Résumé : Rose s’est éprise de Gilles, moniteur de l’atelier d’artisanat. Ses retards au retour des séances ont éveillé l’attention de Paul, son mari. Celui-ci finit par observer, à son domicile, les travaux d’approches du séducteur. Il intervient, sans révéler ce qu’il a vu, pour empêcher la consommation de l’adultère. Puis, en compagnie de l’épouse de Gilles, ils assistent à cette consommation. Sylvie interrompt le coït alors que Paul s’éclipse. Paul échafaude avec Sylvie un plan pour vérifier que les amants vont rester fidèles aux engagements pris devant Sylvie.
Rose revient vers 12 h 15. Elle m’enlace et m’embrasse mieux qu’elle ne le faisait depuis une quinzaine de jours, babille, s’amuse à vérifier les courses.
- — Tu as rencontré des connaissances au marché ? Depuis le magasin, il m’a semblé te voir en pleine conversation avec une jolie blonde. Qui c’était ? De quoi aviez-vous donc à parler si longtemps ? Tu me ferais des infidélités ?
Le magasin de confection est situé à l’extrémité sud de la place et, du premier étage, on voit tout ce qui s’y passe. Donc Rose a surveillé mon entretien avec Sylvie. Il serait étonnant qu’elle n’ait pas reconnu mon interlocutrice. Notre rencontre l’intrigue : Sylvie m’aurait-elle raconté la version réelle de sa visite du jeudi ? La situation est cocasse, je prends plaisir à faire traîner mes réponses.
- — Serais-tu jalouse parce que je parle à une jolie femme sur la place du marché ? Souviens-toi qu’il y a quelques jours tu m’as demandé de te faire confiance. C’était à propos de ton cours particulier à domicile avec Gilles. Entre une femme qui reçoit un homme à domicile alors que son mari est absent et un mari qui discute sur une place de marché avec une femme, sous les fenêtres du lieu de travail de son épouse, quelle est la situation qui peut le mieux générer une crise de jalousie ? Qui de nous deux serait le plus en droit d’être jaloux ? À mon tour de te demander de me faire confiance.
Rose pique un fard, ma question l’embarrasse. Elle craint que Sylvie ne m’ait renseigné sur son activité amoureuse avec son mari.
- — Je vois que tu ne me fais toujours pas confiance et que ce cours à domicile te déplaît. Pourtant, tu sais, il n’y a rien entre le professeur et l’élève. Nous ne sommes plus des adolescents et je suis ta femme aimante et fidèle. Puisque c’est ainsi, je renonce à ce cours particulier. Ça te va comme ça ? Je l’annoncerai à Gilles mardi soir. Tu vois, cesse d‘être jaloux.
Elle veut me donner l’impression de faire un gros sacrifice pour m’être agréable. Elle dépose sur ma joue un baiser sonore, traîtresse ! Je sais qu’elle m’est fidèle (tiens donc), je sais qu’il n’y a rien entre elle et son amant (tiens, encore) mais je sais aussi qu’elle a juré à Sylvie de ne plus prendre de cours à domicile avec Gilles. En réalité, elle y est contrainte et sa renonciation est pure tromperie supplémentaire. Elle n’a honte de rien ! Quel masque ! Je décide de charger l’âne.
- — Quel revirement ! Si tu fais une telle concession, Rose, je suis tout disposé à en faire une à mon tour pour te prouver que j’apprécie ta décision au plus haut point. Jeudi prochain, je n’irai pas au tennis et je vous tiendrai compagnie. Ne fais pas un pareil sacrifice, je sais parfaitement que je peux te faire confiance et que tu es fidèle. Donc je souhaite vraiment que tu te perfectionnes. Il faut absolument que tu laisses s’épanouir tous ces dons que Gilles te reconnaît. Cette admiration presque amoureuse, il faut que tu en tires avantage pour faire apparaître au grand jour ton talent. Ton maître a pour toi de l’admiration, cela doit te booster, te pousser à te dépasser, à te donner à fond, passionnément. C’est, si j’ai bien compris, une chance unique que Gilles ait remarqué tes qualités et qu’il ait décidé de te prendre en main et qu’il te pétrisse comme un kaolin dont on tire les plus belles porcelaines. Ne renonce pas maintenant. Je m’en voudrais toute ma vie d’avoir empêché cette relation privilégiée entre un maître et son élève. En ce moment il te façonne, il te révèle à toi-même : c’est un travail mental et physique simultanément. Par ses conseils et dans ses mains, il te transforme en une autre, il te serre, il te monte à la température idéale, il te triture, tantôt en tâtant, tantôt en caressant ou en flattant, il te prépare, il te sépare de l‘ancien, du quotidien. Tu vas être son œuvre si tu sais accueillir en toi tout ce qu’il saura y déverser, tu vivras des moments mémorables, fondateurs d’une vie plus pleine, plus intéressante. C’est un peu une sorte d’acte d’amour, d’échange de deux âmes. Pour un peu, je dirais que, grâce à Gilles tu te trouveras enceinte de ton art. Cette relation, je l’ai compris, porte en elle les germes de l’éclosion d’une vraie artiste. Ne te décourage pas, ne rejette pas cette occasion rare de faire féconder par ce maître ces possibilités qui attendent en toi de grandir et de se manifester. Encore un peu de patience et de persévérance, aie foi en toi et en lui et tu vas accoucher d’une œuvre magnifique. Donc je veux que tu lui laisses le temps de mettre en toi la semence de ces moissons futures. Si quelqu’un trouve à redire aux visites de Gilles chez moi, je lui dirai que c’est moi qui le veux : vous serez à l’abri des cancans, surtout si j’assiste discrètement à ces moments de communication profonde, de communion. J’espère que ma présence ne nuira pas à cette nécessaire interpénétration, à l’intimité indispensable pour connaître l’ineffable état de grâce où seuls parviennent les vrais artistes, ce septième ciel de ceux qui osent. Et s’il faut que je me prive de quelques autres parties de tennis, je le ferai volontiers. Ce compromis te convient-il ?
