Une Histoire sur http://revebebe.free.fr/
n° 17119Fiche technique39820 caractères39820
Temps de lecture estimé : 22 mn
17/11/15
corrigé 07/06/21
Résumé:  Notre peintre retrouve Käthe à Strasbourg où celle-ci exerce des activités condamnables dont celle de sorcière ce qui le conduit à assister à un sabbat.
Critères:  fh fff confession fantastiqu sorcelleri -fantastiq
Auteur : Laure Topigne            Envoi mini-message

Série : Hallucination - Billevesée et Gaudriole !

Chapitre 03 / 03
Hallucination - Billevesée et Gaudriole !

Résumé des épisodes précédents : (Épisode 1 et Épisode 2)

À la terrasse d’un café Laure rencontre un individu qui se fait passer pour un artiste peintre du XVIème siècle. Il lui raconte comment, alors qu’il effectuait le portrait d’un nobliau, il est devenu l’amant de sa femme, Elfriede, de sa belle-mère, Lutgard et de sa fille Käthe. Il les a peintes toutes trois en tenue d’Ève avant d’être congédié.



____________________________________________________




Hallucination – Billevesée et Gaudriole ! (3/3)




Je m’installais à Strasbourg où j’entamais une carrière de peintre qui me valut très rapidement renom et confortables revenus. Je ne pus cependant distraire ma pensée de l’adorable et fourbe Elfriede à laquelle je conservais toute ma flamme. Je me désespérais aussi de n’avoir pu récupérer cette toute première toile, qu’à ce jour encore, je considère comme le sommet de mon art et que je me suis appliqué à reproduire tout au long de ma vie sous les prétextes les plus divers mais toujours avec bien moins de succès. Quelque temps plus tard, j’appris les malheurs du comte qui avait été arrêté pour sodomie et homicide portant sur la personne de son palefrenier, qu’il accusa sans preuve d’avoir violé sa fille encore enfant. Lutgard était décédée, la jeune Käthe s’était définitivement évanouie quant à Elfriede, elle vivait recluse en un couvent. Un soir de bamboche, dans une taverne, une femme du peuple s’approcha de moi. Sous ses guenilles, je la reconnus immédiatement et m’exclamai :



Ce n’était pas Elfriede mais Käthe dont la pleine maturité renforçait les ressemblances d’antan et qui, trait pour trait, dupliquait le portrait de sa mère dont je caressais toujours le dolent souvenir.



Elle me raconta qu’après sa fuite, elle s’était enfoncée dans la forêt pour marcher plusieurs jours vers le Sud, persuadée qu’on la rechercherait en direction de Strasbourg. Elle avait alors soigné une vieille femme qui s’était cassé la jambe devant sa masure isolée au fond des bois. Très vite, elle avait découvert qu’il s’agissait d’une sorcière puis avait vécu plusieurs années avec elle, l’instruisant de ses connaissances botaniques et apprenant, en retour, ses secrets. À sa mort, elle avait rejoint Strasbourg où elle vivait dans le quartier juif et trafiquait tantôt de ses baumes, tantôt de ses charmes. Elle y vendait toutes sortes d’onguents, de poudres mais aussi parfois de philtres ou de poisons. À présent, elle avait très peur car la répression contre les sorcières ne cessait de s’intensifier et en effet, pas plus tard que la semaine passée, l’autodafé de deux d’entre elles ainsi que d’une de leur acolyte avait étouffé la ville, deux jours durant, des odeurs nauséabondes de chairs brûlées comme pour rappeler à chacun de ses citoyens les risques encourus à se commettre avec cette engeance.


Nous discutâmes longuement et je sentis renaître toute mon affection pour elle et sa famille. Elle fut horrifiée quand elle apprit que je travaillais pour le chapitre. Je la rassurai en lui expliquant qu’il s’agissait simplement d’un employeur et qu’au fond j’étais bien trop philosophe pour être religieux. Un peu avant de nous quitter, je lui avouais que quatre questions, que je n’osais lui poser, me brûlaient les lèvres.



