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n° 16444Fiche technique46131 caractères46131
Temps de lecture estimé : 32 mn
07/10/14
Résumé:  Alys me guide à travers la ville et répond à toutes mes questions sur cette étrange humanité. Mais la situation se gâte alors que nous approchons du refuge que nous cherchions.
Critères:  fh frousses grosseins trans pénétratio -sf
Auteur : Gufti Shank  (Bragon)            Envoi mini-message

Série : Dégénérescence

Chapitre 02 / 08
La prison

Résumé : Je ne me souviens plus de rien, j’ai complètement perdu la mémoire, et me retrouve égaré dans un monde étrange, peuplé d’hermaphrodites à l’allure féminine, qui me considèrent comme dégénéré parce que pourvu d’un seul sexe. Mais j’ai eu la chance de rencontrer Alys, dégénérée comme moi, qui m’a offert un refuge temporaire chez sa maîtresse, Dame Heline. Celle-ci, lorsqu’elle m’a découvert, a profité de moi à sa guise, mais a exigé que je quitte sa demeure : les dégénérés mâles sont interdits en ville. (Voir récit n°16432.)




***



Je suivais Alys dans les ruelles étroites en m’efforçant d’adopter une démarche la plus féminine possible. Ma tenue devait faire sensation, ou tout du moins remplissait-elle son rôle, car personne encore ne s’était écarté de moi avec dégoût. Les immeubles vitrés me renvoyaient mon image quelque peu déformée, mais le chapeau à large bord, les grandes lunettes de soleil, le pétillant rouge à lèvres, et l’écharpe épaisse qu’avait choisie la jolie rouquine suffisaient à dissimuler globalement mon visage, et la robe était assez ample pour donner le change. Il restait mes baskets, qui détonaient ; mais surtout, mon seul problème était de conserver en place le soutien-gorge rempli de chiffons qu’elle m’avait fait mettre. Il ne cessait de descendre et mes faux seins se retrouvaient régulièrement presque à mon nombril.


Ma guide me conduisait jusqu’à un coin reculé du Quartier Nord pour trouver une sorte de « mission » où étaient, selon elle, acceptés, recueillis, et soignés tous les pauvres et les exclus de cette curieuse humanité. Elle n’était sûre de rien, car on ne parlait pas de ces choses-là, mais elle pensait que ça valait le coup d’essayer. Moi, tout ce que je voulais, c’était rester avec elle ; mais trouver un endroit où dormir ne serait pas du luxe, en effet. Je ne savais toujours pas ce que je faisais là, mais avant de pouvoir le découvrir et de chercher un moyen de m’en enfuir, il me fallait un coin sûr où m’établir. Et pour l’instant, j’avais surtout découvert que je serais repoussé, voire chassé, où que je puisse mettre les pieds. Les hommes n’étaient pas les bienvenus dans ce monde d’hermaphrodites où l’on nous considérait comme des dégénérés.


Même avec mon déguisement, Alys n’était pas rassurée, et empruntait de petites ruelles peu fréquentées à l’écart des grandes avenues, pour que nous croisions le moins de monde possible. Bien qu’elle fût sur le qui-vive, elle se faisait un plaisir de répondre à toutes mes questions ; et chemin faisant, j’en apprenais de plus en plus sur cet endroit et cette société étranges. L’apparent développement technologique contrastait avec certaines habitudes de vie étonnantes, et j’en faisais régulièrement part à ma compagne.



En fait, je n’avais même pas vu de voiture ; tout juste aperçu un ou deux engins apparentés à des vélos. Elle haussa les sourcils, cherchant apparemment le sens précis de ma question.



Elle m’observa un instant sans comprendre. Le mot lui était étranger.



En la suivant, je réfléchissais en regardant encore en tout sens autour de moi. L’énergie… Je n’avais remarqué aucun écran, aucun panneau lumineux, aucun éclairage public…



Le soleil… Ça expliquait l’étrange apparence métallique des immeubles et les innombrables baies vitrées.



Elle me lança un regard inquiet.



