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Temps de lecture estimé : 17 mn
16/10/08
Résumé:  Il faut me rendre à l'évidence : je suis loin, très loin d'être la bienvenue chez Darville Printing ! Me soupçonneraient-ils d'être une gaffeuse ?
Critères:  nonéro humour
Auteur : Anne Grossbahn            Envoi mini-message

Série : Mon patron, cet abruti

Chapitre 02 / 07
Mon patron, cet abruti (2 / 7)

- 2 -



Résumé du chapitre précédent.


Je ne suis apparemment pas la bienvenue chez Darville Printing, alors pourquoi diable m’a-t-on proposé ce contrat d’un an ? Suis-je une bête curieuse ? Un étron fumant ? J’ai droit à des regards effarés, agacés, courroucés… et comme si ça ne suffisait pas, j’ai eu des mots avec le patron !




Mardi 9 septembre (Deuxième partie).



À la pause de midi, Cheryl me propose de passer chez elle :



Axel m’adresse un sourire et un clin d’œil :



Nous sortons tous ensemble, à part François qui reste au bureau.



Dans la rue, nous traversons, abandonnant Axel qui s’engouffre dans un snack-bar tout proche. Cheryl m’entraîne dans un immeuble à appartements, et nous grimpons par l’escalier jusqu’au premier.



Chez elle, c’est petit, mais propre et bien rangé.



Elle file à la cuisine et ouvre le réfrigérateur.



En effet. Cheryl stocke les crudités avec l’enthousiasme d’une végétarienne.



Cheryl m’entraîne au salon et me plante devant un miroir haut et étroit, aux bords ondulés. Elle se tient derrière moi, les mains à ma taille, et regarde par-dessus mon épaule.



Ce n’est pas la première fois de ma vie que je regarde mon reflet dans une glace. Je précise même qu’au cours des dernières heures, je l’ai fait plus que de raison ! Mais qu’ai-je donc d’anormal ? Comparée à Cheryl, j’ai l’impression d’avoir dix kilos de trop, et que ma robe me boudine ! « Serait temps de suivre un petit régime basses calories, Marielle », me chuchote ma conscience.



Évidemment, il y a l’absence de mon soutif, mais ce n’est pas trop apparent, et puis cette particularité est toute récente, tandis que ça fait bientôt deux jours que j’ai l’impression d’être un phénomène de foire !



« Je remarque que t’es bien près ! » me dis-je en sentant ses cheveux caresser ma joue et ses mains serrer légèrement ma taille tandis qu’on se dévisage l’une l’autre par miroir interposé.



Elle pousse vraiment sa tête tout près de la mienne.



Elle commence sérieusement à me pomper l’oxygène, avec ses devinettes !



Comme elle ne semble pas pressée de me lâcher, je me dégage souplement et lui fais face.



J’hésite.



Je suis abasourdie.



Je suffoque. Les mots me manquent. Si j’avais encore le soutien-gorge de Pauline, sûr que les deux bretelles sauteraient en même temps !



Cheryl sourit et prend un air navré.



Ma collègue éclate de rire.



Elle me regarde d’un air coquin.



Cheryl me lance un nouveau regard coquin.



Je dois probablement piquer un fard ! Je m’élance à la suite de ma collègue.



Cheryl se tourne à nouveau vers moi.



Pendant que nous préparons nos assiettes de crudités, je lui raconte comment je me suis trompée de soutif ce matin, puis la rupture de la bretelle à la fin de mon entretien avec la D.R.H.



Nous rions de bon cœur en faisant honneur aux crudités. Je n’ai pas parlé de ma rencontre dans les w.-c., ni du sort réservé par la suite au pauvre sous-vêtement.



Cheryl secoue la tête. Elle pique une rondelle de tomate avec sa fourchette, et la regarde pensivement.



L’eurasienne me regarde et adopte un ton conspirateur :



Cheryl croque un morceau de concombre.



Il me semble soudain que le morceau de salade que je viens d’avaler était couvert de limaces.



