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n° 12979Fiche technique42023 caractères42023
Temps de lecture estimé : 24 mn
01/11/08
Résumé:  Les salauds qui nous ont enlevées nous laissent croupir dans une cave infâme, et nous ne voyons pas de moyen de nous en sortir pour récupérer ces foutues clés USB !
Critères:  photofilm nonéro policier -policier
Auteur : Anne Grossbahn            Envoi mini-message

Série : Mon patron, cet abruti

Chapitre 06 / 07
Mon patron, cet abruti (6 / 7)

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Résumé du chapitre précédent:


Ils se sont bien foutus de ma poire ! Cheryl avec son histoire d’espionnage, et Darville avec son salon particulier ! L’espionnage russe n’est qu’une histoire de cul qui serait relativement banale si Cheryl d’abord et moi ensuite n’avions fait les frais des obsessions de notre abruti de patron ! Nous voilà tous à la recherche de deux clés USB porteuses d’images compromettantes. Enfin, tous… Pas ma collègue et moi, qui pour ce faire devrions préalablement nous échapper de l’horrible cave dans laquelle nous avons été enfermées !





Vendredi 12 septembre (troisième partie).



Plusieurs heures s’écoulent, longues, monotones. Il fait froid dans la cave, et nous n’avons pas de veste. Nous nous sommes assises sur le divan miteux, et nous serrons l’une contre l’autre dans l’attente d’on ne sait quoi. Nous échafaudons des plans d’évasion foireux, qui reviennent toujours à essayer de fausser compagnie à notre geôlier au moment où il nous apportera à manger ou à boire, mais nous sommes loin d’être sûres qu’il ait l’intention de le faire…


La nuit est tombée depuis longtemps lorsque nous entendons enfin des bruits de pas, mais également de voix, et la clé tourner dans la serrure. Toute idée de révolte et d’évasion doit être repoussée à plus tard, car nos trois ravisseurs sont là, réunis à l’entrée de la pièce, aussi impressionnants que les bandits armés jusqu’aux dents qu’on voit dans les spaghetti westerns !



Nous ne répondons rien, trop hébétées pour songer à protester. Devreux et l’homme en salopette viennent nous chercher, et nous poussent dans le couloir. Une autre porte est ouverte, et nous accédons à une pièce plus vaste, abondamment éclairée, et où règne une température plus agréable. Mais le plus surprenant est l’aménagement du local : murs bien peints, fenêtres et tentures en trompe-l’œil, et tout un ameublement comprenant table, chaises, fauteuils et un grand lit.



Je suis en train de me dire que mon patron adore les jolis meubles et de me demander également à quoi peut bien lui servir cet appartement en sous-sol, lorsque je remarque certains curieux objets, installés sur des trépieds, et rangés dans un coin. Je sens mes tripes se nouer, et le regard que me lance Cheryl m’indique qu’elle a deviné également à quoi cet aménagement est destiné.


On nous fait asseoir dans un divan, propre celui-là, et Darville s’installe en face de nous, à cheval sur une chaise, les bras croisés en haut du dossier.



Il marque une pause, et nous dévisage l’une après l’autre, avant de reprendre ses péroraisons.



Cheryl se contente de hausser les épaules. Elle a sans doute enfin compris que parole rime avec torgnole, et qu’interrompre Hubert Darville est une entreprise à risques.



Visiblement, Cheryl a décidé de ne plus émettre le moindre commentaire ! Comme rien ne m’a été demandé, je décide également de tenir ma langue. Pendant ce temps, je vois l’homme en salopette qui déplace les trépieds, sur lesquels trônent des caméras vidéo, et mes tripes commences à jouer au yo-yo.



Darville tourne vers moi un visage qu’il tente de faire paraître peiné.



Mes yeux s’agrandissent. Où a-t-il été pêcher que j’avais des talents de comédienne ? J’avale ma salive et tente la bravade.



Pour un peu, il se prendrait à chialer !



Je sais que ce n’est pas très malin de lui dire ça, mais ça m’a échappé. Il continue à secouer la tête et, comme s’il se parlait à lui-même :



Il se ressaisit et me fixe.



Il se tourne ensuite vers les autres :



J’ai jeté ça comme ça, d’une voix tremblante, car je suis morte de trouille, mais le sarcasme fait son petit effet : je vois le visage de Darville changer de couleur, alors, avec témérité, je poursuis :



Il se soulève de sa chaise, et je le sens prêt à en venir aux manières brutales, mais il se contient.



