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Temps de lecture estimé : 25 mn
18/10/08
Résumé:  Les blondes pulpeuses ne sont pas les bienvenues chez Darville Printing, mais mon abruti de patron fantasme néanmoins dessus !
Critères:  humour nonéro #domination #travail fh travail hsoumis champagne
Auteur : Anne Grossbahn            Envoi mini-message

Série : Mon patron, cet abruti

Chapitre 03 / 07
Mon patron, cet abruti (3 / 7)

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Résumé du chapitre précédent.


Chez Darville printing, les blondes ne sont pas les bienvenues. Ma collègue Cheryl Lang s’est néanmoins débrouillée pour me faire embaucher. Dans quel but ? Semer la zizanie ? Satisfaire à certains penchants personnels ? Mes trois premières journées de boulot m’ont déjà donné l’occasion de me couvrir de ridicule, et ça commence sérieusement à me préoccuper.




Jeudi 11 septembre.



C’est incroyable, les progrès accomplis en l’espace de quelques jours ! Ce matin, à titre exceptionnel sans doute, j’ai entendu mon réveil, et c’était heureux parce que Pauline n’était pas rentrée de sa virée de la veille. J’ai donc dû me préparer moi-même mon café et m’en satisfaire - j’ai jamais su faire correctement le café - avant de partir toute guillerette mais en râlant quand même un tout petit peu contre cette fichue habitude qu’a prise Poppy de faire la bringue avec ses copains plus souvent qu’il ne me le faut.


Cheryl est sympa, et Axel essaie un peu de me charrier, mais je sais qu’il est marié… Comme je n’aime pas avoir des emmerdes, même si mon comportement de ces derniers jours peut laisser croire le contraire, je choisis de garder mes distances. Sans ça, il est pas mal. Pour un homme, il a de l’humour, voire même de l’esprit ; et se montre toujours souriant et aimable avec moi. Je le sens prêt à rendre service, et il faudra que j’accepte d’aller prendre un pot avec lui un de ces jours, à la pause de midi. S’il était libre, je pense que… Mais il ne l’est pas, en tout cas beaucoup moins qu’il ne se l’imagine probablement, alors je préfère me tenir à carreau : je suis déjà dans le collimateur de la DRH, de la femme du boss et du boss lui-même, ce n’est pas le moment d’agrandir le cercle de mes ennemis.


François est toujours aussi maladroit, et il continue à me regarder bizarrement de temps à autre. Je suis sûre qu’il a trouvé les restes du soutien-gorge, mais j’ignore ce qu’il en a fait, et j’aimerais pourtant bien le savoir sans m’en trouver réduite à lui poser directement la question. En fin de journée, je trouve donc une raison d’aller à la docu, et je me lance à la recherche du fameux carton. Je veux en avoir le cœur net, même si c’est parfaitement idiot. Les allées étroites entourées de rayonnages surchargés donnent une sensation d’écrasement. Au fond, des caisses sont empilées, mais semblent trop poussiéreuses pour que parmi elles je trouve celle transportée mardi par François. S’il l’a vidée, il a trouvé le sous-vêtement. Dans le cas contraire, le carton devrait encore être là, quelque part.


Je le vois soudain, bien en évidence en haut d’un empilement. Je l’ai instantanément reconnu, grâce à la marque de couches pour bébé. Je l’attrape et le descends du tas sans difficultés, sa légèreté indiquant qu’il a été vidé. Cette pensée ne me fait pas sourire. Pourquoi ai-je donc eu l’idée stupide de fourrer le soutif dans ce carton ?


Je remonte la caisse vide en haut du tas, tout en me demandant ce que François a fait de l’objet du délit. L’a-t-il planqué ailleurs dans la pièce ? L’a-t-il repris chez lui ? Je me rappelle ses regards sur moi, ses yeux occupés à rouler comme des boules de loterie au moment du tirage, et me dis que ce célibataire vivant chez sa maman a peut-être fourré le soutien-gorge sous son oreiller et fantasme dessus le soir au coucher.


