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Temps de lecture estimé : 29 mn
10/08/09
Résumé:  Hier, j'ai revu Adam. Hier, toutes mes certitudes ont volé en éclats...
Critères:  fh hplusag jeunes amour intermast pénétratio init -amourpass
Auteur : Oxalis      Envoi mini-message

Série : Un duel pimenté

Chapitre 02 / 03
L'amour

Résumé de l’épisode précédent : Elyne, vingt ans, rencontre son ancien professeur de terminale, avec qui elle est restée en très bons termes. Petit à petit, au cours de cette soirée, l’amitié se transforme en un peu plus que ça… et pourtant, ce n’est pas vraiment le bon jour, avec cette lettre angoissante qui attend la jeune femme ! Heureusement, Elyne, apprentie écrivain, apprend que les éditions Lamarmouse vont bel et bien publier son histoire…




Le lendemain, je suis en train de prendre le petit déjeuner, quand on frappe soudain à la porte. Très surprise, je vais ouvrir ; sur le seuil se tient le fleuriste du quartier, Hindenberg, souriant largement. Je me demande immédiatement comment il a pu monter, puis me dis que le concierge a dû le laisser entrer. La seconde suivante, en voyant l’énorme bouquet qu’il tient, je pense qu’il est fou de venir chez les gens à 8 h 30 du matin.

J’ai passé une nuit blanche et je contemple avec ahurissement ce petit bonhomme sorti d’on ne sait où.



En me faisant un clin d’œil complice, il me tend le bouquet, qui est magnifique. Je le prends, n’y comprenant rien, regarde le fleuriste en fronçant les sourcils.



L’homme paraît offensé de ma question.



Abasourdie, je fixe le fleuriste avec de grands yeux.



Je repère soudain une carte accrochée au superbe papier d’emballage : « Bonjour mon amie. Quelle heure est-il ? huit heures trente ? Je savais que le fleuriste te dérangerait. Encore une fois, félicitations. Je n’ajoute rien, ces fleurs parlent pour moi. Adam. »


Ma main qui tient la carte se met à trembler. Éperdue de joie, je regarde les fleurs, sentant le ravissement béat monter dans mon âme. Parmi d’autres fleurs magnifiques dont j’ignore le nom, il y a là des œillets blancs, de jolies fleurs bleues ressemblant à des volubilis, des roses blanches, de belles fleurs assez grosses, rouges, on dirait des crocus mais à longues tiges.

Je pose délicatement le bouquet sur ma table et me précipite dans l’escalier. J’arrive en bas juste à temps : le fleuriste monte dans sa camionnette.



Il se tourne vers moi, l’air étonné, me reconnaît, sourit.



Aah, ces « mademoiselle » un peu paternalistes dont on me gratifie sans cesse… Je réprime une grimace et le rejoins sur le trottoir, tremblant dans l’air frais du matin.



Il fouille dans sa poche et me tend une petite carte.



J’y jette un coup d’œil. Il y a toute une liste de fleurs et leurs significations. Je souris au fleuriste.



Il monte, ferme sa portière, me fait un signe de tête et démarre.

En remontant chez moi, je lis la carte… m’arrête soudain, les jambes coupées, le souffle suspendu. Que faut-il penser du message qu’Adam m’envoie ?

En arrivant près de mon appartement, j’entends soudain le téléphone sonner, et cours à l’intérieur pour décrocher.



J’ai du mal à réfléchir.



Et Adam raccroche. Je pense à lui, je pense aux fleurs, je pense à rien, à tout, tout se mélange dans ma tête. Il faut vraiment que je dorme ; mais je reste là, le combiné à la main, les yeux dans le vague.

Comment vais-je bien pouvoir reparler normalement à Adam maintenant ? Qu’est-ce que veulent dire ces fleurs ? Essaie-t-il de me faire comprendre que grâce à moi il reprend goût à la vie ?

Ne suis-je pas vaniteuse en pensant cela ?


Je me sens stupide ainsi, le téléphone coincé dans la main, en train d’échafauder maintes intrigues, intrigues bêtes et ridicules. Tout simplement, est-ce qu’Adam se fiche de moi ? Après tout, je ne connais rien de lui. Enfin, pas tant de choses que ça. S’est-il trompé dans le choix de ses fleurs, ou bien m’induit-il sciemment en erreur ?


Je raccroche brusquement, mon regard se focalisant sur ma chère lettre, sur le chevet. Un flot de bonheur et de confiance en l’avenir monte en moi, me faisant trembler de joie.

Peu importe comment agit Adam. Mon rêve se réalise. Il ne pourra jamais m’enlever ça.



* * *



Trois mois passent. Et puis un jour, je sors de mon studio, descends dans la rue, me rends à la plus proche librairie, et devant la vitrine, j’hésite, le cœur battant la chamade. L’espoir m’étouffe, l’appréhension aussi. Je pousse enfin la porte de la boutique et entre. Le libraire, René, qui me connaît bien, me sourit derrière son comptoir. Il s’écrie soudain :



Je bondis de joie et sans réfléchir, lui saute dans les bras; nous nous étreignons amicalement.

Puis il me mène jusqu’au rayon miraculeux, et avec ferveur, presque avec humilité, je saisis la revue et la feuillette. Eh bien voilà, j’y suis. En bonne place dans la revue de prestige figure ma nouvelle. Tout a été publié sans le moindre accroc. Un sentiment proche du sacré m’envahit, m’emporte.

Je jette un coup d’œil au libraire ; il me fixe de ses petits yeux bleus et rieurs.

