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Temps de lecture estimé : 20 mn
28/10/08
Résumé:  Nous voilà coincées, Cheryl et moi, par deux malfaisants qui n'ont pas l'air d'être venus pour rigoler. Je vais devoir me servir de ma cervelle. C'est pas gagné d'avance !
Critères:  vidéox nonéro policier -policier
Auteur : Anne Grossbahn            Envoi mini-message

Série : Mon patron, cet abruti

Chapitre 05 / 07
Mon patron, cet abruti (5 / 7)

- 5 -



Résumé du chapitre précédent :


Les affaires se compliquent. Cheryl n’est pas venue au bureau, et m’appelle à son secours. Elle est poursuivie par Hubert Darville et par Devreux, le concierge, pour une obscure affaire d’espionnage russe à laquelle je ne comprends pour ainsi dire rien. La seule chose évidente est qu’on est dans une belle panade, et davantage encore quand les deux cinglés nous tombent sur le râble au moment où on s’y attend le moins !




Vendredi 12 septembre (deuxième partie).



Pendant que Devreux nous menace de son flingue, Darville se secoue et s’approche, tendant la main vers ma collègue.



Le filet de sang à moitié séché qui lui macule le front et lui injecte les yeux lui donne un aspect vaguement effrayant, genre Christopher Lee avant un rendez-vous chez le dentiste, et en plus il regarde Cheryl d’un air franchement mauvais. Je présume qu’il n’aime pas les coups de chat de bronze sur le crâne, mais il ne doit probablement pas y avoir que ça qui le mette en rogne.



La main de Darville fuse à grande vitesse, et Cheryl se prend une gifle magistrale, qui l’envoie valdinguer vers le salon. Elle s’effondre dans un fauteuil, tandis que je hurle un bon coup.



Il me regarde, avec un air aussi salace que mauvais, et le petit sourire revient sur le bas de son visage, mais uniquement là. Pas question de lui voir des pattes d’oie à la Drucker.



Il s’avance vers Cheryl, qui a les larmes aux yeux et renifle bruyamment.



Cheryl ne répond pas, alors Darville l’empoigne par les cheveux, façon catcheur de foire, et l’oblige à se lever.



Son autre main part en exploration, tandis que Cheryl gémit sous la pogne qui lui tord la chevelure.



Ils se tournent tous les deux vers moi, mais il ne lâche pas ma collègue.



Mais son cri se mue en un tel gémissement de douleur que je comprends soudain qu’elle a vraiment mal.



Je suis soufflée par mon audace, bien que j’aie le trouillomètre à moins un, mais je vois que mes paroles commencent à faire de l’effet.



Il me regarde.



J’obéis d’autant plus facilement que mes jambes flageolantes menacent de se dérober en dessous de moi.



J’ai balancé ça comme ça, parce que c’est un truc que j’ai vu dans un roman, et j’espère de tout cœur qu’il n’a pas lu le bouquin.



Ils se mettent à rire tous les deux.



Il regarde Cheryl.



Ma collègue garde le silence.



Comme je tiens à mes cheveux et au bon état de mes joues, je m’exécute vite fait, imitée par ma collègue. Quelques pièces de monnaie et deux mouchoirs de poche atterrissent sur la table, pendant que Devreux nous menace de son flingue. Darville se penche alors sur nous et tâte nos vêtements.



Cheryl n’a pas le temps d’achever sa phrase, car une seconde mornifle s’abat sur son visage.



Pauvre Cheryl ! Je n’ai même pas eu le temps de la prévenir. Hubert Darville fouille soigneusement ma collègue, dont je vois les joues rougies et les yeux larmoyants. Il se tourne ensuite vers moi, et je sens ses pattes se promener sur mes cuisses, mon ventre, mes seins.



Je serre les dents, subissant le honteux pelotage. Je pourrais ronchonner, mais je me dis instantanément qu’il vaut mieux supporter ça sans se prendre des baffes en supplément.



Darville ricane.



Les yeux de Darville se rétrécissent.



Elle regarde le concierge, qui regarde le patron.