- — Oui, merci.
Ce contre-pied la surprend, elle ne sait que répondre et se tire cette épine du pied par un autre baiser sur l’autre joue. Gilles jouit d’un régime de faveur en matière de baisers sur la bouche ; ils lui sont réservés ! Elle a bu mon envolée avec un plaisir évident. A-t-elle saisi au passage tous les termes évocateurs de la relation amoureuse ? L’enthousiasme feint que j’ai montré va-t-il semer le doute ou la remplir de certitudes ? Ses travaux artisanaux ne méritent certainement pas un éloge aussi excessif, seule la passion qui aveugle peut lui faire gober ces propos dithyrambiques. Comment fait-elle pour ne pas soupçonner l’ironie que charrient une telle exagération et les allusions à sa conduite en compagnie du mentor ?
- — Mais tu es sûr que ce n’est pas un trop gros sacrifice pour toi ?
- — Que ne ferai-je pas pour toi ? N’oublie pas nos promesses de mariage : c’est du sérieux, un mari doit comprendre les besoins de son épouse.
Elle a jusqu’à jeudi pour se sortir de ce traquenard. Ce qui l’intrigue, ce qui devrait déterminer sa conduite à venir, ce qui brouille le message, c’est ma rencontre avec la femme qui a découvert le pot aux roses de Rose. Elle a besoin de savoir ; donc elle revient à la charge.
- — Tu ne m’as toujours pas dit qui était cette blonde : c’est un secret ?
- — Non assurément, c’est presque une voisine. J’ai été très étonné qu’elle m’arrête pour parler. C’est la première fois qu’elle m’a adressé la parole depuis que nous habitons ici. Je pensais que tu la connaissais, elle ne m’a parlé que de toi : c’est la femme de Gilles.
- — Ah ! C’est étonnant, nous nous connaissons à peine. Qu’a-t-elle bien pu te dire à mon sujet ? Beaucoup de bien, j’espère !
- — En effet, j’ai subi la litanie de tes louanges. J’ai presque senti de l’agacement. Il paraît que son mari t’adore, qu’il te trouve des tas de qualités, de l’intelligence artistique, une sensibilité peu commune, beaucoup de passion quand tu poursuis un but, une approche sympathique des gens qui fait qu’on ne peut pas ne pas t’aimer. Il a même cité tes formes physiques comme modèle de corps féminin. Et pendant qu’elle me répétait tout le bien que son mari dit si souvent de toi, j’avais la sensation que tu lui inspires une sorte de jalousie. La souplesse de ton corps, la grâce de tes gestes, la profondeur de ton regard, l’attention affectueuse que tu lui réserves, la sûreté de ton goût en matière d’habillement, la discrétion de ton maquillage, la douceur des traits de ton visage, et surtout ta capacité à saisir immédiatement les consignes et la simplicité avec laquelle tu reçois les remarques, enfin la vénération que tu lui portes : elle est exaspérée de tous ces compliments qu’il t’adresse devant elle. Elle m’a même dit qu’elle, sa femme, n’avait jamais obtenu la moitié de ces louanges. Elle a ajouté que j’avais bien de la chance de posséder une telle perle et, pour me taquiner, m’a lancé en me quittant que je devrais veiller attentivement à ne pas me la faire voler, ni par son mari, mais elle veille au grain, ni par un autre. Je sens qu’il y avait comme un avertissement. Tu ne te serais pas montrée avec un autre homme ?
- — Ça alors, il a fallu qu’elle te mette des idées bizarres en tête. Mon Dieu, mon chéri, j’en suis toute gênée. Que vas-tu imaginer ? Qu’est-ce qui lui prend à cette bonne femme ? Qu’elle surveille son mari si elle est jalouse, mais qu’elle ne s’amuse pas à briser le ménage des autres. Viens que je t’embrasse.
Ma joue gauche et ma joue droite reçoivent ce grand réconfort de ma divine tricheuse. Si elle me croit, elle est soulagée.
- — Au contraire, remercie Sylvie : c’est elle qui m’a ouvert les yeux. Grâce à elle j’ai compris le sens de la relation fusionnelle nécessaire entre artistes. Je n’ai plus aucune raison d’être jaloux de ce qui vous rend si proches. Je croyais que vos retours à pas lents par le chemin le plus long, bras sur l’épaule, corps rapprochés, bisous de séparation dans la rue, étaient des promenades romantiques d’amoureux ; je sais maintenant que ce n’était que des moments de transmission artistique, de partage d’une passion commune ; et ça change tout. Si je suis jaloux, vois-tu, c’est de ne pas pouvoir vous suivre dans ce registre, de ne pas être capable de goûter à ce pur bonheur avec vous.
Ne suis-je pas parfait dans ce rôle du cocu qui se réjouit de l’évolution de sa femme : Il n’est pas de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. Moi, j’en ai trop vu pour reculer. J’entre dans le personnage que Rose m’a attribué dans son exaltation amoureuse.