Je sursaute en entendant le bourdonnement de la gâche électrique et le bruit de la porte qui s’ouvre et se referme. Je n’ai même pas le temps de tenter de savoir qui vient d’entrer, car la lumière s’éteint immédiatement, et me voici plongée dans l’obscurité la plus totale !



Silence.



Toujours ce silence. Je me redresse et, à tâtons, tente de me diriger vers la sortie.



Ma voix manque totalement d’assurance.



Je reste immobile entre les rayonnages. J’ai conscience, une fois de plus, d’être parfaitement ridicule. Il ne s’agit pas d’une panne de courant, puisque l’éclairage de secours ne s’active pas. J’ai entendu la porte, de toute façon. Celui ou celle qui me fait cette blague idiote doit bien se marrer en sourdine. Je suis certaine que tous mes collègues seront mis au courant de ma réaction, et je devine déjà les rires sous cape et les œillades ironiques dont je serai la cible dans les prochains jours.


J’observe le silence le plus complet et tends l’oreille, essayant de capter le bruit d’une respiration… mais seuls me parviennent mon propre souffle et les battements désordonnés de mon cœur. Puisque nul ne répond, c’est que je suis à nouveau seule, ou que la personne qui est entrée n’est pas ressortie mais essaie de faire croire le contraire.

Je commence à me déplacer très lentement, le long des rayonnages, frémissant à l’idée que quelqu’un puisse être tapi quelque part à me guetter et attendre que je passe à sa portée pour m’assaillir ! Je m’accroupis et reste immobile, silencieuse et tenaillée par l’angoisse. Moins je ferai de bruit, plus je percevrai aisément le moindre mouvement.


De longues minutes s’écoulent, mais rien ne se produit. « T’es ridicule, Marielle », me dis-je. « C’est juste une blague ». Je pense pouvoir attribuer la plaisanterie à Axel le rigolo plutôt qu’à François le timide maladroit, mais sait-on jamais ?


Je me décide enfin à bouger, me redresse et, à une lenteur désespérante, progresse vers la porte. Lorsque j’estime être parvenue à proximité du battant, ma main cherche la poignée, tandis que l’autre part vers l’interrupteur et l’actionne. Au moment où la lumière revient, me faisant cligner des yeux, je sens sous mes doigts quelque chose accroché au bec-de-cane : c’est une enveloppe, suspendue par un morceau d’adhésif !


Intriguée, je la détache et la palpe. Elle semble contenir du papier et un petit objet. D’un coup d’ongle, je déchiquette le bord, puis découvre une clé plate et une feuille blanche pliée en quatre, sur laquelle figurent ces quelques mots, sans doute crachés par une imprimante à jet d’encre :


Avez-vous visité les combles ?


Les combles ? Pourquoi aurais-je dû visiter les combles ? Je contemple le papier, puis le glisse à nouveau dans l’enveloppe avec la clé, et fourre le tout dans la poche de mon jean. Qui donc veut se payer ma tête ? Je quitte le local documentation en me promettant de faire comme si de rien n’était, et de préparer un chien de ma chienne à l’intention du mauvais plaisant.


Lorsque je regagne le bureau, Cheryl est occupée à remballer ses affaires.



Ma montre indique que je devrais déjà avoir quitté les lieux.



Elle regarde mes mains.



Elle semble étonnée, mais en me parlant ensuite je vois qu’elle m’observe attentivement. Ai-je à nouveau quelque chose qui cloche ?



Je hoche la tête. Cheryl enfile son blouson et attrape son sac.



Elle me fait rapidement la bise et quitte le bureau, pendant que j’éteins mon PC et range mes affaires. Je récupère et endosse ma petite veste, mais un léger craquement dans la poche de mon jean me rappelle la présence du message. Je le sors de là et contemple à nouveau, intriguée, les quelques mots tracés par l’imprimante :


Avez-vous visité les combles ?


Quel besoin aurais-je d’aller faire un tour sous la toiture ? Devrais-je marquer un intérêt quelconque pour les archives ? Le verbe « visiter » attise ma curiosité. Il semble prometteur de découvertes. Pourquoi diable Axel voudrait-il que j’aille explorer le dernier étage ? Et le mot est-il bien d’Axel ? Pourquoi pas de François ? Ou de Cheryl ? Ou de quelqu’un d’autre encore ? Et cette clé ? Quelle serrure ouvre-t-elle ?