-oOo-



Nous débarrassons la table et fourrons tout dans le lave-vaisselle. Je me sens un peu bizarre, tant la charge émotionnelle de cette demi-journée a été intense. J’ai l’impression que par moments Cheryl se paie ma tête, mais ce n’est sans doute qu’une impression. Par contre, et à l’évidence, elle se réjouit du bon tour qu’elle vient de jouer à son patron - et à sa femme - en me faisant engager, moi, une authentique blonde, même pour quelques mois seulement !



Pas besoin de me faire un dessin !



« Et toi ? Tu serais frustrée, pas vrai ? » imaginé-je aussitôt tout en me demandant pourquoi elle semble tenir tant que ça à contrarier son patron. Il me semble être l’instrument d’un complot, et je n’éprouve aucun plaisir à l’idée de me laisser manipuler. D’un autre côté, je m’avoue avoir trop besoin de ce boulot, et surtout du fric qui va avec, pour y renoncer pour si peu. Inutile donc de jouer les difficiles.



Nous sommes debout l’une en face de l’autre. Elle me sourit, et je me dis qu’elle est vachement belle et fichtrement sympa. S’il n’y avait cette étrange histoire de blondes, je pense que nous pourrions devenir amies. Je décide de tenter le coup.



Ma question semble la surprendre.



Elle secoue la tête, me prend les bras.



Elle me regarde avec tellement de chaleur, elle est si proche de moi et la pression de ses mains sur mes bras est si intense que je commence à me sentir toute bizarre. Je me demande pourquoi une belle femme comme elle semble vivre seule.



Elle se raidit instantanément et je la vois qui baisse les yeux. Je me rends compte que j’y suis allé immédiatement un peu fort en touchant un point sensible. Peut-être a-t-elle eu des peines de cœur… Je lui attrape les mains au moment où elle lâche mes bras.



Je m’abstiens de préciser que Poppy en a des tas, elle, de petits copains, et que parfois ça me fatigue de partager mon appartement avec une déjantée, fût-elle ma frangine. Cheryl me regarde.



Elle s’interrompt, embarrassée. Je sens que mon intervention l’a vraiment prise à rebrousse-poil. Je tente de la rassurer :



Elle hoche la tête et se jette dans mes bras. Je n’ai pas le cœur de la repousser, tant elle me semble soudain désemparée. Elle se serre contre moi et je sens sa joue contre la mienne, son corps mince épouser mes formes plus opulentes, et ses mains se poser dans mon dos. L’étreinte est brève, mais émouvante, puis Cheryl se ressaisit et s’écarte de moi.



La sensation bizarre est revenue. Je revois la scène devant le miroir, quand Cheryl est si proche, avec ses mains qui serrent ma taille avec tellement de chaleur… Je me dis alors que ma collègue est peut-être « pour les femmes », et cette idée me donne des picotements dans la nuque : « Je ne mange pas de ce pain-là, moi ! »


Nous quittons bientôt l’appartement et, en chemin vers le bureau, Cheryl me parle du boulot, mais je ne l’écoute que d’une oreille distraite. Cette pause de midi m’a appris pas mal de choses, et j’ai du mal à mettre de l’ordre dans mes pensées contradictoires. Que suis-je donc vraiment pour Cheryl ? Une blonde embauchée pour ennuyer son patron ? Une employée sélectionnée pour ses compétences professionnelles ? Une femme qui l’a fait craquer et qu’elle tente de séduire ?

Je me dis que je suis peut-être un peu de tout ça en même temps, et que la seule chose qui ne me tracasse pas vraiment sur le moment est le boulot pour lequel on va me payer : traduire des documents.



-oOo-



Le soir de cette éprouvante journée, je rentre à l’appartement avant Pauline, qui travaille assez tard dans une boutique de vêtements. Je n’ai pas le courage de préparer un vrai repas, alors je farfouille dans le congélateur et en sors une pizza. Pendant que le four est en préchauffage, je me déshabille en vitesse et me rafraîchis sous la douche, après quoi je m’examine dans le miroir de la salle de bains.