Darville retourne mon sac à main et celui de Cheryl, étalant tout sur la table du salon. Il fouille les armoires, vide les tiroirs, inspecte les penderies… Partout dans l’appartement, on entend des objets qui dégringolent. Ils vont peut-être bien finir par attirer du monde, ces enfoirés, ce qui nous arrangerait vachement !

Cheryl et moi évitons toutefois de nous regarder, et de tourner trop ostensiblement les yeux vers la porte ouverte de la chambre de Pauline. Hubert Darville soulève les oreillers et le matelas et jette en tous sens draps et couvertures, mais à aucun moment il ne pense à examiner la sortie de bain, posée négligemment au pied du lit.



-oOo-



Apparemment, Devreux s’est procuré une grosse camionnette, et on nous fait monter à l’arrière, où nous sommes obligées de nous asseoir à même le plancher. Après avoir fermé les portes, les deux hommes nous attachent les poignets, à l’aide de cordes, aux lattes d’arrimage qui courent le long des parois tôlées du véhicule. Nous voyons le concierge s’installer au volant, tandis que Darville s’esquive par la porte latérale coulissante. Quelques instants plus tard, nous roulons à vive allure et chaque cahot, chaque tournant, soumet nos poignets à la torture pendant que nous essayons d’équilibrer notre station assise en posant fermement, jambes écartées, les pieds sur le plancher.



C’est vrai qu’on ne voit pas où on va. La seule chose qu’on distingue, c’est quelques lambeaux de ciel plombé, au travers du pare-brise, et la nuque et l’arrière de la tête de Devreux, qui émergent du siège conducteur. Il me semble qu’on quitte l’agglomération, mais je n’en suis pas certaine.


Quelques minutes plus tard, les cahots nous apprennent qu’on emprunte une route de moins bonne qualité. Devreux n’a apparemment pas l’intention de nous ménager en ralentissant l’allure de son tape-cul ! Il donne soudain un bon coup de freins, le véhicule vire à gauche et est alors secoué en tous sens, soumettant à rude épreuve nos fesses et poignets, avant de s’immobiliser brutalement.


Nous voyons le concierge quitter son siège et entendons claquer la portière, mais la porte latérale coulissante s’ouvre aussitôt, et Hubert Darville grimpe à bord.



Nous serrons les dents, trop hébétées pour répondre. Devreux vient rejoindre son acolyte, on nous détache et on nous pousse dehors. Nous sommes sur une sorte de terrain vague, où pourrissent quelques carcasses de voitures, entre lesquelles on nous pousse sans ménagement jusqu’à un bâtiment construit en blocs de béton, et surmonté d’un toit de tôle. Un type que je ne connais pas, brun et mince, portant une fine moustache et vêtu d’une salopette de mécanicien, nous attend devant une porte de garage dont un des battants est ouvert.


À l’intérieur de la bâtisse règnent des odeurs d’hydrocarbures et de vieux pneus, dans une ambiance crasseuse à faire fuir une meute de clochards. Quelques voitures traînent çà et là, attendant sans doute depuis longtemps une réparation qui tarde à venir pour cause de mécano en crise de flemme chronique. Des établis sont encombrés de pièces graisseuses et tachées de rouille, d’outils divers et de tout un conglomérat d’objets disparates. Au fond, une porte mène à une pièce qui ressemble vaguement à un bureau, et juste à côté un escalier de béton s’amorce qui s’enfonce dans le sol, sans doute pour conduire au niveau inférieur de la misère désorganisée.


Une volée de marches, puis un quart tournant et une seconde série de degrés, et l’inconnu ouvre une porte de fer à l’aide d’une clé choisie dans un trousseau. Nous voici dans les caves de ce garage pourri, composées apparemment de plusieurs pièces longées par un couloir bétonné éclairé par des ampoules vissées dans des supports grillagés. Nous dépassons plusieurs portes, et en atteignons une dernière qu’une autre clé, manœuvrée par celui qui semble veiller sur les lieux, ouvre à son tour.


Nous sommes poussées dans une pièce, au sol bétonné lui aussi, éclairée par une unique ampoule, et munie d’un minuscule soupirail. Pour tout mobilier, une table visiblement bancale, une chaise qui ne l’est pas moins et un vieux divan crasseux à demi éventré. Je scrute les coins, m’attendant à y trouver un vieillard squelettique enchaîné au mur par les poignets et les chevilles, mais hormis sans doute l’un ou l’autre rat de passage et pressé de s’enfuir, la suite royale semble inhabitée.



