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Temps de lecture estimé : 22 mn
31/10/15
corrigé 07/06/21
Résumé:  Après être devenu l'amant de la femme et de la belle-mère du seigneur dont il exécute le portrait, notre peintre ajoute la fille à son harem et s'initie à la peinture de nus.
Critères:  #historique fh fffh jardin exhib
Auteur : Laure Topigne            Envoi mini-message

Série : Hallucination - Billevesée et Gaudriole !

Chapitre 02 / 03
Hallucination - Billevesée et Gaudriole !

Résumé de l’épisode précédent : Hallucination – Billevesée et Gaudriole ! (1/3)


À la terrasse d’un café, Laure rencontre un individu qui se fait passer pour un artiste peintre du XVIe siècle. Il lui raconte comment, alors qu’il effectuait le portrait d’un nobliau, il est devenu l’amant et de sa femme, Elfriede, et de sa belle-mère, Lutgard. Cette dernière lui fait la proposition de peindre les trois femmes de céans (elle y ajoute sa petite-fille Käthe) en tenue d’Ève.




Hallucination – Billevesée et Gaudriole ! (2/3)




Tout ce jour-là, Mademoiselle Käthe me marqua autant de considération qu’à un caillou, c’est-à-dire à un obstacle qu’on contourne. Après une courte séance de pose avec le comte, je passai l’après-midi dans un profond sommeil qui me permit de récupérer quelques forces avant de rejoindre ma belle Elfriede pour les dissiper dans ses bras. Lorsque je lui exposai mes griefs du matin, elle éclata de rire et me répondit qu’elle ne nourrissait pas la moindre jalousie envers sa fille ; quant à chercher une revanche sur son mari, elle l’avait épousé par convenance, selon les arrangements de leurs familles respectives, et qu’elle était plutôt satisfaite de ses penchants pédérastes qui l’éloignaient de son lit et lui octroyaient une relative liberté. Au reste, elle me régala d’une nouvelle nuit de délices en poursuivant mon éducation sensuelle. Je ne sus jamais ce que Lutgard conta à Käthe, toujours est-il que dès le matin du lendemain celle-ci me gratifia de ses sourires les plus charmeurs. Un peu plus tard, elle vint en mon atelier et suivit longuement mon travail tandis que son père tenait la pose.

Elle multiplia les réflexions aimables, s’intéressa à tout, et posa mille questions puis soudain lâcha :



Forte de cet assentiment, elle s’en fut légère et allègre comme un papillon et je ne pus être insensible à la grâce de tant de féminité.

Je la croisais à nouveau en début d’après-midi, alors que son père était reparti pour Strasbourg pour deux ou trois jours, ce qui me laissait sans emploi. Elle se précipita vers moi arborant le plus affable sourire. Très courtoisement, je lui fis remarquer que sa mère n’apprécierait pas son idée de s’exercer à la peinture sous l’autorité d’un maître tel que moi. Sarcastique, elle répliqua :



Si la mère avait de l’esprit, la grand-mère du caractère, elle ne manquait pas d’audace.



Mademoiselle Käthe me prit le bras et sans attendre mon consentement m’entraîna à sa suite sous les ombrages des grands saules qui courbaient leurs branches au-dessus d’un étroit sentier longeant les eaux et offraient un peu de douce fraîcheur en cette journée caniculaire. Nous progressions lentement car à chaque pas elle s’arrêtait pour m’introduire aux mystères de la botanique qui depuis longtemps la captivait. Je lui proposai d’herboriser, mais elle se moqua en déclarant :



Je doutai un instant du double sens de ses propos dont le « comme moi » pourtant soulignait le second degré. L’Andlau décrivait un long méandre au cœur de la vaste propriété familiale. Juste avant l’un de ses coudes, nous entendîmes des bruits d’aspersion et d’éclaboussures.



Quelle ne fut pas notre surprise en découvrant une femme toute nue, ayant retiré jusqu’à sa chemise qui s’ébattait dans une petite crique fermée aux regards par un rideau de saules et de taillis. Une branche morte craquant sous mon pas, celle-ci se retourna et nous nous reconnûmes. Madame Elfriede, car c’était elle, sans la moindre gêne, nous interpella :



En attendant, ce fut elle qui vint vers nous, belle naïade échevelée et dégoulinante de mille perles d’eau qui tantôt la moiraient de sombre argent, tantôt scintillaient d’éclairs aveuglants, l’enveloppant d’un ciel d’étoiles rutilantes et changeantes au gré des rayons de soleil filtrant au travers l’épaisse frondaison. J’eus beaucoup de mal à ne pas étreindre ma superbe maîtresse, mais la présence de Käthe m’obligea à plus de retenue. Celle-ci se tourna vers moi et s’exclama :



Avec l’aide de sa mère, je défis sa robe et bientôt elle ne fut plus vêtue que de sa simple chemise qui lui tombait jusqu’à mi-mollet.