Je n’insistai pas.



Ce fut mon tour de lui lancer un regard inquiet.



Elle avait les yeux dans le vague, comme si elle avait machinalement récité une leçon apprise longtemps auparavant. Se reprenant, elle posa sur moi son beau regard vert :



Me prenant par la main, elle nous conduisit via deux autres ruelles jusqu’à une esplanade assez large et plus fréquentée, où nous ne fîmes que quelques pas avant qu’elle lève le bras pour me désigner au loin une incroyable et haute construction. On apercevait une sorte de muraille sombre par endroits, loin derrière les grands immeubles qui la cachaient majoritairement. Nous en étions bien trop loin pour que je puisse en évaluer la hauteur ou la largeur, mais à l’évidence, cela constituait une impressionnante protection pour la cité. Et par-delà ces fortifications, se devinaient les sommets pointus de hautes montagnes qui paraissaient ceindre encore la ville d’un ultime mur défensif.



Elle avait peur que ma voix nous trahisse. Je la suivis de nouveau dans les venelles que nous venions de franchir jusqu’à rejoindre le lieu que nous avions quitté quelques minutes plus tôt. Et tandis que nous marchions, elle m’expliqua encore :



Elle sourit.



Leur police locale, sans doute. Un instant silencieuse, Alys poursuivit, pensive :



Je l’observai, amusé par la candeur de ses traits. Croyait-elle vraiment à ce genre d’inepties ?



Eh ben… C’était pas forcément comme ça que je voyais l’avenir… Mais… d’ailleurs…



J’acquiesçai gentiment. Si je voulais comprendre tout ça, il allait sans doute me falloir creuser un peu.



Qu’est-ce qu’elle était jolie quand elle souriait ! Les fossettes quand elle plissait la bouche et les yeux…



Moi aussi, je me le demandais… J’avais beau chercher et chercher encore dans mes souvenirs, je ne me rappelais rien de précis. Pourtant j’avais justement bien la mémoire des choses : les rues, les ascenseurs, les vélos, les voitures, les métros, l’essence… Ou de concepts… la nourriture, l’énergie… du sexe, même ! Mais rien de précis, aucune date, aucun nom, pas même le mien… D’y penser m’effrayait.



Mais de poser les yeux sur Alys me rassurait.



Nous marchâmes un moment silencieusement. J’observai tout, partout, comme un parfait touriste. Les immeubles étaient bien moins beaux, dans ce quartier. Plus anciens, probablement, moins hauts, moins entretenus, plus sinistres. Quelques entrées se distinguaient des autres par des enseignes ; des magasins, sans doute.



La situation était sans doute ironique, en effet, mais ça ne me faisait pas vraiment rire. Si ce n’était que la dame avait raison :



Elle me sourit à nouveau et me prit par la main.



En passant devant la vitrine d’un autre magasin où l’on pouvait voir des fruits ou des légumes, je me posai une nouvelle question :



Je poussai un énième soupir d’irritation, que ma guide ne sembla pas comprendre.



Elle haussa les épaules.



Ma compagne s’immobilisa à un croisement, observant le nom des rues. Plus on avançait, plus je trouvais les lieux inquiétants. Les immeubles étaient vieillots, noircis ; de nombreuses vitres étaient brisées ; les allées de plus en plus étroites étaient sombres, malodorantes, jonchées de divers détritus.



Elle n’avait pas l’air convaincue. Je compris que c’était à cause de moi. Elle ne voulait pas que quiconque puisse me voir de trop près ou entendre le son de ma voix.



Nous marchâmes hâtivement quelques centaines de mètres encore.



L’endroit était parfaitement sinistre. Finalement, c’était peut-être nécessaire de faire patrouiller des « surveillantes » dans le coin.



Le nom aussi était sinistre. Elle était en train de m’emmener dans la secte locale. On arriva jusqu’à un bâtiment plus décrépit que les autres où un panneau annonçant le nom du lieu pendait vaguement, encore accroché par un côté.



Maintenant qu’on était devant, elle hésitait quand même.