Ce mardi je suis donc théoriquement dans le train de Paris. Ma voiture garée hors du passage de ma maison à l’atelier, je viens de voir Rose toute guillerette partir à ce cours collectif. Je quitte ma voiture et j’emprunte mon passage par le local technique. J’ai environ deux heures devant moi pour inspecter les lieux. Tout est propre et bien rangé. Exceptionnellement, la porte de la chambre située dans le prolongement de la façade ouest, du côté des fenêtres de la grande pièce de vie, est ouverte. Nous y avons disposé un matelas que Rose et moi utilisons à même le sol, lorsque nous accueillons pour la nuit des amis auxquels nous laissons notre chambre. Sera-t-il nécessaire d’acheter une chambre d’amis ?
Je reçois immédiatement confirmation que Rose attend un visiteur : le matelas est habillé d’un drap de coton égyptien, deux coussins brodés d’un cœur marquent l’emplacement de deux têtes et des pétales de pivoines roses ont été répandus en bordure de ce lit. C’est donc ici qu’auront lieu les ébats espérés. Un reste de pudeur a protégé le lit conjugal. Pour combien de temps ?
La porte de la chambre du milieu est, comme toujours, fermée à clé. Je l’ouvre et j’y dépose mon appareil photo, mon magnétophone que je brancherai plus tard pour enregistrer ce qui se dira dans ce lieu de consommation renouvelée de mon cocufiage. Le fil du microphone emprunte le passage des tuyaux d’alimentation des radiateurs en fonte à travers la paroi ; des liens de scotch transparent le maintiennent hors de vue et je fixe le micro à l’arrière du radiateur, froid en cette saison. Je ramène quatre sièges de jardin de mon garage. À 19 heures arrivent mes trois mousquetaires. Trois grands costauds : propres. J’ai insisté sur les consignes d’hygiène. Je les installe sur les sièges de jardin, dans la chambre du milieu et leur offre une bière. Je leur rappelle ce qu’ils auront à faire au signal que je leur donnerai. Le silence le plus total devra être observé à partir de 20 heures, sinon l’opération échouera. Sylvie arrive à son tour. Je l’installe avec les autres. Une seule consigne : attendre sans bruit mon signal et elle pourra se manifester. 19 h 57 une clé tourne dans la serrure. Portes fermées ; SILENCE ! je branche le magnétophone.
Rose pénètre dans le salon. Derrière elle, les mains sur ses hanches, Gilles demande:
- — Tu n’as pas oublié de fermer la porte cette fois ?
- — Ah non ! Assieds-toi une minute dans ce fauteuil, je ferme les volets et je suis à toi. Je ne tiens pas à voir surgir ta tigresse. Elle a tenu parole, elle n’a rien dit à Paul, heureusement. Sais-tu qu’il souhaite ardemment que tu continues à venir chez nous ? Tu pourras dire à ta femme qu’il assistera au travail. Ça devrait la rassurer. Bon, nous avons peu de temps pour nous aimer, il ne faut pas éveiller les soupçons de ta cocue ! Viens, je nous ai préparé un lit d’amour. Quelle merveilleuse idée ce voyage à Paris ! Si tu veux, demain, quand tu auras un moment… humm, oui, humm…
Étroitement enlacés, bouches dévorantes, ils se dirigent vers le matelas.
- — Quand nous serons sûrs de nos sentiments et de la durée de notre amour, je te recevrai dans notre chambre. Vite passons aux choses sérieuses avant d’être dérangés. Je suis folle de toi. Et toi tu m’aimes ? … C’est pas croyable ce que mon cocu peut-être crédule ! Tu pourras venir quand il sera au travail ! Le jeudi on se tiendra tranquilles puisqu’il veut assister, mais nous nous rattraperons. Oui, encore… Oh : tes mains sur moi, oooh !
Je sors de la chambre, fais signe aux autres de ne pas bouger.
- — Ça y est, je suis prête, posons nos vêtement sur cette chaise, à côté de la porte.
Je me suis plaqué à la paroi. Dans l’encadrement de la porte apparaît le bas du dos de Rose, enveloppé dans une étroite frange de dentelle mousseuse : elle va se ruiner en tenues affriolantes. La minute d’après, je les entends se rejoindre en riant et chahutant sur le drap frais. Entre deux baisers gourmands, le souffle déjà court j’entends :
- — Fais doucement, tu me chatouilles. (Elle rit en roucoulant). Ne sois pas si pressé, embrasse encore mes seins. Tu peux aussi toucher mon petit bouton, oui, là, mais doucement, mouille un peu ton doigt dans la fente. Hhhho… Tu sais ce que je souhaite ? Fais-moi un enfant. Quand je le porterai, je penserai à toi, quand il grandira, je penserai à toi en le regardant. Si nous ne pouvons plus nous voir à cause de Sylvie ou de Paul, nous aurons un trésor en commun, un secret que personne ne connaîtra. Là… entre doucement. Enfin. Oui. C’est si bon…
Ils ont sacrifié les préliminaires et plongent dans le vif du sujet : trop de contrariétés ont interrompu leurs précédentes tentatives. Cette fois ils se précipitent enfin dans cette copulation voulue. Je n’entends plus que leurs souffles. À intervalles espacés, Rose produit un « euh ! euh ! » Je m’approche. Elle serre sur ses hanches le bassin de l’homme des deux mains ; lui est en appui sur ses bras tendus posés de chaque côté de la tête permanentée de cet après-midi. Ils sont les yeux dans les yeux guettant dans le regard de l’autre la montée du désir, les vagues du plaisir. Plus rien ne compte désormais que cette quête de la jouissance physique. Les « euh » … « euh » se précipitent. Le martèlement du mâle accélère, les clapotis humides du piston sont de plus en plus fréquents.
