Olivier Desgrange a donné un coup de poignard à Louis afin de pouvoir enlever sa fiancée Claire, dans le but de la violer. L’inspecteur Marius Pauvert est intervenu mais Desgrange a pu s’échapper.
- — Vite, empêchez-le de s’enfuir, courez après lui, s’exclama l’inspecteur en hurlant. Je m’occupe de la jeune fille.
Les deux hommes toussant et hoquetant obéirent mais déjà leur adversaire s’était glissé dans une ruelle et bientôt ils n’entendirent même plus le bruit de ses pas, courant sur les pavés.
Pendant ce temps, Marius s’était approché du lit :
- — N’ayez pas peur, mademoiselle, je vais vous reconduire à l’auberge auprès de votre fiancé. C’est lui qui m’envoie.
- — Il lui est arrivé… quelque chose… je le sais ! répondit la jeune fille d’une voix entrecoupée. S’il vous plaît, dites-moi…
- — Il n’est pas mort, rassurez-vous. Un médecin l’a soigné et l’a reconduit à votre hôtel. Je vais vous y emmener. Vous sentez-vous la force de marcher ?
Claire essaya de bouger mais elle était encore tellement sous l’emprise de la drogue et sous le choc qu’elle retomba sur les oreillers. Deux larmes perlèrent à ses yeux devant son impuissance. Pauvert, ému, lui prit la main :
- — Je vous porterai, ne vous inquiétez pas ! Mais il faut que vous m’aidiez à vous rhabiller.
Claire acquiesça et l’assista du mieux qu’elle pouvait. L’inspecteur était doux et respectueux. Quand elle fut vêtue, il alla chercher un peu d’eau pour la rafraîchir et il demanda :
- — Il n’a pas eu le temps de… vous forcer, n’est-ce pas ?
- — Je… Je ne sais pas… J’espère que non. Ce serait horrible !
- — Je vous ferai voir par un médecin. Comme cela, nous serons fixés rapidement. Et je prendrai votre déposition. Vous devez absolument porter plainte.
- — Mais… Je ne veux pas qu’on sache ! Ce serait fatal pour ma réputation.
- — Vous devez le faire pourtant. Cet homme doit être poursuivi et jeté en prison. Vous rendez-vous compte qu’il pourrait s’en prendre à d’autres jeunes filles ?
- — Non. Je sais que non, c’est moi qu’il veut.
- — Mais pourquoi ? Vous avez une idée ?
- — C’est une obsession, depuis très longtemps… Depuis qu’il a réussi à m’embrasser lorsque j’avais treize ans, il croit que je lui appartiens.
- — C’est donc un fou. Dangereux et qui pratique la sorcellerie. Le saviez-vous ?
- — Non, mais ça ne m’étonne pas tellement. Il a toujours été étrange.
- — Étrange en quoi ?
- — Je ne sais pas… Mais c’était un solitaire, plutôt agressif et il m’a toujours fait peur.
- — Vous savez qui il est ?
- — Oui, c’est le fils du châtelain de mon village. Je ne l’avais pas revu depuis au moins six ans.
- — Il est amoureux de vous, manifestement.
- — Je ne pense pas. Il y a tellement de haine en lui !
- — La haine est proche de l’amour.
- — Peut-être… Mais il a été si horrible avec moi. Comme s’il voulait me tuer.
- — Vous connaissez son nom ?
- — Oui, il s’appelle Olivier Desgrange. Il fait des études de droit à Clermont.
L’inspecteur regarda la jeune fille. Elle tremblait. De froid, et de peur sous le choc de l’agression. Il fallait quitter cette chambre. Il rassembla, à l’aide d’un mouchoir, les preuves de la culpabilité du sorcier et les mit dans un filet à provisions qu’il trouva dans un tiroir de la commode. Il s’approcha, enveloppa Claire dans le couvre-lit de dentelle et lui dit :
- — Je vais vous emmener rejoindre votre fiancé. Demain matin, je passerai prendre de vos nouvelles et vous porterez plainte. Passez vos bras autour de mon cou, je vais vous porter jusqu’à l’auberge.