Mouais… ça donnait franchement pas envie.



Ouch… pas de réseau de communications, non plus ? Pas d’internet, sans doute ; pas d’ordinateurs, peut-être, même. Rien qui soit une ouverture sur le monde… Alys cogna à plusieurs reprises contre la lourde porte métallique ; aucune réponse ne vint, même après une ou deux minutes. Une voix nasillarde brisa soudain le silence de la ruelle déserte



Ma compagne et moi tournâmes la tête en même temps : trois silhouettes s’approchaient, des femmes jeunes au look plutôt provocant.



Alys me saisit par le bras.



J’emboîtai son pas dans la direction opposée à celle d’où venaient les trois greluches. Mais en cinq secondes elles furent à notre hauteur.



La troisième restait silencieuse, les yeux roulant dans le vague ; elle avait une cicatrice à travers la figure qui lui donnait un air satanique, et ses longs cheveux sales violets mélangés n’arrangeaient rien. Alys regardait par terre, visiblement apeurée.



Je tournai la tête en tous sens, cherchant un truc à faire. Et des surveillantes, y en avait pas dans le coin, évidemment. La satanique aux cheveux violets sortit en un éclair un impressionnant couteau qu’elle pointa sous mon visage.



Celle qui retenait ma compagne la projeta soudain contre le mur et défit sa ceinture.



La petite chauve sortit à son tour un couteau et plaqua son avant-bras sur le buste d’Alys, que je devinais pleurnicher. L’autre avait ouvert son pantalon et ricana en en exhibant une verge déjà presque tendue.



De la pointe de son arme, elle poussa quelque peu le large chapeau dont m’avait affublé la servante de Dame Heline, et celui-ci glissa d’un seul coup à la renverse, emportant avec lui la longue perruque blonde qu’elle m’avait mise. La punkette grunge fut un instant déroutée lorsque mon déguisement bascula soudain et que je me retrouvai face à elle nu-tête avec seulement mon beau rouge à lèvres et mes lunettes de soleil. Je mis à profit sa stupeur et attrapai vivement son bras armé d’une main en lui balançant un énorme coup de poing en pleine tête de l’autre. Elle hurla en vacillant et essaya de me frapper de son couteau en se débattant, mais je ne lâchai pas prise, et lui décochai même un grand coup de pied dans le ventre, aussi puissant que me le permettait ma jolie robe. La crevure tomba quand même à terre et je parvins à lui arracher son poignard.


Tout cela n’avait duré qu’un court instant, et les deux autres réalisaient seulement ce qui venait de se passer. La petite rasée qui maintenait ma compagne contre le mur, découvrant que j’étais un homme et désormais armé, choisit de se ruer vers moi. Alys réagit promptement : elle décocha un coup de genou entre les cuisses de la troisième, qui, désemparée, tentait de remballer sa queue ; puis elle se mit à courir en criant au secours, pendant que sa victime hurlait de douleur.


Je remis un coup de pied à la violette qui envisageait de se relever, et, couteau levé, m’approchai de la maigrichonne qui était tombée à genoux et se tenait l’entrejambe et en geignant. La skinhead, voyant la tournure que prenait la situation, hésita un instant face à moi, regarda en arrière vers Alys qui continuait d’appeler à l’aide, et décida finalement de faire demi-tour pour s’enfuir en courant. Je me précipitai vers la brune qui se relevait péniblement et lui décochai à son tour un énorme coup de poing en pleine tête qui l’envoya rejoindre sa copine violette au pays des songes.



Je frottai mon poing endolori. Ce n’était peut-être pas nécessaire de radiner des surveillantes si c’était pour qu’elles découvrent ma véritable identité. Mais la jolie rouquine était toujours paniquée et n’avait pas réalisé que tout était fini. Je sifflai fort ; elle se retourna enfin et revint vers moi en hâte pendant que je ramassai ma perruque et mon chapeau et rangeai sous ma robe le beau couteau de la punkette.



Elle se précipita dans mes bras pour me couvrir de baisers.