Je voudrais parler mais aucun son ne sort de ma bouche. Il rit et me dit qu’il comprend, puis il retourne vers l’entrée de la librairie. Je repose la revue, échange encore quelques propos ravis avec René, puis je me précipite jusqu’à mon immeuble, courant à toute vitesse sur les trottoirs gris, très peu peuplés à cette heure du matin.


Je bondis sur ma boîte aux lettres sitôt la porte ouverte et l’arrache presque de ses gonds ; oui, il est là, mon dû, un exemplaire du magazine. Je le monte dans ma chambre, le pose sur mon lit, puis enfin me dis qu’il faut que je sorte, que je prenne l’air, tant est immense cette joie qui s’agite dans mon âme, cet incroyable bonheur qui palpite jusque dans mes veines.


Je vais fermer ma porte lorsqu’un paquet sur le seuil, que je n’ai pas vu il y a quelques minutes, sans doute trop excitée, attire mon regard. Je le fixe, intriguée, surprise, et envahie d’un pénible pressentiment. Ma joie retombe comme un soufflé au fromage foireux. Je me baisse et le saisis. C’est une enveloppe A4 jaune, banale ; à l’intérieur, une chemise blanche, en papier dur. Il y a mon manuscrit à l’intérieur. « Montagne de Jade ».

Celui que j’ai prêté à Adam. Adam dont je n’ai plus eu de nouvelles, depuis l’envoi de son bouquet et son coup de fil bâclé, il y a de cela plus de trois mois.


Un pénible sentiment de déception et d’amertume me remplit soudain. Rien, pas de mot. Juste cette enveloppe anonyme glissée sous ma porte. Le concierge a dû le laisser monter. Adam est donc reparti, sans m’avoir vue, sans m’avoir parlé. Peut-être est-il resté seulement quelques secondes, peut-être n’a-t-il même pas frappé à la porte, dans la crainte que je sois quand même là. Peut-être même a-t-il attendu que je sorte de l’immeuble pour venir me rendre « Montagne de Jade » en douce. Qui sait.


Des larmes aussi soudaines que désenchantées inondent mon regard, qui se fait trouble. Comme je le déteste à cet instant !

Il n’a pas voulu me voir, ni même me parler, ni même émettre son opinion sur une petite note, je ne sais pas, n’importe quoi.

Oui, comme je le déteste de ternir ainsi mon bonheur ! De fiche par terre ma félicité que personne d’autre que lui n’aurait pu entamer !


Je referme la pochette d’un geste sec et la balance sur la commode de mon entrée, sentant mes larmes rouler sur mes joues et baigner mon visage ; je les essuie lentement, les yeux perdus dans le vide, puis je tourne les talons, descends l’escalier avec une mollesse peu familière, sors de l’immeuble dans l’air calme de ce début d’avril ; il fait assez chaud, l’air est doux, le soleil illumine le ciel qui est d’un bleu pur. Je tente de vider ma désillusion de mon esprit, n’y arrive pas. Comment ai-je pu croire qu’entre nous il y avait quelque chose qui commençait ? Comment ai-je pu croire que si je n’ai plus de nouvelles de lui, c’est parce qu’il a trop de travail ?


En tout cas, il a eu le temps de déposer le manuscrit, exprès sous ma porte, pour ne pas me voir ! Après tout, il se fiche bien de moi, et j’ai été stupide de croire que je peux lui manquer autant que lui, parfois, peut me manquer. Particulièrement le soir, lorsque je bois du café, l’esprit plongé en arrière, lors de cette soirée si troublante. Peut-être même en suis-je tombée amoureuse, ce soir-là.

Un fait est certain, Adam sait comment s’approprier le cœur d’une femme.

Pourquoi ai-je cru ainsi en lui ?


Je choute dans une cannette de coca vide et regarde autour de moi, aveuglée par la lumière trop vive. Besoin d’une bière. De l’autre côté de la rue, il y a un café que je connais bien, m’y rendant souvent après les cours. Je traverse et y entre.


Je le vois tout de suite. Assis sur une banquette près des fenêtres, le nez plongé dans la revue où ma nouvelle a été publiée, Adam lit, profondément concentré. Je serre les dents, irritée contre ce destin qui me joue les tours les plus vilains, possibles et imaginables.

Je m’apprête à ressortir discrètement quand soudain le barman, que je connais bien, m’aperçoit et me salue d’un ton outrageusement fort (ils ont de la voix, les Marseillais…). Adam lève brusquement les yeux sur moi. Je reste pétrifiée. Il me reconnaît et se lève à moitié, brutalement, l’air surpris. Ses yeux bleus ne quittent pas les miens. Je sens une boule de chagrin se coincer dans ma gorge ; il me fixe intensément mais n’ébauche pas un geste vers moi ; incapable d’en supporter davantage, je pivote soudain sur mes talons, et sors rapidement du café, courant dans l’air tiède du matin, pour la deuxième fois de la journée.



* * *



Le silence de mon studio me comprime la poitrine. Vingt heures passées.

Affalée dans mon canapé, les yeux bouffis, déjà en chemise de nuit, regardant sans les voir les images défiler à la télé. J’ai coupé le son. Je sommeille à moitié.

Aujourd’hui une de mes nouvelles a été publiée pour la première fois.

Personne n’a téléphoné. Personne n’est venu.