Les deux femmes se précipitèrent sur moi et quelques secondes plus tard, je me retrouvais nu comme un ver tentant de dissimuler ma virilité fort émoustillée avec ma coiffe.



Me prenant chacune par un bras et force éclats de rire, elles me tirèrent dans l’eau et s’y jetèrent, m’y entraînant à leur suite. La chaleur ambiante, augmentée de celle de mon brasier intérieur que nourrissaient mes interrogations, empourprait violemment ma face.



Se plaçant derrière sa fille, elle releva l’étoffe détrempée qui la dissimulait encore et me convia à adorer le vierge sanctuaire qu’elle me dévoilait. Ce fut au tour de Käthe de rougir. Tandis qu’elle se débattait pour se soustraire et tentait maladroitement d’abaisser le tissu, éperdue elle supplia :



Je m’agenouillai devant le temple qu’on m’exhibait et la mère en profita pour rabattre le linge mouillé sur ma tête. Je me retrouvai prisonnier sous cette chape face à deux cuissots admirables et frémissants, à un ventre ferme, un peu efflanqué toutefois et un pubis candide que ne décorait qu’un faible duvet naissant. J’agrippai de petites fesses bien rondes et portai mes lèvres au sillon qui s’entrouvrit dès mon premier baiser. Bientôt, la donzelle frémit et s’agita, les deux beaux et sveltes piliers de marbre tremblèrent et menacèrent de se dérober. Enfin, elle s’effondra en arrière dans une gerbe d’éclaboussements agrippant ma nuque afin que ma bouche ne quitte point ses hospices et pour me contraindre à la suivre dans cette chute.


Je me retrouvai, toujours chapeauté, la tête sous l’eau et prisonnier de la nasse de sa chemise. Un bref instant, je poursuivis mes explorations, mais dépourvu de branchies, constatai que je n’allais pas tarder à étouffer. Je me démenai alors si furieusement que je finis par lacérer le lin carcéral et m’en extirper. J’émergeai pour reprendre haleine et l’aperçus, splendide sirène, si haletante et effarée que je me demandai si ce n’est point elle qui, juste avant, s’asphyxiait sous le flot. Sa mère avait disparu et j’en conclus qu’elle me laissait sa fille en pâture ce qui me contraria et m’amena à penser qu’en dépit de ses dénégations, je n’étais guère plus, pour elle, qu’un commode divertissement lascif. Nous nous relevâmes pour nous rapprocher de la rive et nous étendre là où seules quelques vaguelettes très chaudes nous léchaient aimablement.



Elle me dévisagea, écarquillant de grands yeux effrayés, mais consentit à faire glisser la loque mouillée par-dessus sa tête. Elle m’a souvent étonné par cette alternance de retenue et de hardiesse que je me suis expliquée par sa jeunesse qui la précipitait ainsi d’un extrême vers l’autre. Aussitôt celle-ci retirée, dans un geste d’aguichante pudeur, elle l’appliqua sur ses seins, bien gauchement, et dans sa hâte, elle n’en masqua qu’un, offrant l’autre à moitié découvert à la convoitise de mes regards. Elle défit ensuite ses cheveux fort longs et enveloppa la gloire nubile de son torse des ors de ce rideau éblouissant. Je risquai une main à travers le doux entrelacs pour saisir un téton qui, sous ma caresse, se dressa admirablement et projetai ma bouche vers la sienne dont d’abord elle me refusa l’accès, avant que de l’entrouvrir peureusement. La demoiselle ne tarda pas à se prendre au jeu et s’appliqua à entortiller sa langue avec la mienne.