Ces révélations m’abasourdirent. Certes, à l’époque j’avais deviné les tensions qui opposaient la mère et la fille mais tout éperdu de mon amour et de mes ressentiments pour la première, je n’avais guère analysé les sentiments de la seconde. Il me fallait concéder que le naïf aveu de Käthe me remplissait d’orgueil et que cette flamme si tardivement confessée n’était pas pour me déplaire car à bien entendre ce qu’elle venait d’admettre, elle l’animait encore. Ma jeune comparse ressemblait tant à sa mère que je sentis mon cœur libre d’attache s’émouvoir pour elle. Elle le comprit sans doute et pour ne pas prolonger mon embarras elle relança notre discussion :



À cette question, elle eut un geste de recul et son visage s’empreignit d’une terreur non simulée. Elle jeta un coup d’œil alarmé à la ronde et baissa nettement le ton si bien que je fus obligé de me pencher vers elle pour entendre sa réponse.



Je ne la crus point mais compris sa crainte car dans les procès en sorcellerie, c’était là toujours le premier et principal chef d’accusation – il faut dire qu’il réunissait tous les autres. Nous nous quittâmes enchantés, échangeant nos adresses et elle me promit visite prochaine.


Très vite nous redevînmes amants et elle me servit plusieurs fois de modèle notamment pour La jeune fille et la mort. Elle ne souhaita pas s’installer à mon domicile, pour ne pas me compromettre, disait-elle. Je l’habillais de pied en cape et elle fut bientôt la réplique parfaite d’Elfriede mais elle, vraiment aimante et toute à mes soins dévouée. Ses bras effacèrent définitivement dans ma mémoire ceux de sa mère et très vite, je me résolus à l’enjoindre de renoncer à ses pratiques.



Suite à cette discussion, elle modéra un peu ses activités illicites. Pendant les longues heures où elle tint le rôle de modèle et nos plus rares moments d’intimité, je parvins peu à peu à gagner suffisamment sa confiance pour pouvoir l’entretenir même de ces sujets. Quelque temps plus tard, au cours d’une séance de pose dans la discrétion de mon atelier, je réitérai ma demande à propos des sabbats et d’un éventuel concours de ma part. Elle admit y avoir participé et me demanda :



Je le lui décrivis en deux mots comme ce rendez-vous de sorcières arrivant sur leurs balais et se livrant aux pires extrémités.

Elle éclata de rire et répliqua :



Je devinai qu’elle ne m’avait pas dit toute la vérité et un peu plus tard, je l’entrepris à nouveau sur le même sujet.

Sa dénégation fut moins catégorique. Elle invoqua surtout les obstacles qui s’y opposaient : il me faudrait abjurer ma foi pour embrasser leurs idées qui, selon elle, ne relevaient pas d’une croyance quelconque et obtenir le consentement de ses comparses. L’idée faisait son chemin et bientôt elle promit de me conduire à un sabbat tout en refusant de m’en dire davantage. En attendant mon délire phantasmatique atteignit son apogée et déjà je griffonnais des cartons qui représentaient des sorcières nues et obèses chevauchant des balais ou mitonnant de louches remèdes.

Pendant une très longue période, il n’en fut plus question entre nous quand brutalement un soir vers la fin d’été, à brûle-pourpoint, elle me demanda si je voulais toujours participer à un sabbat.



Je la pressai de questions pour m’y préparer mais elle refusa de me répondre. Elle ne fit pas plus état de ses précédentes réserves et se contenta de me recommander une tenue légère.

À dix-neuf heures sonnantes, le lendemain, je pénétrai dans sa mansarde. Je constatai immédiatement que son activité d’herboriste au moins ne s’était guère réduite ces temps derniers. Des mortiers garnis de leur pilon, des cornues, des fioles, un alambic même, composaient un décor singulier, envahissant presque tout l’espace de la petite pièce.