Ma famille est loin, ne s’occupe plus trop de mes affaires. Je n’ai pas de petit ami et mes amies sont en week-end chez leurs parents. Quant à ma sœur bien-aimée, elle est en ce moment au Québec avec son copain, et son téléphone est sur répondeur.

Personne ne partage ma joie.

Personne ne partage mon chagrin.


La sonnerie de l’entrée me fait sursauter, je me redresse et regarde la porte d’un air abasourdi. Mon voisin peut-être ? Et si j’allais chez lui ? Il essaiera probablement de me mettre dans son lit, comme il s’y essaie depuis trois ans. Cette fois, je pourrais le laisser faire, me débarrasser de cette ignorance qui me gâche la vie. Elle et mon côté incroyablement fleur bleue.

Je me précipite et ouvre la porte, sans songer à ma tenue.

Appuyé contre le chambranle, l’air fatigué, il me regarde avec des yeux voilés.



La surprise et l’incompréhension me coupent le souffle.



Ma voix est basse et enrouée. Il hoche la tête avec un mince sourire qui n’atteint pas ses yeux. Je surprends le petit coup d’œil qu’il jette par-dessus mon épaule, comme pour s’assurer que je suis seule.

Je n’y comprends plus rien. Je croyais qu’il ne voulait plus me voir.



Je le fixe d’un air confus et blessé à la fois, soupire et fais demi-tour, me plantant au milieu de mon studio, puis me retournant pour le regarder. Il entre, ferme soigneusement la porte, évitant mes yeux.

Je m’aperçois alors qu’il tient une bouteille à la main.



Il hausse les épaules, pose la bouteille sur la commode, apercevant au passage l’enveloppe jaune qu’il m’a « remise » ce matin. Puis il enfonce ses mains dans ses poches de jean, m’observe un moment, détourne la tête.



La fureur me submerge et je commence à marcher de long en large.



Il plante soudain ses yeux bleus dans les miens.



Sur ce, je m’affale de nouveau sur mon canapé. J’ai soudain conscience d’être en chemise de nuit à moitié moulante, et cache ma gêne du mieux que je peux.



Je le regarde avec une indifférence feinte pendant qu’il cherche sans hésitation des verres dans mes placards, les trouve, ouvre la bouteille, verse le liquide pétillant dans les verres.

Il se rappelle le plan de ma cuisine avec une exactitude parfaite. Il m’apporte mon verre, s’assit à côté de moi sur le canapé et lève le sien, ses yeux bleus ne quittant pas les miens.

Ça fait bizarre de le voir là, assis dans mon canapé. Un peu comme si une soucoupe volante avait atterri dans votre jardin.



Je le regarde sans bouger d’un poil, puis trinque enfin avec lui, de mauvaise grâce.



Je regarde mon verre, dubitative, ne trouvant rien à répondre.



Mais je bois mon verre d’un coup, d’une manière un peu provocante, et le pose par terre, toisant Adam d’un regard impassible.



Je le sens se crisper. Il me scrute quelques secondes, toujours immobile.



Une brusque colère mêlée d’amertume fulmine en moi et les larmes emplissent mes yeux. Vraiment, j’ai la larme facile. Quelle honte.



Pourquoi ai-je cru en lui ? Ce n’est qu’un homme, après tout, rien qu’un homme. Oh, pourquoi ai-je cru en lui !

Aveuglée par la douleur, je veux me lever mais rapidement, Adam me saisit le bras. Je lui jette un regard rancunier.



Je veux me dégager mais Adam m’attire contre lui, ses yeux ardents de colère.



Il jure soudain et saisit mon visage de sa main gauche, me tournant de force vers lui, écrasant ses lèvres sur les miennes en un baiser sauvage et totalement inattendu. Mon corps se révolte en premier lieu, puis une étrange langueur palpite dans mes veines et je gémis de bonheur entre ses bras. Haletant, Adam reprend sa respiration, le regard farouche, vrillé au mien, puis il m’embrasse de nouveau, avec plus de passion, de ferveur. Ses bras m’encerclent, m’abattent contre lui, ses mains caressent mon corps avec avidité, pétrissant fébrilement mes seins ; jamais il ne m’a touchée ainsi, jamais je n’aurais cru que ses caresses avides me procureraient autant de plaisir ; je me sens ramollir, fragile pantin entre ses mains expertes.


Et brusquement il m’arrache de lui ; il paraît bouleversé. Je le suis tout autant, tremblante de cette succession d’actes imprévisibles.



Et avant que je puisse ouvrir la bouche, il s’est déjà levé. La porte claque.

Il est parti.


Mon cœur bat fort dans ma poitrine. Le silence devient alors assourdissant. Je me lève, titubant presque, vais jusqu’à la bouteille, la prends au goulot, bois largement de quoi me laisser complètement groggy. Quand je repose la bouteille, elle est aux trois quarts vide. Je me surprends à me demander s’il faut que je pleure. Pourtant les larmes ne viennent plus, cette fois.


J’éprouve même, de plus en plus profondément, une obscure sensation faite d’indifférence et de dureté. Comment ai-je pu lui faire croire qu’il peut ainsi se servir de mon cœur et de mon corps de cette façon ?


Je réalise soudain que je ne suis pas totalement amoureuse de lui, contrairement à ce que j’ai pensé. Comment aimer un idéal inaccessible ? Adam est si lâche. Il l’a toujours été. Il n’a rien de l’homme qui cède à une passion aveugle pour une ancienne élève. Nous n’avons pas d’avenir ensemble. Malgré notre attirance réciproque…


Involontairement, j’épie à la fenêtre les mouvements du dehors, guettant l’entrée de mon immeuble. Une R25 grise est garée un peu plus loin le long du trottoir. La nuit devient de plus en plus sombre, à mesure que les lampadaires s’éteignent. Je soupire. Ne possède-t-il pas une R25 ? Celle du bas de l’immeuble lui appartient-elle ? Si oui, où Adam est-il passé ? Peut-être a-t-il oublié qu’il était venu en voiture. Il a toujours été si distrait.