Mes fougueuses initiatrices ne m’avaient laissé que peu d’initiatives et je compris qu’il m’appartenait maintenant d’exploiter leurs leçons, non seulement pour mener l’offensive, mais surtout pour guider cette tendre enfant par étapes successives dans une gradation des plaisirs jusqu’à l’enchantement final. Poursuivant mes étreintes, une main toujours sur ses seins, je conduisis l’autre vers son ventre quand elle me retira ses lèvres et déclara dans un souffle :



Telles suppliques sont des ordres auxquels on ne saurait surseoir. Je me coulai entre ses jambes, la gratifiai d’encore une embrassade avant de faire glisser mes lèvres au long de son cou puis de ce tronc juvénile et sublime que barrait, par endroit, le miel d’une mèche dorée. Elle frissonna doublement horripilée et par la fraîcheur des évaporations et par la chaleur des baisers dont je la flattais. Je contemplai jusqu’à l’extase ce voluptueux épiderme dardé de mille minuscules pointes, accrochant à sa somptueuse chair de poule des gouttes d’argent qui diffractaient et éparpillaient la lumière en irisations limpides.


Un grand moment, je fis dévotion aux rondeurs naissantes, bien dessinées et consistantes déjà, envoûtante éclosion dont l’aréole à peine marquée se teintait de timide carmin et dont le mamelon se dilatait d’une première exaltation. Ma quête se poursuivit tétant la lactescence neigeuse de son ventre, l’échauffant d’une haleine déférente et le pèlerinage échoua sur ce mont sacré, émaillé de cils ambrés clairsemés. Juste en dessous béait le saint asile qui sollicita tout mon recueillement. J’y dispensais mes adorations et y communiais bientôt du moût divin par cet auguste calice prodigué. Mademoiselle Käthe, comme ses ascendantes, se montrait énergique et frétillante, mais le plaisir s’était à ce jour borné, pour elle, à la dégustation de quelques hors-d’œuvre, à de vagues prémices récoltées du bout des doigts. Elle fut, par l’inédit de mes assauts, transportée et se vrilla en contorsions désordonnées, défaillit et se pâma si complètement que je craignis son évanouissement tout en me réjouissant d’être l’auteur de tant de félicité. Revenant de ses émois elle me regarda, hallucinée et m’encouragea :



Pendant mon séjour en cette maison, ce fut l’unique fois où l’on me tutoya.


Alors là, sur la moiteur lénifiante du sable, pourléché par la fraîcheur des vaguelettes, sans fougue indélicate, je la pénétrai calmement. Elle se resserra sur mon épieu ardent et se révulsa presque immédiatement. Prévoyant la barrière de l’hymen, je modérais mes débordements au mieux, mais d’hymen il n’était plus. J’avoue avoir été dépité par cette déficience qui nourrit des interrogations que me firent tout aussitôt oublier les enthousiasmes de ma partenaire. Nos ventres roulèrent l’un contre l’autre dans une danse furieuse. Elle tordait en gémissant ses bras adorables au-dessus de sa tête. L’ondulation de ses cheveux mouillés tapissait sa poitrine laissant dépasser la pointe d’un mamelon accort et enflé. Tout en continuant de la fourbir, je m’en saisis et le pinçai entre mes doigts maculés de sable. La belle râla et c’est elle qui accéléra le mouvement qui alternativement me plongeait en ses tréfonds puis à nouveau m’en extirpait en cette glorieuse charge. Un arc-en-ciel éblouit tous mes sens tandis que je m’épanchai et qu’elle se raidit dans l’orgasme. Je ressaisis ses lèvres à l’instant où elles exhalaient ce qui nous restait de vie et avant qu’une seconde plus tard, elles ne se tendent vers d’autres désirs naissants. Époumoné, comme elle, je m’effondrai sur son corps ne parvenant plus qu’à dispenser de médiocres caresses sur son front brûlant.


Relevant les yeux, je vis sa mère s’enfuir d’un pas léger et disparaître au coude de l’Andlau. Elle nous avait donc sans vergogne espionnés ; à quelle fin et quel jeu jouait-elle ?



Promptement alors, nous récidivâmes étalant nos insouciances et nos emportements sur le sable jusqu’au plus complet harassement.

J’aidai ensuite tant bien que mal Mademoiselle Käthe à se rhabiller en constatant que mes talents de camériste s’amélioraient rapidement et nous prîmes le chemin de la maison échangeant tous les dix mètres de fougueuses embrassades. Cheminant de la sorte, je songeais qu’en deux jours seulement, j’étais passé du statut de puceau à celui de sultan régnant sur une cour de trois maîtresses aussi vives, exigeantes et épuisantes que ne l’aurait été un harem de cent courtisanes et me demandais s’il fallait se réjouir ou s’inquiéter de cette aubaine.