- — Surtout ne te retire pas, viens tout au fond de moi. Ouiiiiii ! Dis-moi que tu m’aimes.
Le grognement grave qui lui répond ne me convaincrait pas ! Je recule, ouvre la porte voisine au moment où Rose s’époumone et crie :
- — Je viens, baise-moi, baise, heu… Oh, ce jet, c’est chaud… Encore !
- — Enfin, quel plaisir de te voir jouir. Garde les yeux ouverts et n’arrête pas d’entretenir la flamme. Bouge ton ventre et cale-moi avec tes chevilles réunies sur mes reins. Je sens que nous allons bientôt jouir ensemble. Oui, prépare-toi, oh, oh, han. Tu sais que tu es bonne, toi. Tu m’as vidé. Tu l’auras ton bébé ! Quel coup ! … Tu as vu l’heure ?
- — Non, pas déjà. Si tu es fatigué, mets-toi sur le dos, je vais te refaire durcir avec ma bouche, tu aimes ? D’abord il faut que je nettoie le goupillon qui m’a bénie. Là… tu reprends forme, tu es presque aussi gros et long que Paul… On ne va pas se quitter si vite. Tu diras à ta vieille qu’il y avait un pot pour un anniversaire.
- — Bon, installe-toi. C’est ça, descends. Avec ce que je t’ai mis, ça descend tout seul. Reste au fond, remue ton bassin, décris des cercles. C’est divin. Ton mari en a une plus grosse, mais te donne-t-il autant de plaisir ? Ce n’est pas qu’une histoire de taille, tu sais : il faut savoir s’en servir. Tu me sens ? Tu as la face toute rouge, même la base de ton cou est congestionnée : je vois que tu t’approches du prochain orgasme. Ma parole, tu étais en manque. Tes prochaines règles, c’est pour quand ?
- — Tais-toi, lève tes hanches, pénètre, rentre-moi dedans… dans quinze jours… ooohh… ooho, oui, encore… encore, plus profond, pousse !
- — Tu fais souvent l’amour avec ton cocu ?
- — Non, en ce moment, il ne me touche plus ; depuis que je suis restée pour ranger l’atelier, il m’ignore. C’est par jalousie. Mais après mes prochaines règles, si je le laisse assister… maman ! Hooo… beuhh. Ça y est, je te sens jaillir, oh, ho, hoooo.
- — Tu ne pouvais pas le dire plus tôt ? Si tu es enceinte, ça ne pourra être que de moi. Tu es folle à lier.
D’un violent coup de reins, il la désarçonne. Trop tard : le premier éclair de mon flash passe inaperçu, le second renverse Gilles sur le dos. Je tourne autour du matelas en mitraillant les deux acteurs effarés, paralysés par mon apparition et l’entrée des trois malabars qui m’accompagnent. Leur anatomie dénudée, l’érection de Gilles, la coulée blanchâtre entre les lèvres bâillantes de la vulve irritée de Rose, cuisses ouvertes, l’appareil vise tout, les yeux des témoins n’en manquent rien. Sylvie accourt, je n’ai pas eu à l’appeler. Elle se met à hurler :
- — Ah ! La cocue, la vieille, la tigresse. Elle va t’arranger, la tigresse. Putain, salope, paumée !
Je ne peux pas empêcher les claques et le crêpage de chignon. Sur le drap souillé, ils gisent inertes, stupides, défaits. Le plus catastrophé c’est Gilles : l’apparition de sa vieille le terrorise. Rose finit par resserrer les jambes et cache son sexe des deux mains. Elle sanglote, a pris les gifles de façon passive et proteste:
- — Non, non, non, pardon, non, hoooo.
Des « hooo » qui n’ont plus la même résonance. À qui s’adresse-t-elle ? À moi, à Gilles, à Sylvie ?
- — Mes amis, vous leur liez les poignets et les chevilles, mains dans le dos, vous leur bandez les yeux et vous les couchez côte à côte sur le ventre. Rose es-tu rassasiée ? Mes aides se dévoueraient volontiers !
- — Non, non, pardon Paul. Pitié mon amour !
Ce cri a du perdre toute signification, elle dit « mon amour » comme d’autres disent « merde ».
Sitôt dit, sitôt fait. Ce scotch gris, en bandes larges, va les maintenir en position. Qu’ils se reposent et mijotent dans leur jus. Ils vont avoir le temps de réfléchir. Plus rien ne presse désormais, ils n’ont plus rien à cacher, ils vont goûter au bonheur de coucher paisiblement ensemble sur le lieu de leur amour, de partager drap et matelas dans cette chambre.
Que nous sommes tolérants, Sylvie et moi ! Nous quittons la pièce et allons nous désaltérer. Le champagne n’a pas vraiment eu le temps de descendre à la température idéale. Mais la réussite de notre plan mérite qu’on fête.
- — Je crois qu’ils s’en souviendront.
C’est Sylvie qui rompt ainsi le silence. Nous reprenons notre souffle. Je vais arrêter le magnétophone. Elle me regarde surprise, demande à entendre le contenu de la bande. Remettons à demain : je vais charger une autre cassette pour la suite, car j’ai prévu de laisser le couple attaché après l’épreuve. Ils vont avoir des choses passionnantes à se dire.
De la chambre viennent plaintes et supplications. C’est surtout Rose qui gémit et pleure. Sylvie est aussi impassible que moi.
