n° 13910 | Fiche technique | 91070 caractères | 91070Temps de lecture estimé : 51 mn | 20/06/10 corrigé 12/06/21 |
Résumé: Rose a trompé Paul avec Gilles,mari de Sylvie. Les couples éclatent | ||||
Critères: mélo | ||||
Auteur : Passerose Envoi mini-message |
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(texte non corrigé)
Résumé. Paul et Rose vivaient heureux. Gilles a brisé ce bonheur. L’infidélité de Rose conduit à son départ. Sylvie se sépare de Gilles. Elle souhaite trouver en Paul un homme fidèle.
Tout semblait réglé. Or ce matin on sonne à la porte et je me retrouve face à l’acheteur qui a signé, il y a 6 jours, le compromis de vente de ma maison. Est-il si pressé de prendre possession des lieux ? Son air embarrassé m’intrigue. Nous prenons place, il tousse pour dégager sa voix et se jette à l’eau pour m’apprendre qu’il n’a pas obtenu le prêt relais nécessaire à l’achat de ma maison et qu’à regret il se trouve dans l’obligation de renoncer à son projet. Nous sommes dans les temps, le délais de rétractation est respecté et malgré ma déception, je ne peux que m’incliner devant la décision de ce retraité. Il répète combien la disposition de mon plain-pied lui plaisait, et je me sens obligé de le consoler.
Voilà qui remet en cause toute ma situation. Un autre acheteur pourrait se présenter et je peux compter sur mon agence immobilière pour m’en présenter. Mais entre le moment où j’ai décidé de vendre et ce jour, je me suis souvent interrogé sur le bien fondé de ma décision. Quand j’ai confié la vente à cette agence, je sortais d’une rude épreuve. Je me retrouvais seul dans cette maison spacieuse, seul avec des souvenirs douloureux. Rose venait de me quitter, dans des circonstances lamentables dont les murs me semblaient avoir gardé la mémoire. En mettant en vente, avant même de connaître la décision d’un tribunal, j’avais voulu me séparer définitivement de tout ce qui m’avait déchiré le cœur. Après des débuts heureux, j’avais eu à traiter cette situation inattendue, inimaginable de l’irruption dans notre couple de Gilles, le moniteur de l’atelier d’artisanat. Surpris, ulcéré, j’avais paré au plus pressé. Avais-je bien géré les événements ? L’issue catastrophique de l’histoire m’avait plongé dans le doute. J’avais sacrifié au désir de maintenir mon couple certains de mes principes, notamment celui qui voulait que le mariage fût une union librement consentie de deux parties. À partir du moment où Rose marquait une préférence pour un autre homme, j’aurais dû peut-être lui accorder immédiatement la liberté de me quitter, sans essayer de lui prouver qu’elle se trompait.
Combien de fois me suis-je demandé s’il n’aurait pas été plus judicieux de fermer les yeux dès le début. Si Gilles avait concrétisé lors de son premier cours à domicile, il se serait immédiatement lassé ou n’aurait pas tardé à le faire puisque son plan prévoyait une certaine Sophie. Rose abandonnée, renseignée par un mot de Gilles semblable à la lettre qu’il lui avait finalement laissée, aurait pu méditer sur l’événement, humiliée certes, mais sans témoins. Gilles l’aurait-il livrée à Alain Karim ou Maurice ?
La leçon reçue de Gilles aurait pu être source de force pour résister à leur cour. Peut-être. À moins qu’elle ne l’ait livrée aux prédateurs. Et j’aurais encore dû fermer les yeux. Mais au moins eût-elle eu l’occasion de constater par elle-même ce que ces gens attendaient d’elle.
Comme tout devait se dérouler loin de mes yeux, je n’aurais pas eu ce rôle de paratonnerre sur lequel Rose avait envoyé sa colère. En m’interposant, j’avais attiré la foudre sur moi. Je l’aimais, je souhaitais vivre avec elle, j’avais voulu la protéger malgré elle. Avec un peu de patience, j’aurais laissé à Rose le temps de faire quelques expériences, d’en tirer les conclusions pour son avenir. Et Rose, passé ce temps de découvertes, formée par quelques escapades hasardeuses, se serait raccrochée à ce qui lui aurait semblé solide ? A cette hypothèse on peut opposer qu’elle aurait tout aussi bien pu prendre goût au jeu, multiplier les aventures de façon de plus en plus provocante pour découvrir à quel point j’étais aveugle. Certains souhaitent voir leur femme jouir entre les bras d’un ou de plusieurs amants, grand bien leur fasse. Il est possible que le bonheur de leur vie soit lié à l’assouvissement des désirs de leurs épouses. Cette forme de bonheur leur convient ; j’envie cette façon d’aborder la vie de couple : les cocus heureux ne divorcent pas.
J’avais fini par perdre ce à quoi je tenais le plus au monde, l’amour de Rose. Elle s’était vengée des obstacles que j’avais dressés sur le chemin de son émancipation. Parce que je l’aimais, par maladresse, j’avais donné trop d’importance à Gilles et, dans son désarroi, elle m’avait considéré comme le responsable de la déroute de son idylle. Enfin, pendant que j’essayais de déblayer la route, par vengeance elle avait accueilli Alain et Karim, s’était livrée à eux en mon absence avant d’accorder à Maurice l’occasion de la venger. Mon retour avait empêché le troisième larron de la posséder à son tour, voilà pourquoi il rôdait comme une âme en peine dans notre quartier. Espérait-il que j’allais encore m’absenter ?