Des images de mon enfance ressurgissent soudain, lorsque mon île au trésor, ma caverne d’Ali Baba, était l’immense grenier de la maison de mes grands-parents. Nous nous y rendions, Poppy et moi, lorsqu’on nous y autorisait, et c’était à chaque fois un voyage de découvertes. Vêtements, livres, jouets anciens, bibelots… Nous pouvions tout explorer, à condition de tout remettre en place. Nous y vivions des contes de fées, y rêvions de beaux chevaliers, de princes et princesses, de voyages enchanteurs…


« Déconne pas, Marielle. Des voyages enchanteurs, on fait pas ça dans les archives d’une entreprise d’imprimerie », me chuchote ma petite voix intérieure. Je regarde ma montre : dix-sept heures vingt. Et si… Je hausse les épaules. Pourquoi ce soir ? Pourquoi pas demain ? Et pourquoi demain, justement ? Pourquoi pas ce soir ?


J’empoche à nouveau clé et papier, éteins les lumières et quitte le bureau. Mes pas résonnent dans le couloir désert. Il ne doit plus y avoir grand-monde dans la maison ! Je pousse la porte coupe-feu et, dans le petit hall, appelle l’ascenseur. Un léger carillon, un déclic : la cabine est là, et je m’y engouffre. L’index suspendu un instant dans l’air, je regarde mon reflet dans le miroir, comme pour quêter son approbation. Je devrais pousser sur le « zéro », mais presque malgré moi, c’est le « trois » qui s’allume et, avec un léger bourdonnement, la cabine s’élève de quelques mètres avant de s’immobiliser dans une secousse accompagnée d’un déclic déverrouillant la porte.


Je débouche dans un petit hall, où l’ascenseur est épaulé du traditionnel escalier qui permet aux moins paresseux de travailler des guibolles et aux claustrophobes de se donner une bonne raison de faire du sport. En face, je découvre la porte menant aux archives, flanquée de son lecteur de cartes magnétiques. Je tire mon badge de mon sac et l’huis se déverrouille dans un léger bourdonnement. Les combles ne sont pas complètement obscurs. Les étagères encombrées de dossiers se découpent en contre-jour d’une lumière ténue s’insinuant par de minuscules tabatières. L’étage mansardé, où flotte une odeur de poussière et de vieux papiers, ne semble receler aucun trésor. Que suis-je donc venue faire ici ? Que suis-je occupée à chercher, entre ces rayonnages, au milieu de ces caisses qui ne représentent rien pour moi ? Quelle est l’idée suivie par la personne qui m’a incitée à visiter ces lieux ?


Je m’avance entre des montagnes de papiers, sans but précis, imaginant que quelque chose attirera mon attention. Je pense que François pourrait être l’auteur de cette blague, que je pourrais retrouver le soutien-gorge suspendu quelque part avec la mention : « haha, je t’ai bien eue ! », et me sentir à nouveau ridicule. Se pourrait-il que quelqu’un se cache quelque part, chasseur à l’affût prêt à me bondir dessus pour m’arracher mes vêtements et me violer sauvagement ? Je hausse les épaules à l’intention de mon imagination débordante et me prépare à faire demi-tour, à aller tourner la poignée du battant qui s’est refermé derrière moi, lorsqu’une autre porte attire mon attention, au milieu d’un mur de séparation. Elle est flanquée du pictogramme réglementaire indiquant l’issue de secours. Le panneau est pourvu d’une serrure actionnée par une large barre « anti-panique », et je décide de quitter les lieux par ce chemin. Je pousse la porte, et parviens dans un autre petit hall où s’amorce l’escalier de secours permettant de redescendre, mais aussi, en face, une autre porte. Le grenier est vaste, et je sais ne pas me trouver à l’extrémité du bâtiment. Dans mon dos, la sortie de secours du local archives s’est refermée, et ne comporte ni poignée ni lecteur de badge.