- — Toi, alors, déclare Sylvie, tu m’as étonnée et surprise. Tu aurais pu me prévenir de cet aspect de l’affaire. Mais je conviens que c’est une excellente leçon pour ces deux-là. Demain, je prends rendez-vous chez un avocat et je demande le divorce. Je compte sur toi pour me procurer des photos. Gilles n’est pas au bout de ses peines : cet après-midi, j’ai transféré le contenu de notre compte joint sur mon propre compte. Que comptes-tu faire de lui ?
- — Le jeter à poil dans la rue, c’est la consigne.
Le travail en commun nous a conduits spontanément au tutoiement.
- — Ne vaudrait-il pas mieux le faire déposer devant chez ses parents, de sorte qu’il ne vienne pas m’importuner cette nuit. Ils habitent à une dizaine de kilomètres en pleine campagne. Il ne trouvera pas de taxi. Peut-être pourrais-tu me prêter un de tes gardes du corps pour me protéger : je le paierai pour son service.
- — Très bien, ta solution est la meilleure. Nous verrons si nous trouvons un volontaire pour te donner satisfaction. Tu risques d’en avoir plus facilement trois qu’un !
Elle sourit, songeuse : ce qu’elle en fera ne me regarde pas.
- — Et toi, Paul, que comptes-tu faire de cette traînée ? Tu divorces ? Si un jour tu te trouves seul, fais-moi signe. Dire qu’il y a des types comme toi, fidèles, et qu’il a fallu que je choisisse cet enfoiré de coureur ! Il va sentir passer la facture.
- — À la différence de Gilles que tu avais surpris et menacé, Rose ne savait pas que j’étais au courant. Le discours qu’elle a tenu au début en souhaitant que ton mari lui fasse un enfant m’a profondément meurtri. C’est une déclaration de mépris pour moi ; elle est prête à me faire porter des cornes et la paternité d’un bâtard. Pour moi, c’est impardonnable, parce que si nous n’avons pas d’enfant, c’est à sa demande. Elle voulait attendre de se sentir prête pour la maternité et voilà qu’elle m’exclut de ses plans. Quel manque de respect. Je ne sais pas si je pourrai pardonner cette demande. J’aurais pu excuser une faiblesse, un égarement sexuel. Je suis malade d’avoir entendu ma femme demander à un autre homme de lui faire un enfant qui lui rappellerait son infidélité toute sa vie : comme une sorte de fidélité éternelle à l’amant au mépris du mari. Il faut que je réfléchisse à froid à la solution. J’ai l’intention de les laisser seuls un moment et d’enregistrer leurs réactions. J’y trouverai peut-être une réponse.
- — Tu pourrais garder cette garce ? J’ai du mal à te comprendre. Faut-il que tu l’aies aimée ! Elle ne le mérite pas. Je l’avais mise en garde jeudi. Elle a vraiment le feu au cul. À mon avis, ça ne se guérit pas. Passe à autre chose.
- — Je ne vais rien précipiter.
J’interpelle mes trois auxiliaires :
- — Attendez-moi en compagnie de Sylvie, elle a une proposition à vous faire.
Je retourne près des amants, la pièce n’a pas été aérée, les odeurs mélangées de sueur et de sperme me soulèvent l’estomac
- — Alors, ça vous plaît ? Vous êtes bien dans votre nid d’amour. Reposez-vous en attendant de savoir ce qui vous attend.
- — Salaud de cocu, tu me paieras ça.
- — Pitié, Paul, je n’en peux plus. Pourquoi ? Arrête, je t’en supplie.
- — Rose, ce n’est pas à toi de dire pourquoi. C’est à toi de donner des explications. Je vous laisse réfléchir ; mais toi, Gilles, tu souffriras encore avant de me quitter. N’oublie pas que tu t’es invité malgré moi dans ma demeure. J’ai une bonne nouvelle pour toi : ta femme veut divorcer. Si tu veux épouser la mienne, tu pourras élever l’enfant que tu viens de lui mettre dans son ventre si accueillant ce soir.
Je les laisse à leur méditation et vais vérifier le fonctionnement du magnétophone dans la salle voisine.
- — Tu sais patron, dit l’un des costauds, la prochaine fois on travaillera gratuitement, c’est pas tous les jours qu’on voit un spectacle porno.
Ils explosent d’un rire gras tandis que la porte laisse filtrer les cris d’une querelle d’amoureux ! Avec Sylvie, ils sont tombés d’accord. En premier, ils assureront la livraison de Gilles dans son village, puis ils assureront la tranquillité de sa nuit. Je suis soulagé de n’avoir plus à régler cet aspect du problème. Nous prêtons une oreille aux invectives des deux gisants et nous rions.
- — Qu’avez-vous vu ce soir ?
D’une seule voix :
Je m’installe à ma machine à écrire et rédige deux petits mots :
Je, soussigné, Gilles …, reconnais avoir été surpris en flagrant délit d’adultère avec Rose … épouse consentante de Paul … ce mardi … par l’époux de ma maîtresse Rose … et par mon épouse Sylvie … Date et signature
Je, soussignée, Rose …, épouse de Paul …, reconnais avoir été surprise, à mon domicile, en flagrant délit d’adultère avec Gilles … par mon époux Paul et par l’épouse de mon amant. Date et signature.
Sylvie fait les poches de Gilles, rafle les clés et le portefeuille, ne lui laisse que ses mouchoirs. Elle fait un paquet des vêtements. Armée d’un feutre noir, elle va écrire dans le dos du mari infidèle :
« TROUVÉ NU DANS LE LIT D’UNE AUTRE »
Je remercie les intervenants, leur remets l’enveloppe promise.
