Résumés des épisodes précédents :
« L’écharpe rouge »
Lors d’une chaude soirée, Chloé a souhaité vivre une expérience de ligotage avec Jacques, son amant d’un soir. Une simple écharpe et la délicatesse de Jacques ont engendré une envoûtante contrainte au cœur de la nuit. Mais l’histoire s’est terminée brusquement avec le retour impromptu du mari de Chloé.
« L’écharpe noire »
Martine, la meilleure amie de Chloé, a toujours fantasmé d’être soumise aux cordes. Après avoir pris connaissance de l’aventure de Chloé, Martine a tout mis en œuvre pour retrouver son attachant amant et vivre une expérience similaire. Elle y est parvenue et a vécu un moment extatique, ligotée dans la voiture de Jacques qui roulait à vive allure. Mais l’histoire s’est terminée lorsque la police a intercepté le jouissif bolide. Les amants ont été séparés par les forces de l’ordre et ne se sont plus revus depuis.
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Les écharpées
Assises sur la terrasse du café des libraires, deux jeunes femmes rient de bon cœur tout en aspirant avec des pailles la glace fondue dans leurs coupes.
- — Et tu as dû payer une amende ?
- — Oui, parce que je n’étais pas attachée correctement dans la voiture !
- — Ha ha ha, c’est trop drôle et le petit jeune que tu as insulté ?
- — Il était super mignon et tout gêné. Il n’osait pas me regarder, surtout après la baffe que je lui avais collée !
- — T’es trop top, Martine !
- — D’ailleurs, j’aurais bien voulu recoller les morceaux, mais j’ai vu qu’il était vraiment vexé.
- — Comment ça, recoller les morceaux ?
- — Oui, il était mignon et…
- — Et ?
- — Ben… c’est un flic…
- — Tu veux coucher avec un flic ?
- — Un flic mignon… Rémy, c’est joli comme prénom.
- — Bon OK, mais des mecs mignons il y en a des tonnes, pourquoi un flic ? Qu’est-ce que tu as derrière la tête ?
- — Rien, presque rien…
- — Presque ?
- — …
- — Bon accouche maintenant, il a quoi de spécial ce flic ?
- — Il a des menottes… des vraies !
- — … C’est à cause des… ha ha ha, t’es vraiment trop top de chez top, ha ha ha…
- — Arrête, c’est pas drôle… enfin oui un peu, je t’accorde que je ne pense qu’à ça, mais de toute façon c’est foutu.
- — Pourquoi ?
- — J’ai entendu son chef l’engueuler comme du poisson pourri à propos de son comportement lors de l’intervention et il l’a renvoyé coller des PV. Alors je peux te dire que lui et moi on n’est pas près de passer un week-end en amoureux !
- — En amoureux menottés… hi hi hi…
- — Bon ça va, arrête de te foutre de ma gueule. Dis-moi plutôt ce que…
- — Mais c’est la très chère amie de Jacques ! Comment vas-tu ? Est-ce que tu as passé une belle soirée avant-hier ?
Surprise, Martine lève la tête et reconnaît le visage souriant de Sabrina, sur lequel s’inscrit un petit clin d’œil coquin. Après une seconde d’hésitation, Martine fait les présentations :
- — Chloé, je te présente Sabrina, la sœur de Jacques, Sabrina voici Chloé ma meilleure pote.
- — Salut, Chloé, c’est un plaisir de faire ta connaissance. Je crois savoir que tu connais également Jacques ?
- — Oui, je l’ai… Euh… rencontré, il y a une semaine.
- — Une belle rencontre, j’imagine ?
Chloé lance un regard interloqué à Martine, le sous-entendu de Sabrina est tellement appuyé qu’elle semble déjà tout savoir de l’aventure qu’elle a eue avec son frère. Constatant le désarroi de son amie, Martine intervient :
- — Non, non, je n’ai rien raconté à Sabrina, elle ne te connaît pas.
- — Martine dit la vérité, Chloé, ne t’inquiète pas. En revanche, mon facétieux de frère est très bavard avec son adorable sœur…
- — Quoi… tu veux dire que Jacques t’a raconté son aventure avec moi ?
- — Une délicieuse aventure, non ? Mais moins folle que celle de Martine.
- — Quoi ? Il t’a également parlé de notre sortie en voiture ?
- — Mais enfin, je suis sa sœur de cœur, sa conseillère en amour… et pas seulement.