Peut-être que la voiture n’est pas à lui.


Je m’en veux de penser encore à Adam. Je ne comprends pas ce qui lui a pris. Peu d’hommes m’ont tenue ainsi dans leurs bras. J’ai été surprise au moment de son étreinte. Pourquoi a-t-il fait ça ? Je ne souhaite pas avoir la preuve de son désir, tout ce que j’ai voulu lorsqu’il est entré dans mon studio, c’est qu’il en reparte le plus vite possible. Il m’a déjà trop déçue, et malgré ma solitude, je n’ai pas été heureuse de le découvrir sur le pas de ma porte.


Je finis la bouteille. Après un moment de réflexion, décide d’aller m’habiller, d’un ensemble jupe/corsage ajusté, très moulant. Autant aller en boîte, les bibliothèques étant fermées. Comme attirée par un aimant, je me rapproche encore de la fenêtre.

La lune semble m’appeler. Impassible, elle glisse dans le ciel sombre, jouant à cache-cache avec les nuages. Il fait noir. Il est 21 heures. Trop tôt.

Je me change encore et cette fois enfile simplement sur mon corps nu un jean bleu et un tee-shirt noir.


Je me demande s’il fait encore chaud dehors. Autant m’en rendre compte par moi-même.

J’attends un moment, bercée par un klaxon qui semble venir du haut de la rue. Puis je mets des baskets et sors de chez moi. L’escalier est obscur, je ne vois pas grand chose, mais je ne veux pas allumer. La lumière est tellement blessante parfois.


J’arrive en bas lorsque je me rappelle avoir oublié de fermer mon studio à clé. Avec un juron inaudible, je fais demi-tour et remonte les marches deux à deux. Arrivée au palier, je suis alertée par un bruit de clé ; dans un rectangle de lumière, mon voisin sort de chez lui, en habit chic, se préparant visiblement à aller à une soirée.

Il ne m’a pas vue, j’oblique donc vers l’ascenseur ; mais il entend les couinements de mes semelles et doit apercevoir un mouvement dans l’obscurité.



Jouant le tout pour le tout, je feins de ne pas l’avoir entendu et au lieu de m’engouffrer dans l’ascenseur, ce qui m’aurait obligée à lui faire face, et là, impossible de l’éviter, je décide sur une impulsion de monter plus haut dans l’escalier ; je me cogne aussitôt contre une silhouette, perdue dans le noir et que je n’ai pas pu voir. Cela me surprend totalement et je jette un cri effrayé, tandis qu’une forte odeur de tabac me frappe les narines.


Le voisin inquiet allume l’escalier et se poste derrière moi. Je cille violemment et reconnais Adam, assis sur une marche, l’air imperturbable, une cigarette calée entre ses doigts, me regardant avec indifférence entre ses paupières plissées. Cela me fait un tel choc de trouver un homme là où j’ai cru qu’il n’y avait personne, et qu’en plus cela soit Adam, que je croyais parti depuis une demi-heure, que je me mets à trembler violemment, me sentant vaciller sur la marche.


Adam doit le sentir car il passe immédiatement un bras autour de ma taille pour m’empêcher de tomber, toujours silencieux. Mon voisin me demande depuis plus de dix secondes si je vais bien, si je connais cet étranger, s’il n’est pas dangereux. Je retrouve enfin mon équilibre et un semblant de maîtrise de moi. Je foudroie Adam du regard, qui me lâche subitement, non sans effleurer mes fesses au passage, le fumier.

Il me regarde droit dans les yeux quelques secondes, avant de les fixer derrière moi, contemplant d’un air ennuyé, par dessus mon épaule, mon voisin qui monte les marches, décidé à jouer les héros et à sacrifier sa soirée.

Je fais demi-tour, prodigieusement agacée.



Il se trouve tout con, et je vois ses yeux noirs s’assombrir encore plus. Un sourire gêné aux lèvres, il marmonne des excuses et retourne dans le couloir en nous souhaitant une bonne soirée. J’entends le bruit de ses pas descendant l’escalier à toute vitesse. Peu après, celui de la porte en bas, qui se referme avec un « vlan » peu discret.


Adam, derrière moi, reste muet ; je me tourne vers lui, m’adosse au mur, regardant par terre, me sentant bête et stupide.



Silence. Je lève les yeux. Adam fume toujours, sans me regarder. J’ai du mal à distinguer ses traits à travers la fumée. J’aperçois plusieurs mégots sur une marche, semblant frais. Depuis combien de temps est-il là, à me guetter peut-être ? Pourquoi n’est-il pas parti ? Un regain d’espoir naît dans mon cœur.



La lumière s’éteint brusquement, sans un bruit. Nous ne faisons pas mine de vouloir la rallumer. Nous nous distinguons à peine dans l’obscurité.



Il sourit, toujours sans me regarder, semble-t-il.



Mes yeux s’habituent petit à petit à la pénombre, à peine percée par les lueurs des veilleuses de sécurité. J’observe Adam par en dessous.



Je sens qu’il me regarde enfin, énigmatique. Les sourcils froncés, je le fixe avec irritation.