Ils sortirent peu avant de tomber sur les deux hommes qui avaient aidé à la sauver.
- — Nous ne l’avons pas trouvé, inspecteur. Désolé, mais il a dû s’enfuir en voiture.
- — Nous avons pourtant ratissé tout le centre-ville…
- — Ne vous frappez pas, messieurs ! Nous finirons par le coincer. En attendant, allez donc à la petite maison récupérer le sac des pièces à conviction et portez-le au poste sans toucher aux objets. Mon collègue Chastres s’en chargera et prendra votre déposition. Merci de votre aide.
- — De rien, inspecteur ! C’était bien le moins qu’on pouvait faire !
- — On file chercher le sac. Vous voulez pas qu’on monte la garde ? On ne sait jamais…
- — Non, je ne pense pas qu’il reviendra. Par contre, allez voir Madame Jacquemin. Cette chambre lui appartient. Et tâchez de la convaincre de témoigner contre l’homme. Réveillez-la au besoin et dites-lui de me rejoindre au poste, je voudrais l’interroger.
- — Bien, monsieur. Ce sera fait.
Il était presque une heure du matin lorsqu’ils arrivèrent à l’auberge. L’entrée était restée éclairée et Gustave Meyer les y attendait. Il les guida jusqu’à l’étage où se trouvait le luthier. Lorsque Pauvert entra dans la chambre, un cri jaillit, venant du lit.
- — Claire ! C’est vous ?
- — Louis !
Le luthier, bouleversé, tendait les bras pour la saisir, grimaçant de douleur dans ce geste qui tirait sur sa blessure. Pauvert déposa la jeune fille près de son compagnon. Le luthier effleura le pâle visage de Claire, tremblante, caressa tendrement sa joue et plongea son regard dans celui à la fois apeuré et ému de sa fiancée.
- — Je pense qu’elle n’a rien, je suis arrivé à temps. Mais le médecin nous confirmera ça dans quelques minutes. Où est-il ? Je le croyais avec vous.
- — Il est parti soigner le jeune homme empoisonné. Une femme est venue lui dire qu’il recommençait à suffoquer. Ça fait un peu plus d’un quart d’heure.
- — Hum… Je crois savoir où il est. Je vais aller le chercher.
- — Je vous accompagne ?
- — Non, Meyer, je connais le chemin et je préfère que vous veilliez sur eux. Vous devriez donner un cordial à cette jeune femme. Et une bonne tisane, je crois qu’elle en a besoin.
- — Tout de suite.
Pauvert allait sortir quand le luthier l’interpella :
- — Merci, inspecteur, merci de me l’avoir ramenée. Sans vous…
Mais ce dernier l’interrompit :
- — Pas de quoi ! C’était mon devoir. Je n’ai malheureusement pas pu arrêter son agresseur mais je vais tout faire pour l’appréhender dans les heures qui viennent. J’ai déjà son nom, un descriptif physique et son adresse ne devrait pas poser de problème. Je vais appeler immédiatement le commissariat de Clermont et la gendarmerie d’Ambert, afin qu’ils surveillent les environs. Si ce criminel se décidait à revenir…
- — Merci, monsieur, souffla Claire.
- — De rien, mademoiselle ! Je n’aurais jamais pu laisser un homme faire ce qu’il a tenté contre vous.
Et il sortit.
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Des larmes roulaient sur les joues de la jeune femme. Le soulagement mêlé de toute la peur qu’elle avait eue durant son agression s’intensifiait. Louis l’attira dans ses bras, la berçant avec toute la tendresse dont il était empli.
- — Je suis là et je t’aime.
- — Oh, Louis, comment a-t-il pu vous faire du mal ? Il aurait pu vous tuer, vous aussi !
- — Il a essayé. Mais n’oubliez pas que je suis protégé. C’est pour vous que j’ai tremblé, pas pour moi.
- — L’entaille est-elle profonde ?