Martine et Chloé sont estomaquées par les tranquilles affirmations de Sabrina. Leurs aventures intimes sont donc connues au-delà du cercle des acteurs. Et qui d’autre encore connaît un morceau (mais quel morceau !) de leurs aventures sexuelles ? Voyant l’inquiétude gagner les deux jeunes femmes, Sabrina tente de les rassurer.
- — N’ayez pas peur, je sais tenir ma langue. C’est le bonEuhr de Jacques qui m’intéresse et vous me semblez être deux partenaires de jeu très… estimables.
- — Partenaires de jeux ? Très estimables ? répètent à l’unisson Martine et Chloé.
- — Dans le passé, Jacques s’était acoquiné avec une femme qui s’est avérée être une vraie salope et il en a beaucoup souffert. Je peux même dire qu’il n’était pas loin de se foutre en l’air. Depuis lors nous avons passé un pacte, il partage avec moi ses aventures et je le mets en garde lorsque je détecte une salope. Et en ce qui vous concerne, je ne vois rien de mauvais en vous, donc je vous trouve sympas.
- — Mais… tu le conseilles… tu veux dire… je veux dire… en tout ? tente difficilement de formuler Martine qui est stupéfaite par les explications de Sabrina.
- — Je n’ai pas bien compris ta question, mais oui je le conseille en tout, du moins en ce qui concerne les femmes et la sexualité, car pour les placements financiers il ne m’écoute jamais.
Chloé a profité de cet échange pour revenir de sa surprise et elle enchaîne avec une question directe.
- — Tu ne trouves pas malsain que Jacques ligote ses partenaires sexuelles ?
- — Non.
- — C’est quand même un peu bizarre non ? Insiste Chloé.
- — Tu n’as pas eu de plaisir à être ligotée avec une écharpe rouge ?
Le visage de Chloé s’empourpre légèrement. En mettant en évidence la couleur de l’écharpe qui a servi à son délicieux asservissement, Sabrina lui a décoché une petite flèche lui signifiant qu’elle connaît en détail le tourment qu’elle a accepté et adoré.
- — Oui, je reconnais que s’était très… agréable.
- — Je crois que c’était beaucoup plus qu’agréable !
- — D’accord, j’ai vraiment pris mon pied et j’ai été super frustrée que cela s’arrête de manière impromptue.
- — De mon point de vue, lorsque les participants d’une joute sexuelle sont des adultes consentants, ils sont libres de faire ce qu’ils veulent.
- — OK, ça, c’est un peu l’argument bateau, mais comme par hasard c’est 9 fois sur 10 la femme qui est soumise. Je suis certaine qu’il y a de nombreuses femmes qui se soumettent par convention, alors qu’elles aimeraient bien échanger les rôles.
- — Alors là tu ne manques pas de culot en faisant ta mijaurée, Chloé, intervient Martine. Tu es l’exemple incarné de la femme qui se joue des mecs et les ridiculise à volonté.
- — C’est pas faux, acquiesce Chloé, mais c’est aussi une réponse au comportement dégueulasse de certains mecs.
- — Tu vois, reprend Sabrina, je trouve que, dans une relation, c’est l’intention qui est déterminante et non pas le moyen. Une écharpe, une corde, des menottes, ce ne sont que des objets et ils ne sont ni bons ni mauvais. Ce qui va être déterminant c’est l’intention avec laquelle ces objets sont utilisés.
- — Ouais, c’est pas tout faux, mais le fait de ligoter sa partenaire ce n’est quand même pas tout à fait la même chose que de lui caresser les cheveux.
- — Mais qu’est-ce que ça doit être chiant de se faire caresser les cheveux toute la nuit…
- — Pas faux !
Les trois jeunes femmes commencent à rire de concert. Des rires qui s’amplifient jusqu’à en devenir incontrôlables lorsqu’elles constatent que le client attablé à proximité lit la même page de son journal depuis le début de leur conversation et qu’un autre brasse son café depuis plusieurs minutes…
Reprenant le contrôle de son fou rire, Martine dirige la discussion vers un sujet qui l’intéresse davantage, tout en s’exprimant plus discrètement.
- — Dis-moi, Sabrina, tu pourrais me redonner le numéro de téléphone de Jacques, je crois que je l’ai perdu.
- — Bien essayé petite maligne, mais tu n’as jamais possédé ce numéro.
- — Bon d’accord, mais ce n’est pas un secret d’État quand même ? Peux-tu me le donner ?
- — Non, vous n’êtes pas encore assez intimes pour bénéficier de cette information.
