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Temps de lecture estimé : 21 mn
14/09/13
corrigé 10/06/21
Résumé:  Les quatre jeunes semblent être entrés en contact avec un esprit. Ils poursuivent la séance...
Critères:  forêt humilié(e) contrainte fmast fist nopéné nonéro fantastiqu sorcelleri
Auteur : Rain      Envoi mini-message

Série : Nouvelles de l'au-delà

Chapitre 02 / 05
Entretien avec un esprit

Résumé de l’épisode 1 : Jérôme, le narrateur, raconte une séance de spiritisme qu’il a vécue avec son meilleur ami (Frank), la copine de ce dernier (Mélanie) et une copine de fac (Pauline) qui ne le laisse pas indifférent. Avant de commencer la séance qui se déroule dans une cabane perdue au milieu des bois que Jérôme et Frank avaient découverte dans leur enfance, chacun raconte ses propres expériences paranormales pour se mettre en condition. Mélanie affirme avoir entendu la voix de sa petite sœur le jour de l’anniversaire de sa mort. Cette annonce met évidemment tout le monde en condition et lorsque l’esprit se manifeste, Mélanie et Pauline aperçoivent le fantôme d’une petite fille. En revanche, les deux garçons ne le voient pas. Mélanie, en état de choc, leur annonce que la petite fille est sa sœur décédée.







Entretien avec un esprit




La révélation de Mélanie ne fait qu’accentuer l’effroi qui m’habite. Tous les poils de mon corps se redressent et des frissons glaciaux parcourent ma colonne vertébrale.

Frank, figé, regarde Mélanie avec des yeux hagards dans lesquels je pense déceler une bonne dose de frayeur. Pauline, presque catatonique, fixe un point invisible sur le sol, au niveau de ses pieds. Je décide alors de prendre la parole bien que je ne sache pas ce que je vais dire, mais ce silence doit être brisé :



« Mais pourquoi doit-il toujours étaler sa science ? Il ne peut pas la boucler ? Il ne s’aperçoit pas qu’elles sont terrorisées ? » Je traduis ces pensées par un regard sombre et mon pote se résout à fermer son clapet.



J’ignore ce que je pourrais bien lui répondre, à part lui avouer que je n’ai pas envie de continuer la séance parce que je chie dans mon froc.



Je ne dis rien, mais reprends ma place à la table et pose mon index, comme mes trois copains, sur le gobelet.



o000o




Le gobelet glisse sur la table et se dirige vers le oui. Sous l’effet de la surprise Mélanie, Pauline et moi ne touchons plus au verre.



Il n’a plus le doigt sur le verre et celui-ci, sous nos yeux ébahis, tourne sur lui-même.



Nous restons un long moment à observer le gobelet au centre de la table. Il ne remue plus. Pouvons-nous avoir été victimes d’une hallucination collective ? Je pense que cela est possible au vu des événements terrifiants qui ont certainement dû exacerber nos sens.

L’effet de surprise générale est instantanément dissipé par le hurlement que pousse Mélanie avant de balbutier :



Nous nous tournons dans la direction qu’elle indique de l’index.

Je ne vois rien, si ce n’est la pile de coussins entassés dans un coin, notre coin lecture.



Leurs déclarations d’hallucinées me foutent les jetons et Frank ne me paraît guère plus rassuré. Bien que nous n’apercevions pas le fantôme que les deux filles pointent du doigt, elles sont tellement apeurées qu’elles ne peuvent pas jouer la comédie, comme je l’ai supposé en premier lieu.



Sa voix est douce, presque caressante.



Leurs trois paires d’yeux me scrutent et je leur réponds que je suis d’accord. Je ne veux pas passer pour un poltron, même si mon cerveau m’exhorte à me tirer d’ici.



o000o



Nous reprenons cette fichue cérémonie et le verre ne tarde pas à se déplacer sur la table. L’esprit me semble bel et bien être là ! Ce qui ne fait qu’augmenter l’effroi qui m’enveloppe de ses bras froids comme une pierre tombale.