Ma téméraire provocation le fait se lever d’un bond, mais au lieu de se jeter sur moi, il s’avance sur Cheryl, qui se protège le visage de ses bras.

Il s’immobilise devant nous, nous toisant de sa hauteur.



Il attrape soudain Cheryl par les cheveux et l’oblige à se lever.



Je vois le visage de Cheryl se tordre sous la douleur. Elle serre les dents, mais ne pousse pas un cri.



Je le fixe, mes yeux doivent lancer des éclairs, mais je tremble comme une feuille, et j’essaie d’empêcher mes dents de claquer et mes genoux de jouer des castagnettes.



Je regarde à nouveau Darville, qui a lâché Cheryl.



Tout en prononçant ces mots, je me dis que je suis complètement folle, mais je vois le visage de Darville, tout proche de moi, alors que ses deux complices se tiennent en arrière. Eux ne voient pas ses traits, ses yeux quand il me regarde, mais moi je me rends bien compte de l’effet que mon regard, mes gestes et mes paroles produisent sur lui : moi, Marielle Saintjean, je fascine littéralement mon abruti de patron ! Alors ma voix s’affermit, et je joue mon va-tout.



Plus je vois changer l’expression de son visage, plus je m’enhardis. Tous se taisent, tous m’écoutent, subjugués. Je change d’expression. Ma voix s’adoucit. J’essaie de me faire aguicheuse, même si c’est à mon avis assez peu convaincant.



Je croise les mains, saisis mon sweat-shirt par le bas comme si je m’apprêtais à le faire passer par-dessus ma tête. Je vois les yeux de mon patron qui papillotent, la sueur qui perle sur son front, et les deux autres qui restent en arrière, les bras ballants. Je suspends mon geste.



Je regarde Darville.



Darville semble se secouer. Il jette un bref regard vers ses complices, leur fait un signe de tête, puis se tourne à nouveau vers moi, mais il ne prononce pas un mot. Je vois les deux autres qui s’agitent, s’installent aux caméras.



Je croise les bras et, pour de bon cette fois, enlève mon sweat-shirt et le lance à travers la pièce. Devant ses yeux exorbités, je me déhanche et, passant les mains sous mes seins, les soulève légèrement. Ils semblent prêts à jaillir hors du soutien-gorge. Je fais un pas vers Darville.



Je le vois qui ouvre la bouche, la referme, ne sachant que dire.



Il ne bouge pas, alors je passe les mains sous sa veste, la repousse pour qu’elle glisse le long de ses bras, et je la vois qui tombe sur le sol recouvert de linoléum. Je m’attaque ensuite aux boutons de sa chemise, que je commence à défaire un par un, tirant ensuite le vêtement hors de son pantalon. Mes mains caressent son torse, puis je me serre contre lui.



Je sens qu’il m’entoure de ses bras, tandis que du coin de l’œil je vois les deux autres occupés à filmer, l’un accroupi, caméscope à la main, et le deuxième debout derrière un trépied. Je ne vois pas Cheryl, par contre, car elle se trouve hors de mon champ de vision. « Marielle, nom de Dieu, qu’est-ce que tu fabriques ? » suis-je en train de me demander. « Qu’est-ce que tu vas faire, maintenant, crème d’andouille ? Te laisser peloter et fourrer par tous les trous en attendant qu’un miracle se produise ? T’es complètement fêlée, ma vieille ! »



« N’importe quoi pour gagner du temps, Marielle ! Vraiment n’importe quoi ! Et après ? » Je passe les mains lentement derrière mon dos, tandis que Darville abandonne sa chemise et commence à déboutonner son pantalon. Mes doigts tâtonnent à la recherche de l’agrafe de mon soutien-gorge, et je suis prête à la défaire, faute d’une idée plus brillante, lorsque brutalement, la lumière s’éteint.


Aussitôt, c’est la foire ! J’entends les hommes qui grognent et jurent, surpris. Je n’hésite qu’une seconde avant de foncer droit devant moi les mains tendues, bousculant Darville qui gueule un bon coup et, au bruit et à la localisation de sa voix, j’imagine qu’il est tombé en arrière, les pieds pris dans son pantalon déboutonné.