Elle m’embrassa encore.



Ma compagne ne comprit pas et me lança des yeux étonnés tandis que je réajustais mon déguisement.



Nous nous éloignâmes pour retourner vers les rues plus animées et moins sordides que nous avions traversées quelques minutes plus tôt, mais à peine avions-nous fait quelques pas que deux surveillantes apparurent à l’angle de notre ruelle, à une trentaine de mètres.



Elles s’approchaient de nous en courant.



Alys soupira.



Elle s’exécuta, larmoyant presque, pendant que les deux gardiennes de l’ordre nous rejoignaient. Leurs costumes rouges masquaient leurs formes, mais quoique plus grandes et plus baraquées que moi, les deux arrivantes avaient bien des silhouettes féminines. Elles portaient à la taille une matraque d’un côté et une sorte d’arbalète de l’autre.



Je maintins les yeux baissés quelques secondes ; si Alys ne répondait pas promptement, ça allait se régler plus vite que prévu.



La deuxième surveillante nous abandonna pour aller examiner les deux assommées que j’avais laissées sur le trottoir un peu plus loin.



C’était pénible, on ne voyait pas ses yeux à travers la visière teintée de son casque.



Alys acquiesça en essuyant ses larmes.



Je confirmai d’un hochement de tête.



Bon, évidemment, ça prenait une vilaine tournure. L’une des surveillantes arma son arbalète d’un étrange projectile fuselé et tira en l’air ; le projectile éclata haut dans le ciel et une détonation retentit, accompagnée d’une nuée d’étincelles rouges qui retombèrent vers nous. Puis elle recommença la même manœuvre et cette fois, ce furent des étincelles orangées qui illuminèrent longuement l’espace au-dessus de nous.



Alys me lança un regard désespéré.



La surveillante fouilla un instant dans son calepin ; je compris que ce devait en fait être un registre.



Et les deux changèrent alors d’attitude à l’égard de ma compagne qui s’était remise à sangloter, se montrant aussitôt moins prévenantes et plus froides, se désintéressant complètement d’elle.



Il fallait que je trouve un truc à dire… Sans vraiment lever les yeux, je répondis d’une voix fluette en essayant d’adopter l’accent que j’entendais partout autour de moi depuis quelques heures.



Et merde !


Mais un coup de sifflet retentit soudain, me sauvant momentanément la mise. La gardienne de l’ordre qui m’interrogeait répondit en émettant elle aussi un long sifflement strident qu’elle avait dû produire depuis l’intérieur de son casque mais qui résonnait tout autour de nous. Et deux nouvelles femmes vêtues de rouge débarquèrent, suivies de deux autres portant un uniforme jaune.



Je fulminai de colère.



Derrière nous, l’une des pétasses que j’avais assommées venait apparemment de se réveiller et hurla :



Merde ! Ça se compliquait vraiment. L’idée de me mettre soudain à courir me traversa l’esprit, mais ma robe et mon déguisement n’allaient pas favoriser mon départ rapide. Et puis, pour m’enfuir où ? Mais les surveillantes réagirent bien plus vite que moi : deux d’entre elles reculèrent de quelques pas et armèrent instantanément leurs arbalètes en m’ajustant précisément ; une troisième vint m’arracher tout mon accoutrement, de ma perruque à ma robe. Elle découvrit le couteau que j’avais chapardé à nos agresseuses et s’en servit pour déchirer mon tee-shirt et couper la lanière retenant le soutien-gorge qui complétait mon déguisement.



Alys, désespérée, se mit à hurler :



Alors que l’une des surveillantes repoussait vivement Alys et faisait mine de la frapper, je m’interposai :



Mais un coup de matraque m’envoya au tapis.




***




Ma première sensation, lorsque j’ouvris les yeux, fut un affreux mal de crâne ; et la seconde fut de constater que j’étais dans l’obscurité. Peu à peu, en reprenant conscience, je réalisai que j’étais dans une cellule de prison.



La voix acheva de me tirer du coaltar ; je n’étais pas seul, un autre type, un autre dégénéré, était enfermé avec moi.