- — Ben, dis donc, il a une sacrée garde rapprochée ton frère ! Et comment doit-on procéder pour être autorisée à le contacter ?
- — Qui souhaite le contacter ?
- — Eh bien moi évidemment, s’agace Martine.
- — Euh… moi aussi, ajoute presque timidement Chloé.
Surprise de cette annonce et de cette concurrence inattendue, Martine hausse la voix :
- — Mais tu viens de nous chier une pendule sur le fait que c’est pas bien de se faire baiser en étant ligotée, que les femmes ne sont pas des soumises, que toi tu n’es pas comme ça… et maintenant tu veux faire le contraire de ce que tu as dit.
- — C’est que… je suis une femme !
Sabrina et Chloé éclatent de rire, pendant que Martine rit un peu jaune avant de finalement les rejoindre dans un nouveau fou rire. Un fou rire qui devient inextinguible lorsqu’elles constatent que le lecteur de journal a quitté sa place en oubliant son attaché-case et que le buveur de café a une grosse tache sur sa cravate.
Reprenant la première le contrôle de sa joyeuse émotion, Sabrina relance la discussion.
- — Vous êtes deux drôles de nanas ! Et ce n’est pas à moi de vous départager, donc si vous êtes toujours intéressée à revoir Jacques…
Les paroles de Sabrina ont stoppé net les derniers rires de Martine et Chloé et elles attendent religieusement que la sœur de Jacques termine sa phrase.
- — … vous pouvez vous rendre dans le petit salon à l’étage. Vous y trouverez un cadeau et si vous l’acceptez je vous indiquerai où se trouve Jacques ce soir.
Chloé lance un regard interrogateur à Martine, mais celle-ci a parfaitement compris où elles doivent se rendre. Elle prend la main de son amie et l’entraîne presque de force dans le café.
* * *
- — Alors c’est ici que Jacques t’as enrobée avec la corde ?
- — Tu as tout compris.
- — Et maintenant on cherche quoi ?
- — Sabrina a dit un cadeau…
- — Là, sur la table ! Je pense que c’est ça le petit cadeau.
Chloé désigne une boîte cubique d’environ dix centimètres de côté et entourée d’un papier coloré.
- — Oui, tu as raison. Je l’ouvre ?
- — Dépêche-toi.
Martine retire rapidement le papier et soulève le couvercle de la boîte. Leurs têtes se pressent pour voir ce qu’elle contient.
- — Un bracelet ?
- — Oui, on dirait bien, confirme Martine en le saisissant. Ou plutôt deux bracelets : regarde, il y en a un identique dessous.
Sortant le premier bracelet de la boîte, Martine constate que le deuxième accompagne immédiatement son frère. Et en y regardant d’un peu plus près…
- — Des menottes !
- — Des menottes ! répète avec force Chloé tout en frétillant sur place.
Martine lance un regard condescendant à son amie :
- — Décidément, je ne comprends rien aux filles.
- — Regarde Martine, il y a une petite carte au fond de la boîte.
Les doigts de Martine plongent et ressortent un petit carton blanc avec un dessin schématisé. On y aperçoit deux femmes qui se donnent la main.
- — C’est nous ? s’interroge Chloé.
- — Oui, je crois bien que celle de gauche, c’est toi et l’autre c’est moi.
- — Qu’est-ce que cela signifie ? On doit se donner la main ?
- — Mais non, banane, on ne se donne pas la main on est attachées avec les menottes !
- — Hein ? Montre le dessin.
Chloé scrute quelques instants l’esquisse et finit par convenir que les yeux de Martine ont vu juste.
- — Effectivement nous sommes attachées ensemble avec la paire de menottes. Qu’est-ce qu’on fait ?
- — Comment ça qu’est-ce qu’on fait ? Eh bien tu me donnes ton poignet.
- — Euh… attends là… tu veux faire quoi ?
- — Tu es nouille ou quoi ? Je vais te passer la menotte.
- — Oui, mais… elle est où la clé ?
- — Mais enfin Chloé, c’est un jeu, Jacques nous teste, la clé des menottes ne fait pas partie du cadeau.
- — Tu en es sûre ?
Chloé fixe un long moment l’intérieur de la boîte et finit par convenir qu’elle est vide.
- — Mais alors une fois que tu m’auras passé la menotte, je ne pourrai plus l’enlever ?
- — Oui, c’est bien le principe de base du fonctionnement de cet objet.
- — Mais…
- — Tu me gonfles Chloé, c’est quoi le problème ?
- — Alors pour toi il n’y a aucun problème ?