Sitôt que de retour, elle s’éclipsa tandis que je me rendais au village chez le menuisier afin que celui-ci me confectionne un double châssis gigogne de sorte qu’un tableau puisse s’emboîter et ainsi se dissimuler dans l’autre. J’avais heureusement apporté suffisamment de toile pour pouvoir faire réaliser cet ouvrage. Il me proposa de livrer l’objet dès le lendemain matin, mais, soucieux de discrétion, je lui dis que je viendrais le quérir moi-même. Ainsi, le jour suivant au midi, je pus affirmer aux trois belles que j’étais prêt à les croquer.


Elles entrèrent dans l’atelier caquetant comme des volailles et je devinai que cette exubérance qui ne leur était pas coutumière cachait un malaise profond. Tout en supposant que ce serait celle où elles figureraient habillées qui recueillerait leur suffrage, je les consultai pour savoir par quelle toile elles souhaitaient entamer l’exercice que j’annonçai long et éprouvant. À l’encontre de mes soupçons, elles se prononcèrent unanimement pour celle qui les dépouillerait de tout voile, arguant qu’il fallait profiter de l’absence du maître de céans. Dès lors, je me dis que ce choix devait leur permettre de se jeter à l’eau sans plus attendre et de surmonter ainsi les réticences forcément liées à cette première expérience. Je leur demandai de se déshabiller afin d’essayer quelques poses que je traduirais en croquis préliminaires. Ce qui, un instant plus tôt, semblait aisé se heurta alors à des retenues imprévues. Elles ne cédèrent pas à une tardive pudibonderie, mais l’inusité de la situation les intimidait, les figeait en confusions perplexes et elles se gênaient réciproquement de leurs réserves.


Elles s’observaient, contrites, chacune attendant que l’autre commence à se dévêtir. Jamais je ne les ai vues aussi raides et gauches. Dois-je avouer que l’air de ne point m’en mêler, je savourais la scène qui aurait bien mérité d’être en tableau encadrée. Pour rompre cet embarras qui risquait de durer, je les invitai à se dénuder mutuellement. Ma proposition fut suivie d’un succès immédiat qui me surprit plus encore que la précédente pruderie. Tout en se délaçant, elles échangèrent à l’envi moult caresses et fugaces baisers complices. Je compris que la présente situation les stimulait et les entraînait dans une spirale d’audaces libertines. J’eus de sérieuses difficultés à les interrompre dans cette escalade qui menaçait de s’emballer.


Elles se retournèrent alors contre moi et Elfriede constata que les modèles étant nus, rien ne s’opposait à ce que le peintre le soit. Il eut été malséant de me refuser à ce caprice et je m’exécutai rapidement tout en les engageant à prendre la pose selon laquelle elles souhaitaient être immortalisées. Elles présumaient que les choses iraient de soi et je feignis d’accepter de me conformer à leurs desiderata. Je les retrouvai pour la seconde fois, pataudes et empruntées, encombrées de leur nudité. Elles ne parvinrent qu’à se mettre en ligne sur un même plan, rigides comme militaires à la parade, ordonnées selon leurs âges croissants. Je demandai encore si elles avaient prévu des accessoires et elles ne surent me proposer qu’un luth. Je les croquais très schématiquement dans cette attitude et elles convinrent du caractère affecté, artificiel et froid de la composition. Elles s’enquirent alors de mon conseil. C’est ce que j’attendais et je leur fis part de mon projet. J’expliquai que je les imaginais telles trois figures d’une nouvelle Ève rejetant l’antique malédiction.




  • — Je vois là beaucoup de vos thèmes favoris en un unique dessin réunis.
  • — En effet et cette première toile a été décisive, vous l’avez déjà compris, pour mon œuvre entière.


Dame Lutgard alors m’objecta :



Le ton était mi-sérieux, mi-ironique et nos ébats passés m’avaient enseigné que les préceptes de la religion ne l’affectaient guère.