Ça me fait mal. Je ne comprends pas exactement pourquoi, mais soudain, oui, j’ai très mal.



J’ai envie de pleurer. Ben voilà. Il lance sa cigarette sur le sol, en bas des marches, me regarde pensivement. Je distingue bien les traits de son visage, maintenant.



Je regarde les carreaux de verre qui longent la façade, en face de moi, laissant pénétrer la lumière diffuse de la lune. La tête contre le mur, réfléchissant. Pourquoi ne suis-je pas avec un homme ?



Je sens son regard m’évaluer de haut en bas. Ce n’est pas désagréable, loin s’en faut. Depuis combien de temps un homme ne m’a-t-il pas touchée ? Ne m’a-t-il pas regardée ? Tellement longtemps.



Comment a-t-il pu le savoir juste en effleurant mes fesses et en me regardant ? Je me sens rougir.



Je le regarde attentivement, surprise et gênée. Il me regarde aussi, sans paraître éprouver la moindre gêne. Au contraire, il arbore même un air dégagé et sûr de lui qui m’irrite. Les bras ballants, je me sens frissonner.



Silence…



J’ai l’impression qu’il a envie de rire.



Le silence s’étire, s’étire.



Il tressaille, mais la langueur qui s’est emparée de moi m’empêche de bien m’en rendre compte. Je sais seulement que je lui fais toujours autant d’effet, malgré ce qu’il vient de m’apprendre.



Nous paraissons si loin l’un de l’autre, et je voudrais tant combler ce fossé entre nous. J’éprouve l’envie impérieuse qu’il me touche. Oh, pas cette envie trouble et imprécise de lui voler des baisers, de sentir son corps contre le mien. Je ne suis plus aussi chaste. À cette seconde, je ne suis plus figée dans mes certitudes, coincée dans ce carcan de moralité qui m’a toujours fait dire « jamais avec lui, impossible ».


Non, j’ai soudain envie qu’il me prenne contre lui, qu’il glisse ses mains sous mon jean, qu’il me caresse comme seul un homme, un vrai, peut le faire. Je veux sentir ses doigts dans mon intimité. Je veux mettre ma paume contre son entrejambe, sentir sa chaleur, tâter sa vigueur, sortir son membre, l’arrondir dans ma bouche. Je me sens violente. Je découvre alors que j’ai envie de lui. Pour la première fois, j’ai vraiment envie de faire l’amour avec un homme, là, contre le mur du couloir, dans l’obscurité. C’est plus facile, ainsi. J’ai moins peur de sauter le pas. Dans l’ombre, tout est-il permis ?

Je me redresse et regarde intensément Adam, lui faisant partager mon désir.



Mais Adam se lève, applique une main sur mon épaule droite et me fait reculer de nouveau jusqu’au mur, comme s’il avait deviné mon fantasme. Je me sens rougir. Il s’approche de moi jusqu’à me toucher, sa main descend sur mon bras, glisse sur mon ventre, se faufile sous l’ourlet de mon tee-shirt. Rampe sur ma peau, tiède, inquisitrice. Avide.


Je tremble terriblement, même mes seins tremblent. J’ai brusquement très chaud. Je lève la tête et croise ses yeux pleins de lumière bleue. Je cille nerveusement. J’ai l’impression que tout l’étage écoute ma respiration courte, sifflante.

Tout contre la peau nue de mon ventre, sa main s’est arrêtée. Nous n’avons aucun besoin d’échanger une parole. Nos corps parlent pour nous.


Adam penche lentement la tête vers moi. J’entrouvre les lèvres et il s’en empare, m’embrassant avec une douceur inattendue. Sa langue, tiède, se fait miel et velours, elle envahit ma bouche, trouve ma langue, l’effleure avant de se retirer, délicate. Provocante. Puis Adam revient à la charge, et cette fois de moi-même, je mets ma langue contre la sienne, mélangeant nos salives, mélangeant nos souffles, mélangeant nos désirs.

Mes lèvres deviennent molles, il me vient jusqu’aux dents, puis nos bouches s’épousent à nouveau, plus sauvagement. J’émets un grognement étrange, Adam étouffe un rire, puis reprend son sérieux, et cette fois c’est lui qui gémit, m’embrassant passionnément.


Je me serre sensuellement contre lui, l’encerclant de mes bras. Je sens son autre main plaquée dans mon dos. Le silence nous enveloppe dans le noir, comme une couverture tiède. Nos respirations s’accélèrent, deviennent presque assourdissantes.

Adam quitte ma bouche, et dans un mouvement très naturel, remonte lentement mon tee-shirt par dessus ma tête. Je suis maintenant poitrine nue devant lui, mes seins, pointus, paraissent fragiles dans la faible lueur des veilleuses. L’homme les contemple longuement. Son regard bleu est comme du feu liquide sur moi, dessinant les contours de mes seins, les embrasant sans même les toucher.


Puis Adam les frôle, très légèrement ; de l’index, il suit les courbes frémissantes, avant d’empaumer un sein dans un mouvement sensuel, et je frissonne violemment. Nos regards se croisent, partagent la même envie. Adam colle alors sa bouche contre mon cou, la descend plus bas, provoquant en moi des sursauts délicieux, avant de s’emparer d’un de mes tétons. Adam le fait rouler contre sa langue, puis il le suce délicatement. Je gémis, folle de plaisir. Il caresse ma peau en d’incessants ballets qui me torturent, je me surprends à balancer les hanches, j’en veux plus.