- — Si, il y a un problème : c’est la gonzesse qui dit oui, qui dit non, qui veut et qui veut pas !
- — Mais je veux, seulement…
- — Hé, tu vois la fenêtre derrière toi ?
- — Oui, mais quel est le rapport ?
- — Si tu regardes dans l’immeuble en face, il y a un mec à la fenêtre qui nous observe avec des jumelles…
- — Quoi ?
Chloé se penche vers la fenêtre et porte son attention sur la façade de l’immeuble opposé, son regard passe de fenêtre en fenêtre. Elle ne réagit pas lorsqu’elle sent une petite pression sur son poignet, accompagnée d’un cliquetis. Mais juste après, sans bouger et en continuant de fixer du regard l’autre immeuble, un petit sourire se dessine sur ses lèvres au moment où elle lance un tonitruant :
- — Tu m’as bien eue… canaille !
Durant une longue minute, Chloé et Martine prennent conscience de leur situation nouvelle. Le poignet droit de Chloé est enchaîné au poignet de gauche de Martine. Chacune à leur tour elles expérimentent la diminution de liberté qui en résulte et les contraintes partagées. Leurs poignets ne sont pas fortement comprimés par l’acier des bracelets, mais il leur est clairement impossible de retirer leurs mains des pinces. De leur main libre, les deux complices palpent les tours et contours de leurs entraves, comme si elles avaient besoin de réaliser ce qu’elles ont commis, de se confirmer qu’elles sont indéfectiblement associées.
- — Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? finit par articuler Chloé.
- — On retourne vers Sabrina, pour lui montrer que l’on a accepté le cadeau.
Parvenues au sommet de l’escalier qui mène à la salle principale du café, les deux femmes s’arrêtent un instant. Quelques clients sont attablés, mais aucun ne porte son attention sur elles. Martine a l’impression de revivre une deuxième fois le stress de la descente des marches du festival de Cannes. Elle repart sans attendre pour franchir au plus vite ce délicat moment, mais Chloé, elle, reste pétrifiée au sommet de l’escalier. D’un coup, le lien d’acier qui les unit se crispe. Déséquilibrées, les deux menottées expérimentent le fait que l’union fait parfois davantage la farce que la force. Elles réalisent la pire descente d’escalier de l’année et finissent affalées sur la table de quatre clients éberlués.
- — Mazette, tu as vu ça Roger ? Des siamoises complètement torchées… ben ça me fait de la peine… Allez, ressers-moi un demi de rouge.
Meurtries dans leur chair, humiliées par leur mésaventure, énervées l’une contre l’autre, les deux amies s’invectivent sans retenue.
- — Je t’avais bien dit que ton idée était débile, attaque Chloé.
- — C’est toi qui as voulu m’accompagner et en plus tu ne sais pas marcher, riposte Martine.
- — Pas du tout, c’est toi qui as couru sans prévenir !
- — Espèce de tomate, il n’était pas prévu de faire un pique-nique au sommet de l’escalier !
- — Courgette déshydratée, tu aurais pu marcher normalement…
- — Pêche en compote…
- — Fenouillette…
- — Banane en sauce…
- — Rutabaga…
- — Rutabadadia toi-même…
- — Moi aussi je t’aime, ma topinambour préférée.
- — On arrête de faire les courges ?
- — Viens dans mes bras que je t’embrasse.
- — Aïe, mon poignet.
- — Oh excuse-moi, j’avais oublié ce détail…
Attirée par les éclats de voix, Sabrina s’est approchée et a assisté à l’étrange joute verbale. Désireuse de détourner l’attention, elle entraîne Chloé et Martine à l’extérieur et tente de donner le change vis-à-vis des autres clients :
- — Bravo, très joli votre numéro, vous m’avez convaincue. Venez, on va discuter de votre contrat à l’extérieur.
- — Mesdames, Messieurs, j’espère que le spectacle vous a plu, lance Martine.
- — N’en fais pas trop, lui chuchote Chloé à l’oreille.
Les deux artistes reprennent place sur la terrasse, mais cette fois, côte à côte, leurs poignets menottés dissimulés par la table. Sabrina s’approche d’elles et leur dit doucement :
- — Montrez-moi vos mains. Vous ne vous êtes pas blessées en tombant ? Vos poignets ne sont pas traumatisés ?
- — Je peux te dire que nous sommes certainement un peu traumatisées, mais ce n’est pas tellement du côté des poignets !