J’hésite un instant, partagée entre l’envie de descendre et celle de pousser plus loin la curiosité, mais comme la porte d’en face n’est pas fermée à clé, le dilemme est vite tranché, et j’accède à une pièce chargée de meubles plutôt que d’armoires d’archives. Bureaux, sièges à roulettes, tables et chaises… forment un étonnant bric-à-brac. Au bout, une porte supplémentaire permet d’accéder à ce qui doit être la pièce formant l’extrémité du bâtiment. Je m’y dirige, manœuvre le bec-de-cane, mais en vain. « C’est schloss, bien sûr », m’entends-je marmonner. Et plutôt que de virer de bord et de m’occuper de mes affaires, je préfère, en bonne blonde qui navigue en n’écoutant que la voix de sa curiosité, sortir de ma poche la clé plate qui, bien entendu, s’adapte parfaitement à la serrure. Trois secondes plus tard, je suis dans la place.


Le local, mansardé, est pourvu d’une petite tabatière par laquelle s’infiltre la lumière chaude de cette fin de journée. Dans un contraste saisissant, tout est ici propre et bien rangé, et le mobilier, quoique sommaire, est disposé de manière à pouvoir s’y détendre tranquillement : divan trois places et fauteuils individuels pourvus de coussins, table basse, lampe sur pied avec rhéostat permettant de créer une lumière tamisée, quelques menues armoires, une étagère garnie de livres, et même un frigo-table ronronnant doucement dans un coin.


Abasourdie, je reste immobile, le cœur battant, à me demander à qui peut bien servir ce petit salon très cosy ! La petite voix intérieure qui devrait me répéter avec insistance que la curiosité est un bien vilain défaut et que je ferais mieux de m’esquiver sans tarder me murmure au contraire : « vas-y, ouvre le frigo, explore les armoires, feuillette les livres… » Je fais un pas à l’intérieur en empochant ma clé, et repousse la porte derrière moi.


Je regarde les livres, des œuvres de grands auteurs classiques, dans des éditions de luxe à couvertures de cuir. Une armoire-bar contient des verres et quelques bouteilles d’alcool, et je me prépare à ouvrir le réfrigérateur lorsqu’un bruit de pas se fait soudain entendre, depuis une autre partie du grenier. Le souffle court et le cœur battant la chamade, j’entends avec effroi les pas se rapprocher de la pièce dans laquelle je me trouve. Mon instinct me pousse à prendre instantanément la fuite, mais la seule issue est la porte par laquelle je suis entrée, et m’esquiver par là me mettrait probablement nez à nez avec le visiteur, ce à quoi je ne tiens nullement !


En vitesse, je plonge derrière le divan, et me retrouve à quatre pattes dans l’espace restreint délimité par le dossier du meuble, le mur de façade et la pente de la toiture, haute de moins d’un mètre cinquante à cet endroit. Presque aussitôt, j’entends la porte qui s’ouvre, et un pas lourd fait craquer le plancher du local. Des lumières s’allument, j’entends ouvrir et refermer des armoires, des verres s’entrechoquer, puis quelqu’un s’asseoir dans le divan de cuir. Le silence s’installe et je retiens mon souffle, mais il me semble que mon affolement cardiaque fait un boucan d’enfer !



Je retiens à grand-peine un cri de surprise : comment sait-il ? La voix se fait à nouveau entendre, bien plus ironique qu’agressive.



La voix d’Hubert Darville s’est faite douce, le ton badin. Je sais qu’il est parfaitement inutile de continuer à ignorer l’invite, alors, rouge comme un coquelicot, j’émerge de derrière le divan en m’époussetant les genoux.



Prudente, je m’assois plutôt dans un fauteuil, sur un fauteuil devrais-je dire, car je me tiens tout au bord, crispée, le sac à main sur les genoux.



Ma voix doit ressembler au chant d’amour des crapauds-buffles, alors je choisis de me taire.



Ce n’est pas vraiment une question. Plutôt une affirmation. La voix est chaude, sans agressivité, mais avec ce soupçon de fermeté qui laisse à entendre qu’il serait malpoli de ma part de refuser l’offre. Je hoche la tête, alors il sourit et remplit doucement deux flûtes.