Après la sinistre découverte des preuves de la dernière et double infidélité de Rose, sans un mot, j’allai déposer le sac poubelle sur le trottoir. Une ombre avançait, marqua un temps d’hésitation et s’apprêtait à faire demi-tour. Bien que ne l’ayant pas vraiment reconnu, j’appelai :
Il vint à moi et je l’emmenai par le jardin jusqu’à la porte de la cuisine. Rose avait disparu. En arrivant au salon, accompagné de ce quasi inconnu, j’entendis des bruits dans ma chambre à coucher. Le grand Maurice, pas très à l’aise, prit place en face de mon fauteuil pendant que je sortais des verres à eau-de-vie et une bouteille de mirabelle. Nous avons trinqué à notre santé avant d’entamer la conversation
Y trouver des satisfactions, d’autant plus qu’elle fait preuve de dons certains pour les travaux manuels.
Voilà, il est détendu maintenant et déjà en train de rêver à tout le profit qu’il pourrait tirer de cette situation provoquée par le mari cocu qui lui fait si gentiment espérer des lendemains joyeux et animés.
Même pas ?
Les bruits dans la chambre ont cessé et j’ai aperçu dans l’ouverture de la porte une ombre : Rose doit prêter une oreille attentive à notre conversation.
Rose remplit une valise, y entasse sa lingerie. Près du lit une deuxième semble déjà remplie tant ses flancs sont bombés. Je constate qu’elle a décidé de quitter notre foyer. Je la regarde, elle me regarde :
Cherchez la cohérence ! Elle attend. Espère-t-elle que je vais protester, lui demander de ne pas partir ? Mon cœur est brisé, je ne sais plus que faire ou que dire. J’étouffe mes émotions sous les questions pratiques
Rose me suit, feint la surprise en voyant Maurice
Un silence suit ce court échange. Je prends les choses en main.
Aie, c’est embêtant. Il faut que je sorte. Qu’inventer pour les laisser seuls ?
Comment ce timide oserait-il répéter devant moi ce qu’il a dit plus tôt ? Laissons-lui une chance. Sinon je vais encore devoir forcer le destin. Puisque Rose me quitte, mieux vaut lui trouver une solution acceptable. Ce célibataire qui a de quoi l’héberger, prêt à se fixer et qui souhaitait la connaître au sens biblique du mot serait la solution idéale. Au retour, je m’arrête à la cuisine et appelle Rose.
Surprise quand je reviens : deux valises sont près de la porte, Maurice est agité, tient la main de Rose, son visage est radieux :
Rose a l’air satisfait. Comment s’y est-elle prise ? Dans son dernier sourire je lis un signe de reconnaissance. La larme qui coule sur sa joue lorsqu’elle m’embrasse avant de franchir le seuil m’émeut et j’écourte les adieux pour cacher les larmes qui m’échappent.
Elle est partie, maintenant je peux pleurer : ça ne fera de mal à personne. Je la revois en robe de mariée, les yeux plantés dans les miens, promettant fidélité et assistance avec une telle ferveur. On s’engage à vie, c’est exaltant mais un beau jour on se rend compte que des tentations font déraper, que la promesse sincère devient un poids. Ensuite je l’entends réclamer à Gilles de lui faire un enfant ; et ce dernier « Paul je t’aime » pendant notre dernière promenade.
Assommé par tant d’émotions je m’endors. Au réveil, j’ai cherché Rose, j’ai visité chaque pièce : ce n’était pas un mauvais rêve, j’étais seul. Rose était absente. Chaque chambre, la cuisine, chaque meuble, chaque siège, chaque ustensile, le lave linge, le panier à linge, la coiffeuse, le lit, ce maudit matelas et les pétales de pivoines fanés, le silence de la salle de bain, le silence de toute la maison : tout me criait que j’étais seul, seul. Plus de chants joyeux, plus de cris de joie, plus d’appels pour un oui ou pour un non : le vide, la solitude. Plus de taquineries, plus de disputes futiles, plus de marques de tendresse, plus de je t’aime. Et ce jour là je décidai qu’il me serait impossible de vivre dans cette maison trop chargée en souvenir, hantée par le fantôme de mon amour. Le temps de tout remettre en ordre et j’appellerais une agence immobilière.
Il y eut les démarches pour notre divorce, quelques contacts rapides avec Sylvie pour le sien, la recherche d’un avocat, le montage d’un dossier pour faute avec tout ce que cela comporte de pénible. C’est avec joie que je retrouvais mon travail à la fin de mes congés payés pour enfin échapper à la sinistrose. Rose et moi ne correspondions que par nos avocats, je ne savais pas si elle demeurait chez Maurice. Ses parents devaient m’imaginer en diable et me laissaient sans nouvelles. Jamais dans ma propre famille personne n’avait divorcé, j’étais le vilain petit canard. L’atmosphère était étouffante. Et, pour ne rien arranger, l’agence immobilière déploya un zèle extraordinaire pour dénicher l’oiseau rare qui achèterait ma maison. Comme mon salaire me permettait de rembourser régulièrement mes emprunts, je refusais de céder aux sollicitation du responsable d’agence prêt à vendre à n’importe quel prix pour toucher sa commission. Les candidats défilaient à un rythme incroyable, acheteurs potentiels ou simples curieux. Un couple de retraités se présenta, vint et revint en visite, tenta de faire baisser le prix et finalement signa le compromis de vente à mon grand soulagement. L’illusion ne dura que six jours.