- — Ce qu’il faut absolument éviter c’est que les menottes se serrent davantage et empêchent le sang de circuler dans vos mains. Pour éviter cela, il y a ce petit gligli qu’il faut pousser à l’intérieur… voilà… maintenant les menottes ne pourront pas se resserrer par accident et donc vous blesser.
Grâce à cet enrobage de paroles bienveillantes, Sabrina a pu s’assurer que les deux femmes sont solidement attachées et elle en a même profité pour resserrer d’un cran la menotte de Chloé. Les deux amies ne se sont pas rendu compte de l’objectif réel de la manœuvre. Sabrina passe ensuite affectueusement ses bras autour de leurs épaules pour les réconforter. L’ambiance autour de la table se détend.
- — Ah là là, quelle gamelle on s’est ramassée !
- — Euhreusement que tu es intervenue, Sabrina, sinon je crois que je serais morte de honte.
- — Vous êtes des amies incroyables, cette faculté que vous avez de vous rabibocher en quelques secondes, j’étais scotchée. Si je possédais une once de votre capacité, je suis certaine que ma vie serait plus simple et plus Euhreuse.
- — Et toi quelle vivacité, ton histoire de contrat était bien trouvée. Combien tu nous proposes ?
- — Hum… je vais réfléchir à la question, mais pour l’instant je vais aller vous chercher un petit quelque chose…
Sabrina entre dans le café, pendant que les deux amies reprennent leur coupe de glace liquide et en suçotent le jus sucré avec leurs pailles.
- — Elle est super sympa Sabrina, lance Chloé.
- — Oui, elle est sympa, mais j’ai de la peine à comprendre sa relation avec son frère.
- — C’est vrai que c’est un peu particulier, mais finalement n’est-ce pas une bonne chose d’avoir une confidente ? Nous aussi on se raconte tout.
- — Tu as raison, mais je n’arrive pas à comprendre si c’est Jacques qui raconte à Sabrina ses aventures ou si c’est Sabrina qui écrit les scénarios. Par exemple cette histoire de menottes, je me demande si s’était vraiment une idée de Jacques ?
- — En tout cas je peux te dire qu’elle n’aurait pas pu prévoir que j’allais rencontrer Jacques au rayon des écharpes donc, en ce qui me concerne, je ne crois pas que Sabrina ait joué le moindre rôle.
- — Un point pour toi, je crois que je me fais des idées.
- — …
- — Dis donc ça fait déjà un moment qu’elle est partie Sabrina, tu la vois à l’intérieur ?
- — Non, je ne sais pas où elle est allée, je pensais la voir revenir pour nous donner l’adresse mystère.
Martine aperçoit alors un des serveurs et l’interpelle.
- — S’il vous plaît !
- — Oui, Madame ?
- — Savez-vous si Sabrina est retenue à l’intérieur ?
- — Non, Madame Volliat a dû partir sans délai, elle était en retard pour un rendez-vous important.
- — Mais… elle va revenir ?
- — Non je ne crois pas.
- — Mais…
- — Vous vouliez encore la voir ? Je suis désolé.
Perplexes, Martine et Chloé restent quelques instants sans réaction. Finalement Martine reprend :
- — Eh bien ce n’est pas grave, est-ce que je peux vous régler avec une carte ?
- — Bien entendu, je peux juste vous demander de passer au comptoir ?
- — Sans problème, je…
Si le garçon de café fut surpris de voir se déplacer un binôme féminin au pas hésitant pour régler l’addition, il n’en laissa rien paraître.
* * *
- — Alors ça, c’est quand même fort de café ! commence de s’insurger Chloé dès qu’elles se retrouvent dans la rue.
- — Attends ma douce, agissons par ordre.
Poursuivant son propos par le geste, Martine saisit délicatement la main de Chloé. Celle-ci lui répond en entremêlant ses doigts avec les siens, puis en comprimant fortement les phalanges de Martine, signe d’une grande contrariété intérieure.
- — N’écrase pas la main ainsi, ce n’est pas de ma faute… pas QUE de ma faute si nous nous retrouvons de cette drôle de situation.
- — Tu as bien fait de rectifier, lui rétorque Chloé d’une voix contenue.
- — Peux-tu me donner ton écharpe ?
- — Tu crois vraiment que c’est le moment de jouer à ça ?
- — Calme-toi, c’est juste pour cacher les menottes et éviter que chaque personne que l’on croise, comme le vieux juste avant, nous dévisage comme si on venait de débarquer de la planète Mars.