- — Pas tellement. Quand il a tenté de me… enfin… Une force a semblé faire écran contre la sienne. Il n’a réussi qu’à me blesser superficiellement. Le médecin m’a posé quelques points de suture et si je ne bouge pas trop d’ici à demain, ça devrait guérir rapidement. Voyez, je n’aurai pas besoin de l’eau de Marie. Je ne suis pas en état de succomber cette nuit. Claire, vous a-t-il… ?
Les pleurs de la jeune fille redoublèrent.
- — Je sais qu’il a essayé. Il m’a droguée pour me prendre de force et il m’a jeté un sort ainsi qu’à mon pendentif. C’est ainsi qu’il a pu me toucher. J’ai essayé de me défendre mais hélas, je n’avais pas suffisamment d’énergie pour le repousser.
- — Savez-vous qui il est ?
- — Oui, c’est le fils du comte Desgrange.
- — Olivier ? Je me disais que sa figure me rappelait quelqu’un. Mais… comment a-t-il pu tomber aussi bas ?
- — Je n’en sais rien. La mère Rougier a dû être celle qui l’a initié à la sorcellerie. Et puis, il était amoureux de moi depuis quelques années. Lorsque j’avais treize ans, peu de mois avant la mort de ma mère, il avait tenté de m’embrasser dans le verger à la limite de nos terres. J’étais tellement surprise que je l’ai laissé faire jusqu’à ce que mon père, qui avait vu la scène de loin, le chasse. Mais il n’a jamais compté pour moi. J’en avais parlé à ma mère et elle en avait souri en me disant que ce n’était pas grave et que si je ne l’aimais pas, ce baiser n’avait aucune importance. Cela n’avait comme signification que le fait que je n’étais plus une enfant mais une jeune fille dont la sensualité s’éveillait, qu’elle en était très heureuse et fière et qu’elle espérait que je saurais reconnaître l’amour, le vrai, lorsqu’il se présenterait à moi. Papa était furieux, lui. Il m’a interdit de sortir de tout l’hiver. Il prenait même son fusil dès qu’un visiteur montait à la ferme, et il m’accompagnait à l’école tous les matins. Maman n’aimait pas du tout son attitude. Elle avait peur. Sans doute plus peur pour elle que pour moi. Mon père était devenu si étrange…
- — Et vous n’aviez jamais revu Desgrange après ce baiser ?
- — Si, bien sûr, mais jamais sans mon père ou ma mère. Il me regardait beaucoup. Je… J’étais troublée mais je ne comprenais pas trop pourquoi il se comportait ainsi avec moi. Puis il est parti faire des études à Clermont, et je ne l’ai plus revu après la mort de mon père.
Louis soupira.
- — Il a dû se persuader qu’il avait des droits sur vous.
- — Oui, c’est ce qu’il m’a dit. Et aussi qu’il pouvait vous tuer à cause de cela.
- — Il ne pourra pas faire une telle chose. Je me battrai s’il le faut avec lui et je suis persuadé que nos ancêtres ne le permettront pas. Regardez, déjà la magie blanche m’a protégé… Sinon, le comte m’aurait tué, or il n’a pas pu. Et je reste persuadé que si votre mère nous a destinés l’un à l’autre, jamais personne ne pourra nous séparer.
Claire se blottit contre le luthier.
- — J’aimerais tant le croire. Mais ce qu’il a tenté ce soir… Oh Louis, il voulait me faire un enfant qui le rendrait maître de moi, pour que la magie noire règne à jamais sur Saint-Amant.
- — Quoi !
- — Je vous jure que c’est ce qu’il a en tête.
- — L’avez-vous dit à l’inspecteur ?
- — Non. S’il l’apprend, il y aura une enquête et je ne pourrai plus vivre à la ferme ni vendre mes produits aux marchés. Et je serai perdue aux yeux de tous.
- — Pas aux miens. Claire, vous devez porter plainte et parler de tout ça. Sinon, Desgrange recommencera.
- — Pas si vous m’épousez. Une fois vôtre, Desgrange ne pourra rien contre moi.