Je proposai ensuite de les réunir par une fine voilette courant de l’une à l’autre, les ceignant au niveau des hanches et dissimulant leur sexe. Elles se récrièrent impétueusement à l’unisson et dame Lutgard moqueuse m’objecta que :



Imaginez à présent la scène, un jeune peintre dénudé arrangeant ses modèles nus, sculptant plein d’émoi, et le mot est faible, des chairs somptueuses, redressant une tête, avançant une jambe, rentrant un ventre, disposant d’un sein pour mieux l’exposer… L’inévitable se produisit et la pose se rompit avant même d’être acquise, et ces dames et cette demoiselle oublièrent le projet de peinture qui nous réunissait pour ne s’occuper guère plus que de mon pinceau. Elles me poussèrent sur ma couche qu’envahit ainsi une bouillante confusion de bras, de pieds, de torses, de fesses et qui résonna dès lors de cris et de ris, de soupirs et de plaintes. C’était à qui se rendrait maîtresse de tel privilège de mon anatomie et je ne sus plus où donner de la tête et moins encore de la queue. Elles m’étouffèrent de leurs caresses et préventions autant qu’elles m’étonnèrent des fantaisies auxquelles elles me soumirent. Je manquai périr ou d’épuisement, ou de félicité, ou des deux conjointement et constatai qu’à l’organisation de ce trépas dame Lutgard œuvrait en virtuose, disposant savamment de moi, me livrant aux turpitudes de sa progéniture.


En endossant le rôle de modèles et en quittant la camisole de leur habit, elles s’étaient émancipé des hiérarchies, des responsabilités et des bienséances familiales. La chute du costume avait ouvert une brèche dans un monde de convenances. Elles avaient secoué le joug d’inhibitions séculaires fermement établies et rien ne semblait pouvoir endiguer le torrent dévastateur de pulsions secrètes si longtemps réprimées. J’en vins à me demander si ce n’était pas là l’objectif inavoué de l’aïeule.

J’aurais aimé pouvoir contempler cette sauvage et luxurieuse bacchanale au cours de laquelle elles ne s’appartinrent plus et se livrèrent sur ma personne à de tels égarements que je redoutais qu’une fièvre démoniaque ne les porte aux pires extrémités.



  • — Oh, je vois poindre là un autre de vos thèmes récurrents.
  • — Vous avez sans doute raison, mais nous aurons l’occasion d’y revenir ultérieurement.


Mes amantes, car je pouvais ainsi désormais les nommer, décidément, ne manquaient pas de tempérament et celui-ci, pour avoir été bridé, explosait maintenant hors toute retenue. Quand enfin elles se calmèrent, elles m’intimèrent de me réatteler à une tâche si longuement, mais aimablement interrompue. Enflammées encore de leurs émotions que tempérait dorénavant une languide fatigue, elles retrouvèrent étonnamment la pose d’emblée avec un naturel parfait. Elles présentaient en cet état une ineffable quiétude et une éminente sérénité, à peine altérées par les outrances auxquelles elles venaient de s’adonner qui empreignaient leur visage d’un voile diffus d’épuisement bienheureux, constituant pour le peintre le reflet du ravissement charnel.


Je parvins ainsi à crayonner une première ébauche qui déjà me surprit tant elle correspondait à ce que j’ambitionnais de mettre en évidence. Dès cet instant, je sus que j’allais transcender mon art. Nous en restâmes à ce stade ce premier jour et après une nuit exténuante passée avec ma terrible maîtresse, je les retrouvai le lendemain matin tout en craignant qu’elles ne s’égarent dans les excès de la veille. Il n’en fut rien et à part de ferventes caresses et des baisers promptement échangés, elles reprirent rapidement la pose. Partageaient-elles avec moi l’impatience de voir l’œuvre progresser ?


Je les avais, le jour précédent, incitées à bannir tout bandage de poitrine qui créait des marques disgracieuses sur le torse et conviées à s’affubler de leurs bijoux les plus lourds et les plus colorés, ceux notamment sertis de pierreries, si elles en disposaient. Le soleil éclatant du matin explosait dans mon atelier et cette miraculeuse illumination me découvrit leurs imperceptibles dissemblances. Il fallut cette lumière complice pour que je distingue les nuances de teinte de leur chevelure, dorée sans compromis chez Elfriede, mélangée d’une touche d’acajou ou de platine chez Käthe et Lutgard respectivement. Peindre ne tient qu’à voir, capter puis transcrire la lumière selon ses justes tonalités, et la forme n’est que platitude si elle n’est point par le génie de quelque flamboyance modelée.