Pendant ce temps le juge aux affaires familiales avait conclu de notre entrevue que nous ne souhaitions pas de conciliation. Ce samedi après-midi, il pleuvait, c’était l’hiver, j’avais organisé mes travaux ménagers pour la semaine et, assis devant la télévision, je repassai mon linge. Cette année, pour la première fois je ne dresserais pas de sapin de noel, je n’inviterais personne et personne ne m’inviterait. Je vivais en reclus. Un premier coup de sonnette me tira de mes rêves éveillés. J’ouvris ma porte à Maurice. Il était seul, plus affligé que moi : Rose venait de le quitter et était retournée chez ses parents. Nous trinquâmes à toutes les filles qui nous attendaient. Je lui rappelais qu’une de perdue c’était dix de trouvées ! Vieil adage imbécile dont j’étais le parfait contre-exemple et qui ne pouvait passer que bien arrosé !. J’essayai de le persuader qu’il méritait mieux que la traitresse, il versa quelques larmes dans son alcool, mais repartit consolé après m’avoir annoncé que le fameux atelier d’art avait été chamboulé par les départs simultanés et inexpliqués de Gilles, Alain et Karim. Il m’invita à venir le mardi soir observer sa section au travail.
Il m’avait quitté depuis un quart d’heure, j’avais eu le temps de laver les verres et de ranger la bouteille quand la sonnette m’annonça une autre visite. Ils étaient sortis ensemble, ils revenaient le même jour, après une si longue absence. Devant moi, toujours aussi séduisante, fardée avec soin, souriante, heureuse de me revoir, bras tendus Rose se préparait à réinvestir son ancien domaine.
D’un pas décidé elle était entrée, m’avait tendu sa bouche et s’était étonnée de recevoir un baiser sur chaque joue. On aurait pu croire qu’elle revenait d’un lèche-vitrine d’une heure ou deux. Et moi tout à ma surprise je laissais faire.
Oui, j’étais heureux de ce retour de Rose, je me proposais d’ouvrir une bouteille de champagne pour célébrer la fin de l’insupportable solitude. Elle était devant moi, belle, attirante, disposée à une réconciliation sur l’oreiller avec son chéri en manque d’affection depuis des mois, elle reprenait avec un naturel époustouflant son rôle de maîtresse de maison, se déplaçait à l’aise, jetait un coup d’œil un peu partout, trouvait réussis mes derniers travaux de tapisserie, les nouveaux rideaux des portes étaient magnifiques, elle approuvait mes choix, mon bon goût en matière de décoration, rêvait de vivre dans ce cadre renouvelé. Il aurait suffit d’un mot ou d’un geste et nous nous serions retrouvés nus et enflammés dans notre lit. Ce jeune corps ardent m’attirait, j’allai l’embrasser, la caresser, la déshabiller. J’allais redécouvrir la poitrine légère, les pointes dressées de ses seins. Elle semblait avoir la même envie de sexe et d’affection. Ses yeux guettaient la montée de mon désir qu’elle attisait avec ses mouvements volontairement ondulants.
Ah ! voilà un brutal retour à la réalité : les recommandations des avocats. Le mien m’a recommandé de ne pas me réconcilier sous peine de voir tomber à l’eau toutes les preuves antérieures à une réconciliation… Et vlan, d’un mot, d’un seul elle vient de briser le doux rêve du retour de l’épouse égarée. J’aurais tué le veau gras, organisé une fête somptueuse. J’aurais oublié, tout oublié pour la retrouver. Elle voit ma contrariété.
Dans le buffet de cuisine elle déniche des galettes bretonnes et nous buvons ce café qu’elle a toujours su si bien doser. Ce corps souple qui danse à travers les pièces, cette femme que j’ai tant aimée, que je ne peux oublier, je serais heureux de la prendre dans mes bras, de l’embrasser avec avidité, de la prendre et de me donner à elle. Mon cœur bat comme fou mais ma raison crie AVOCAT. Rose demeure d’une bonne humeur inaltérable. Elle me raconte sa nouvelle vie professionnelle, son travail à temps plein comme chef de rayon vêtements dans la grande surface de la ville voisine, sa satisfaction de pouvoir subvenir à ses besoins et le plaisir qu’elle aurait à revenir en partenariat amoureux dans cette maison construite pour elle et pour moi. Elle étale tous ses atouts, joue cartes sur table, enjôleuse, envoûtante. Hélas pour elle, plus elle veut se vendre, moins j’ai envie d’acheter. Elle s’est emparée de mon fer à repasser et a terminé mon ouvrage tout en discutant. Si elle est déçue de ma retenue, elle n’en laisse rien voir et j’accepte de la ramener en voiture à son domicile. Le seul engagement que j’aie pris est de rester son ami et confident malgré la procédure de divorce en cours. À raison d’une rencontre par semestre cette promesse peut être tenue. Dans six mois notre divorce aura été prononcé.
J’ai du mal à me remettre de la frustration que je me suis imposée. Si jamais un avocat me tombait entre les mains je l’étranglerais sur le champ. Crever de désir devant une femme qui s’offre, c’est inhumain. Je dois être malade de refuser pareille occasion. Faut-il que je sois parano pour me méfier à ce point d’un piège tendu par l’avocat de la partie adverse. J’en suis là de mes réflexions quand retentit un nouveau coup de sonnette. Que m’arrive-t-il ? Une autre revenante. Celle-ci est blonde, mais tout aussi souriante et plaisante à regarder : C’est Sylvie en reine de beauté, de la pointe des cheveux aux bouts des ongles, resplendissante, éblouissante, femme épanouie, proche d’une trentaine savoureuse, fruit mûr à cueillir sans tarder. Le diable a juré de me faire succomber aujourd’hui.