- — Détrompez-vous ! Ce genre de fou ne sera pas impressionné par un mariage et il n’aura de cesse de vouloir votre mort et la mienne. Et s’il ne le peut, celle de nos enfants. Il faut l’arrêter avant qu’il puisse accomplir ces noirs projets. Et vous devez le dénoncer. Votre mère vous le dirait, j’en suis sûr.
La porte s’ouvrit à nouveau pour les interrompre et Gustave apparut, portant un plateau fumant.
- — J’ai mis deux tasses pour la tisane, et deux verres de cognac. Quelle histoire ! Les journaux vont se déchaîner demain… Il y avait déjà un gars de La Montagne qui voulait monter. Je l’ai chassé et j’ai fermé toutes les portes. Je guetterai le retour du docteur et de Pauvert au bar.
- — Merci, Gustave ! Je ne sais pas ce que nous aurions fait sans toi !
L’aubergiste sourit tout en déposant le plateau sur la table. Il sucra les infusions avant de déposer chaque tasse sur les chevets du lit. Puis s’adressant à son ami, il commenta :
- — On peut dire que tu as eu une excellente idée de réserver cette chambre ! À croire que tu avais senti ce danger ! Demain, si tu peux marcher, je vous ramènerai chez vous. Je ferme l’auberge jusqu’à dimanche de toute façon. Et ça me permettra de sortir un peu.
- — Tu crois que tu pourras ? Les journalistes reviendront t’envahir.
- — Pauvert les chassera avec ses hommes. Je lui ai déjà demandé une protection policière.
- — Tu penses à tout !
Meyer sourit :
- — Je n’aime pas qu’on s’en prenne à un ami d’enfance. Et je déteste qu’on s’en prenne à une femme. Pour quelque raison que ce soit. Mademoiselle, il faut porter plainte ! Je sais que c’est quelque chose de très difficile mais il ne faut pas que celui qui vous a agressée puisse s’en tirer.
Claire baissa la tête. Louis répondit :
- — Je le lui ai dit, mais elle a peur.
- — Il ne faut pas ! Cela ferait trop plaisir à cet homme ! Et Louis, moi et Pauvert, nous saurons vous défendre. Jamais votre honneur ne sera discuté.
- — Si ! Quoi que je décide, cela se saura vite et je ne pourrai plus vivre au village. Jamais.
- — Vous vous trompez ! Et si vous ne le dénoncez pas, il finira ce qu’il a commencé et il tuera Louis. C’est ça que vous voulez ?
- — Non… mais…
- — Je vous en prie, pour vous, pour Louis, vous devez porter plainte ! Les journaux parleront de votre agression de toute façon. Vous préférez qu’ils inventent les pires choses ou vous protéger en déposant une plainte pour viol ? En portant plainte avec Louis, la faute retombera sur votre agresseur. C’est cet affreux qui ne pourra plus retourner chez vous. Les gens n’aiment pas qu’on s’en prenne à une femme, ils se mobiliseront plutôt que de vous laisser assassiner tous deux.
- — Croyez-vous ? Alors pourquoi n’ont-ils rien fait quand ma mère est morte ? Pourquoi ont-ils laissé mon père se pendre de désespoir ? Personne n’a levé le petit doigt pour nous il y a six ans. Nous étions maudits. Il n’y a même pas eu d’enquête pour déterminer les causes de l’accident. Les Savinois trouveront une raison pour dire que j’ai cherché cette agression. J’en suis persuadée. Ils prétendront que je salis faussement l’honneur du comte Desgrange, de sa famille. Et ils me chasseront du village en prenant cette histoire comme prétexte. Et tout ce qui est arrivé par le passé à mes parents sera la preuve qu’ils présenteront pour affirmer que je leur porte malheur.
- — Non, Claire ! Je m’opposerai à cette infamie. Le moment est venu de non seulement nous battre contre les manigances qui pèsent sur Saint-Amant Roche Savine, mais aussi de révéler qui je suis. Je le ferai pour l’amour de vous et pour deux raisons : pour que le village comprenne combien ils ont été bernés par la magie noire, mais aussi pour que les Savinois comprennent quelles injustices ils ont laissées faire. Nous irons dans les jours qui viennent à la mairie demander la publication des bans pour notre mariage. Je suis prêt à combattre quiconque essaiera de nous condamner ou de vous rejeter. Je serai votre époux et je ne laisserai personne décider pour nous de notre avenir.