Je me redressai péniblement de la paillasse où l’on m’avait couché. Une souffrance aiguë martelait ma tête, et j’avais la jambe entourée d’une vilaine bandelette. Quand je me levai, une autre douleur irradia dans toute ma cuisse.



Je me levai complètement pour découvrir un jeune type à la peau sombre couché sur une paillasse au-dessus de la mienne.



Kalmin s’extirpa de sa couchette et bondit sur le sol de la cellule. Il était plus grand que moi, mais bien plus maigre, les os saillants, et son bras gauche semblait pendre sans vie ; une profonde lassitude se lisait sur son visage.



Il me regarda, étonné.



Il toussa longuement et finit par cracher par terre.



Je soupirai en secouant les grilles qui fermaient notre cellule. Rien à faire, elles ne bougeaient pas.



J’avais du mal à imaginer Dame Heline de Gofarn se livrer à des messes noires de ce type, mais en même temps, vu comme elle m’avait traité à notre première rencontre, et en tenant compte du fait qu’Alys m’avait promis qu’elle était plutôt ouverte et tolérante…



Je déglutis pesamment en m’imaginant servir de donneur d’organes.



C’était une surveillante ; elle frappait les grilles des cellules avec sa matraque. J’observai mon codétenu ; il me fit signe de me taire et de reculer dans la minuscule pièce qu’on occupait. J’obtempérai.




***




Rien ne vint perturber le reste de la journée. Je ne cessais de m’agacer en repensant à tout ce que j’avais vécu depuis que je m’étais éveillé au beau milieu de la rue passante du Quartier Ouest. Kalmin m’avait appris quelques nouvelles choses, ou au moins m’avait donné son avis sur la façon dont les choses se passaient dans cette ville. Et à l’en croire, on était mal barrés, vraiment. Aucun avenir pour les dégénérés ; il fallait juste espérer crever au plus vite.


Je lui avais demandé son histoire, sa vie. Il avait été abandonné à la naissance, et avait grandi caché dans les souterrains des bas quartiers, échappant aux régulières descentes des gardiennes de l’ordre avec quelques compagnons, survivant dans la plus stricte misère des quelques vols qu’ils parvenaient à commettre, et des ordures ou des animaux qui hantaient ces cavernes. Jusqu’à une descente de trop à laquelle il n’avait pas échappé. Et il toussait, et toussait encore en me racontant tout ça. Il devait être sérieusement malade.


Les surveillantes qui m’avaient amené ici n’avaient pas complètement fouillé mes poches ; ou bien elles avaient décidé que le bout de papier qui s’y trouvait n’avait pas grand intérêt ; toujours est-il que je retrouvai la feuille pliée en quatre sur laquelle je pus relire les quatre mots :


Adieu, Johan. Pardonne-moi.


Curieusement, cette lettre me redonnait espoir. C’était la seule chose qui me raccrochait à une trace de mon passé. La seule chose à travers laquelle j’avais une petite chance de découvrir qui j’étais vraiment, et comment j’étais arrivé là.


On dormit, quelques heures sans doute. Et l’on fut soudain réveillé brutalement par des coups portés contre la grille, et une voix qui hurlait :



Des surveillantes vinrent nous passer des chaînes aux pieds sous la menace d’armes de poing et de jet, et l’on nous conduisit plusieurs niveaux plus bas jusqu’à une grande salle qui devait servir à la fois d’incinérateur et d’ossuaire, où de nombreux corps de défuntes hermaphrodites attendaient nos services. J’eus le loisir de découvrir quelques-uns de nos compagnons de captivité : des hommes, des dégénérés, et la plupart étaient dans un triste état ; Alys avait raison. Plusieurs paraissaient handicapés, d’une façon ou d’une autre ; plusieurs autres étaient blessés ; d’autres encore devaient être malades. Kalmin et moi étions sans doute parmi les plus valides. Et de manipuler des cadavres ne devait rien arranger.