Le vacarme est incroyable : j’entends des cris, des bousculades, des objets qui tombent, tandis que, dans le noir, je fonce en direction de la porte. Mes bras tendus atteignent le mur, je tâtonne en vitesse et trouve le panneau au moment où quelqu’un me touche le dos. Je hurle, balance un coup de talon et tente d’attraper la poignée. Il ne me semble pas avoir vu ces idiots prendre la précaution de fermer à clé, alors j’actionne la clenche. Quelqu’un m’attrape par derrière et me ceinture juste au moment où j’ouvre la porte, puis je sens qu’on essaie de m’immobiliser.


Une petite flamme tremblote lorsqu’une main allume un briquet et, tandis que je me débats vainement dans les bras de quelqu’un qui doit être Devreux, j’entends le type en salopette annoncer qu’il va réarmer les disjoncteurs. Une seconde flamme tremblote à son tour, et je vois faiblement le visage de Darville.



Il se déplace et s’approche de nous au moment où la seconde flamme disparaît. Je distingue vaguement qu’il referme la forte et entends claquer le battant. Les secondes s’égrènent, dans un silence troublé seulement par nos respirations, et je sens tout à coup une des mains de Devreux qui se déplace. Il veut me peloter ou quoi ? Je recommence à me débattre, histoire qu’il s’occupe davantage à me tenir qu’à autre chose.



Mais à ce moment-là, la flamme du briquet s’éteint et j’entends Darville grommeler :



Alors que je suis occupée à lui souhaiter mentalement d’attraper de belles ampoules aux doigts, la lumière revient, nous faisant cligner des yeux. Le temps que nos rétines s’accoutument aux nouvelles conditions d’éclairage, et nous jaugeons la situation : Darville, torse nu et braguette ouverte, est adossé à la porte, tandis qu’à un mètre de lui à peine, Devreux me ceinture fermement. Les trépieds ont été renversés, ainsi qu’une des chaises, et les deux caméscopes sont par terre, dans un triste état en ce qui concerne celui encore fixé sur son support en aluminium. Cheryl n’est visible nulle part.



Lentement, mon patron se déplace, dans l’intention évidente de débusquer Cheryl, qui doit se dissimuler quelque part.



Je ne le crois pas non plus, parce que quand je suis parvenue près de la porte, elle était encore fermée, et si ma collègue avait filé par là, j’aurais trouvé le battant ouvert.

Darville contourne le lit.



Mais rien ne bouge, alors je le vois qui jette des coups de pied, puis se penche, mais apparemment l’eurasienne a choisi une autre cachette.



Il passe par-dessus le lit et se dirige vers le salon. Au moment où il contourne le divan, en gueulant « elle est ici ! », Cheryl se redresse, passe de l’autre côté de la table et s’empare d’une chaise dans le but de s’en servir pour se défendre. Darville hésite, et plus personne ne bouge.



C’est à cet instant que la porte s’ouvre d’un seul coup, se rabattant violemment contre le mur, et que quelqu’un que je reconnais instantanément s’encadre dans l’ouverture béante en poussant le cri de Tarzan, ou quelque chose qui y ressemble vaguement. Nous sommes tous stupéfaits de découvrir la présence inattendue de… François ! Cheryl est la plus prompte à réagir : alors que Darville regarde vers l’entrée, elle envoie brutalement la chaise dans sa direction.



Mais deux dixièmes de seconde plus tard, il me lâche en grognant comme un goret parce que je viens de lui écraser les orteils d’un bon coup de talon ! Une fois de plus, le vacarme est épouvantable dans la cave, tandis que Cheryl et moi nous ruons vers la sortie.

François s’efface pour nous laisser le passage.



En passant devant lui, je vois qu’il est armé d’une barre de fer et s’apprête à s’en servir. Nous galopons dans le couloir, grimpons les escaliers et prenons pied dans le garage crasseux.


En arrivant près de la sortie, une silhouette sombre s’agite tout à coup, me faisant faire un écart avant que je réussisse enfin à atteindre l’extérieur. C’est le mec en salopette, qui a l’air de ne plus savoir très bien où il se trouve. Derrière moi, j’entends Cheryl qui pousse un cri, probablement parce qu’elle est entrée en collision avec lui. Sur le terrain, je cours entre les épaves de voitures. Le sol est glissant, bien qu’il ait cessé de pleuvoir, je dérape et m’étale dans la boue et l’herbe sale. Des voix d’hommes s’interpellent, venant du garage. Si je me redresse, ils risquent de me voir, alors je rampe entre les roues d’une vieille camionnette et reste immobile, couchée sous les restes du véhicule. Où est Cheryl ?