Il sourit, et je prends le verre qu’il me tend.



« Il espère quand même pas que je vais lui chanter l’air des bijoux », me dis-je tout en portant la flûte à mes lèvres après l’avoir soulevée à son intention.



Il se renverse contre les coussins, après avoir bu une bonne gorgée.



J’essaie de reprendre le contrôle de moi-même, et tente la boutade :



Il boit un peu, puis me regarde fixement.



J’essaie de faire fonctionner à toute allure ma petite cervelle, mais c’est toujours dans ces moments-là que broute l’embrayage de mes neurones, et immanquablement mes pensées s’embrouillent. Ce hasard qu’il vient de me suggérer ne va pas tarder à avoir bon dos. Sans pitié pour mon soutien-gorge, je prends une bonne inspiration.



La question est posée presque distraitement, mais je ne la sens pas innocente.



Je le vois froncer brièvement les sourcils, mais il reprend bien vite un air détaché.



Il lève son verre, et je fais de même.



Il remplit les verres, pendant que je récupère la petite carte dans ma sacoche.



Il griffonne quelques mots au dos du carton, y appose sa signature, puis me le rend et je le fourre dans mon sac, et mon sac à côté de moi sur le fauteuil. Mon patron me regarde à nouveau en souriant par-dessus sa flûte de champagne. Je me sens tout étrange, face à son regard velouté, ses yeux rieurs soulignés de fines pattes d’oie. Hubert Darville est un homme extrêmement séduisant, et très sûr de lui. Sûr de son charme. Sûr de plaire. Mais moi, je n’ai pas envie qu’il me plaise. D’ailleurs, il ne me plaît pas.



Mais justement, ce type m’intimide. Il me contemple avec un regard que je ne lui connaissais pas. Je baisse les yeux.



J’essaie de me ressaisir, de faire le point, mais l’alcool commence à embrumer mon esprit. Non, il ne me fait pas peur, mais il m’intimide néanmoins. Pas parce que c’est un bel homme, qu’il est mon patron, et que nous buvons le champagne ensemble en bavardant. Non, ce qui m’inquiète, ce sont les circonstances, en tête desquelles la découverte de ce petit salon planqué dans le grenier du bâtiment occupé par Darville Printing, et dont seul le directeur semble détenir la clé. Est-il le seul à l’utiliser ? Le seul à connaître son existence ? Apparemment pas, puisque quelqu’un s’est débrouillé pour que j’entre en possession du précieux sésame.



Je lève les yeux. Il me regarde avec chaleur. Il semble sincère.



Je hoche la tête, essaie de sourire. Cette situation m’échappe. Et si c’était Hubert Darville lui-même qui m’avait procuré cette clé ? Si tout cela n’était que comédie destinée à s’offrir quelques instants en tête-à-tête en ma compagnie ? J’ai envie de m’enfuir, et je cherche un prétexte qui se refuse à venir. J’ignore si c’est parce que la situation me plaît, ou si c’est juste pour une autre raison : la curiosité, par exemple.



Il y va fort ! Je pense aux paroles de Cheryl, à ses commentaires à propos de ma blondeur et des obsessions de son patron. Est-il possible que je sois vraiment à son goût ? Que les avertissements de ma collègue à propos de sa rousse épouse soient fondés ? Lorsque celle-ci m’a croisée dans l’ascenseur ainsi que dans les toilettes, elle m’a regardée comme si elle désirait que je me transforme immédiatement en limace baveuse.



Je revois l’accrochage, en rue, et sa façon de me parler.



Il laisse sa phrase en suspens. Se penche vers moi.



En fait, je ne comprends rien du tout, sauf qu’il est en train de me baratiner.



Il pose son verre, se lève et vient vers moi, me prend des mains la flûte à moitié vide et la dépose sur la table. Ses doigts accrochent les miens, et nous nous retrouvons debout, l’un en face de l’autre.



Il sourit.



Il serre davantage mes mains.