Elle entre, on se salue, on se donne une accolade qui me surprend. On se tutoie, mais jusqu’à présent nos salutations ne m’avaient pas révélé avec précision les formes et la chaleur de ce corps qui reste contre le mien plus qu’il n’est d’usage, aussi curieux du mien que je le suis de lui. C’est une redoutable attaquante. D’entrée elle marque des points en prolongeant ce rapprochement subit. Pendant des semaines nous nous sommes vus de façon neutre pour régler nos témoignages réciproques puis nous nous sommes oubliés. Quelques projets de sorties sont restés lettres mortes, nos rencontres se sont espacées. Et tout à coup le reclus se transforme en saint Antoine tenté par de magnifiques créatures.
Demandé aussi gentiment, avec une accolade encore plus appuyée, ça ne saurait se refuser. J’accepte en cachant mon enthousiasme. Sylvie se souviendrait-elle de sa lointaine invitation :
Je n’ai pas oublié, mais je n’ai jamais trouvé le courage de me présenter. Elle est magnifique au point de m’intimider et seules des circonstances étranges nous ont rapprochés. Au bal, Rose et moi adorions danser. La journée est chargée.
Sylvie se colle à moi, ses deux bras entourent mon cou, son regard mouillé se plante dans mes yeux, sa bouche s’empare de mes lèvres. Oui, cela a été dur ; pour elle comme pour moi. Et soudain, ce long baiser, très doux, très long c’est une délivrance. La mélancolie, les regrets, sur le champ, sont oubliés. Nous nous regardons étonnés, frappés par la foudre.
Et c’est reparti pour un tour : pour rien au monde je ne donnerais ma place. Elle m’insuffle cette assurance qui me manquait, la chape de timidité s’évanouit et cette fois je donne autant que je reçois dans cet échange. Toutes les barrières sautent, le salon en est illuminé. Le paradis, ça doit être ça.
Je suis aussi insatiable qu’elle. Et ce corps pressé contre le mien me fait oublier toute décence. Quand malheureusement il faut se séparer, Sylvie a un sourire entendu. Elle a senti et elle sait ce qu’elle a éveillé chez le solitaire. Et ce n’est pas pour lui déplaire.
Effectivement, j’ai négligé mon apparence depuis que Rose… Rose, le départ de Rose, l’absence de Rose, la possibilité du retour de Rose, Rose ici, Rose là. Le dernier piège de Rose. Mon deuil est terminé.
Qu’a-t-elle rajouté : je ne sais, mais quand je la rejoins, je la trouve encore plus belle, encore plus naturellement troublante, à la fois désireuse de plaire et sûre de son charme. Elle doit avoir environ deux ans de plus que moi, son autorité naturelle m’en impose, et son regard me chavire. C’est comme si je changeais de catégorie, je passe d’une jeune femme encore insouciante à une femme. C’est indéfinissable de se sentir ainsi désiré par cette femme sur laquelle je n’aurais pas osé poser mon regard. Quelle allure, quel port. Et c’est bien moi qu’elle savoure dans ce nouveau baiser. Et c’est bien elle que j’enlace et que j’embrasse.
Nous ne sommes pas les premiers, le bal est commencé. Sylvie bat campagne, décide de trouver nos places pendant que je dois attendre à l’entrée. Je regarde la piste. À quelques pas de moi, un couple semble oublier le monde qui l’entoure, bouches soudées, bras de la femme étreignant le cou de l’homme, ventres plaqués l’un contre l’autre. Je reconnais en premier la robe, je l’ai vue aujourd’hui. Cette femme amoureusement collée à son cavalier, c’est celle qui m’a juré il y a quelques heures seulement que je serais désormais le seul homme de sa vie. Sylvie me secoue, suit mon regard, ouvre de grands yeux et me tire vers notre table.
Un couple très jeune partage cette table avec nous. Nous nous saluons et les voyons disparaître dans le flot du slow. Sylvie ne me laisse pas le temps de penser à ce que je viens de voir. Le remède à toute mélancolie, elle le connaît. Nous allons danser et elle va affirmer sa présence, par son sourire, son parfum, sa chaleur. Elle me tient, me guide, me met en appétit, le rythme revient. C’est un réveil lent, progressif. De mené je redeviens meneur. Nous évitons les embrassades passionnées, nous sommes ici deux amis amateurs de danse. Parfois le dialogue se déroule uniquement par des regards plus que passionnés et nous faisons des efforts pour ne penser qu’à évoluer avec grâce. Je me sens bien.
On se sourit, on est heureux. On s’entend de mieux en mieux. À la pause, Sylvie s’inquiète :
Le temps du dépit amoureux est passé, je pénètre dans une nouvelle vie, pleine de promesses,. Sylvie est une révélation. Curieusement elle me procure une sensation de sécurité inacoutumée. Elle est solide, aussi sure moralement que physiquement belle.
Le juge ne tient pas compte de ce qui se passe des mois plus tard ! Sois tranquille, je suis sure que nous pouvons danser ensemble sans risque.
Un parfum connu approche de notre table, une voix ravissante murmure à mon oreille. Sylvie a vu avant moi l’arrivée de Rose et guette ma réaction
Sylvie se lève et s’amuse à faire une courbette pour que je la suive. Elle met ainsi fin à cette conversation
Quand on a le bonheur de glisser avec légèreté en compagnie d’une beauté aussi douée que Sylvie, au fur et à mesure des éliminations des candidats moins prisés du jury, on finit par attirer les regards. Les commentaires vont bon train. Certains spectateurs vous montrent du doigt. À plusieurs reprises j’ai aperçu des doigts qui désignaient Rose et son cavalier ou Sylvie et le sien. Certains devaient se souvenir de ce concours où nous avions été opposés. Gilles et Sylvie étaient très connus.
La voix de Sylvie me relançait. J’oubliais le public, je marchais, je valsais, nous valsions, nous évoluions.