Qu’elle était adorable ainsi, dans ce triste capharnaüm qui constituait un décor infernal. J’y vis Danaé et me pris pour Vulcain ! Je me précipitais sur elle pour lui arracher ce qui lui restait de vêtement et l’embrasser langoureusement, puis l’instinct du peintre prenant un instant le dessus, je me reculai pour détailler ces grâces dans le halo solaire exposées. Elle connaissait ses atouts et savait en jouer avec un art consommé. Elle s’adonna à quelques poses lascives qui affolèrent immédiatement mes convoitises et nous nous retrouvâmes sur sa couche pour une étreinte sauvage et passionnée n’ayant d’égale à sa brièveté que sa violence et sa volupté. Dès que revenu de ces transports, je lui déclarai :



Elle se pencha sur moi, radieuse de nudité, ses petits seins vigoureusement pointés en avant, une coupe entre les mains. Devant de tels arguments, pouvais-je tergiverser ? Je pris le cratère et le vidai d’un trait de son amer breuvage.

Aussitôt le monde parut basculer tandis que je fus aspiré dans une sorte de goulet obscur où il me sembla glisser de plus en plus vite.

Une angoisse terrible m’y étreignit et je suffoquai avant de soudain me retrouver en pleine nature dans un paysage buissonnant. Käthe, qui ne s’était rhabillée que de sa seule chemise était là à m’attendre. Elle prit ma main et me conduisit entre de grands étangs fangeux aux odeurs putrides. Les miasmes en sus, cela me remémora cette promenade qui, il y avait fort longtemps, au bord de l’Andlau, me l’avait pour la première fois attachée comme amante.


La nuit tomba sans transition et je devinai au loin les lueurs d’un grand brasier. Il fallait être dément pour illuminer ainsi une scène qui devait rester secrète. Nous nous approchions et plusieurs fois Käthe négocia notre passage avec des ombres armées de bâtons et de dagues et portant toutes une trompe destinée sans doute à sonner l’alarme. Sur un chemin malaisé et glissant, serpentant entre de fétides fondrières, nous progressions lentement par cette nuit sans lune avec juste une branche de résineux enflammée en guise de torche pour nous éclairer faiblement. Au dernier contrôle, j’entendis Käthe déclarer à l’une de ces sentinelles que c’était moi que l’on attendait. Dès lors je fus entouré d’un groupe de femmes en haillons qui me marquèrent une extrême déférence.


On me demanda de me mettre torse nu puis me badigeonna avec un produit qui me sembla être du charbon pulvérulent, incontestablement inapte à écarter les moustiques qui me dévorèrent tout au long de la soirée. On m’affubla d’un phallus démesuré en cuir, dressé vers la nuit et fixé autour de ma taille par des sangles tressées dans le même matériau. Sur ma tête on disposa un casque orné de deux énormes cornes spiralées, celles d’un bouc assurément, puis on ajusta un masque sur mon visage. Enfin sous l’une de mes bottes, on fixa une épaisse cale de bois ce qui eut pour conséquence de me faire claudiquer. Durant ces préparatifs, Käthe s’était éclipsée. Déguisé de la sorte, on me poussa en avant et je débouchai bientôt sur la grève d’un petit étang dessinant une ellipse. En cette période de la fin d’été, les eaux en étaient au plus bas et dégageaient une vaste plage d’argile durcie en forme d’entonnoir et les lieux prenaient ainsi la configuration d’un amphithéâtre.


Sur ses rivages brûlaient de nombreux feux autour desquels s’affairaient des silhouettes sombres en guenilles. Au-dessus de certains pendaient de gros chaudrons et je me dis qu’on préparait ripaille. Enfin deux brasiers plus conséquents éclairaient l’une des extrémités du point d’eau. Ils encadraient une table dressée à la façon d’un autel et, en retrait de quelques pas, une sommaire estrade où étaient disposées deux chaises curules entourées de flambeaux. Mon petit cortège me conduisit vers ces places d’honneur tandis que sur l’autre rive s’approchait également l’escorte d’une prêtresse qui portait un long manteau étincelant à la lueur des flammèches ivres comme s’il avait été incrusté de pierreries. Dès que nous fûmes installés, un silence très relatif s’établit. On jeta des bottes de foin qui avaient macéré dans du salpêtre sur les feux qui nous enserraient. La nuit s’illumina et des fétus de paille embrasés se dispersèrent dans l’air en crépitant où je les vis distinctement se transformer en sorcières chevauchant des balais.