Elle se laisse traîner, je la fais asseoir à la table où le flirt a débuté, j’enlève les liens et découvre ses yeux toujours en larmes.
- — Laissez-moi m’habiller, implore-t-elle.
L’assemblée rit, tous la connaissent mieux nue qu’habillée…
- — Qui t’a mise nue ? Pas nous. Tu t’habilleras dès que tu auras signé cette feuille.
Ses yeux passés du noir à la lumière déchiffrent, elle se tourne vers moi et dit :
- — Jamais.
- — Si tu préfères que je publie les photos, ça te fera de la publicité gratuite.
- — Bon, donne, je signe…
- — Sylvie, veux-tu l’accompagner à la salle de bain, elle pue. Mais pas de rinçage du vagin, elle veut un enfant de Gilles.
Toutes deux se dirigent vers l’endroit désigné. Rose a la démarche d’un canard. Pieds nus comme la pute de Sartre, mal assurée, sans charme. D’un signe de tête, je demande Gilles. Ils le portent jusqu’à la chaise, lui délient les mains, j’arrache sans ménagement le bandeau des yeux. La lumière l’éblouit.
- — Tu as le choix entre signer cette feuille ou te retrouver en photo sur la porte de l’atelier. Sache que, ta maîtresse ayant signé, ta décision sera sans importance. Tu ne sortiras d’ici que lorsque tu auras signé, ce qui n’est qu’un reflet exact de ce que nous avons constaté.
Il reconnaît sa défaite et signe en espérant la clémence de sa femme qu’il ne voit pas dans la pièce. Les femmes quittent la salle de bain. Rose a passé un peignoir rose pour cacher sa nudité. Je la fais asseoir dans un fauteuil et lui fais entraver les chevilles. Sylvie me fait cadeau d’une cravache et emmène sa troupe. Gilles est de nouveau ligoté et porte un nouveau bandeau. Il a encore une soirée agitée à affronter. Sylvie est déterminée à rendre compte à ses parents des activités extraconjugales de leur fils.
De mon côté, je suis disposé à le dénoncer comme suborneur au comité de direction de l’atelier d’art, photos à l’appui. Son bénévolat au service des dames devrait s’arrêter là. Il devra chercher un autre territoire de chasse. J’ai fermé toutes les issues : nous jouerons la suite à huis clos. Rose repart en pleurs. C’est une fontaine intarissable. Mais que pleure-t-elle ? Ses amours contrariées, sa faute étalée à mes yeux, son mariage saccagé, l’atelier qu’elle n’osera plus affronter ni fréquenter, la honte d’un procès en divorce avec photos de l’adultère publiquement étalées et cette reconnaissance écrite et signée par elle, et sans doute par lui, du flagrant délit, la grossesse possible résultat de son accouplement adultère ? Je lui donne un paquet de mouchoirs en papier.
- — Paul, je suis désolée, je n’aurais pas dû. Je te croyais à Paris.
- — Autrement dit, si j’étais allé à Paris, tu ne serais pas désolée. Mon absence est donc la fautive ?
- — Ce n’est pas ce que je veux dire. Mais comment as-tu su que nous nous retrouverions ici ce soir ? C’est encore cette Sylvie qui te tutoie qui t’a…
- — Ne cherche pas à faire porter ta faute sur les autres. Ce n’est pas Sylvie qui m’a renseigné, c’est moi qui ai fait voir à Sylvie que tu profitais des prétendus cours particuliers pour séduire son mari.
- — Ah non ! c’est lui qui m’a engagée dans cette voie, qui m’a demandé de rester plus longtemps avec lui pour ranger ; ce n’était qu’un prétexte puisque habituellement chacune range ses affaires en fin de séance. Pendant que nous étions seuls il m’a fait tellement de compliments de toutes sortes que j’ai fini de trouver agréable de m’attarder.
- — Je sais, j’ai assisté à ses progrès et j’ai hélas constaté que ses avances te plaisaient. Effectivement j’ai compris qu’il y avait quelque chose de louche le premier soir où tu es rentrée après 9 heures ; en faisant le tour du quartier, je me suis retrouvé derrière vous, et j’ai trouvé anormale cette accolade devant l’impasse et cette petite course qui suivait comme pour rattraper le temps perdu, car à l’évidence, toi-même tu avais conscience d’une irrégularité. Le mardi suivant j’étais venu pour te raccompagner et c’est alors que j’ai entendu les autres filles dire que tu en pinçais pour Gilles et que tu allais y passer. Je vous ai vus partir comme deux amoureux. Il avait passé son bras sur tes épaules : je ne t’ai pas vue repousser cette familiarité déplacée. Je suis rentré par le chemin le plus court, celui que tu aurais dû prendre, mais tu as préféré faire le grand tour avec ce bras autour de toi, comme si c’était celui de ton mari.
- — Mais pourquoi n’as-tu rien dit ?
- — Que peut dire un mari à sa femme, quand il constate qu’elle est amoureuse d’un autre et qu’elle lui cache des choses ? Par exemple, m’as-tu dit ce mardi-là que vous aviez échangé plus qu’une simple accolade au coin de l’impasse ? Il se cachait de sa femme, mais du jardin j’assistai impuissant à cet échange de baisers sur le trottoir, en public, avant que tu ne te dépêches de rentrer en courant pour soulager ta mauvaise conscience sans doute. Et c’est ce mardi de ton deuxième gros retard, excusé mensongèrement par une prétendue absence d’une Claire, que tu m’as annoncé que le généreux professeur te proposait des cours à domicile à l’heure où j’allais au tennis : c’était cousu de fil blanc. Et juste après que je t’avais vue l’embrasser, tu t’es payé ma tête en me demandant de ne pas être jaloux ; c’est un comble de mépris !