Darville me regarde. Ma question semble l’émouvoir.



Voyant le visage fermé de Cheryl, je fais l’effort de fermer également mon clapet.



Je retiens ma respiration, mais pas assez longtemps pour qu’il m’arrive quelque chose, et finis par tenter une explication.



Pour la troisième fois en peu de temps, Hubert Darville gifle ma collègue, la prenant une fois de plus par surprise. Le coup claque et résonne dans cette cave vide et sinistre, et Cheryl recule de plusieurs mètres, tout près du divan. Je commence à me poser des questions : serait-il possible que je bénéficie d’un régime de faveur ? Darville me regarde, secouant la tête d’un air navré.



Il s’approche de moi, et désigne Cheryl du menton.



Je garde le silence, parce que je commence à me méfier sérieusement de ses réactions et de sa tendance à distribuer généreusement les beignes.



Mes yeux voyagent de Darville à Cheryl. C’est à peine si je vois les deux autres gaillards, qui se tiennent en arrière en se contentant d’observer et écouter. Le visage de l’eurasienne est à présent marqué par les coups. Une petite tache sombre près de sa pommette droite témoigne d’une des torgnoles précédentes ; et sa joue gauche est rouge et légèrement gonflée. Je devine la peur dans ses yeux sombres légèrement bridés, mais je ne puis dire s’il s’agit de la peur physique que doivent lui inspirer nos ravisseurs, ou de la crainte d’entendre Darville me faire certaines révélations.



Je me rappelle la réticence de Cheryl à me mettre dans la confidence, soi-disant pour me préserver d’un grand danger, et je sens qu’elle ne m’a pas tout avoué, et que ce qui pourrait être dit entre ces murs sombres ne lui convient certainement pas.



Avec effroi, je m’attends à ce que Darville se jette sur elle avec une paire de tartes en cadeau, mais il se contente de ricaner.



Il se tourne vers moi, mais, tout en me parlant, il jette de rapides regards en direction de Cheryl.



Du cinéma ! Comme s’il n’en faisait pas déjà depuis tout un temps !



Darville sourit, n’ayant visiblement plus envie de cogner. Aurait-il mal aux mains ? Derrière lui, ses deux acolytes se bidonnent en sourdine.



Je vois Cheryl qui s’effondre sur le divan, le visage entre les mains, tandis que Darville et ses complices me saisissent si bien les bras que tout le reste est obligé de suivre, et m’entraînent hors de la pièce dont ils referment la porte à clé. Nous longeons le couloir dans l’autre sens, et l’homme à la salopette ouvre la première porte, située à proximité de l’escalier. Je suis surprise de trouver là un petit bureau, presque d’une propreté clinique comparé à ce que j’ai pu voir jusqu’alors en ces lieux, entièrement meublé et équipé de matériel informatique.

Hubert Darville pianote sur le clavier de l’ordinateur, probablement pour se connecter via internet à une autre machine. Devreux me fait asseoir sur une chaise, à côté de mon patron.



Il lance une courte séquence vidéo, extraite probablement d’un film X de mauvaise qualité, et où je peux voir, en gros plan, une femme occupée à offrir une fellation à un mâle bien membré. La nature des images me surprend bien plus que le visage de l’actrice, qui n’est autre que Cheryl ! Je m’attendais à la voir, mais pas dans ce genre de cinéma ! Quelques secondes plus tard, le visage de l’eurasienne se retrouve maculé de sperme, ainsi que sa poitrine sur laquelle l’homme achève de déverser le produit de sa jouissance.


La séquence s’arrête là, et Hubert se tourne vers moi d’un air satisfait.



Je suis encore trop abasourdie pour répondre. Quelque chose me turlupine, et j’essaie de réfléchir, mais je n’arrive pas à me concentrer suffisamment pour mettre un semblant d’ordre dans mes pensées.



Il se penche vers moi, et me confie, à voix basse :



Je secoue la tête.