Les ombres loqueteuses retiraient leurs hardes pour accueillir les nouvelles venues et la scène maintenant se remplissait très vite pour compter bientôt plus d’une centaine de personnages. Ma voisine se redressa et, tout en saisissant ma main pour me relever, défit la fibule retenant sa tunique qui glissa sur le sol. Elle apparut entièrement nue à l’exception d’une ceinture métallique à laquelle était pendu un glaive dépourvu de fourreau. Des croissants de lune noirs ornaient le dessous de ses seins lourds et de ténébreuses étoiles parsemaient son ventre et ses cuisses. Elle n’était pas aussi élancée qu’il m’avait d’abord semblé car d’épaisses semelles de bois la rehaussaient et sa dense chevelure châtain, arrangée en haut chignon qui lui tressait un casque, la grandissait. Il s’en échappait une mèche d’argent qui courait sur ses tempes et son cou pour se lover sur son poitrail. Sa peau était somptueusement cuivrée et son épaule gauche se décorait d’une importante tache de vin d’allure reptilienne tandis qu’un énorme grain de beauté représentant un scarabée s’étalait juste à côté de son nombril. Autour de son cou pendait un large collier alternant pierres noires et quelque chose qui ressemblait à des boucles de cheveux.


Je ne peux à ce stade de son histoire m’empêcher de l’interrompre :


  • — Mais c’est moi que vous êtes en train de décrire ? Pour la mèche argentée, je l’exhibe suffisamment pour que vous l’ayez remarquée, par contre qui vous a révélé le tatouage dont s’orne mon épaule et mon grain de beauté ?

Il me regarde sans me voir et poursuit presque halluciné :


  • — Non ce n’est pas vous, à moins que vous ne soyez, et je n’en serai pas plus surpris, celle dont la meute murmura et psalmodia le nom : Hérodiade.


Et la houle s’enfla, amplifia ce nom mille fois répété : Hérodiade, roulant comme une puissante et obscure vague, comme une clameur implorante. La foule des sorcières totalement dénudées s’était resserrée autour de nous et je pouvais clairement les distinguer. Je fus étonné de constater qu’elles étaient soit juvéniles, soit âgées mais que n’y figurait pas l’âge intermédiaire. Je fus encore plus stupéfait de découvrir que, si sous leurs oripeaux, jeunes ou vieilles, elles paraissaient laides et repoussantes, elles étaient présentement dans l’éclairage fauve des torchères, sans exception, belles et attirantes. Leurs hanches, leurs ventres et leurs seins étaient replets mais sans démesure, simplement gonflés de vie et prometteurs de fertilité. Mais surtout elles affichaient en leurs traits une formidable détente, les liesses d’une paix intérieure et la joie d’une sensualité émancipée. J’y vis ces Ève qui, tant de fois, avaient inspiré et gouverné ma main de peintre, se gaussant d’un péché dont on souhaitait faire le prix de leurs ivresses.

Celle, que désormais j’appellerai Hérodiade, leva son bras pour intimer le silence :



J’entendis crier. Moi et mes craintes me firent imaginer que c’était Käthe qui répondait à son injonction. La multitude reflua et s’écarta pour ouvrir un passage à une grande et svelte jeune fille vêtue d’une fruste tunique que les trous disputaient hardiment aux vestiges de tissus. Son allure, son teint mat et halé, sa chevelure de jais, l’arrogance de son regard, sa démarche déliée me la firent prendre pour une gitane.


Elle s’avança jusqu’à nous en nous toisant avec une farouche résolution.