- — Tu aurais pu me mettre en garde, au lieu de m’espionner comme une coupable.
- — Tu recommences à dégager ta responsabilité ? Je te rappelle, pour le cas où tu l’aurais oublié, que tu es majeure, mariée avec moi. Si je t’avais mise en garde que se serait-il passé ? Tu aurais inventé des subterfuges pour me tromper pendant mes heures de travail par exemple, ou comme aujourd’hui quand je devais m’absenter, puisque mon absence, à tes yeux, justifie ta conduite.
- — Mais si tu m’aimais tu m’aurais empêché en me parlant.
- — Je t’ai laissée exprimer tes préférences. Pendant que vous vous couriez après, tu t’es mise à me délaisser. Je me suis senti délaissé d’abord, puis trahi quand tu as décidé d’introduire ton amoureux dans notre maison hors de ma présence ; alors que déjà vous veniez de vous embrasser et que je vous avais vus. J’ai bien compris que ces petits bisous que tu me donnais distraitement sur la joue ne ressemblaient plus à ceux que tu me donnais quand tu m’aimais, ni à ceux qu’a reçus depuis ce satané suborneur.
- — Mais je t’aime.
- — Comment oses-tu encore me dire cela ? Tu n’as vraiment honte de rien ! Le premier jeudi, au lieu de me rendre sur le court de tennis, je suis revenu et je vous ai observés depuis la chaufferie.
- — Quoi, tu as fait ça ? C’est du propre, fait-elle indignée.
- — Parce que ce que vous avez fait était propre à ton avis ? J’ai bien observé comment il te pressait de toutes parts et comment tu accueillais ses papouilles sans rechigner. C’est quand il a commencé à fouiller dans ta culotte, que je suis allé en vitesse sauter dans ma voiture pour revenir en klaxonnant. Ce soir-là, si je n’étais pas intervenu, tu passais à la casserole comme l’avaient annoncé tes copines. J’ai fait ce que j’ai pu pour t’éviter le pire. Souviens-toi, tu avais rendu les armes. Quand tu as ouvert la porte, tu étais toute rouge et ton amant, c’est comme ça qu’on peut désigner un homme qui est surpris en train de chatouiller le sexe d’une femme, ton amant bandait comme un âne dans son pantalon. Et peut-on croire qu’on est aimé par une épouse qui se livre ainsi à un autre homme, dans sa maison ?
- — Je n’ai jamais voulu te tromper avec Gilles. Je sais bien que c’est toi mon mari.
- — Au point que ce soir-là, excitée par ce salopard que tu adores, tu as essayé de me faire l’amour pour calmer tes démangeaisons. J’ai refusé les restes de ton Gilles. Ses doigts t’avaient fait mouiller et tu te serais envoyé n’importe qui, sans honte, y compris ce mari que tu voulais tromper.
- — Je ne voulais pas te tromper. Je sais que je me suis laissée embarquer, mais ce n’était pas pour te tromper !
- — Tu perds encore la tête. Si tu n’avais pas l’intention de me tromper qu’aurais-tu fait ? Tu aurais simplement refusé de continuer ces cours qui ne sont que des prétextes à s’évader. Le mardi suivant, pour t’éviter une tentation supplémentaire, je suis venu te chercher, les autres filles riaient à gorge déployée en vous quittant, tellement tu affichais ton infidélité publiquement. Que me restait-il à espérer de cette femme obnubilée par le désir de se donner à ce coureur de jupons ? C’est en toute connaissance que tu t’es entichée de ce séducteur indélicat. C’est du vice. Le jeudi suivant, j’ai invité Sylvie et nous avons assisté à ton abandon. C’est Sylvie qui est intervenue alors que Gilles te possédait sur la table du séjour.
- — Oh ! Mon Dieu ! Tu as assisté à ça aussi ? Que je suis malheureuse !
- — Malheureuse d’avoir été vue ou de l’avoir fait ? Tu as surtout été malheureuse d’être dérangée au moment de grimper au septième ciel avec ce chéri, choisi sous mon nez, accueilli en toi devant moi , là sur cette table, dans ce nid d’amour construit pour nous et que tu as pollué trois jeudis de suite sans te poser la moindre question. Ah ! Si tu t’étais posé des questions quand tu as vu que je m’entretenais avec Sylvie sous ta fenêtre… C’était un signal pour te mettre en garde. Et mon discours si ridicule sur ton avenir d’artiste à propos des travaux de cet atelier prétexte, tu en aurais senti l’exagération, si ton seul souci n’avait pas été d’écarter tout ce qui pourrait déranger ta partie de cul de ce soir, à bâcler en vitesse, lamentablement, sans aucune délicatesse, avec un mec dont le seul but était de te tirer vite fait, pour ne pas éveiller les soupçons de Sylvie. Tu n’as pensé qu’à la jouissance promise, sans chercher à comprendre les appels de Sylvie le jeudi où elle t’a fait jurer de ne plus recommencer ou les miens, samedi encore. Et tu t’es empressée à faire ma valise pour être certaine que je laissais la voie libre. Une telle obsession ne me laissait aucune chance. Cela fait à peine deux ans que tu m’as juré amour et fidélité et, dans mon dos, tu me cocufies sans remords ni regret et il y a pire : tu me mets plus bas que terre, tu me méprises et peut-être me hais-tu ?