Adam se redresse avec souplesse, vient à nouveau prendre ma bouche, m’embrasse âprement. Je réponds avec fougue à ce baiser qui veut tout dire.

Sa main descend brusquement de mon ventre à mon intimité, se glissant sous la barrière du jean. Je me mets à haleter dans sa bouche, heureuse et troublée ; il me serre étroitement contre lui, d’un geste possessif, sauvage.


Mes jambes faiblissent. Mon cœur cogne brutalement dans ma poitrine, tel un oiseau captif et affolé. Je sens le sien, contre moi, en proie aux mêmes tourments.

Adam caresse mon entrejambe, très doucement au début, puis avec plus d’audace ; égrenant des baisers rapides sur mon visage, et au détour du menton, glissant ses lèvres voraces le long de ma carotide palpitante.

Je ne suis plus qu’un paquet de nerfs. Je ne sais plus trop où j’en suis, ce que je dois faire, jusqu’où je peux aller avec lui…


D’un mouvement lent, Adam me colle doucement dos au mur. Au bout d’un moment, il abandonne ses baisers et pose son front contre le mien, tandis que sa main bouge plus vite entre mes cuisses, dans mon jean. Je me sens devenir chaude, moite. Je commence à transpirer. Les yeux clos, j’écoute nos souffles saccadés, sentant le plaisir monter en moi.


Adam se met à rire, doucement, à mon oreille. Aucun de nous deux n’a vraiment pensé finir cette étreinte en accomplissant l’acte impossible, mais je crois pourtant que ça nous paraît de plus en plus évident.



Adam ne répond pas tout de suite. Sa main gauche joue avec ma ceinture, l’autre joue avec mon sexe, l’ouvrant, l’épanouissant, et je me sens devenir femelle. Cet homme sait merveilleusement bien y faire…



J’ai l’impression que je vais exploser, et malgré moi, je pousse un petit cri, le visage renversé contre le mur. Mes cheveux collent à mon front humide. Une vague de plaisir me prend aux tripes, je perds le contrôle. Mes doigts se crispent dans le dos d’Adam, je pince convulsivement la laine de son pull. Je jouis, presque silencieusement, me tendant vers Adam, secouée de spasmes ; sa main contre mon sexe me saisit fermement, prolongeant le plaisir, tandis que je savoure mon orgasme sans bruit.


Le souffle suspendu, Adam ne bouge plus contre moi, me laissant inonder ses doigts. Mon corps se relâche enfin, j’ouvre les paupières, regarde intensément l’homme, jusqu’au fond des yeux. Il voit mon contentement, et cela semble le troubler davantage encore.

Eh bien voilà. Le cap est franchi. Je ne peux guère plus tergiverser, avec ce plaisir tout neuf qui vient de déferler en moi. Mon ancien professeur vient de me faire jouir. L’heure n’est plus aux bavardages ni aux atermoiements. Le souffle court, Adam attend, et qu’attend-il ? Quel signal plus explicite encore ?



Il ne répond rien, mais prend mes lèvres avec force, tandis que sa main abandonne mon sexe pour venir ouvrir mon jean. Perdue dans un océan de sensations, je me demande vaguement ce que nous ferions si un voisin sortait brusquement de chez lui et allumait la lumière. Puis je n’arrive plus à penser, en même temps qu’Adam baisse négligemment mon jean ouvert, sur mes cuisses, puis le long de mes mollets.



Agenouillé devant moi, Adam relève la tête et me regarde fixement. Ses yeux bleus brillent dans la pénombre. Il ne dit rien, se redresse. Nous nous enlaçons frénétiquement. J’ouvre moi aussi son Lévis et le descends maladroitement. Adam se laisse complaisamment guider. Il reprend ma bouche, m’embrasse lentement, d’une façon possessive. Je sens son désir dans ce baiser. Je n’arrive pas à y croire. Vais-je redescendre des nuages ?

Un ultime sursaut de volonté m’anime, je secoue la tête d’un air égaré.



Pourtant, mes mains, plaquées contre ses hanches dures, les attirent contre moi. Que m’arrive-t-il ? Oh, je suis folle !



Il recommence néanmoins à m’embrasser, ne semblant pas se rassasier de mes baisers. Je descends un peu fébrilement ce qui me paraît être un slip, les yeux mi-clos. Adam m’appuie alors dos contre le mur. Ses cuisses sont chaudes, contre les miennes. Son souffle saccadé m’apprend, rassurant, qu’il se trouve dans le même état d’excitation que moi.

Quelque chose de dur effleure ma hanche, et culottée, je saisis le membre bandé, le serre dans ma main. Adam gémit, embrasse mon oreille, se penche sur mes seins, qu’il suce et embrasse avidement. Je tiens toujours son sexe, il semble palpiter sous mes doigts. Une pulsation sourde qui me parcourt tout entière.


Adam pousse alors son genou entre mes jambes, que par réflexe tardif, je gardais fermées. L’homme se saisit de mes fesses, glisse ses mains jusqu’à l’arrière de mes cuisses qu’il retient fermement entrouvertes. Un bref instant, nos regards se cherchent, s’accrochent.

Sans parler, haletants, nous semblons échanger des questions muettes, qui n’obtiennent pas de réponses.


Le mur est froid dans mon dos. Adam me plaque contre lui, et c’est ainsi, dans cette position instable sur les marches de l’escalier, que je réalise soudain que je vais perdre ma virginité. Un flot de panique m’inonde, mais je n’ai pas le temps de penser. Adam m’enlace comme une liane, je sens la chaleur de sa peau contre mon ventre.