Je pense aussitôt à la pizza qui m’attend et me dis que c’est déjà mal barré pour ce soir. Je hausse les épaules et retourne vers le living en enfilant ma robe de chambre, consolée quand même par la disparition des marques du malheureux soutif.


Quand ma sœur rentre, je suis vautrée dans le salon de coin, pieds nus sur la table basse, à moitié endormie devant la télé qui diffuse une série américaine à la con.



Elle est déjà au coin cuisine.



Je l’entends qui enfourne l’assiette dans le micro-ondes.



J’ai renoncé sur le dernier tiers et, étrangement, ça ne m’a pas paru être un sacrifice insurmontable, mais j’ignore s’il s’agit d’un effet de la fatigue, du stress de la journée ou d’une réelle envie de me débarrasser de mes kilos excédentaires.

Pauline revient près de moi en mangeant. Elle me fascine et m’horripile tout à la fois, avec son énergie débordante, son physique de mannequin et son appétit d’oiseau.



Je soupire. Une vieille habitude.



Je me renfrogne.



Elle pose son assiette et vient près de moi, m’entourer les épaules d’un bras protecteur.



Elle a pris une voix douce, chaleureuse, dont toute moquerie a disparu. Je sais qu’elle s’inquiète pour moi, alors je lui raconte ma journée par le menu, sans omettre aucun détail.



Pauline me caresse le nez.



Cette fois, Pauline éclate de rire.



Je garde le silence. Les confidences de Poppy sont comme son inépuisable optimisme : elles valent parfois le détour.




-oOo-



Mercredi 10 septembre.



Un tintamarre infernal m’arrache à mon sommeil et je maugrée, en me retournant dans mon lit, à l’intention du malotru qui abuse de coups de klaxon en pleine nuit. Je m’aperçois alors brutalement qu’il fait déjà clair, qu’il est sept heures trente du matin, et que le malappris n’est autre que mon réveil électrique, dont l’alarme réglée à fond s’époumone à me rappeler qu’il est grand temps de m’activer.


Je rejette mes couvertures et, encore à moitié endormie, m’extirpe du lit, direction - pensé-je - w.c. et salle de bain, mais mon pied atterrit sur quelque chose qui se dérobe instantanément, m’envoyant sur les fesses dans le fracas des objets qui dégringolent de la table de nuit à laquelle j’ai essayé de m’accrocher par réflexe.


Je me redresse tant mal que bien en me demandant si, fêlé jusqu’alors, mon cul ne s’est pas définitivement brisé en deux ! Tandis que je masse en grimaçant la région endolorie, je lance une œillade incendiaire vers le bouquin à la noix que j’avais laissé choir près du lit en m’endormant enfin, probablement vers les deux heures du matin.

La porte de ma chambre s’ouvre, et Pauline apparaît, à moitié endormie elle aussi.



C’est incroyable. Je n’arrive pas à comprendre ce qu’elle essaie de me dire ! Suis-je si endormie encore, ou le choc sur mon éminence charnue a-t-il des répercussions sur mon acuité auditive ? À moins que ce ne soit tout simplement ma frangine qui articule mal quand elle parle…



Pauline se redresse et me regarde en se penchant devant mon visage.



Je me laisse entraîner vers la salle de bain et ce n’est que quand je me retrouve au milieu des carrelages de la douche que je me rends compte de la situation.



Mais il est déjà trop tard ! La flotte glacée me tombe dessus violemment, me faisant suffoquer. Je n’ai même pas eu le temps d’ôter ma chemise de nuit, ni d’aller faire mon petit pipi avant toute chose. Déjà, ma sœur s’esquive prestement.



J’enlève la chemise de nuit trempée qui me colle au corps et relance l’eau à une température plus confortable. Le traitement de choc a eu le mérite de me réveiller complètement, et lorsque j’arrive dans la cuisine un peu plus tard, Pauline me pousse sous le nez un café propre à réveiller un mort.