- — Mais non, j’ai commis une énorme erreur, je le regrette. Je t’aime. Comment peux-tu affirmer que je méprise l’homme de ma vie ? J’ai mal partout, ne peux-tu pas délivrer mes pieds que je puisse bouger un peu. J’étais mal couchée sur le matelas.
- — Je te remercie de n’avoir pas utilisé notre couche pour te livrer à tes chienneries.
- — Tu vois que je te respecte, notre lit est resté intact. Alors pourquoi avoir préparé ce piège, avec ces témoins ?
- — Peut-être vas-tu comprendre. Un instant…
Je vais chercher le magnétophone. À sa vue elle pâlit. Je le pose devant elle sur la table du salon et je lance la première cassette : de leur arrivée jusqu’à notre intervention, on y parle de « sa tigresse », du cocu content « qui insiste pour que continuent les leçons », de la nécessité de se jeter vite sur le nid d’amour préparé. Je stoppe la cassette.
- — Ce n’est pas par hasard que vous vous êtes retrouvés ici ; tu le dis toi-même, tu avais préparé un nid d’amour. Quand… je te recevrai dans notre chambre. Ce soir tu ne livrais qu’une partie, mais tu viens de t’entendre promettre notre lit, c’est bien ta voix, n’est-ce pas ? Ton respect ne devait donc pas résister au temps, c’était une question de jours, avant que tu réussisses à me déboulonner et à me faire passer à la trappe.
Elle est livide. Que peut-elle opposer à ses propres paroles ? Je continue, le pire arrive : les chatouilles, « fais-moi un enfant », « notre secret », « je penserai à toi en le regardant grandir » … et les bruits des ébats amoureux.
Elle se bouche les oreilles, ne veut plus entendre son délire.
- — Vois-tu, c’est ce que je ne pourrai jamais te pardonner. Qui ne voulait pas d’enfant jusqu’à présent ? Toi ! Qui ne voulait que des rapports protégés ? Et tu vas demander à cet amour à la sauvette de t’engrosser, de garder un enfant qui lui ressemblera mais que ton cocu de mari élèvera sans savoir qu’il n’est pas son véritable père. Peut-on tomber plus bas dans le mépris de son mari ? C’est la preuve qui convaincra le juge des divorces si les photos ne suffisent pas.
- — Quoi, tu veux divorcer ? Oh non ! je t’en supplie.
- — Tu ne connaissais qu’une expression : « Fais-moi confiance ». Quelle confiance pourrais-je avoir en toi ? Samedi, alors que Gilles t’avait pénétrée jeudi, tu me jurais que tu m’aimais. Déjà, ayant assisté à mon cocufiage deux fois, tes paroles me soulevaient le cœur. Mais ce que tu as dit là, à propos de cet enfant, c’est la pire ignominie. Oui, je veux divorcer, te laisser libre d’aller avec Gilles qui sera libre puisque sa femme aussi divorce. Et si tu veux le retrouver, va le rejoindre chez ses parents où Sylvie l’a livré. Il sera très heureux d’élever l’enfant que tu as accueilli dans ton ventre ce soir en souvenir.
Cette fois c’est un torrent de larmes qui déferle.
- — Ton vœu sera exaucé, tu vas donner vie à un enfant qui ne sera pas de moi, première satisfaction pour toi, puisque ça fait longtemps que nous prenions des précautions et que nous n’avons pas fait l’amour depuis un mois. Il faudrait que tu sois stérile pour n’être pas enceinte : tu as choisi la période la plus favorable sans utiliser une protection. Il te reste à trouver un autre pigeon pour l’élever, ce rejeton que tu as appelé de tes vœux. Mais compte sur moi pour renseigner tes prétendants sur la manière que tu as utilisée pour parvenir à concevoir.
- — Si tu fais ça, c‘est la preuve que tu ne m‘aimes plus. Ce n‘est pas possible. Laisse-moi me nettoyer. Ou bien je me ferai avorter.
- — Est-ce moi qui t’ai trahie ? Libre à toi de te faire avorter quand tu auras quitté cette maison. J’ai pris quatre semaines de congés et je vais veiller sur toi en attendant de voir arriver ou ne pas arriver tes prochaines règles. Après je te jetterai à la rue : tu pourras toujours t’adresser à ton amant, s’il veut de toi ; ce qui m’étonnerait, vu ses habitudes passées et l’état de misère où il va se retrouver grâce à toi et à ta furie amoureuse. Avec un peu de chance, ton enfant lui ressemblera, le malheureux.
- — Paul, au fond de mon cœur, je sais que je n’aime que toi. Je n’ai jamais envisagé de te quitter, crois-moi. Et plus jamais je ne me laisserai attraper. Garde-moi, je t‘aimerai plus que tout. De toute façon il faudra bien que je retourne au travail, tu ne pourras pas me séquestrer.
Voudrait-elle me défier ?
- — N’essaie plus de m’intimider, jamais plus je ne serai à tes ordres. Crois-tu que tu pourras oublier cette soirée et tout le plaisir que tu as pris avec ton Gilles adoré ? Moi, non. Oui, il va falloir que tu retournes au travail si tu es seule à élever cet enfant. Donc si tu ne veux pas de mon aide, fais-toi embaucher à plein temps.
Cette fois son visage est complètement décomposé et j‘en rajoute une couche:
- — Je vous ai laissé l’occasion de vous dire adieu après votre expérience. Je suppose que vous avez prévu une suite à votre aventure et que vous vous êtes fixé des rendez-vous ? Déjà que tu voulais le recevoir pendant mes heures de travail. Que peux-tu m’en dire pour me prouver la sincérité de tes dernières déclarations ?
Tête basse, elle reste muette.