Hérodiade l’avertit encore :



On lui tendit une robe de bure qu’elle revêtit tandis qu’Hérodiade lui adressait ces paroles :



Deux sicaires brutaux, bâtis comme des colosses, la soulevèrent ensuite pour l’étendre sur l’autel afin que quatre sorcières puissent attacher ses membres largement écartelés aux anneaux fichés aux angles de la planche mal dégrossie. La jeune fille semblait à présent possédée et roulait des yeux hagards et exorbités vers cette sibylle nue et ce bouc obscène qui la vilipendaient et l’abreuvaient de leurs malédictions. Elle nous harcelait en retour d’insultes obscènes.

Hérodiade se pencha sur elle et étouffa ses cris en l’embrassant longuement sur les lèvres, puis, se redressant déclara :



Elle s’empara de son poignard et le brandit au-dessus de l’infortunée qui paraissait maintenant en totale transe et éructait des propos incohérents les accompagnant d’une furieuse turbulence. La lame projeta des éclairs sanglants et je crus qu’elle allait l’égorger. Je fus alors très affligé par cette détestable insistance que j’avais mise à vouloir participer à un sabbat. Voilà où m’entraînait ma maudite curiosité ! Je voulus m’interposer pour intercéder en faveur de cette victime qui s’était offerte d’elle-même, spontanément, à la vindicte de la féroce assemblée mais une incompréhensible paralysie me cloua dans une immobilité absolue. Hérodiade n’usa en fait de son arme que pour fendre de bas en haut la triste bure puis couper une natte touffue de sa chevelure qu’elle enroula pour l’accrocher à son collier.

Elle écarta ensuite complètement les pans de l’aube lacérée révélant les chairs resplendissantes de la bohémienne. Celles-ci souples, aimables, gracieuses, fermes et superbement conformées palpitaient à présent intensément, agitées par de folles alarmes, galvanisées par d’extravagantes fièvres.


Jamais silhouette de femme ne m’avait soumis à une telle fascination car, aux attributs que je viens d’évoquer, elle adjoignait, en les concentrant, tous les sortilèges du démon : un hâle cuivré intégral qui dénonçait de longues et indécentes bacchanales, des crins noirs d’un ébène dense et profond qu’incendiaient, par instant, des chatoiements auburn, l’amande effilée de ses yeux accueillant les puits sans fond de ténébreuses prunelles, la bestialité cramoisie de ses lèvres pulpeuses et gonflées, l’ombre dévorante et humide de son sexe, des galbes vertigineux, propre à vous inspirer des convulsions de désir et d’angoisse. Elle me fixa une seconde et je fus saisi d’un spasme comme si une dague froide et venimeuse me transperçait.


Aucune honte mais au contraire une sauvage exaltation l’animait. Elle se tortillait, essayant vainement de se dégager de ses entraves et gigotait frénétiquement en tirant sur celles-ci, ne parvenant qu’à les resserrer davantage. Puis Hérodiade invita la foule à parachever la préparation avant de saisir mon bras pour m’entraîner vers nos sièges en marchant à reculons. Les femmes, dès lors, se ruèrent vers l’autel et, force coutelas, s’emparèrent qui d’un lambeau de tissu, qui d’une mèche de cheveux qu’elles allèrent enflammer aux feux des torchères. Leur proie ainsi se trouva rapidement entièrement dénudée et rasée. Je vis alors d’étranges figures émerger de terre. Il s’agissait de petits êtres malingres et difformes, noirs et tordus comme des racines.


Des silhouettes éthérées, issues du cœur de la nuit et brandissant des torches les accompagnaient. Cette haie de figures chtoniennes ouvrait le passage à un jeune homme complètement dénudé, accoutré seulement d’une étole et d’une mitre bouffonne décorée de cornes de bouc et tenant en ses mains un énorme cratère.