J’entends un bruit de galopade, un homme qui crie « par ici ! », à quelques mètres de moi seulement, et je crains qu’il ne m’ait repéré ; mais à ce moment-là, j’entends un bruit bizarre, comme du verre brisé. Des hommes s’interpellent, et j’entends encore gueuler, mais sans rien comprendre.


Alors, je me dis que c’est le moment, je rampe et m’extrais de ma cachette et, à demi courbée, me hâte vers l’extrémité du terrain la plus éloignée du garage. Je parviens devant un treillis en mauvais état, et repère bien vite une trouée, dans le bas, que j’élargis en tirant comme une folle et en m’écorchant les doigts. Je finis par soulever la base de la clôture et me glisse par-dessous, non sans m’occasionner de nouvelles écorchures sur la peau nue de mon ventre et de mon dos. Un bref et douloureux parcours au travers d’un bouquet d’orties me permet d’accéder à une voie carrossable, mais en mauvais état.


Je tente de m’orienter : le chemin est obscur et bordé d’arbres, du côté opposé au terrain vague. Vers la gauche, il se perd dans l’obscurité, mais au loin, à droite, je vois les lumières de la ville. Il doit y avoir un carrefour menant à une route asphaltée, par où on nous a probablement conduites jusqu’ici. Je commence à courir dans cette direction, en jetant un regard vers la droite. Des phares trouent soudain la nuit, et un véhicule se met à rouler sur le terrain vague en direction du chemin. En courant, j’oblique vers la gauche, traverse un nouveau paquet d’orties et gagne l’abri des arbres avant que le faisceau des phares ne m’atteigne. Je trébuche dans les feuillages, les ronces et les branches mortes, et finis par m’accroupir au moment où la voiture passe à ma hauteur, à quelques mètres seulement, et poursuit sa progression vers le carrefour éclairé.


Je reste immobile, guettant les feux rouges qui s’éloignent. Vont-ils s’en aller ? Je devine l’éclairage qui change de direction, tourne… et revient dans l’autre sens ! Je m’écrase dans la végétation, entre les arbres, et le véhicule repasse, plus lentement, puis s’éloigne à nouveau vers l’autre bout du chemin. À plusieurs reprises, je dois faire des plongeons pour éviter d’être repérée par le ou les occupants de la bagnole qui fait des allers et retours. Finalement, après un crochet et une halte dans le terrain vague, elle repasse à vive allure et disparaît vers l’agglomération. Prudemment, je me lève et gagne le bord du chemin, où je commence à trottiner, en espérant qu’on ne m’observe pas. Même si je prends soudain conscience de l’état pitoyable dans lequel je me trouve, en soutien-gorge et couverte de boue et d’égratignures, je n’en galope pas moins vers la zone éclairée. Sur la droite, le terrain clôturé semble calme.


Soudain, un voix m’interpelle :



Mon cœur fait un bond dans ma poitrine lorsque je vois Cheryl s’extraire de la végétation du bas-côté. Nous nous jetons dans les bras l’une de l’autre.



Nous nous hâtons vers le bout du chemin. Je suis soulagée d’avoir échappé aux griffes de ces forbans, mais je m’inquiète pour notre collègue. Sans l’intervention providentielle du grand maladroit à lunettes, je passais à la casserole, et Cheryl aussi, sans doute, une nouvelle fois !


Nous arrivons au croisement. C’est une route asphaltée, à l’entrée de la ville. Au coin, à une vingtaine de mètres, un bâtiment éteint, avec une enseigne « Tulchan - Occasions » encore illuminée en façade. C’est un garage, dont doit dépendre le terrain à l’arrière, avec les épaves et l’atelier à toit de tôle au sous-sol duquel nous avons été détenues pendant de longues heures. Soudain, un démarreur toussote, et un moteur vrombit sur notre gauche.



Cheryl me retient par le bras.