Le verre glisse vers les lettres :

M

A

R

I

E


Mélanie ne peut retenir ses larmes qu’une respiration chuintante accompagne, mais elle parvient néanmoins à articuler péniblement :



Le verre se meut de lui-même et va sur les lettres suivantes :

M

O

R

T



Le gobelet se dirige vers le oui et ensuite vers les lettres :

T

U


M

A

S


T

U

E

E


Mélanie est secouée et son visage affiche une expression de stupéfaction à laquelle se mêlent l’angoisse, la vraie, celle qui vous retourne les viscères. Elle ouvre la bouche, péniblement, plusieurs fois, avant de parvenir à marmonner d’une voix sans force :



Le verre virevolte alors qu’aucun de nos doigts ne le touche et s’arrête brusquement.



o000o



Pauline se lève. Sa chaise se renverse. Ses yeux ont quelque chose qui ne tourne pas rond, quelque chose qui ne colle pas avec la fille qui est à mes côtés en cours d’Histoire de l’art.

Je réfléchis, essayant de trouver ce qui a changé dans son regard…

Ses yeux ne sont plus bleus, mais noirs, pupilles dilatées à l’extrême.


Pauline incline la tête sur le côté et commence à parler avec une voix qui n’est pas la sienne, une voix de petite fille :



Je n’en crois pas mes oreilles… Il serait devenu expert en démonologie et spiritisme en l’espace d’une soirée ? Cependant, la chose qui parle à travers Pauline lui coupe la parole :



Son regard est si terrifiant qu’il ferait détaler un légionnaire. Frank ne répond rien et demeure silencieux jusqu’à ce que Pauline enchaîne avec une nouvelle question :



Depuis le début de leur échange verbal, j’observe Frank dont le visage a blêmi une première fois au moment où l’esprit l’a traité de fils de fiotte, et une autre fois lorsque la chose qui se sert de Pauline pour s’adresser à mon ami a mentionné une découverte



Les joues de Frank sont rouge brique ; plus rouges et elles auraient pris feu. Son regard exprime la colère, la haine, la rage et de nombreuses autres émotions négatives, destructrices. Je sens qu’il est sur le point de rentrer dans le lard de Pauline. Et cette dernière n’est pas bien épaisse alors que Frank a des années de rugby derrière lui et risquerait de la pulvériser.



Pauline s’acharne à répéter « La photo » avec cette voix fluette d’enfant que je trouve de plus en plus inquiétante parce que j’y décèle un relent de folie et de haine qui me donnent la chair de poule.

Je reporte mon attention sur Frank. Ses mains forment maintenant des poings. Pauline ne va pas tarder à recevoir une mandale ! Je saisis mon ami par les épaules pour le retenir. Il se tourne vers moi et je discerne dans ses yeux une colère que je n’ai jamais vue. Je sens que c’est moi qui vais prendre une droite, mais l’esprit le coupe dans son élan en reprenant la parole :



Entendre Pauline parler avec une voix de fillette qui débite de telles grossièretés a quelque chose de dérangeant, et un profond malaise s’installe, inexorablement. Frank, que j’ai oublié un bref instant, profite de ce moment d’inattention pour fondre sur Pauline. Son bras s’arme et son poing finit dans la poire de ma copine. J’ai le temps de remarquer, en l’espace d’un clin d’œil, un sourire en coin, à la fois espiègle et malicieux, qui se dessine sur les lèvres de Pauline en même temps qu’elle s’effondre sous la violence du coup, sa boite crânienne heurtant violemment le sol.

Mélanie et moi nous précipitons sur elle. Elle a perdu connaissance ! Mélanie la met en PLS et, en étudiante consciencieuse en médecine, elle l’ausculte. Je lance un regard empli de reproches à mon ami et l’engueule :



Je note une légère hésitation avant « conneries », accompagnée d’un rosissement des joues.

Frank me ment ! Je ressens néanmoins de la compassion pour mon ami, même si elle s’apparente un peu à de la pitié.

« Le père de Frank serait-il homosexuel ? Pourquoi ne m’en a-t-il jamais parlé ? »

Puis la réponse jaillit dans mon esprit, comme une évidence : parce qu’on ne parle pas de ces choses-là, même à son meilleur ami. Elles appartiennent à la sphère du privé et du tabou. Les vieux secrets de famille qu’on évite d’étaler en place publique…

Frank me tire de mes réflexions et présente ses excuses pour avoir agi comme un con.

Mélanie nous interpelle et nous annonce que Pauline revient à elle.



oo00oo



Je vais aider Mélanie à relever Pauline. Frank demeure à sa place, le regard dans les chaussettes. Mélanie a le visage défait, des cernes sous les yeux, et des coulées de mascara sur les joues. Quant à Pauline, son nez tuméfié perle de gouttes de sang qui s’étirent sur sa lèvre supérieure et coulent jusqu’à son menton. « Cet abruti de Frank lui a pété le pif ! », me dis-je intérieurement.