Il s’approcha de la victime et déposa la coupe entre ses jambes écartées. À son tour, il s’inclina sur elle pour dessiner avec un morceau de charbon des swastikas sur son ventre, ses cuisses, ses seins et son crâne désormais tondu. Tandis qu’un gnome apportait un plat démesuré garni de tranches de pomme, il se redressa, saisit le calice qu’il éleva au-dessus de la malheureuse et d’une voix forte déclama :



Il but une gorgée du calice et épandit le reste de son écarlate contenu sur tout son corps. Puis saisissant un quartier de pomme sur la patène que lui tendait le gnome, il poursuivit :



Il se posta entre ses jambes, enfonça le fruit dans son vagin pour l’oindre de sa mouille avant de l’en retirer et de le dévorer goulûment. Se tournant vers la foule, il conclut :



Toute la clique, une nouvelle fois, se jeta sur la jeune fille qui, un sourire extatique aux lèvres, se laissa faire sans tenter d’opposer une quelconque résistance. Les mégères lapaient le liquide cinabre épandu sur son corps, ou dégustaient un quartier de pomme selon le rite initié par l’officiant qui se débarrassait hâtivement des insignes de son rôle. Ce cérémonial achevé, on la libéra de ses entraves et elle se fondit dans la foule où sa haute stature me permit de la suivre un moment.


On apporta des tonneaux qui furent rapidement mis en perce et dont les convives se régalèrent abondamment à même la bonde, ainsi que des marmites et chaudrons qui exhalaient d’appétissantes senteurs. Hérodiade n’était plus à mes côtés mais partout se préparaient d’effarantes bacchanales. Nos sorcières se dépouillaient des rares oripeaux qui les habillaient encore. On m’offrit des mets succulents, des viandes exquises et du meilleur vin. Quelques rares hommes s’étaient à présent joints à la meute et je cherchais vainement Käthe dans celle-ci, jaloux sans doute du fait qu’elle participe aux orgies qui s’organisaient. S’entamèrent en effet d’épouvantables ripailles. On se goinfrait sans retenue utilisant parfois le creux d’un ventre comme une vivante écuelle.


Entre deux bouchées, entre deux lampées, nos dames s’étreignaient voluptueusement, se caressaient impudemment et se léchaient lubriquement. Des groupes de folles ménades s’entortillaient dans la recherche de jouissances partagées. Ces messieurs étaient la proie de grappes de mégères en chaleur et ne savaient plus où donner de la queue. On usait tantôt pour leur suppléer des manches à ballet convertis en autant d’ignobles godemichés. On débouchait des pots de louches onguents dont on s’oignait généreusement, étalant les pâtes grasses et onctueuses à grand renfort de rires et de lascives caresses. On m’avait jusqu’alors épargné se contentant de me fournir la becquée. Une très jeune sorcière, toute poitrine dehors et en avant outrageusement cabrée, comme ces figures fières attachées à la proue des grands navires pour les tirer vers des horizons ignorés, s’approcha de moi.


En un tour de main, elle me retira mon casque, mon phallus factice et ne me laissa guère de doute quant à ses intentions de me consommer, ici, tout de suite. La belle, car elle l’était fabuleusement, se déhanchait furieusement devant moi, agaçait de ses doigts son sexe et ses tétons. Au moment où elle se colla à moi, les lèvres goulûment quémandeuses et broyant d’une main mes attributs virils, retentit un son de trompe puissant et aigre. Ma partenaire se décomposa et soudainement apparut mature tandis qu’en fuyant elle s’écriait :



Les feux à l’entour s’éteignirent comme par magie et elle disparut parmi la clique affolée de ses congénères. Dans une obscurité dès lors totale, des ménades perchées sur leurs balais me frôlaient, s’échappant. Je n’avais plus ni guide, ni torche et presque nu je courais en tous sens pour bientôt me perdre dans les marais. J’y errais longuement manquant cent fois de m’enliser ou de me noyer et me retrouvai soudain aux portes de Strasbourg. Comment les ai-je franchies, je n’en sais rien. Je parvins à gagner dans le quartier juif, le bouge de Käthe et m’y effondrai sur sa couche où je m’endormis terrassé mais poursuivi par d’effrayants cauchemars.