Imitant mes compagnons d’infortune, je portais des corps jusqu’à des recoins de cavernes où il nous fallait ensuite creuser des tombes avec des outils rudimentaires. Le tout sous le contrôle et les harangues de surveillantes qui se faisaient un malin plaisir de nous lapider régulièrement. Un homme fut tué sous mes yeux, d’un carreau d’arbalète en pleine tête.



Il soupira bruyamment, avant de reprendre, pensif.



Cela me fit penser à la vieille légende dont m’avait parlé Alys.





***




Un grand coup de matraque contre la grille de ma cellule me tira du demi-sommeil où j’avais sombré après avoir absorbé le bol de bouillon infâme qu’on nous avait servi quelques heures après notre retour de la nécropole.



Je peinai à reprendre mes esprits, à me rappeler où j’étais.



La surveillante grassouillette darda longuement ses yeux cruels dans les miens.



Mon compagnon de cellule s’était approché de la grille lui aussi.



Kalmin s’exécuta. Une autre surveillante rejoignit la première.



La femme me lança une chaîne cadenassée, semblable à celles que j’avais déjà portées depuis que j’étais prisonnier. En soupirant, je la passai et la refermai autour de mes chevilles. On me fit sortir, et je me laissai entraîner à travers plusieurs passages jusqu’à un escalier ; nous grimpâmes de plusieurs niveaux puis empruntâmes encore un couloir, et mes gardiennes ouvrirent bientôt une petite porte et me poussèrent à l’intérieur. Je m’écrasai lamentablement sur le sol de la pièce, mais mon cœur s’allégea soudain lorsque j’aperçus Alys, de l’autre côté d’une cloison percée d’une large vitre rectangulaire, debout entre deux surveillantes.



Je me redressai péniblement en lançant des yeux suppliants à la jolie rouquine au regard inquiet.



La gardienne s’interrompit, avant de relever la tête vers sa belle interlocutrice :



Ouch ! Alys se faisait passer pour sa maîtresse Heline…



Alys écarta les pans de sa tunique et ouvrit puis abaissa franchement sa robe, se dévoilant à demi devant les surveillantes interloquées ; une fois torse presque nu, elle se tourna pour désigner un tatouage ovale qu’elle arborait sur le bras gauche. J’aurais pu jurer qu’elle n’avait pas ce tatouage quelques jours plus tôt ; mais je me souvenais de Dame Heline, portant une marque semblable. Les gardiennes y jetèrent un œil rapide, mais même de là où j’étais, je parvenais à voir qu’elles étaient surtout obnubilées par les seins lourds de la sculpturale rouquine.



Elle se rhabilla finalement et tourna les talons sans le moindre regard supplémentaire à mon intention. Elle jouait bien son rôle, au moins. Les surveillantes qui l’escortaient sortirent avec elle, puis entrèrent une ou deux minutes après de mon côté de la pièce.



Je les suivis sans un mot jusqu’à une petite pièce carrelée où, après avoir déverrouillé la chaîne qui me ceignait les chevilles, elles m’enfermèrent derrière une porte hermétique vitrée d’une fenêtre ovale. La voix de l’une des gardiennes résonna autour de moi, alors que je voyais l’autre m’observer à travers le hublot.



Tout autour de moi, plusieurs petits trous se devinaient le long des murs, et au centre de la pièce, au sol, une large bonde d’évacuation. Je devais me trouver dans une grande salle de bains.



J’ouvris le verrou et défis la chaîne avant d’ôter mon jean et mon tee-shirt.



Tournant les yeux, j’aperçus dans un coin de la salle une petite niche également carrelée, que je n’avais pas remarquée. Je retirai encore mon caleçon, et allai tout y déposer.



J’obtempérai. Et une trentaine de puissants jets d’eau furent déclenchés simultanément tout autour de la pièce, dirigés vers moi. L’eau était froide, et la pression énorme ; j’en recevais partout, de la tête aux pieds ; c’était douloureux. Je me tournai pour essayer d’éviter ceux qui frappaient mon visage, mon ventre ou mon entrejambe, mais d’autres semblaient les remplacer, et je n’avais pas assez de mes deux mains pour protéger tout mon corps. J’avais du mal à respirer tant l’eau était partout. Je me recroquevillai, agenouillé, mais ce fut presque pire, et je finis par me jeter de côté, pour échapper aux jets, qui s’arrêtèrent aussitôt.