Darville et les deux autres éclatent de rire.



Ils continuent à se tire-bouchonner pendant une bonne minute, me laissant à m’interroger sur l’absurdité totale de la situation, puis Hubert Darville finit par reprendre son sérieux.



Je le regarde, surprise.



Je le regarde, prenant mon air le plus innocent.



Il soupire et secoue négativement la tête.



Il lève la main, mais lentement, pour bien montrer qu’il ne va pas me frapper, et me caresse les cheveux, puis la joue.



Il quitte sa chaise et se dresse devant moi en affichant une mine contrite.



Il s’arrête un instant de parler, comme attendant une réponse ou un commentaire de ma part, mais je fais l’effort de me taire, persuadée d’être rouée de coups avant d’avoir terminé de lui balancer ne fusse qu’une demi-page de mon carnet d’injures.



Il regarde sa montre.




-oOo-



Le moustachu en salopette me donne une grande bouteille d’eau plate et un seau, et je me retrouve bien vite dans la pièce du fond, en compagnie de Cheryl.



Nous restons immobiles, ma collègue et moi, à deux mètres l’une de l’autre et sans dire un mot, sous la maigre lueur jaunâtre de l’unique ampoule électrique. Je finis par poser la bouteille sur la table et le seau dans un coin, puis je m’approche d’elle. Elle se détourne.



Elle ne bouge pas. Je viens près d’elle, mets la main sur son épaule. Elle frémit. Je pivote alors pour me retrouver en face d’elle, mais elle garde les yeux baissés.



Elle lève la tête, me regarde tristement. Je pose un doigt sur mes lèvres.



Elle secoue la tête en signe d’ignorance.



Elle me regarde, l’air malheureux. Les coups reçus ont marqué son visage, elle semble désemparée, prête à fondre en larmes.



Elle suspend ses paroles.



Nous nous asseyons l’une près de l’autre, au bord de l’infâme divan miteux. Nous parlons à voix basse, volontairement, pour être sûres de n’être pas entendues.



Cheryl baisse la tête, mais garde le silence.



Ma voix n’est plus qu’un murmure, tout près de sa joue. Cheryl sursaute et semble sincèrement étonnée.



Pourquoi pose-t-elle cette question ? Se douterait-elle que j’ai vu son patron complètement à poil ?



Cheryl ne répond pas. Et soudain, un voile se déchire dans mon esprit englué. Si Cheryl a été filmée là-bas, alors… peut-être que moi aussi ! Sûrement, même !



Cheryl hoche la tête. Elle ressemble à un chien triste. Elle sait tout ! Voilà pourquoi elle était prête à penser que je reconnaissais Darville rien qu’à ses attributs virils !



Cheryl baisse une nouvelle fois la tête ; et brusquement, je comprends. Je comprends que sur les clés USB, il n’y a pas le film de Cheryl Lang taillant une pipe à un type, mais celui de Marielle Saintjean buvant le champagne avec le même type, puis se foutant les nichons à l’air devant lui !



Mais je ne l’écoute plus. Une bouffée de rage me monte à la gorge.



J’ai parlé à voix haute, tant j’ai senti la colère m’envahir, mais la vue de Cheryl qui sanglote, effondrée sur le divan miteux, la tête enfouie dans les mains, fait se briser quelque chose en moi, et je ravale le flot d’injures qui se préparait à jaillir spontanément. Ce qu’elle a fait est dégueulasse, mais je ne peux soudain m’empêcher de me mettre à sa place… Elle souffre depuis des mois, et tente probablement de se venger. Être l’instrument d’une vengeance me révolte, mais d’un autre côté le désarroi de ma collègue m’émeut.



Elle reste silencieuse, je l’entends qui renifle.



Ma collègue essaie de parler, mais sa voix est noyée de sanglots. Une idée m’est venue, il faut que je sache.



L’eurasienne lève enfin les yeux vers moi.



Elle désigne le soupirail, bête petite ouverture grillagée, tout en hauteur, par laquelle un chat ne passerait même pas.



Cheryl me regarde.



Cheryl soupire.



Cheryl reste silencieuse quelques secondes, puis me regarde soudain avec intensité.