J’ai un mouvement de recul. Un regard vers la porte, qui n’est pas complètement fermée, et par laquelle je pourrais m’enfuir rapidement au cas où…



Son visage semble soudain peiné.



La situation m’embarrasse. Je ne sais que dire, et justement Hubert reprend la parole, alors ça tombe bien.



Il se penche pour m’embrasser, mais j’hésite encore. J’ai peur de le contrarier. Cet homme séduisant a l’air si sincère que je n’arrive pas à y croire, et quelque chose en moi me dit que lui céder serait courir au-devant de gros, de très gros ennuis !


Ses lèvres rejoignent les miennes et je résiste faiblement, trop faiblement pour qu’il me lâche. Ses bras m’entourent, sa bouche dévore la mienne, sa langue s’insinue… Je me dégage enfin, le souffle coupé, et prends une bonne inspiration. C’est le moment que choisit mon soutien-gorge pour abandonner la lutte. Il y a un petit craquement, et je le sens qui se relâche soudain, alors je recule pour échapper aux bras de Darville.



Pan ! D’un seul coup, mon soutif achève de se laisser aller complètement, et, par réflexe, je porte les mains à ma poitrine, tout en baissant les yeux pour contempler les dégâts. Le phénomène est parfaitement visible.



J’ai dû m’empourprer, mais Darville n’en a cure. Ses yeux semblent sur le point de jaillir hors de leurs orbites, il tend les bras vers moi, bouche ouverte, langue pendante. Les paroles de Cheryl me reviennent en mémoire : « Darville va devenir dingue. Il va fantasmer à mort, cet abruti ! »



Je m’esquive une nouvelle fois.



À ma grande surprise, Darville tombe à genoux et tend les mains, comme pour une supplique. L’homme qui se trouvait en face de moi quelques minutes auparavant seulement est à présent méconnaissable. Quelle comédie joue-t-il ? L’ai-je vraiment troublé à ce point ?



Cette fois, je suis stupéfaite. L’adjectif « pitoyable » m’a échappé, et je m’attends à ce qu’il s’en offusque, mais pas du tout. Il semble même y prendre plaisir. Voir cet homme séduisant, de statut aisé, ce fier patron d’entreprise, se traîner devant moi sur les genoux me remplit d’un sentiment de cruel triomphe que je n’aurais jamais imaginé éprouver, et dont je ne peux m’empêcher de tirer profit.



Coup de folie, je lui lance le reste du contenu à la figure, mais sans brutalité, en visant la bouche. Le peu de liquide restant, une gorgée à peine, lui mouille le bas du visage. Je m’empare alors de la bouteille.



J’incline la bouteille, lui verse le mousseux dans la bouche, sur le visage. Le champagne coule sur son menton, jusque sur sa chemise, tandis qu’il est toujours à genoux.



Et j’en ai envie, alors je m’offre une rasade de champagne à même le goulot.



Il a l’air d’un petit chien quémandant son morceau de sucre. Je dépose la bouteille sur la table et j’enlève ma veste et la jette sur le fauteuil près de mon sac, puis je commence à déboutonner lentement mon chemisier. « Marielle, qu’est-ce que tu fous ? T’es dingue ? » me rappellent mes dernières parcelles de bon sens.



Il lève les mains, passe la langue, alors je lui verse encore un peu de champagne dans la bouche, puis en bois une rasade moi-même. La bouteille vide retourne sur la table et, lentement, j’achève de déboutonner mon chemisier. Je devrais faire le contraire, ramasser mes affaires en vitesse et me tailler, mais ce mec m’amuse. Le champagne que j’ai avalé m’obscurcit également un peu l’esprit.



L’ordre m’a échappé, tandis que je retiens les pans de mon chemisier. Il a fusé, presque malgré moi.



Il obéit, se débarrasse de sa chemise, puis de ses chaussures et de son pantalon. Il est à présent debout devant moi, en slip et en chaussettes, avec son sexe qui forme une bosse suggestive dans le sous-vêtement, et je me trouve confortée dans mon impression initiale : Hubert Darville est un sacrément bel homme. Et un sacré con.