Me redressant, je me frottai les yeux, cherchant un instant une utopique échappatoire. Je grelottais.



Je revins me positionner au-dessus de la bonde, crispé, prêt à recevoir de nouveau les jets infernaux. Mais ce fut un liquide visqueux qui me tomba soudain sur la tête et sur les épaules, accompagné d’un parfum agréable. Du savon.



Je m’exécutai, me lavant avec plaisir, nettoyant chaque recoin de mon corps, effaçant les odeurs et la crasse que j’avais accumulées depuis que j’étais entré dans cette horrible prison. Mais les pénibles jets d’eau à haute pression se déclenchèrent soudain de nouveau, et je luttai pour ne pas suffoquer en me rinçant. Ils furent assez vite remplacés par des jets d’air propulsés sur moi avec une pression plus forte encore, sans doute dans le but de me sécher. Si je n’avais plus la moindre difficulté à respirer, la douleur devenait, elle, franchement insupportable. Heureusement, cela cessa bientôt, et, parfaitement propre et globalement sec, je pus aller reprendre mes vêtements. Je ne m’en étais pas rendu compte pendant mon « lessivage », mais ils avaient disparu, et réapparurent juste à l’instant où je voulus m’en approcher. Ils étaient très chauds et soigneusement pliés, et sentaient bon ; sans doute avaient-ils aussi subi un lavage rapide, ou un nettoyage à sec.



Elles ne m’ouvrirent la porte que lorsque j’eus refermé le lourd verrou autour de mes chevilles.





***




Je reconnus sans peine l’immeuble dans lequel me conduisirent les trois surveillantes qui m’avaient escorté sous chaîne et menottes à travers les ruelles de la ville. Dans le hall, l’une de mes gardiennes appuya sur une sonnette et une voix retentit soudain :



Elles m’entraînèrent jusqu’à l’ascenseur.



Mais ce n’était pas Alys qui nous attendait devant l’ascenseur, mais la véritable Heline de Gofarn, le visage fermé d’un air sévère, et une étrange lanière à la main. Deux des surveillantes s’agitèrent en l’apercevant et l’une leva son arme.



Les surveillantes maugréèrent à voix basse en emboîtant son pas jusqu’à l’entrée de son appartement.



L’une des gardiennes sortit un répertoire qu’elle consulta rapidement.



Et après des vérifications de taille, de couleur d’yeux, de forme du visage, d’empreinte du tatouage qu’elles appelaient médaillon, je fus abandonné pour quelque temps :



Elle passa autour de ma tête un nœud coulant de la lanière qu’elle tenait, et le serra fort ; et je me pris soudain une décharge électrique qui m’arracha un cri de douleur. J’aperçus, au bout de la laisse noire, un petit boîtier que la femme avait gardé en main.





***





Alys se précipita vers moi et me prit dans ses bras, m’étouffant de baisers.



Je la dévisageai avec inquiétude, mais elle ne me lança toujours pas le moindre regard, et s’éloigna vers une pièce voisine, tandis que sa servante ôtait la lanière qui ceignait mon cou et déverrouillait la chaîne et les bracelets métalliques qui me retenaient prisonnier. Dès que je fus libre, je la serrai contre moi, heureux de la retrouver, tout autant que d’entrevoir une issue possible à ma détention en prison. La merveilleuse rouquine m’emmena à l’étage, et me guida jusqu’à une chambre que je devinais être la sienne. Elle ferma la porte et me jeta en arrière sur le lit, puis se déshabilla en quelques gestes et se précipita sur moi pour m’enjamber.