Une fois debout, elle se plaint d’une douleur lancinante au nez et nous demande ce qui s’est passé. Frank s’approche d’elle et lui raconte, sans préambule, qu’il lui a collé un coup de poing parce qu’elle était possédée par un esprit qui s’exprimait à travers elle. Pauline essaie de sourire et lui demande d’arrêter de la charrier, mais au moment où son regard se pose sur la table où repose notre Ouija improvisé, elle s’exclame :



Alors que nous rangeons nos affaires, le plus rapidement possible, dans un silence funéraire, chacun perdu dans nos pensées, un vagissement sort du frêle corps de Pauline. Avec Frank, nous sursautons et reportons notre attention sur Pauline.

Elle a l’air secoué, ses globes oculaires s’agitent dans tous les sens. Lorsque son visage se tourne dans notre direction, je constate avec stupeur qu’elle est peut-être en train de perdre la raison. Elle ne semble pas nous voir et jette des coups d’œil erratiques dans toute la cabane quand, soudain, sa mâchoire s’affaisse, sa bouche s’ouvre en grand, et elle pousse un second hurlement d’outre-tombe qui glace tout le monde de peur.


Avec Frank nous essayons de comprendre ce qui fait brailler Pauline. Lorsque nous voyons et comprenons, nous beuglons à notre tour, à la manière de deux lycanthropes qui hurlent en hommage à la lune.



o000o



Les pieds de Mélanie ne touchent plus terre ! Elle lévite à une quarantaine de centimètres au-dessus du sol, sa tête dodeline de manière singulière comme si son cou n’était plus capable de la soutenir. Ses yeux sont deux globes blancs, sans pupille, dénués de vie. Ses lèvres sont gercées, craquelées, et se retroussent par moments sur des dents pourries, chicots acérés noirs ou jaune pisse plantés dans des gencives atteintes de parodontite.

Avec Frankie, nous sommes debout, tétanisés par la frousse qui nous assaille, incapables d’entreprendre la moindre action.

Les pieds de Mélanie moulinent dans le vide, sa tête adopte d’étranges positions que seule une nuque rompue devrait permettre. Toujours en lévitation, elle annonce d’une voix qui n’est pas la sienne, une voix amplifiée, comme déformée par un vocodeur qu’emploient les chanteurs de black ou death metal :



Pauline est recroquevillée dans un coin de la cabane, le visage dissimulé derrière ses mains.

Désarmés, Frank et moi observons Mélanie qui flotte toujours dans les airs. Elle arbore un rictus hideux qui semble nous être destiné ; mais, heureusement, elle garde le silence. Cette voix est ce qui me cause le plus d’effroi et il n’en faudrait pas beaucoup plus pour que je laisse tout le monde en plan et me casse. Mon pote, les yeux exorbités, est bouleversé par ce qui se produit, ce qui arrive à sa copine.


Nous restons silencieux et inactifs pendant quelques secondes qui paraissent durer une éternité. Mélanie, toujours dans les airs, foudroie Frank de ses yeux de poisson mort, et j’ai l’impression qu’un sourire pernicieux se peint sur son visage. De la même voix effrayante, elle s’adresse à Frank :



Avant que Frank puisse répliquer, Mélanie déchire son chemisier qu’elle jette au sol. Elle porte un soutien-gorge noir dont elle se débarrasse de la même manière. Les seins nus, les pieds ne touchant toujours pas le sol, elle nous sonde à tour de rôle, sa tête adoptant de grotesques positions, puis elle soupèse son sein droit, le comprime, le soulève, le palpe et le porte à sa bouche. Sa langue virevolte autour de la pointe érigée et lorsque ses lèvres s’en emparent pour la sucer, la créature qui a pris possession de Mélanie plante son regard épouvantable dans celui de Frank, qui reste paralysé un moment avant de dire :



Mélanie est en train de se défroquer, ce qui ne lui prend à peine que quelques secondes, car elle déchire ses jeans comme s’il s’agissait d’un fin morceau de tissu. Elle porte une culotte noire qui rejoint rapidement les lambeaux de jeans.


Frank s’élance et fonce sur sa copine. Il n’y a que deux mètres qui les séparent, mais Mélanie est déjà à poil, exhibant son pubis imberbe sur lequel est tatouée une rose noire en son centre. Trois doigts sont déjà profondément ancrés dans sa chatte qu’elle pistonne furieusement.

Frank ne parviendra jamais au niveau de sa copine. À quelques centimètres de cette dernière, il se retrouve projeté en arrière et vole, littéralement, jusque dans les coussins de notre coin lecture.