Plusieurs appels de phares se succèdent rapidement, et une voiture s’avance dans notre direction. Quand elle s’arrête devant nous, Cheryl ouvre la portière arrière, et nous nous engouffrons toutes les deux dans le véhicule, qui démarre au moment où je claque la portière.


Le conducteur tourne un instant vers nous un visage souriant. Je vois brièvement des yeux bleus pâle derrière des lunettes de myope avec lesquelles se battent quelques mèches blondes. François a beau être d’ordinaire assez ridiculement maladroit, je pense que je ne l’ai jamais trouvé aussi génial !



-oOo-




Nous nous sommes éloignés de la zone dangereuse, et François vient de ralentir l’allure.



Je pense soudain à Pauline. Elle a dû rentrer du travail, et constater les dégâts !



Je réfléchis un instant.



Immédiatement, j’appelle Pauline. Elle prend la communication avec méfiance, mais se montre soulagée lorsqu’elle entend ma voix.



Dès que le GSM a réintégré le vide-poches, François se retourne rapidement pour m’adresser un sourire :



Tout en roulant, notre collègue nous explique comment il s’était inquiété, suite aux déclarations d’Axel qui m’avait croisée dans le hall juste comme je sortais. Et puis, le coup de fil, où j’expliquais qu’on était toutes les deux chez moi, lui avait paru bizarre.



Que François ait réalisé tout ça m’épate au plus haut point ! Qui aurait imaginé que cet homme timide et maladroit…



Je suis à la fois soulagée et inquiète : soulagée d’avoir été tirée d’un bien mauvais pas, mais inquiète pour Pauline. Malgré les risques, j’ai hâte de retrouver l’appartement.



François me cède sa veste, et nous quittons le véhicule à une centaine de mètres du commissariat.



-oOo-



Chose étrange que, convaincues de remettre notre sort entre les mains des forces de l’ordre, nous soyons encore si réticentes à conter l’intégralité de l’histoire aux officiers de police prenant notre déposition. Les clés USB nous brûlent les poches, mais nous ne pipons mot de leur existence. Nous attendrons la suite des événements avant de décider qu’en faire.


Nous racontons la poursuite en voiture, l’agression par Devreux sur la route du Bois des Tourelles, puis notre fuite et le retour du concierge et de Darville dans mon appartement avec la mise à sac qui s’ensuit. Nous commençons à relater notre enlèvement au moment où deux véhicules de service, toutes sirènes hurlantes, quittent le parking du commissariat. Les flics nous écoutent avec attention, se montrent aimables, nous assurant qu’ils mettent tout en œuvre le plus rapidement possible afin que nos ravisseurs soient appréhendés et interrogés. L’affaire est délicate. Il s’agit d’enlèvement, de tentative de viol…


Alors que nous apprenons que le garage où nous avons été séquestrées est la propriété de deux frères, Frédéric et Claude Tulchan, une soudaine agitation s’empare des locaux de police, en raison d’un incendie s’étant déclaré à l’extrémité de la ville. Nous ne sommes pas longs à apprendre qu’il s’agit justement du hangar affecté à la récupération, sur des épaves, de pièces de rechange pour le garage en question. Nous nous regardons, Cheryl, François et moi. Inutile de nous bercer d’illusions : les pièces à conviction partent en fumée !


Rapidement, nous signalons l’existence du salon clandestin, dans les combles du bâtiment Darville, sans toutefois préciser que nous y avons été filmées, et espérons que quelques preuves pourront y être récupérées, mais nous n’entretenons guère d’illusions à ce sujet.


Une fois signées nos dépositions, nous quittons le commissariat, non sans avoir assuré rester à la disposition des forces de l’ordre, au cas où… et reprenons la route vers mon appartement, François nous servant toujours de chauffeur.


Par précaution, nous nous garons dans une rue voisine et lentement, en rasant les murs, nous dépassons bientôt ma malheureuse Renault, dont la vue du triste état me sape encore un peu plus le moral. Nous atteignons l’entrée de l’immeuble sans rencontrer âme qui vive. La porte d’entrée est fermée, bien sûr, et je n’ai pas ma clé. Alors que je me penche en arrière pour tenter de repérer une lumière derrière les tentures des fenêtres du troisième étage, François me tend gentiment son GSM :




-oOo-



Pauline nous ouvre la porte une minute plus tard, et nous nous retrouvons tous dans l’appartement. Elle y a fait venir Damien, un copain que j’ai aperçu une fois ou deux, et dont la haute stature athlétique a quelque chose de rassurant. À eux deux, ils ont déjà fait pas mal de rangement.