J’y vais fort, mais il s’exécute !



Jusqu’où ira-t-il ? Quel degré d’humiliation acceptera-t-il de subir ? Et moi ? Jusqu’où irai-je ? Il s’avance vers moi, sur les mains et les genoux, alors que je me débarrasse de mon chemisier et de mon soutien-gorge. C’est fou, cette tendance que j’ai à démolir les soutifs ! Je me cambre devant lui, et j’ai l’impression qu’il est au bord de l’apoplexie. C’est la première fois que j’exerce un effet pareil sur un homme ! Mais est-ce bien un homme, ce dingue qui se traîne à mes pieds ?



Il s’est redressé sur les genoux, hagard, avec son sexe qui tend son slip.



Il baisse son slip, d’un seul coup, jusqu’aux genoux.



Il est bien fichu, mais complètement fêlé !



Doigt tendu, je lui indique le plancher, alors il se met de nouveau à quatre pattes. Je m’assois sur son dos, et nous faisons le tour de la table ainsi, lui à poil et bandant comme un âne en rut, avec son slip qui descend peu à peu le long de ses jambes pour se retrouver entre ses chevilles, et moi le chevauchant, en blue-jean et seins nus. Soudain, il se redresse, manquant de me faire choir, et brusquement je prends peur. Il pourrait se ruer sur moi, et… je le vois qui tend les mains, implorant, et tente de m’enlacer.



Il me prend dans ses bras, m’embrasse, sa main part en exploration, glisse dans mon dos, sur mon flanc, m’attrape un sein, puis s’aventure en direction de mon pantalon. C’en est trop !

Quasi prise de panique, je bondis, récupère mes vêtements et mon sac et me rue hors de la pièce. J’entends Hubert qui crie derrière moi :



J’entends sa voix plaintive. Il faut que je file avant qu’il reprenne ses esprits et se rhabille. J’ai fait une grosse connerie, et j’ignore comment tout ça va tourner. J’arrive sur le petit palier et dévale l’escalier de secours, atteins le second et plonge vers l’étage inférieur. Autant sortir par ce chemin.


Je parviens au rez-de-chaussée, courant comme une folle, et soudain je me rends compte que je suis toujours seins nus, chemise et veste à la main. J’enfile le chemisier et la veste par-dessus, puis je débouche dans le hall, sac à l’épaule, en refermant hâtivement mes boutons, mais le concierge a déjà verrouillé les portes et s’apprête à regagner ses quartiers.



Il se tourne vers moi, voit ma tenue vestimentaire, mon chemisier que je suis en train de boutonner, et ses yeux se rétrécissent, soupçonneux.



Il me barre le passage vers la porte. Je suis nouvelle dans la maison, et ce concierge - dont j’ignore d’ailleurs le nom - ne me connaît probablement pas. Sait-il même que j’ai été engagée ? Peut-être pense-t-il que je me suis introduite dans le bâtiment sans y être autorisée. Ne suis-je pas blonde, la race interdite chez Darville ?



Je me dérobe au moment où il essaie de m’attraper le poignet, fais demi-tour et m’engouffre à nouveau dans le couloir. Il y a une sortie de secours, à l’arrière de la bâtisse, et je parviens rapidement devant la porte. J’abaisse la barre anti-panique et pousse le battant métallique. Dans le jardinet, je rajuste ma tenue à la hâte, contourne la bâtisse et me retrouve dans la rue où je fonce à toutes pompes vers ma voiture, stationnée un peu plus loin ; et ce n’est qu’une fois lancée dans le flot de la circulation que je commence à reprendre mon souffle.



-oOo-




J’hésite.



Pauline désigne le papier, posé sur la table du salon, juste devant nous.



Pauline ricane.



Je passe la main dans mes cheveux. Tout ça ne me plaît pas.



Pauline me regarde en souriant, l’air égrillard.



Poppy est une incorrigible optimiste, mais moi pas. Les tensions dans ma poitrine n’annoncent rien de bon, et j’appréhende déjà ma prochaine journée de travail chez Darville Printing. Demain, c’est promis, je mets un soutif modèle costaud !