Mélanie continue à se doigter et sourit, dévoilant ses ratiches pourries. Une grosse langue noire, nécrosée, couverte de pustules et de boutons infectés qui donneraient du fil à retordre à une équipe de dermatologues chevronnés, jaillit de sa bouche. Un autre doigt s’est inséré dans son sexe. Puis, la main entière pénètre sa chatte, l’entrée du vagin se refermant sur le poignet.


Frank est un peu sonné et se redresse péniblement.


Pauline, que j’ai complètement oubliée, est toujours accroupie dans un coin, le regard fuyant, ses lèvres agitées de tremblements. Elle bredouille quelque chose en boucle que je ne parviens pas à comprendre.


Mélanie pratique une séance de fist fucking avec une ardeur que je n’ai jamais vue, même sur des vidéos estampillées extreme hardcore et j’en viens à me demander comment elle a pu réussir à insérer sa main aussi facilement dans son minou, lorsque le démon – car je pense qu’il s’agit à ce moment-là bel et bien de ce genre de créature – me répond, comme s’il avait accès à mes pensées.



Mélanie, cette fois-ci avec sa propre voix, répond à celui qui la possède :



Mais la voix rocailleuse s’exprime à nouveau à travers elle :



La tête penchée de manière obscène, Mélanie observe un instant son poing qui luit de sécrétions. Puis, sous nos yeux révulsés, elle se décroche la mâchoire à la manière d’un serpent, et enfourne la main et la moitié de l’avant-bras au fond de sa gorge qu’elle aspire comme s’il s’agissait de la bite d’un titan. Les bruits de succion qui accompagnent cette effroyable gorge profonde me hantent encore quand une demoiselle me fait une pipe un peu trop baveuse. Après quelques haut-le-cœur, le bras ressort, couvert de filets de bave, et la mâchoire de Mélanie se remet en place d’elle-même en produisant un cloc qui fait grincer les dents.


Le démon, devant nos visages frappés de terreur, s’esclaffe et déclare :



Tout ceci en est trop et, sans vraiment m’en rendre compte ni même en prendre la décision, je me rue hors de la cabane et fonce dans le bois, ne me préoccupant pas des branches qui me cinglent le visage ni des ronces qui m’écorchent les jambes.



o000o



Combien de temps ai-je couru ? Cinq minutes ? Dix ? Une heure ? Je l’ignore, mais lorsque je m’arrête, à bout de souffle, les poumons en feu, je suis submergé par une peur que je ne saurais décrire. Je suis angoissé à un tel point que j’ai l’impression que je viens de développer toutes les phobies répertoriées en psychiatrie.

Mon esprit est malade, assiégé par des horreurs innommables. De temps en temps, une image, limpide comme la mer polynésienne – et par conséquent effroyable – se matérialise dans ma tête et je vois, comme si j’étais toujours en face de lui, le démon qui déforme le visage de Mélanie en grimaces hideuses qui me procurent de désagréables sueurs froides. Si je persiste à penser à cette abominable créature, je vais finir par y laisser ma santé mentale…


Je me force à essayer d’imaginer quelque chose de réconfortant. Au début, rien ne vient, je me focalise inexorablement sur la scène de cauchemar que j’ai vécue avec mes amis. D’ailleurs, que font-ils à cet instant ? Ou plutôt, que leur arrive-t-il ? Peut-être que la créature les a tous tués ? J’essaie de chasser ces idées sombres, mais mes efforts ne portent pas leurs fruits.


Je dois pourtant réagir. Il faut que je me remue les méninges et le corps. J’ai entraîné Pauline dans cette histoire de fous et je me dois de l’en sortir.

Du moins, essayer…



o000o



Je rebrousse chemin et réalise au bout d’une trentaine de mètres que je suis perdu. La panique m’étreint à nouveau et je commence à ressasser ce qui s’est passé dans la cabane. L’image de l’autre enfoiré des Enfers apparaît même à plusieurs reprises dans mon pauvre cerveau malmené, ce qui ne fait qu’accentuer la peur qui va bientôt faire corps avec moi.

J’essaie de réfléchir. Peine perdue ! J’ai galopé comme un dératé à travers bois, dans toutes les directions, et je ne suis pas près de retrouver mon chemin ! Je suis sur le point de maudire ma stupidité quand un bruit atroce, un cri qu’aucun animal ne peut produire, un cri que seul un monstre est apte à pousser, déchire le silence nocturne.