Rapidement, je m’inquiète de ma sortie de bain.



Nous nous regardons, Cheryl et moi, puis je fonce vers la salle de bain, où ronronne la lessiveuse. Je cherche à stopper le programme en cours.



De sa poche, elle tire les deux clés USB. Deux bâtonnets de plastique bleu, que je récupère précipitamment.



Je me retourne, lui montrant triomphalement les objets de notre convoitise, et nous tombons dans les bras l’une de l’autre, soulagées.



Je regarde Cheryl, et le même soulagement doit se lire sur nos deux visages : si Poppy avait visionné le contenu des clés, elle aurait tenu un tout autre langage !



-oOo-



Poppy dévalise l’armoire à pharmacie, et nous nous enfermons dans la salle de bain, laissant les deux hommes nous attendre au salon en bavardant. Douchées, décrassées, nous nous abandonnons aux soins de notre infirmière improvisée. Je m’en tire moins bien que Cheryl, pour cause de manque de vêtements lors de ma fuite dans le bosquet encombré de ronces et d’orties, mais en revanche mon visage ne porte pas de traces de coups. Les yeux légèrement bridés de l’eurasienne sont par contre quelque peu bouffis suite aux coups reçus, et des marques commencent à bleuir sur ses pommettes.


Pauline nous apporte ensuite des robes de nuit, et nous regagnons le salon.



Nous sommes toutes deux près de l’homme qui nous a tirées d’affaire au péril de sa propre santé, et nous le serrons dans nos bras en l’embrassant sur les deux joues pour lui souhaiter bonne nuit en lui promettant de le tenir au courant de la suite de l’affaire.



Avec un petit pincement au cœur, je le regarde s’en aller. C’est fou ce que les circonstances peuvent influer rapidement sur l’opinion que j’ai de ceux qui m’entourent. Cet homme timide et maladroit, dont j’avais plutôt tendance à me moquer discrètement, s’est révélé être un ami sûr, courageux, intelligent. Le genre de personne sur laquelle je sais à présent pouvoir compter.


Nous nous enfermons dans l’appartement, tous les quatre. Poppy souhaite voir rester Damien ; sa présence la rassure. Je n’y vois pas d’inconvénient. Je pense à nouveau à François. J’aurais aimé qu’il reste, lui aussi.


Un court moment de gêne s’installe au moment de décider de l’attribution des places pour la nuit, car deux lits et un salon de coin pour quatre personnes, c’est à la fois peu et beaucoup. Nous laissons à Pauline sa chambre, son lit et son copain, et nous retrouvons seules près des fauteuils, Cheryl et moi. Je lui offre mon lit, mais elle refuse de me laisser dormir dans les fauteuils. Il n’est pas question pour moi de la laisser s’y installer. En réalité, nous cherchons une bonne raison de rester ensemble. Les derniers événements nous ont à la fois bouleversées et rapprochées l’une de l’autre.


Nous gagnons la chambre et, un peu gênées malgré tout, finissons par nous glisser sous la couette. Le lit n’est pas large, et nous ne pouvons éviter le contact. Je n’éprouve d’ailleurs nulle envie de me dérober. Alors que, le matin même, j’aurais fui une telle situation, les dernières heures écoulées modifient la donne. De parfaites étrangères, nous sommes devenues complices en une simple soirée. Unies dans l’adversité, nous ressentons le besoin de rester l’une près de l’autre, de partager un peu plus nos émotions. Nous avons encore des choses à nous dire, qui ne peuvent attendre. Cheryl me regarde, ses yeux mi-clos formant deux taches sombres en contre-jour de la lumière chaude délivrée par la lampe de chevet.



Elle cherche ses mots, et je perçois son embarras. Mais elle veut savoir.



Je souris.



Je souris encore plus.



Je hoche la tête.



Je lève la main et lui caresse les cheveux, et je la sens qui se rapproche de moi, dans une odeur de savon, de shampooing, de pommades et de désinfectants. Je tends le bras et, juste avant d’éteindre la lumière, mes doigts frôlent les deux petites clés USB posées sur la table de nuit.