- — Mais cela vous perdra ! Vous rendez-vous compte que cela pourrait condamner votre activité de lutherie au village ? Signifierait pour vous un retour à Paris et, si l’affaire s’envenimait, vous ferait grand tort dans la capitale ?
- — C’est un risque que je prends, parce que je ne veux pas vous perdre. Jamais. Vous m’êtes plus chère que mon métier. Et ça ne changera pas de sitôt.
Claire éclata en sanglots, bouleversée. Le luthier l’attira dans ses bras et embrassa ses cheveux avant de lui dire doucement :
- — Ne pleurez pas ! Vos yeux sont trop beaux pour laisser croire à nos ennemis qu’ils auront la victoire. Nous gagnerons, mon amour, parce que le lien qui nous unit est plus fort que toute la magie noire du monde.
- — Louis a raison, mademoiselle. L’amour est plus fort que les maléfices. Si vous l’aimez autant qu’il vous aime, alors, même en portant plainte, vous ne craindrez personne. Louis n’est pas l’homme de vaines promesses, je peux vous l’assurer. Et je ne l’ai jamais vu aussi épris d’une femme. Je serais prêt à témoigner s’il le fallait. C’est vous dire la confiance que je lui porte.
- — Vous êtes gentil.
- — Non, je suis sûr de lui, et je sais qu’il fera ce qu’il dit. Sur ce, je redescends. Vous devriez boire ce que je vous ai apporté, ça vous fera du bien. Le choc a été rude et il faut réagir.
- — Merci monsieur.
- — De rien. Appelez-moi Gustave ! Si les choses tournent comme je l’espère pour vous, j’aimerais beaucoup être votre témoin de mariage. Et organiser votre repas de noces bien entendu. J’aime les histoires qui finissent bien. Mon ami a beaucoup de chance !
La jeune femme rougit. L’aubergiste sourit et pour accentuer le trouble de celle-ci, il s’exclama avec malice :
- — Louis, tu devrais lui faire un enfant sans tarder. Sinon, je serais tenté de te la voler.
- — N’y pense même pas ! Mais je ne suis pas contre ta proposition, à condition que tu nous réserves également ta plus belle chambre d’ici une quinzaine.
- — Tu sais que tu peux compter sur moi. Bonne nuit, les amoureux ! Je vais voir si je trouve le docteur et, si je ne remonte pas d’ici une demi-heure, reposez-vous. Vous en avez besoin.
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Dans l’escalier, Meyer sourit. Il voyait avec plaisir cette union prochaine. Il s’imaginait déjà en oncle gâteau faisant sauter sur ses genoux deux ou trois bambins tapageurs. Claire était une belle fille qui donnerait de beaux enfants à Louis. Dommage qu’il ne l’ait pas connue avant le luthier… Enfin, de toute façon, il ne voulait pas d’une femme pour le moment, il aimait trop les aventures. Mais un pincement au cœur l’avertit qu’il enviait le bonheur de son ami.
- — Gustave, je crois que ça veut dire qu’il serait temps que tu te ranges, murmura-t-il. Sinon, tu finiras comme un vieux croûton.
Dix minutes plus tard, il ouvrait la porte à l’inspecteur Pauvert et au docteur Ledoux.
- — Désolé d’avoir tardé mais j’ai dû envoyer le jeune Lemoine à l’hôpital de notre ville. Son cas est grave.
- — J’espère que notre inspecteur arrêtera l’homme qui a fait ça. Trois agressions dans la même nuit, ça commence à faire beaucoup. Le jeune homme a eu le temps de faire sa déposition ?
- — Oui, il était encore conscient. Mais j’ai peur qu’il ne passe pas la nuit. Et vos amis, comment vont-ils ?