Vous ne connaissez, vous autres écrivains, ni cette servitude ni ce privilège et il me faudra bien dans la suite de ma narration user de vos pauvres stratagèmes pour dire ce qui ne peut s’écrire sans produire à l’infini périphrases et métaphores. Comment transcrire le multiple dans l’un, rendre sensible l’un à travers le multiple ? Je devrais à présent, tour à tour, vous les décrire de pied en cape, détailler cheveux, tête, cou, bras, torse, ventre et jambes, bref à la manière d’un chirurgien d’abord les démembrer pour tenter ensuite de raccommoder ces fragments afin d’en dégager une impression souveraine. Le peintre aussi parachève successivement nez, bouche, œil et oreille d’un assemblage dont le spectateur cependant ne distinguera avant tout, et à très juste titre, qu’un visage. Cette tâche de dissection, je ne sais ni ne souhaite ici pourtant perpétrer.



  • — J’ai compris, vous voilà platonicien affirmant que le Beau est Un et préférez substituer un blanc à la défloration du mystère !
  • — Disons qu’autrement, j’espère vous soumettre à leur envoûtement.


Elles avaient toutes les trois parfaitement compris l’idée qui devait gouverner la composition et se coulèrent dès lors dans leurs rôles et personnages avec une intuition et un naturel merveilleux. Elles étaient mues d’un unique élan qui les rendait légères et aériennes. Seule Käthe, éperdue d’impatience pourtant se dressait sur la pointe des pieds, tandis que je campais solidement ses aînées sur une dalle de pierre, les faisant s’appuyer ainsi sur l’invulnérabilité de la matière. Elles devaient figurer le triomphe d’Ève, une victoire non pas amère et revancharde, mais sereine et souriante, et l’illustrer par l’épanouissement des formes, révélateur de la force du tempérament. Ce caractère, je le voulus tout d’acquiescement et non, comme on le suppose trop souvent, établi sur le renoncement. Je prétendais peindre la femme accédant aux jubilations qu’offre chaque âge de la vie et s’y adonnant volontairement selon les prérogatives de chacun d’entre eux.



On peut ainsi le mé… dire, mais c’est à pauvre chose, ma pomme réduire. Qu’elle contint mon priape pourquoi pas ? Mais il faut encore y caser les sciences et les arts, et toutes sortes d’autres beautés ainsi que la volonté de s’affranchir des jougs pesants de leur société. Enfin, voyez la lustrée, brillante et réfléchissante comme un nouveau miroir, leur renvoyant la puissance de leur aura et les invitant à, premières, y succomber. Puis-je au passage vous signaler que la banane eut été parfait anachronisme. Il importait surtout de n’entacher la scène d’aucune ombre de péché et leur exquise blancheur se prêtait magnifiquement à cette symbolique. Le divin écrin de leur peau devrait à lui seul vous condenser l’essence de leur perfection. Ultérieurement onc n’en ai perçu de plus lactescente, de plus éminemment vierge que la leur. C’était un vélin imperceptiblement nacré d’une subtilité diaphane telle que si je les avais exposées au contre-jour violent que procurait cette lumière acide du petit matin, j’aurais dû distinguer leur ossature. Cette limpidité translucide était ainsi à l’opposé des compactes froideurs marmoréennes et dévoilait la flamme de leur intériorité.


Le satin lisse de ma gentille Käthe révélait une immaturité juvénile qui le tendait à la limite de son élasticité, comme prêt à se déchirer pour libérer dans une ultime mue des formes idéales pleines d’une vitalité qu’il ne contenait déjà que difficilement. Chez ma radieuse Elfriede, cette tension disparaissait au profit d’un chaud velouté atteignant au comble de la douceur. Enfin, l’épiderme de la digne Lutgard avait perdu un brin de son lustre, combinait une pointe d’ivoire et s’était insensiblement parcheminé comme empreint du poids des souvenirs de caresses envolées, mais en ce palimpseste celées.


Vous imaginerez sans difficulté ces somptueuses enveloppes enrobant des gorges exquises, hautes, fermes et fières, dressant de petits seins insolents d’une rondeur parfaite, dont l’aréole se marquait davantage par une sensuelle érection que par la coloration d’un demi-ton seulement assombrie et qui se couronnait de la turgescence hardie d’un vulnérable téton.