Plaquant une main sur sa longue chevelure ondulée, je l’attirai contre moi pour unir nos lèvres, et crispai mon autre main entre ses fesses chaudes. Ses seins gonflés rebondis s’écrasaient contre mon torse, m’excitant davantage si c’était possible.


Elle se redressa un instant pour presque arracher tous mes vêtements, et lorsque nous fûmes nus tous les deux, nos deux corps brûlants et surexcités l’un sur l’autre, elle se frotta encore contre moi, jusqu’à n’en plus pouvoir et suffoquer de désir. Et je finis par la faire pivoter sur sa couche et, allongé contre elle, mes jambes entre les siennes, m’enfonçai en elle d’un puissant coup de bassin tandis que sa voix chaude lançait une longue plainte de plaisir.




***




Alys et moi, lascifs, charnels, voluptueux, avions longuement fait l’amour, avant de nous allonger, épuisés, côte à côte, soupirant d’extase et du plaisir de nous retrouver après les événements de l’avant-veille. Elle se tourna et se serra contre moi, posant sa tête sur mon épaule, pour me raconter en chuchotant ce qui s’était passé suite à notre altercation avec les trois jeunes qui nous avaient agressés.


Lorsque j’avais voulu intervenir pour empêcher les surveillantes de s’en prendre à ma belle Alys, j’avais été tout bonnement assommé et menotté ; mon cas était réglé du moment où elles avaient constaté que j’étais un dégénéré : ma présence en ville était interdite. Nos deux assaillantes encore sur les lieux furent soignées et laissées libres, sans remarque particulière ; peu importait qu’elles eussent menacé de violer ma compagne. Celle-ci, également dégénérée, fut reconduite jusqu’à cet appartement, où Dame Heline avait confirmé aux surveillantes qu’elle était sa servante et qu’elle répondait d’elle.


Puis elle avait passé la journée suivante à se morfondre, à s’en vouloir de m’avoir conduit là-bas, à s’agacer contre l’injustice des lois de la ville et la partialité inique des gardiennes de l’ordre. À tel point que sa maîtresse, qui l’avait d’abord tancée et sermonnée quant à sa conduite avec moi et à sa réaction démesurée face à mon emprisonnement, avait fini par se laisser presque émouvoir par le chagrin et la tristesse qu’elle ne parvenait pas à chasser. Et c’était elle qui avait finalement proposé de me « louer » pour une soirée.


Mais Alys prit une voix affectée pour m’expliquer ce qu’allait être cette soirée. Son chagrin n’était finalement qu’un prétexte, ou du moins l’élément déclencheur. Heline me voulait surtout pour elle et pour ses amies ; j’allais servir toute une nuit durant de jouet sexuel pour combler quelques dames de la haute en mal de sensations fortes et prêtes à baiser avec un dégénéré.



Elle acquiesça.



C’était vrai ! J’étais en train de tomber fou amoureux d’elle. Et puis, bon… baiser deux trois vieilles en mal de cul, ça ne serait sans doute pas si terrible.



Je me remémorai soudain que toutes ces femmes étaient hermaphrodites et commençai à évoquer tout ce dont elles seraient capables. Mais je me forçai à cesser de laisser travailler ainsi mon imagination, et embrassai chaleureusement la jolie servante, dégénérée comme moi.



Je m’efforçai de paraître optimiste pour compenser les craintes (certainement fondées) de ma compagne. Et je commençai sans lui en parler à réfléchir à un plan pour m’enfuir avec elle. Et cette fois-ci pour de bon. Dans la nuit, peut-être, quand tout le monde dormirait. Alys avait les clés et les codes de l’appartement ; elle connaissait la ville. Avec un peu plus de chance que la fois précédente, nous pourrions peut-être éviter toute rencontre. Et d’après Kalmin, mon compagnon de cellule, nous pourrions peut-être trouver refuge dans les souterrains de certains quartiers de la cité.


Tout cela faisait beaucoup de « peut-être », évidemment, mais tout était mieux que de retourner croupir en prison à attendre la prochaine fois que Dame Heline faiblirait et se laisserait attendrir. Et tout était mieux que de quitter Alys…