J’étais sur mon nuage. Il fallut en descendre pour recevoir la récompense des vainqueurs, les applaudissements de circonstance et deux gros bisous sur les joues d’une cavalière qui me glissait en douce
Le jury par ses choix nous avait épargné d’être confrontés à Rose. Elle n’avait pas atteint le podium. Je n’en tirais ni satisfaction ni déception. Au premier rang elle applaudissait bruyamment notre modeste succès. Je ne voyais plus que Sylvie, souriante, bienveillante que ses amis et connaissances embrassaient chaleureusement. Elle tenait fermement ma main et j’en étais bêtement heureux.
Et le photographe de service prit à cette occasion, pour le journal local, une photo magnifique au moment où nous nous regardions comblés de bonheur. Ceux qui y lurent le bonheur de la victoire se trompèrent, mais c’est leur affaire. Au travail quelques jours plus tard quelques collaborateurs qui venaient de lire le journal m’adressèrent des compliments, plus pour la beauté de cette compagne que pour le premier prix. Et comme on fait rarement l’unanimité, j’entendis que c’était la beauté de cette jeune femme qui avait été primée.
Le bal terminé, il fallut rentrer.
Arrivés en haut de l’escalier, nous avons oublié le repas froid, le champagne, l’heure, tout.
Ne me demandez ni les dessins du papier peint de la chambre, ni la forme du lit, ni la couleur des draps. Mon seul souvenir est celui d’une indescriptible nuit d’amour. Fantastique, magnifique, sublime, exténuante, incroyable. Rajoutez tous les superlatifs que vous connaissez, vous ne serez pas loin de la vérité. On peut imaginer les exigences sexuelles de deux corps jeunes laissés en friches pendant de longs mois, les élans amoureux de deux cœurs assoiffés d’affection et de compréhension, de deux âmes chargées d’espérances au moment où enfin deux êtres se rencontrent, se reconnaissent et s’unissent.
Longtemps je m’étais demandé si l’addition de deux malheurs pouvait produire un bonheur, si l’alliance de deux vaincus pouvait conduire à une victoire ou si la réunion de deux cocus pouvait former un couple heureux. Invariablement je considérais que l’échec appelait l’échec, que chacune de mes conquêtes féminines était condamnée à devenir une Rose pleine d’épines entre mes doigts. Et je me voyais mal recommencer, pour un tel résultat, la somme d’efforts, de précautions amoureuses, de délicatesse de chaque instant nécessaire pour toucher un cœur. Je redoutais d’avoir à redécouvrir un autre corps, à faire découvrir le mien sans effaroucher, sans choquer. Tout ce long parcours du chemin de l’amour, rempli d’obstacles, attaqué avec ardeur la première fois, avec toute la fougue de la jeunesse curieuse et inexpérimentée, ne serait-il pas trop pénible si le résultat était incertain ou trop certainement voué à la déconfiture, aux affres d’un nouveau divorce.
Aussi m’étais-je condamné à cette vie monacale. Comment aurais-je pu me présenter devant Sylvie et lui rappeler des propos arrachés à sa colère ce jour maudit où nous avions confondus nos époux adultères. À quoi bon nous rencontrer pour geindre, pour remuer des souvenirs, pour voir et revoir les photos des jours heureux disparus, pour nous raconter des histoires d’anciens combattants de l’amour. Celui qui n’avait pas su garder sa délicate Rose ne pouvait pas sainement envisager de conserver cette fleur éclatante. Tenter ma chance ne pouvait aboutir qu’à un résultat humiliant et désastreux. Je la connaissais assez mal. J’avais beaucoup de mal à comprendre les infidélités de son mari. Quelle femme, quel caractère cachait ce corps si bien proportionné. Ce visage magnifique dissimulait-il une mégère redoutable ? Ou bien était-ce une prude frigide ? A cette dernière question j’avais reçu un démenti absolu la fois où nous observions ensemble Rose et Gilles : j’avais dû arrêter sa main !
Fort probablement tenait-elle les mêmes raisonnements à propos de moi, si toutefois je ne lui étais pas complètement indifférent. J’avais été un auxiliaire précieux pour la confection de son dossier de divorce, point barre !
Et ce matin, je me réveillais à côté de la belle endormie. Tout avait été si simple, si naturel, si normal, si rapide. Questionnements, hésitations, craintes et tremblements n’étaient que foutaise. La vie avait pris le dessus. Sous le drap léger j’étais allongé contre une créature splendide, qui dormait apaisée et confiante. Des raies du timide soleil de décembre venaient effleurer le visage abandonné au sommeil, toujours aussi fascinant. Non, je ne rêvais pas. Le miracle existe puisque j’en vivais un. J’en vécus un plus grand encore lorsqu’elle ouvrit les yeux et parut heureuse de me voir. Combien de temps sommes nous restés ainsi, immobiles, incrédules, souriant béatement avant de vérifier du bout des doigts que nous étions bien réels ? Et plus les doigts nous rassuraient, plus nos yeux brillaient. Plus je m’assurais de sa présence réelle, plus elle découvrait la réalité de la mienne plus son regard me disait son bonheur.
Laissez-nous savourer les délices des plus beaux de nos jours »
À défaut du lac de Lamartine, je me noyais dans l’eau claire de ses yeux pleins d’amour. Elle découvrait dans les miens toute mon admiration, ma confiance retrouvée et ma reconnaissance. Depuis longtemps j’avais oublié la douce chanson, mais en même temps qu’elle je déclarais spontanément, comme elle :
Pourquoi avoir tronqué la citation de Lamartine. J’ai commis un lapsus révélateur en oubliant un mot :
Je souhaitais que cet état durât et j’avais par inadvertance rejeté « rapides ». Rapide avait été mon mariage avec Rose. Et rose elle avait vécu ce que vivent les roses, l’espace d’un matin : guère plus, deux ans. J’aurais voulu éternels ces instants avec Sylvie. Et le dimanche fut à l’image du samedi. Nous nous découvrions enfin. Après une tendre grasse matinée, je me levai.
