.


Cependant, pour se mettre dans ses bras, elle avait dû sortir une partie de ses jambes du bac, et ses pieds appuyés contre le mur commençaient à virer au bleu. Il le remarqua le premier.



Ravie, elle lui indiqua qu’il y avait de la soupe dans le congélateur et la place des divers ustensiles qui lui seraient utiles. Elle le regarda se sécher et enfiler jean et pull à même la peau. Il l’embrassa sur le front et lui donna rendez-vous sous la couette.


Elle s’immergea complètement dans l’eau encore chaude puis ouvrit la bonde. Elle prit ses genoux entre ses bras, en regardant l’eau diminuer. Elle entendait son amant s’affairer à la cuisine. Elle aurait dû s’occuper du repas. Qu’un homme s’affaire dans sa cuisine n’était pas anodin. C’était la première fois qu’elle gardait un amant si longtemps. Et pourquoi ne pas céder à cette douceur qu’il lui offrait ? Son cœur balançait, sa conscience évaluait les risques, la mettait en garde, comme un Jiminy Criquet protecteur.



Un passage rapide sous le jet et elle se glissa dans son peignoir.



Riant de l’entendre dans cette langue chantante, elle fonça et sauta sur le lit, se hâta de se couvrir tout en enlevant son éponge dans laquelle elle s’empêtrait. Il entra dans la chambre, un plateau dans les mains qu’il posa sur la table de nuit avant de s’adosser aux oreillers qu’elle avait disposés contre la tête de lit. Deux bols fumants dégageaient l’odeur presque sucrée de la soupe de courge et la crème qu’il avait ajoutée se dilatait en volutes tribales. Il avait aussi coupé deux poires en cubes et pensé aux serviettes.


Un repas simple, comme cet instant, et charmant, comme eux.


Ils échangèrent quelques caresses avant d’attaquer la soupe de grand appétit. Entre deux cuillerées, Marion lui fit remarquer qu’il n’était pas juste qu’il soit vêtu et pas elle. Posant son bol, il enleva son pull et se mit à l’envers dans le lit, afin de pouvoir manger face à elle.



La jeune femme le dévorait du regard. Le jour déclinait déjà et la lumière dans sa chambre était magnifique, donnant une teinte un peu plus halée à son torse taillé à la perfection. Le jeu des muscles qu’il utilisait pour manger la fascinait.



Elle rougit jusqu’aux oreilles, les yeux rivés au fond de son bol. Démasquée dans son plaisir égoïste, elle aurait voulu disparaître sous la couette, mais préféra éclater de rire pour exprimer sa gêne.



Il tendit la main et la découvrit jusqu’au ventre.



La jeune femme prit un cube de fruit entre ses dents et le porta à la bouche du gantier. Quand il eut fini de lécher le jus sur ses lèvres, elle conclut :



Il baisa encore sa bouche et fit glisser le plateau à terre. Il faisait sombre à présent, mais elle vit qu’il déboutonnait son pantalon à genoux. Elle l’attira sur elle, l’aidant à se débarrasser de la toile. Il la découvrit pour s’allonger contre sa peau. Son corps était glacé, seule sa verge était chaude contre le ventre de Marion. D’une main, il trouva sur la table de nuit une capote et l’enfila. La jeune femme les recouvrit. Dans la chaleur des plumes ils se caressaient, se frottaient l’un contre l’autre, joue contre joue. Elle remonta ses jambes sur sa taille, il la pénétra sans cesser de la couvrir de ses mains. Ils gémirent ensemble.


Il la prit dans ses bras, elle aurait voulu qu’il la serre encore plus fort. Marion respirait son parfum qui était resté sur sa peau malgré le bain, frémissait de sentir la plaie de sa main plaquée dans son dos. Il était enfoncé dans sa chair, au plus profond de son ventre, chacun de ses lents mouvements de bassin était une onde d’une force qui la bouleversait. Elle s’était livrée à lui avec le masque d’une catin au début, dans une orgie de plaisir qui lui évitait les questionnements réels. À présent, elle le laissait envahir la femme.


Le visage dans son cou, Raphaël ne voulait plus jouir. Il voulait la garder ainsi, continuer de sentir ses seins, son ventre contre son torse, ses jambes qui l’emprisonnaient, conserver la douceur de ses soupirs. S’imprégner d’elle jusqu’à pouvoir la saisir sous ses burins, la retenir dans la pierre.


Quand elle se remit à chercher sa peau du bout des lèvres, il comprit qu’il lui fallait cesser. Il se retira en essayant de rester au plus près de sa peau, elle le guida sur le côté dans le même souci, le même besoin de rester auprès de lui. Sans relâcher leur étreinte ils s’endormirent, enlacés dans la paix du plaisir non-clos par un orgasme, petite mort d’un instant, abandonnés l’un à l’autre.



oooOOOooo



Quand Raphaël ouvrit les yeux, ce ne fut que pour voir un petit mot de Marion, posé sur l’oreiller. Légèrement déçu, il se redressa sur un coude et saisit le papier pour y lire :



Sortie faire le marché. De retour vers 10 h avec de quoi faire un petit dej’ à la hauteur de cette nuit…



Il regarda le réveil : dix heures moins le quart, elle rentrerait bientôt. Il replongea la tête dans l’oreiller. Il ferait comme s’il n’avait rien vu. Mais l’évocation de la jeune femme avait suffi à lui rappeler leur nuit si sensuelle et son sexe, déjà en forme matinale, se refusa à dégrossir.


Finalement, il allait se lever pour faire du café. Enfilant sa paire de chaussettes et son caleçon, il partit pour la cuisine, dans laquelle il trouva avec facilité le café et les filtres. Cette fille avait le sens pratique !


Alors que le café passait, Raphaël se roula une cigarette. Il se servit en Arabica et alluma sa clope. Bien sûr, il ouvrit la fenêtre. L’air frais, voir froid, le fit frissonner, même si le soleil dardait ses rayons dans le salon.


Il retourna à la chambre et trouva sur le valet un gros pull informe appartenant à Marion. « Ça fera l’affaire ». En l’enfilant, il sentit son parfum sur l’étoffe et le frisson qui le parcourut n’était pas simplement celui du désir.


De retour à la fenêtre et finissant sa cigarette en alternance avec des gorgées de café, il vit Marion revenir, ses paquets à la main. Nouveau tressaillement. L’idée qui lui avait traversé l’esprit après la séance photo s’imposait à lui définitivement. Il jeta sa clope dans la tasse, rassembla ses affaires, s’habilla en vitesse.


Il dévalait les escaliers quand il y bouscula Marion, étonnée de le voir déjà levé.



Mais il ne prit même pas la peine de s’arrêter.