Irriguez ces laiteuses transparences d’un fin entrelacs bleuté n’affleurant qu’à peine et palpitant délicatement, puis faites frissonner ces poitrines graciles en y suspendant le fardeau d’ornements massifs et menaçants, la lourde froideur de colliers d’argent sertis de gemmes colorées, opposant leur barbare rudesse, rigide et métallique à la soyeuse et vivante tendresse charnelle.


Transpercez maintenant d’un vif éclair de lumière un rubis afin qu’il projette sa luminescence sur l’incarnat d’un buste qu’il vient empourprer de chatoyantes et diffuses teintes pour comprendre les transes du portraitiste. Éclaboussez encore un sein de diaprures céruléennes et sinoples à quelques saphirs et émeraudes arrachés pour l’apprêter de céleste moire.


Je voulais en ma toile emprisonner leur caractère, la fougue de Käthe, la sérénité tranquille d’Elfriede et la maîtrise de Lutgard. Je souhaitais encore qu’elle transcrive les émois que chacune m’avait donnés. Le défi était aussi prodigieux qu’exaltant et je doutais de savoir le relever. Je ne sais quel pernicieux démon me permit d’y parvenir portant mon art à des sommets que je ne sus égaler plus tard.


Le seigneur du logis revint le lendemain pour, à propos, me soulager et m’autoriser un peu de repos. Mon travail réunissant les trois femmes en grand apparat se réduisait pour l’heure à un sommaire croquis et je prétextai d’une asthénie due à la chaleur pour m’en excuser. Il se montra fort satisfait de l’ébauche et m’encouragea vivement à poursuivre dans cette veine.


Je redoutais à présent ses absences, car dès que pour quelques heures il nous tournait le dos, mes bacchantes prenaient la pose, et avant ou après, ma couche accueillait des diversions nombreuses en des ébats qui nous combinaient à deux, trois ou quatre. En outre, ma superbe Elfriede tenait à ce que je poursuive mes cours particuliers chaque nuit. Je vivais ainsi dans une sorte d’exaltation qui me soulevait au-dessus de moi-même et j’avais l’impression de ne plus m’appartenir. Celle-ci conduisait ma main avec le plus grand bonheur, mélangeait mes pigments avec l’intuition parfaite du coloris adapté et jamais plus au-delà je ne sombrais dans telle fureur créatrice.


Après quelques semaines, mon ouvrage touchait à sa fin quand je constatai un changement d’attitude entre Elfriede et sa fille. C’était surtout Käthe qui se montrait agressive et belliqueuse envers la mère. J’interrogeai cette dernière à ce sujet qui se contenta d’en rire. Le portrait du comte étant terminé et « Les nouvelles Ève » également achevées, il ne me restait qu’à parfaire la composition regroupant mes trois amantes dans leurs atours.


Je décidai de passer alors deux jours à Strasbourg afin d’y chercher de nouveaux engagements tout en songeant à établir mon futur atelier à Andlau. Lorsque j’en revins, la mère et la grand-mère m’accueillirent très courroucées. Aussitôt après mon départ une violente dispute, dont elles me cachèrent la cause, les avait opposées à Käthe avant que celle-ci ne disparaisse et elles me soupçonnaient de l’avoir enlevée. On me notifia rudement que ma présence en cette maison était dorénavant inconvenante et on se refusa à honorer le solde de mon travail. Je protestai d’abord énergiquement de mon innocence puis, comprenant que l’on ne voudrait m’entendre, je demandai à récupérer les états de la nouvelle Ève comme dédommagement de mon labeur. On me rétorqua que j’en avais été somptueusement indemnisé et qu’il n’était pas question de me confier cette œuvre où on les reconnaissait trop pour qu’elle ne demeure secrète. J’insistais, on me menaça d’appeler la garde. Je m’en retournai donc à Strasbourg en ruminant les heurs et malheurs des débuts de ma carrière de peintre.


Je m’étais jeté à corps perdu, et l’expression ne saurait être plus justement utilisée, dans ce travail et avais réussi trois tableaux magnifiques même si l’un d’eux restait imparfait bien que fort avancé. J’étais dès ce moment persuadé, hélas avec raison, qu’ultérieurement je n’atteindrais plus, non pas seulement à une aussi grande maîtrise de mon art, mais à une telle justesse du trait et des tons. Je ne m’étais pas contenté de peindre des corps, de construire une simple allégorie, mais j’avais représenté des émotions en trouvant l’accord parfait entre mon affectivité et son expression.




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