Comme une somnambule, je lâche enfin son membre raide. Adam prend le relais, le dirige vers le creux de mon corps, puis reprend mes fesses, me soulevant légèrement, tout contre lui. Je me suspends à son cou, prise de vertige.

Le visage caché contre sa poitrine, je retiens mon souffle, gonflée par le désir, par l’angoisse. Je sens son odeur d’homme, un mélange d’eau de toilette, de transpiration. L’odeur de sa peau, enivrante. Je l’embrasse, cette peau qui me rend ivre.

J’ai la tête qui tourne. Et c’est l’intrusion, l’incroyable, la douleur aussi, déchirante. Adam me pénètre, très doucement, et semble buter ; puis sans hésitation, il entre dans mes chairs, je sens son sexe en moi, fort, ça fait mal, il s’enfonce plus loin encore, et là je crie, incapable de me contenir.


Stupéfaction. À nouveau, Adam cherche mon regard, et cette fois je lis dans le sien la surprise, ahurissante, ça en deviendrait presque comique. Je lui fais un pauvre sourire, la douleur s’arrête tout de suite : Adam s’est retiré. Pantelant, il me regarde, s’éloigne un peu de moi pour me considérer avec une perplexité écrasante.



Je ne dis rien, le contemplant fièrement. Il n’hésite pas très longtemps. D’un mouvement leste, il remonte son slip, son pantalon, mais je constate de visu qu’il n’a pas perdu de sa raideur. D’ailleurs, c’est assez drôle, ça rentre pas bien, ça fait une grosse bosse. Malgré mon état d’excitation avancé, je retiens un rire. Je vais me rhabiller quand Adam se penche soudain vers moi et HOP me voici en train de faire de la haute voltige dans ses bras, le jean en accordéon suspendu à mes chevilles. Je m’accroche à lui, pas rassurée.

Mais sans avoir l’air de peiner, Adam me porte, m’embrasse légèrement, puis descend les marches et ouvre la porte de mon appartement. Je suis très surprise de son initiative, de sa force surtout. Où cache-t-il des biceps, ce professeur mince à l’air fragile ?



Il me fait glisser contre lui, tout en refermant la porte derrière nous. Je sens son souffle brûlant balayer mon visage, et Adam se penche à mon oreille :



Bouleversée, je cherche son regard mais il m’entraîne déjà vers le lit, où il me suggère de me coucher, ce que je fais sans hésitation. Je suis toute nue. Ma couette est fraîche sous moi. Adam ôte mes baskets très vite, puis mon jean. Je devine ses mouvements dans le noir. Je frissonne, mais Adam me rejoint aussitôt, il a enlevé son pull, et d’un geste maladroit, j’essaie de déboutonner sa chemise, avant de m’apercevoir que contrairement à d’habitude, il porte juste un tee-shirt ! Je pouvais toujours les chercher, ses boutons…

Je ris légèrement, tandis qu’Adam caresse mes hanches, le grain fin et énervé de mon ventre, et je me serre contre lui, impatiente. Le désir fait comme une boule dure dans mon corps, ça me fait presque mal. Je tremble tellement que ça me fait honte.


Je balbutie, en proie à la plus vive émotion :



Ma main rampe vers le ventre plat d’Adam, puis disparaît dans son slip. La raideur de son membre me surprend encore, je le saisis et le presse doucement entre mes doigts, souriant dans l’obscurité, avant de l’abandonner pour baisser le slip. C’est comme si je faisais un rêve, très agréable je l’avoue, où tous mes fantasmes d’apprentie femme se réalisent. Adam couvre mon visage de baisers tendres. Il enlève son tee-shirt, et mes doigts s’égarent sur sa peau blanche, effleurent ses tétons dressés, se perdent dans les poils fins de son torse. Cet homme m’inspire une telle envie, une telle folie !



Je souris, incapable de répondre autrement à cet élan. Il en sait plus que moi sur le sujet…

De ses doigts agiles, Adam caresse à nouveau mon intimité moite, et cette fois je lui ouvre les jambes, entreprenante. Et tandis que je fourrage dans ses cheveux châtains, il met finalement fin à cette attente qui nous ronge en pesant sur moi de tout son corps, me pénétrant à nouveau, très légèrement, puis plus fort, plus loin, et je l’accueille en moi avec un gémissement sourd.

Curieusement, la douleur s’est évanouie. Lovée contre la chaleur de son corps, je me laisse entraîner dans un corps à corps sensuel, lent, mais passionné.


De grosses gouttes de transpiration coulent dans ma nuque, sur mon front. La frustration me gagne, involontairement, j’avive la houle. Adam m’accompagne sans rien dire, caresse inlassablement ma peau de sa main gauche, allant de mon ventre jusqu’à mes seins, de mes seins jusqu’à mon ventre ; son autre main demeure crispée sous mes fesses. Je l’agrippe aux hanches, je me sens tendue, amoureuse.


Cela dure un moment, jusqu’à ce qu’Adam m’entraîne dans un rythme conquérant, puis s’immobilise, les yeux clos. Je n’éprouve pas le torrentiel orgasme dont mes copines m’ont longtemps rabâché les oreilles, mais je suis si heureuse d’être là, dans les bras d’Adam, que ça n’a pas d’importance.