Lorsqu’au matin, assommé par une épouvantable migraine, je recouvrais péniblement et partiellement mes esprits, j’étais couvert de sueur, nu jusqu’à la taille et Käthe penchée sur moi me couvait des plus angéliques attentions.



Je ne sus jamais ce qui s’était réellement – mais qu’est-ce donc que le réel ? – passé cette nuit-là, mais j’appris qu’on avait effectivement arrêté huit sorcières qui s’étaient livrées à un sabbat conduit sous la direction de Belzébuth, avec une centaine d’autres qui avaient pu s’enfuir.



  • — Mais en définitive, vous n’avez que rêvé tous ces événements ?
  • — Et pourquoi donc ? Pas plus, pas moins que vous cela.

J’aurais bien aimé savoir ce qu’il entendait par ce « cela » mais déjà il était reparti dans son récit.

Je vécus plusieurs années avec cette tendre maîtresse tentant toujours de la convaincre d’abandonner ses pratiques. Un soir, elle me confia qu’elle allait accéder à mes demandes pour ne plus se livrer qu’à des recherches botaniques à des fins strictement personnelles. Elle souhaitait néanmoins poursuivre encore quelques mois pour achever la mise au point d’un baume miracle, une potion extraordinaire, le grand œuvre, qui lui procurerait richesse et célébrité et l’établirait si solidement que l’inquisition, en dépit de ses pouvoirs, ne pourrait plus l’atteindre. Un peu plus tard, elle m’annonça qu’elle touchait au succès.


Ce fut le moment où elle se fit arrêter suite à une dénonciation. À peine quelques jours auparavant, elle m’avait donné une fiole contenant, à ses dires, un élixir de vie capable sinon de rendre celle-ci éternelle au moins de la prolonger considérablement. Je tentais d’intervenir en sa faveur auprès de l’évêché mais on me rétorqua brutalement qu’on avait déjà bien du mal à me disculper de graves implications dans cette affaire où je m’étais hautement compromis en nourrissant des liens coupables avec une sorcière avérée. On me conseilla de m’éloigner quelque temps de la ville et on m’avait même octroyé une commande pour peindre le retable de la cathédrale de Fribourg. Le procès de Käthe fut rondement mené pendant, qu’avec l’un de mes amis, capitaine de la garde, je fomentais une évasion qui échoua. Deux jours après cette tentative avortée, à mon plus grand désespoir, on la conduisit au bûcher.


Il conclut sur ces tristes paroles sa longue histoire, puis tout empreint d’une vraie tristesse et d’une forte émotion il se leva, me fit une révérence et s’en fut, s’en même autrement me proposer ses authentiques toiles du XVIème siècle.


Je demeurai troublée et rêveuse, ressassant sa longue et tragique histoire et pour mieux m’en imprégner, je commandais un double scotch que j’avalais presque d’un trait.

J’imaginais la vie des femmes de l’époque qu’il venait d’évoquer, le poids des contraintes et des interdits qu’elles devaient subir, et puis la levée brutale de ceux-ci, au cours d’un sabbat notamment. Nos esprits chagrins avaient de quoi s’offusquer des outrances qui s’y déroulaient et pourtant il n’avait pas même suggéré tant d’autres violences qu’on avait porté au crédit de ces rassemblements.

Un doux crépuscule envahissait la terrasse du Phyllis presque totalement désertée. Je me dis que j’allais revisiter les peintures de ce maître, et plus spécialement les gravures représentant les sabbats qui m’avaient toujours fascinée.




oooo0000oooo




Pour découvrir les toiles de Hans Baldung Grien qui a inspiré ce texte, utilisez le lien suivant :

https://www.google.fr/search?q=hans+baldung+grien&biw=1716&bih=1048&tbm=isch&tbo=u&source=univ&sa=X&ei=DtyHVa70K4GssgHHl5qADQ&ved=0CI0BEIke