-oOo-



Je progresse - avec l’aide bienveillante de ma sœur, il est vrai - dans ma gestion du temps : il est huit heures cinquante à peine lorsque j’arrive au boulot. Axel et Cheryl ne sont pas encore arrivés, mais François est déjà si bien plongé dans ses paperasses que je me demande s’il n’a pas passé la nuit au bureau. Je n’ai pas bien observé, mais peut-être a-t-il planqué un lit de camp quelque part dans le fouillis du local documentation. Ce serait bien son genre !



Il louche vers moi, de ses yeux bleu pâle planqués derrière ses lunettes de myope.



L’expression me fait sourire : Cheryl jongle avec les idéogrammes et autres chinoiseries et japonaiseries. Lorsqu’elle arrive, je ne puis m’empêcher de penser aux événements de la veille, et aux conclusions de Pauline lorsque je lui ai parlé d’elle : « c’est une gouine, ou alors elle a un oignon à peler avec Darville et sa femme ». Je me dis aussi que ce pourrait être une combinaison de tout ça, et ça ne me rassure pas.


Lors de la pause de midi, Cheryl m’annonce qu’elle s’en va faire quelques emplettes en ville, et me propose de l’accompagner, mais je décline poliment l’invitation, déclarant avoir juste envie de sortir m’acheter un sandwich et de rentrer rapidement pour me remettre au boulot. Nous sortons ensemble et nous quittons à l’entrée du snack. Lorsque je regagne le hall d’entrée de l’immeuble, j’ai la surprise d’y rencontrer le boss en personne, qui s’efface pour me laisser entrer dans la cabine de l’ascenseur. Je cherche d’office un prétexte pour m’enfuir, mais n’en trouve aucun sur le moment, alors je mords sur ma chique et me retrouve avec lui dans cet espace étroit.

Pendant que monte la cage, nous gardons un silence gêné, mais arrivés dans le petit hall du deuxième étage, Hubert Darville s’inquiète soudain de ma petite personne.



Il semble aimable et souriant, et son regard pénétrant me remue quelque chose à l’intérieur, mais je ne me sens pas pour autant en veine de confidences.



« Bien plus que vous ! » ai-je envie d’asséner tant son air sympa me semble imprégné d’une professionnelle hypocrisie ; mais je ne crois pas que cette réplique serait opportune, alors, sans pitié pour mon soutien-gorge, je respire profondément et enfouis mon agressivité au fond de ma poche.



Il me sourit. Je vois qu’il hésite.



Le contenu de la seconde page de mon carnet d’injures défile à toute allure devant mes yeux ! Une fois de plus, j’accomplis l’effort surhumain de me dominer.



« Ben tiens ! » me dis-je.



Il me regarde, puis son visage s’éclaire, comme s’il lui venait une inspiration soudaine.



Je le vois qui plonge dans la poche de sa veste et en sort son portefeuille.

« Il va quand même pas me filer du pognon, ce con ! »



Je balance entre l’envie de le remercier et celle de l’envoyer paître avec ses copains et sa pétasse de femme ! D’un côté, je me dis que c’est mon patron et que j’ai besoin de fric, et de l’autre je ne puis m’empêcher de me méfier de lui. Son brusque changement d’attitude à mon égard me paraît louche, autant que son regard brillant et son souffle court lorsqu’il pose les yeux sur moi. Je pense soudain aux paroles de Cheryl, encore toutes fraîches dans ma mémoire : « Il va fantasmer à mort, cet abruti ! »



Je hoche la tête et grimace un sourire, avant de le remercier encore une fois pendant qu’il me déshabille du regard. Il ouvre la porte coupe-feu et s’efface pour me laisser passer. Je le sens dans mon dos occupé à me reluquer pendant que nous marchons dans le couloir, alors je ralentis pour qu’il me rattrape et marche à ma hauteur. Nous échangeons encore quelques mots et nous quittons devant la porte de mon bureau. Tandis qu’il me souhaite un bon après-midi, je crois voir briller encore dans ses yeux l’image de mes fesses moulées dans mon blue-jean, mais c’est peut-être seulement un effet de mon imagination…