Nous restons assez longtemps enlacés sur le lit. À attendre que nos respirations s’apaisent, que nos corps se détendent, que nos cœurs battent normalement ; et nos cœurs sont unis, et nous sommes tellement proches maintenant. J’ai tout oublié de ses regards distants, de son éloignement. Nous avons fait l’amour. Je ne peux toujours pas y croire.

Enfin, il s’éloigne de moi, se lève et se rhabille, sans cesser de me regarder. Machinalement, je fais de même, avant de m’apercevoir que mon tee-shirt doit être resté en tas informe sur la marche de l’escalier.



Il se met à rire, sort son paquet de cigarettes de sa poche, en prend une, l’allume, tire dessus.



Je suis en train d’allumer les lumières de mon studio ; à ces paroles, je me fige net, rougissante. J’avoue :



Il me rejoint, me lançant un regard tendre et moqueur.



Je me blottis contre lui.



A son silence, je lève la tête. Il me regarde bizarrement, et je ne peux déchiffrer ce regard.



Il m’écarte doucement, mais fermement. Stupeur !



Il se dirige vers la porte. Je l’imite, furieuse et désenchantée. Je m’exclame pourtant :



Et il ne me regarde pas, tirant sur sa cigarette.


Nous passons la soirée dans un café très animé, une soirée quasi-silencieuse où chaque minute m’éloigne de lui, et lorsqu’il me raccompagne à une heure du matin, il m’embrasse doucement sur la joue, au bas de l’immeuble, tourne les talons et entre dans sa R25. Encore un dernier signe de tête, et il est parti.


J’ai essayé de savoir ce qui se passait, j’ai essayé de l’empêcher de se retrancher derrière sa bulle protectrice, mais il n’a rien voulu savoir, et je me retrouve à présent seule, triste et fatiguée, les larmes pointant à mes paupières, regardant la voiture s’éloigner. Il m’a dit qu’il me contacterait « un de ces jours ». Un de ces jours ! Après avoir été mon premier amant ! Après ce que nous avons partagé !


Je lui en veux tellement, à cette minute, que je pourrais lui arracher les yeux. Il a été le premier, et je regrette à présent de toutes les fibres de mon corps de lui avoir donné ma virginité. Je n’ai que 20 ans, et il en a 35 ! Qu’est-ce qu’on va bien pouvoir faire ensemble ?

Ma nuit est triste et humide de larmes de désespoir. Je le hais.





Je ne sais pas exactement à quel moment j’ai su que je l’aimais. Quel jour, quelle heure, quel mois ? Qu’importe ? Peut-être l’ai-je toujours su. Je ne suis pas arrivée, en tout cas, à déterminer l’instant précis où, dans une horreur atroce et aveuglante, j’ai compris que j’étais éperdument tombée amoureuse de lui, malgré moi, malgré tout en moi qui se révoltait à cette idée.


J’avance donc dans le temps à pas vacillants, quelque peu hébétée.


Je me serais crue dans un désert, sur une route éternellement plate, éternellement vide, triste, longue, sans fin ; oui, l’infini, façon cauchemar. Que vais-je devenir ? Je refuse même d’avoir des nouvelles de mon éditeur ; savoir en plus que mon histoire ne se vend pas me mènerait tout droit sur les barbituriques.


Je me rappelle ce jour, avec une précision troublante, ce jour où j’ai regardé la télé, un soir, affalée dans le canapé… un peu barrée. J’avais fumé un joint avec une copine, un peu plus tôt. C’est d’ailleurs étrange que je me souvienne de ce soir-là avec cette exactitude hallucinante. Vu mon état d’incohérence avancé.

Les images qui défilaient, aberrantes, le vide de mon esprit, et puis le vide de la télé quand je l’ai éteinte, l’écran stupide qui me renvoyait le néant de ma propre contemplation, l’obscurité de ma pauvre rêverie.

Ça ne pouvait pas continuer, ça ne pouvait absolument pas continuer. L’écran abandonné me reflétait comme pour m’attacher à son destin idiot, montrer des petites choses brillantes et choquantes, puis se taire, refoulé dans l’oubli de la veille.


Je me suis levée, j’ai titubé jusqu’au téléphone et j’ai composé le numéro. Les yeux clos, j’ai écouté les longues sonneries se répercuter dans l’absence, dans la douleur d’un appartement désert. J’allais raccrocher quand enfin il y a eu un clic, et puis une voix, un peu enrouée, interrogatrice.



Je n’ai rien dit. J’ai écouté sa voix, de plus en plus pressante, impatiente. Quand j’ai compris au bout de quelques secondes qu’il avait raccroché, le monde autour de moi est tombé.

Je n’ai pas pleuré. Les yeux fixes, je suis restée immobile pendant un temps indéterminé, puis

j’ai refait le numéro, méthodiquement. Étais-je folle ?



J’ai respiré à fond, et puis j’ai craqué.



Mes yeux étaient noyés de larmes, mais elles n’ont pas coulé.



Le prénom de la détestée a fait déborder le vase. J’ai mis ma main sur ma bouche pour étouffer un sanglot.



Puis, les yeux grand ouvert, pleins de larmes, perdus, j’ai posé, tout doucement, le téléphone sur son socle, entendant dans une brume compacte la voix d’Adam qui sans relâche demandait qui était à l’appareil. Puis il n’y eut plus rien, seulement le silence de mon désespoir.


La sonnerie du téléphone, juste sous ma main, m’a fait soudain violemment sursauter. Le cœur battant comme un tambour excité, j’ai décroché en appuyant sur la fourche, puis j’ai laissé le téléphone décroché. Peut-être a-t-il essayé de rappeler.