La brioche tardive repoussa le repas de midi à quatorze heures : le fameux repas froid fut enfin absorbé. Vers seize heures il fallut se quitter. Sylvie enseignait au lycée et avait des préparations à faire pour ses cours du lendemain. Nous avions discuté de nos activités, de nos loisirs et avions développé des projets. Sylvie avait un abonnement à la Comédie de la préfecture et m’introduirait dans ce milieu, elle reprendrait avec moi le tennis qu’elle avait abandonné, tout naturellement nous pourrions aller danser.
Tout en conservant notre domicile nous pourrions nous revoir en semaine. En organisatrice décidée, elle me remit une clé de la porte de sa cave avec le souhait de me recevoir le mardi soir et le samedi si je le souhaitais. Comment interpréta-t-elle ma moue ?
Ce dernier bisou du dimanche est si bon, avec une teinte de tristesse.
Confortablement installé dans mon fauteuil, j’écoute le concerto n° 5 de Beethoven et je revis mes dernières 24 heures. La musique porte mon rêve : faut-il être heureux pour bien l’apprécier ou suffit-elle à rendre heureux ? Laissons ces considérations aux spécialistes. Je savoure en musique le flot des images et je suis bien. De l’allegro je glisse dans la douce mélancolie de l’adagio, bercé par la pureté des notes égrenées par le piano je vole, je plane, au vent léger flottent les ondulations d’une chevelure blonde, puis se dessine ce visage de l’amour. Enfin éclate dans le rondo et l’allegro final la vision reconstituée de nos ébats, la vivacité, les élans, la succession des temps forts et les pauses si vite oubliées pour des reprises légères ou saccadées, avec des accents de victoire annoncée, attendue, déferlante, des temps de certitude, des lenteurs qui s’étirent. La reprise de l’allegro triomphale affirmation de l’accomplissement souhaité correspond à l’enthousiasme de l’orgasme, avec son mélange de gammes aigues ou graves.
Le concerto n° 3 qui suit prolonge mon état de béatitude. Dans son envolée le piano me renvoie sur la piste de danse puis je revois ces petites mèches folles qui encadrent le visage riant aux yeux bleus. À quel instant ? Les violons dissipent le cadre et le piano repart solennel ou fou, danse dans les notes aigues avant de reprendre le motif, le pianiste hésite, cherche, tâte avant de relancer l’accord final de cet allegro. Le largo s’étale languissant puis s’élève lentement et chavire. Ça se vit, ça ne se décrit pas, c’est en parfaite harmonie avec mes sentiments présents. Je suis les mille détours de la mélodie et je pense à Sylvie : rien de précis en dehors de l’impression de bien-être qui me reste du temps passé ensemble. Est-ce ça l’amour ? L’attaque guillerette du rondo est plus gaie et me sort de cette torpeur ouatée où je vivais depuis presque une heure… Le virtuose part en trilles l’orchestre s’agite. La clarinette provoque le pianiste. Ça part de tous côtés. Comme mes pensées. Je me rends à l’évidence : je suis amoureux. Tum tum tum tum, 1, 2, 3, 4, le vertige précipite les gammes de haut en bas et on repart des graves en escaliers à peine effleurés à la rencontre des clochettes du haut. Musicologues avertis pardonnez mes contresens insensés, je suis amoureux ! Soumettez donc vos savantes analyses à cet état incompréhensible
Merci à celui qui sonne d’avoir attendu la fin du cd.
C’est ma soirée Beethoven et j’enchaîne avec le concerto n°1 pour piano. L’avantage des pavillons individuels c’est qu’on peut mettre du volume sans ennuyer son entourage. Qui sonne à cette heure avec autant d’insistance ? Le rêve devient réalité. Mais oui, c’est elle :
Je l’enlace, point n’est besoin de longues explications pour qu’elle découvre l’origine de mon bonheur. J’ai baissé le son. Debout l’un contre l’autre, immobiles nous goûtons ensemble les dernières minutes de l’allegro. C’est tellement plus beau quand on partage. J’ écarte d’un doigt la mèche folle qui tombe sur son œil droit. Nous profitons du début du largo, en sourdine désormais.
Elle semble déçue. Je m’empresse de dissiper ses doutes :
Elle soupire. Son regard s’embue, sa phrase ne trouve pas sa fin. Je glisse ma bouche vers son oreille, le nez chatouillé par une mèche souple, je dépose un léger baiser derrière le lobe délicatement parfumé. Sylvie frissonne, rit, se reprend :
La bonne nouvelle peut attendre. Ce qu’elle me dit de cette présence de chaque instant me remplit de joie
Tous les malentendus disparaissent dans une nouvelle étreinte.
. Vraiment. C’est magnifique. Déballons mon panier. Je peux utiliser ta cuisine pour disposer le repas ?
Elle éclate de rire et me donne un avant-goût de ce que sera la nuit.
Il ne faudra pas oublier de prévoir la sonnerie du réveil pour demain matin, que je puisse aller chez moi me préparer.
Ce matin, j’ai été déclaré admis à mon examen. C’est étrange ce mélange de passion et d’attention aux désirs de l’autre, cette combinaison de tendresse et de respect, cette alternance d’élans et de retenue, cette succession de moments où l’on s’observe et d’instants de total abandon, cet oubli du passé et cette projection vers l’avenir. Sylvie est une fée, à son contact j’ai la sensation de devenir un homme nouveau. Mais c’est une fée de chair, brûlante, enivrante. Ce corps merveilleux jouit et dispense la jouissance. Sa maturité rassure et sa joie de vivre redonne des couleurs à une vie qui se languissait, ne trouvait plus son sens, manquait de sel. Quel beau rêve !