Je me précipite vers ce son infernal qui se répète maintes fois et me permet de retrouver la cabane en peu de temps. Il semblerait que j’ai tourné en rond car, en même pas deux minutes, ma tête franchit furtivement le seuil de la cabane.



o000o



J’aperçois Frank, face contre terre, immobile. Quant à Pauline, elle est assise à califourchon sur le corps dénudé de Mélanie et psalmodie une prière chrétienne (j’attends des « nom du Père » par-ci et des « Vierge Marie » par-là) en appliquant une minuscule croix (en or ?) sur le front de la copine de Frank qui se tortille, se débat, et vocifère des insanités et des blasphèmes, le visage tordu par une haine sans bornes, de la bave s’écoulant en grosse quantité de sa bouche hérissée de crocs.

Pauline ne prête pas attention à ce que déblatère le démon qui profère une dernière insulte, puis se tait, d’un seul coup, comme on coupe le son avec la touche mute d’une télécommande.


Les lèvres reprennent des couleurs et les dents dégueulasses sont redevenues normales. Mélanie demeure néanmoins inconsciente, mais elle respire. Je vois sa poitrine nue qui se soulève par à-coups rapides et saccadés.

Pauline se rend compte de ma présence et me décoche un maigre sourire qui me fait tout de même un bien fou. Je m’avance vers elle et je reste planté là, un court instant, avant de l’enlacer pour la consoler. Dès que mes bras se referment sur elle, elle fond en larmes et me retourne mon étreinte. Je ne pleure pas, mais une sourde mélancolie mêlée à de la crainte a marqué mon esprit à jamais.


Lorsque je sens que Pauline est rassérénée, je lui présente des excuses pour les avoir abandonnés et lui demande comment elle est parvenue à chasser la créature du corps de Mélanie. Elle m’avoue ignorer les causes de son succès, mais m’explique qu’elle s’est souvenue de quelques scènes de film sur les exorcismes et qu’elle a pas mal improvisé.

J’accepte ses explications, mais certains doutes subsistent. Ne faut-il pas avoir la foi pour que cela fonctionne ? Du moins, c’est une des conditions primordiales dans L’Exorciste de Friedkin et aussi dans le livre de Blatty qui déclare s’être inspiré d’une histoire réelle : un exorcisme pratiqué sur un enfant de quatorze ans dans le Maryland en 1949. Mes réflexions sont interrompues par Pauline qui me propose que je m’occupe de Frank pendant qu’elle aide Mélanie.



o000o



Frank respire toujours. Cependant, en le retournant, je remarque que son visage est gravement amoché. Pauline satisfait ma curiosité, comme si elle avait deviné mes interrogations :



Je ne réponds rien. Je soulève sa tête et, sans réfléchir, lui administre une gifle. Pourquoi ? Probablement parce que j’ai aussi déjà vu ça dans des films ! En outre, cela fonctionne ! Il marmonne une série de mots inintelligibles et parvient à ouvrir un œil, celui qui n’est pas trop poché.



Il me sourit et fait la grimace à cause de ses lèvres fendues, et aussi parce sa langue est gravement entaillée, si bien qu’elle est devenue bifide. Je relève aussi l’absence des incisives qui ont dû exploser quand la créature lui a encastré la tronche dans le plateau de marbre de cette vieille table de bistrot. Je l’aide à se redresser et l’accompagne jusqu’à Mélanie que Pauline secoue gentiment pour lui permettre de reprendre connaissance. Frank enlève son tee-shirt et l’enfile sur le corps de Mélanie pendant que nous nous tournons pudiquement avec Pauline.



o000o



Mélanie ne sort de son inconscience qu’au bout d’une trentaine de minutes qui s’égrènent péniblement, dans un silence de crypte. À son réveil, elle est amnésique et ne se souvient absolument de rien. Elle a cependant de nombreuses questions à nous poser. Pourquoi Pauline a le nez esquinté ? Pourquoi la tronche de Frank est autant amochée ? Pourquoi elle ne porte qu’un simple tee-shirt, sans sous-vêtements ?


Avec Pauline, nous ne répliquons rien et laissons à Frank cette délicate tâche. Ce coup-ci, il a l’excellente idée de ne rien lui raconter et coupe court aux questionnements de sa copine en lui faisant difficilement comprendre, avec des mots aux voyelles avalées, que ce qui est important pour le moment, c’est de se rendre à l’hôpital pour des soins.