- — Ils se remettent doucement. La jeune femme est encore sous le choc. Louis essaie de la rassurer.
- — Vous croyez que je pourrais l’examiner dans une chambre à part ?
- — Certainement. Je vais vous ouvrir la 4 qui jouxte leur chambre. Il y a de quoi vous laver les mains et des serviettes.
- — Merci Meyer. Inspecteur, je vous laisse quelques minutes près du luthier. Vous pourrez prendre sa déposition avant celle de la jeune fille.
- — Ça me va. J’espère apprendre que l’homme ne l’a pas touchée.
- — Je le souhaite aussi.
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Après un rapide examen de la jeune femme, le médecin sourit.
- — Tout va bien ! Votre agresseur n’a pas eu le temps d’obtenir de vous ce qu’il souhaitait.
Claire, crispée sur le rebord du lit, éclata en sanglots de soulagement.
- — Merci… J’avais si peur…
- — Je le comprends. Mais soyez rassurée. Votre fiancé pourra vous épouser sans crainte, et vous pourrez paraître à ses côtés en robe blanche. Mais avant, il faut que vous portiez plainte. Sinon, votre agresseur pourra recommencer. Vous ne voudriez pas que d’autres jeunes femmes soient violées ?
- — Non, bien sûr, mais… si je porte plainte, tout le monde le saura !
- — Je pense que si vous le demandez à l’inspecteur, il gardera le secret sur les raisons de votre plainte. Une agression peut prendre toutes sortes de formes. Mais votre agresseur ne doit pas pouvoir recommencer et risquer de vous tuer, vous ou votre fiancé. Vous devez protéger votre amour et vos vies. Si vous ne le faites pas, un jour ou l’autre, il recommencera et vous tuera.
Claire ne répondit rien. Elle sentait confusément que le médecin avait raison, mais se sentait incapable de faire la démarche.
- — Et s’il se vengeait malgré tout ?
- — Une fois votre plainte déposée, vous aurez droit, votre fiancé et vous, à une protection policière tant que l’homme qui vous a agressés ne sera pas arrêté. Et l’enquête pourra être menée comme il faut. Je sais que vous êtes épuisée et que vous n’avez qu’une envie, oublier tout cela mais vous n’avez guère le choix si justement vous voulez pouvoir poursuivre votre vie normalement.
Claire soupira en se rhabillant. Elle était épuisée, peinait à attacher les boutons de sa robe tachée.
- — Attendez, je vais vous aider.
- — Non, je dois y arriver.
Le médecin désigna la tache violacée sur la robe blanche :
- — C’est le sang de votre ami ?
- — Non, c’est un liquide que l’homme m’a fait boire de force. J’ai essayé de protester, mais il a réussi à me contraindre.
- — Il vous a droguée ?
- — Je crois, oui.
- — Alors inutile de remettre votre robe. Je vais essayer de savoir ce que vous avez absorbé. Vous avez vu de quelle drogue il s’agissait ?
- — Non. Il m’a dit qu’il y avait du sang, du vin, du miel et des pétales de roses mais il devait y avoir aussi autre chose, une potion sans doute. Je me suis sentie si mal ! J’ai cru que j’allais mourir.
- — Étiez-vous oppressée ?
- — Non, mais j’étais comme assommée, incapable de maîtriser mon corps et j’avais l’impression de tomber dans un puits. J’entendais sa voix comme dans un brouillard, et je n’arrivais pas à le repousser. C’était horrible !
- — Hum, je crois que je sais ce qu’il a mis dans cette boisson qu’il vous a donnée.
- — Il en a bu aussi, mais cela ne lui a pas fait la même chose qu’à moi.
- — Il a dû mettre la drogue après avoir bu lui-même. Je garde votre robe, je vous la rendrai propre dès que j’aurai pu prélever suffisamment de liquide. Je transmettrai mes conclusions à l’inspecteur Pauvert. Cela vous convient-il ?
- — Je… je ne sais pas…
- — Ne vous inquiétez pas, j’y ferai attention. À présent, venez que je vous ramène à votre fiancé. Il faut le rassurer.