Il est dix-huit heures. Je rentre du travail. L’agent immobilier informé par l’acheteur défaillant m’a proposé un candidat qui a déjà visité la maison et qui remplit toutes les garanties. Lui ne cache pas sa déception quand j’annule le mandat exclusif. Qui sait, peut-être que plus tard on en reparlera. Il ne sait pas s’il trouvera un nouvel acquéreur aussi bien disposé.
La fleuriste s’est réjouie d’avoir à composer un aussi joli bouquet.
A dix-huit heures dix je me dirige bouquet en main, clés en poche vers la porte de la cave de Sylvie, juste pour lui offrir ce bouquet bulle, la clé de ma maison et peut-être percevoir un baiser. C’est lundi, certes, mais la nuit que nous venons de vivre vaut bien une dérogation au calendrier imposé.
Tiens, la porte est déjà ouverte et une clé semblable à la mienne a été imprudemment oubliée sur la serrure à l’extérieur. Je traverse la buanderie ouvre la porte qui donne sur l’entrée officielle vaste et joliment décorée. Des voix proviennent d’une porte entr’ouverte sur ma gauche. Je reconnais celle de Sylvie et celle de son interlocuteur ne m’est pas totalement inconnue. La conversation semble assez vive.
Je dépose sur le guéridon de l’entrée mon bouquet. Ça ne se fait pas, mais la conversation me semble importante pour moi aussi : sur la pointe des pieds je m’approche de la porte. Ce doit être la chambre d’amis. Un lit surmonté d’un grand miroir occupe le fond à gauche. Le dialogue reprend de l’autre côté de la porte
Si c’est de moi qu’elle parle, mes affaires ont beaucoup avancé.
Si ! J’aurais dû m’en douter. Mais regarde-moi bien : moi je ne suis pas un cocu !
Si j’ai bien entendu, quand on a l’esprit de partage, on n’est pas cocu : il suffit d’établir un roulement.
Que faire ? Partir et lui laisser les fleurs, ses deux clés de cave ? Intervenir ? Comment le comprendra-t-elle ? Je risque le tout pour le tout, je recule jusqu’à la buanderie et j’appelle à haute voix
La porte s’ouvre à gauche, Sylvie se penche en avant, me voit, sort, machinalement remet en place une mèche défaite, tire la porte derrière elle, sourit :
Calendrier, jours fixes, roulement, chacun son tour. Avec un haut le cœur je me souviens de ce spectacle d’un bordel où les trouffions glissaient d’une place chaque fois que le premier du banc franchissait une porte.
Elle prend des risques, il va falloir qu’elle m’explique la présence de Rodrigo. Je ne pense pas qu’il se soit caché sous le lit le fier hidalgo.
J’avance, bras tendus. Au même instant la porte s’ouvre derrière Sylvie. Pantalon sur les chevilles précédé d’une imposante érection Rodrigo se montre ; l’air triomphant de l’amant vainqueur redresse sa fine moustache et il déclame
Je réponds clairement
Sylvie me regarde, nous pouffons de rire. Rodrigo se dégonfle, sa chose retombe, il nous imite.
Il se rajuste, reprend un air digne :
Il va vite en besogne, je ne veux pas le contrarier en précisant que le mariage consommé n’a pas été proclamé.
Il a tenté sa chance jusqu’au bout. Il a bien mérité une dernière accolade de Sylvie et je ne leur en voudrai pas d’avoir une larme aux yeux quand ramassant sa clé de cave sur le guéridon il la remet à Sylvie. Elle lui ouvre la grande porte et le regarde qui s’en va.
.
Je me reprends
Je saisis le bouquet, je le tends. Elle me fixe en se mordant les lèvres :
Sans doute a-t-elle raison. Je souhaitais réfléchir à cette situation nouvelle et en tirer les conséquences. À deux ce sera plus facile et nous aurons des conclusions plus rapides en commun. Nous sommes assis, Sylvie a versé un rafraîchissement ; qui va commencer ?
Elle écoute, hoche sa jolie tête en signe d’approbation, attend une suite en me sollicitant du regard.
Elle baisse la tête et renifle.
En plein dans le mille. Depuis 5 mois je me pose cette question sans trouver de réponse. Innocemment Sylvie remue le couteau dans la plaie. Je pourrais lui retourner la question puisque son mariage a duré beaucoup plus longtemps que le mien.
Son visage baigné de larmes sourit de bonheur quand elle me regarde enfin
Cette nuit encore ma maison est restée vide. Nous avons dénoué la situation. La proximité de nos aspirations nous a paru évidente. Nous venions de dépasser les limites de l’amour physique, nous pouvions jeter les bases d’une vie à deux. À la fin du printemps nous avons gagné nos procès pour faute. Mais Sylvie dut se résoudre à vendre pour rembourser des emprunts très lourds. Elle enrichit ma maison, notre maison désormais, de meubles de bon goût. Pendant ses loisirs, elle va transformer la décoration de notre nid. Le mariage est pour bientôt. Mon père et maman ont approuvé mon choix. Les parents de Sylvie n’ont pas fait d’objection. Certains de nos amis ont applaudi. Le notaire doit nous conseiller pour la conclusion d’un contrat de mariage.