Nous ramassons nos affaires et quittons la cabane. Cette fois-ci, nous utilisons toutes les lumières à notre disposition et retournons à nos voitures sans échanger le moindre mot.



o000o



Nous nous séparons, sans parler, et nous disons au revoir d’un simple hochement de tête.

Frank démarre sa voiture et disparaît dans la nuit.


J’invite Pauline à grimper dans ma voiture et j’écrase l’accélérateur, de manière à mettre autant de distance possible entre nous et cette maudite forêt et cette satanée cabane. Dès que nous retournons à la civilisation et ses lumières, je ralentis et roule largement en dessous des vitesses autorisées.


Je propose à Pauline de la conduire à l’hôpital, mais elle me dit que ce n’est pas la peine, qu’elle souffre moins que tout à l’heure, que du Paracétamol devrait faire l’affaire. Je l’invite à venir passer la fin de soirée chez moi, en tout bien tout honneur, mais elle décline mon offre et me dit qu’elle préfère rentrer chez elle.

Je la raccompagne jusqu’à son appart. Elle s’extirpe du véhicule, sans un regard, sans un mot.



Devant ma mine déconfite, elle ajoute :



Je l’observe jusqu’à ce qu’elle se fonde dans les ténèbres.

Je mets le contact et retourne chez moi.



o000o



À ma grande surprise, la voiture de Frank est stationnée devant mon appart. Il fait les cent pas autour de la bagnole et, lorsqu’il m’aperçoit, il se précipite sur moi. Je constate qu’il a pleuré : ses yeux sont encore rouges et gonflés. Avec sa langue à moitié déchiquetée et ses dents manquantes, ainsi que la panique qui le tiraille, il lui faut plusieurs minutes avant de se faire comprendre. Quand il y parvient, il fond en larmes. « Mélanie a disparu ! » Voilà ce que je comprends.


Je prends mon pote dans les bras, même si cela me procure une étrange sensation. C’est la première fois que je réconforte un homme en l’enlaçant et je me sens un peu embarrassé, comme si une partie de ma virilité m’était ôtée. Ce geste a néanmoins l’air d’apaiser Frank qui, au prix de gros efforts, parvient à se calmer.

Il va chercher un carnet et un stylo dans sa voiture et il écrit sur le carnet :


On venait d’entrer en ville. On roulait dans un silence pesant quand Mél a recommencé.



Frank reprend le stylo et tartine toute une page de carnet :


T’es con ou quoi ? Recommencé à parler avec la voix du chanteur de Slayer, bordel. Débiter ces saloperies sur mon daron et, cette fois-ci, des saloperies sur ma mère. J’ai écrasé la pédale de frein et me suis rangé sur le trottoir. Et là, un liquide verdâtre et fumant s’est mis à suinter de ses narines, ses oreilles et sa bouche. Je me suis rapidement rendu compte que ce liquide s’écoulait aussi de ses autres orifices ! J’ai eu peur, Jérôme ! Ça se voyait sur ma tronche !


Elle n’avait pas l’air d’avoir conscience de ce qu’elle disait, ni que sa voix n’était pas la sienne. Mais quand elle vu la trouille qui m’étreignait, elle a jeté un coup d’œil dans le rétro et a vu son visage. Nom de Dieu, on aurait dit la fille dans L’Exorciste, à part que c’était pas du maquillage comme la petite Linda Blair ! Mél a hurlé en voyant sa peau cadavérique, les escarres qui fendillaient ses joues et les mucosités qui continuer à sourdre de ses orifices. Et l’autre enfoiré, la chose qui contrôlait son esprit, s’est fendu la poire à s’en faire péter la panse. Un rire gras, un rire de dément.


Elle a ouvert la portière et est sortie de la tire. J’ai essayé de l’empêcher de partir, mais elle a été plus rapide. Elle a bondi sur le toit d’une voiture, comme si elle était devenue ce putain de Spiderman, et de là elle s’est propulsée sur la façade de l’immeuble d’en face et l’a escaladée comme une araignée, la tête vers le bas qui me dévisageait avec les yeux du diable. La langue hideuse que nous avons vue dans la cabane jaillissait de manière obscène de sa bouche. Comment je vais la retrouver ? Qu’est-ce que je vais dire à ses parents ?


Je ne sais pas quoi lui répondre. En tout cas, son récit a réveillé la peur qui sommeillait quelque part dans le tréfonds de mon âme. Et je commence à m’inquiéter. « Et si la chose qui possède Mélanie rendait visite à Pauline… »



À suivre.