Sans attendre nous avons entrepris d’organiser nos loisirs. Il a fallu que j’insiste pour que Sylvie accepte de danser avec d’autres cavaliers : elle a imposé une règle stricte : jamais plus d’une série avec le même. Je suis soumis au même régime : heureusement, car l’éclat de ma compagne rejaillit sur moi de façon surprenante. Je comprends à quelles tentations Gilles s’était exposé. Au théâtre nous avons rencontré des couples de collègues de Sylvie, certains maris m’ont regardé avec envie. Le jeudi nous avons repris le tennis. Après une période d’observation en qualité d’invitée, Sylvie vient d’adhérer au club. Nous ne participerons plus à des concours, nous voulons jouer pour le plaisir, nous dépenser sainement et sans excès, autant que possible ensemble.
Nous sommes de chaque côté du filet pendant une pause.
Un couple se dirige vers le vestiaire. Ce sont des membres du club. Je les ai vus souvent sans leur avoir parlé. Lui est un grand gaillard, pataud que sa jeune femme protège d’un embonpoint naissant en le promenant d’un coin à l’autre du court. On peut se demander où cette tanagra remarquable par sa grâce et sa finesse puise l’énergie qui essouffle son partenaire. C’est un petit dragon qui crache la foudre quand son « gros lourd » ne renvoie pas la balle. Souvent l’activité sportive s’arrête sur les autres courts, les joueurs amusés rient des scènes gratuites de ces deux acteurs.
Véro précède à petites foulées rapides son mari nonchalant. Elle aperçoit Sylvie, lève sa raquette et décrit un crochet dans notre direction.
C’est un vrai moulin à paroles. Enfin Sylvie réussit à placer une réplique
Henri débarque,
Les gentillesses volent bas. Sylvie va exploser. Je la calme d’un baiser à pleine bouche qui enlève le doute sur la nature de notre relation.
Elle joue bien ma Sylvie. L’autre petite peste a tenté de l’humilier. Le cirque a commencé sur le court voisin. Véro est en grande forme et « gros lourd » commence à baisser les bras. Nous soufflons et rions. Nous sommes amoureux et le spectacle de ce couple serait effrayant si nous n’avions pas trouvé notre mode d’entente. Véro revient :
Je murmure à l’oreille de Sylvie :
Et à haute voix
Je ne suis qu’un amateur. Les boulets de canon de Véro transpercent ma raquette. Je ne force pas mon talent.
Il faut éviter l’affrontement à tout prix. Je m’applique. Sylvie vient de chuter.
Henri regagne le vestiaire en soutenant Sylvie qui avance à cloche-pied.
Entre deux engagements, j’ai aperçu Henri qui se penchait pour voir ce que nous faisions avant de disparaître dans le vestiaire. Je devrais me rendre près de Sylvie, c’est peut-être plus grave qu’elle ne l’a dit.
Elle me tutoie comme un vieux copain. Je ne tâte pas. Alors elle trottine à mon côté. Dans le vestiaire il n’y a personne. J’entends la voix de Sylvie, au fond dans la salle de massage
Véro se précipite
Effectivement, il y a de quoi étonner. Sylvie est sur le ventre, en petite culotte de dentelle, le soutien-gorge assorti a perdu ses bretelles. Je ne vois pas son visage mais je devine son embarras.
Le cave se rebiffe, élève la voix ; la présence de Sylvie l’a transformé. :
Je me retourne, Véro toute nue grimpe sur la deuxième table de massage, s’allonge sur le dos, m’offre le spectacle d’une toison noire taillée avec soin, fendue d’un mince trait rose et m’apostrophe pendant que j’admire deux jolis petits seins à peine marqués sur lesquels se dressent deux fraises minuscules.
C’est Sylvie qui pousse ce cri. Elle est debout, en petite culotte, contre moi, retient mon bras d‘une main, secoue son soutien-gorge de l’autre en menaçant sa rivale. Henri est collé au mur, victime de la ruade qui l’a envoyé près de la porte d’entrée.
Véro ramasse son linge blanc et déguerpit devant son nounours furieux. Sylvie me regarde, l’air contrarié, au bord de l’inquiétude :
Cette fois l’inquiétude l’emporte. Ce « je ne sais pas » est pire qu’un oui.
C’est grave ? Tu avais envie d’elle ?
Je hurle, fou de douleur :
Je reviens à moi. Que fait Sylvie, seins nus, en culotte, le visage blanc, atterrée, tremblante, en pleurs pour la première fois depuis que je la connais, que fait-elle près de cette porte ? Pourquoi me regarde-t-elle comme si j’étais, quoi au juste ?
J’essaie de m’en persuader. Chaque fois que je dis rien, ses bras m’étreignent plus fort. Elle s’essuie les yeux dans mon tee shirt. On vient. Elle remet son soutien-gorge, tourne en rond dans la pièce, cherche, s’affole, ne trouve pas : sa tenue a disparu. Vengeance de Véro ou prise de guerre de Henri ? Nous ne saurons jamais. J’en ris
Je vérifie que nous sommes seuls, j’ai l’impression d’avoir déjà entendu ça… dit par une autre voix.
Couchée sur le ventre, sans bretelles de soutien-gorge, lombaires dégagées jusqu’à, jusqu’aux pieds, Sylvie est secouée par un fou rire qui ne veut plus s’arrêter. Je fonce à la porte, tourne la pancarte sur OCCUPE, ferme et pousse le verrou.
Une table de massage, ça ne vaut pas un lit. Mais c’est tellement plus original.
Je me détache en douceur, ouvre la porte dans l’état que vous devinez. Véro ouvre des yeux comme ça et murmure en me tendant le sac de Sylvie.
La garce ne perd jamais le nord.
Quand enfin notre fou-rire se calme, nous oublions l’incident dans une folle étreinte. Les craquements de la table nous font craindre le pire. Nous serons mieux chez nous