Après une petite valse à deux mains mal coordonnées, l’écharpe est enroulée autour de leurs poignets et les fameuses menottes sont dissimulées.
- — Et maintenant on fait quoi ? lance Chloé d’une voix où transparaît toujours une forte contrariété.
- — Sabrina a eu un empêchement, mais je crois que le rendez-vous chez Jacques n’a pas été annulé ?
- — Très spirituel…
- — Alors devrais-je plutôt dire le rendez-vous chez Jacques Volliat n’a pas été annulé ?
Chloé reste interdite durant quelques secondes avant de répondre d’une voix excitée :
- — Tu crois que cela pourrait être aussi simple que ça ?
- — Jusqu’à présent tout s’est déroulé comme prévu, pourquoi est-ce que cela devrait changer ?
- — Je t’aime, bécasse !
Quelques instants plus tard, Chloé et Martine montent dans le bus qui doit les emmener jusqu’à leur facétieux amant.
* * *
- — Dis maman, ce sont des lesbiennes les deux dames qui sont debout et qui se tiennent par la main ?
- — Mais enfin Jules qu’est-ce que tu racontes ?! Ne dis pas des sottises et surtout pas avec des mots que tu ne comprends pas.
- — Mais c’est Gaëtan qui m’a dit que Claudia était une lesbienne, car elle donnait la main à Caroline. Alors là c’est pas pareil ?
- — Mais non, ce n’est pas pareil, enfin je veux dire on peut se donner la main sans être… enfin juste pour se donner la main !
- — Oui, mais alors c’est quand qu’on est lesbienne ? C’est quoi une lesbienne ? Si moi je te donne la main, je peux devenir lesbienne ?
- — Arrête, Jules, tu dis n’importe quoi !
Les paroles du petit garçon ont soulevé de nombreux sourires dans le bus et des regards, principalement masculins, restent fixés sur Martine et Chloé. Les deux amies sont un peu mal à l’aise et elles profitent du fait que le bus soit bien rempli pour tenter de se fondre parmi les passagers. Quelques minutes plus tard, Martine glisse à l’oreille de Chloé :
- — Dis donc, ça ne serait pas ton mari qui vient d’entrer dans le bus par la porte de derrière ?
- — Mais non, il est à Rio, car il a dû remplacer un collègue pilote qui… putain, mais oui, c’est lui !
Chloé se trémousse pour tenter de mieux voir, mais sa petite taille l’empêche de pouvoir bien observer.
- — Reste tranquille, s’il nous voit tu seras vraiment dans la merde, car je ne pense pas que tu vas pouvoir lui faire gober deux fois de suite l’histoire des Sherpas.
- — Mais… mais… elle est avec lui la nana qui le serre de près ?
- — Je sais pas, mais arrête de bouger comme ça. Martine regrette d’avoir signalé à Chloé la présence de son mari dans le bus, elle sent que la situation va déraper.
- — Le salaud… mais regarde-les… je te bécote par ci… je te chatouille par là…
- — Calme-toi Chloé, je te rappelle que toi aussi tu bécotes un peu à gauche et à droite, et puis ce n’est franchement pas le bon moment pour avoir une grande explication.
- — Maman, maman, t’as vu les lesbiennes, elles ont des menottes !
- — Jules, arrête de dire n’importe quoi, c’est fatigant.
- — Mais c’est vrai, regarde !
Plusieurs passagers curieux laissent courir leur regard le long des bras des deux amies et découvrent qu’effectivement leurs poignets sont reliés par des menottes. Abaissant elles-mêmes leurs regards, Chloé et Martine constatent que l’écharpe est tombée par terre, révélant le lien d’acier qui les unit.
- — Elles ont des menottes ! Elles ont des menottes !
- — Jules ! tonne sa maman, tout en regardant bizarrement les deux filles.
Par chance elles sont arrivées à destination. Dès que les portes s’ouvrent, Martine entraîne Chloé et les deux indissociables s’extraient rapidement du bus. Le pied à peine posé sur le goudron, Chloé laisse éclater sa colère.
- — Quel connard ce mec, quels connards ces mecs, tous pareils !
Déjà le bus redémarre. Autant pour se soulager des tensions accumulées que par solidarité envers son amie trompée, Martine lève son majeur dans un geste obscène et hurle en direction du bus :
Interloquée par cette inaccoutumée grossièreté, Chloé égare sa colère et reste coite devant l’obscénité gestuelle et verbale de son amie. Figée dans sa posture explicite, Martine conserve les yeux fixés droit devant elle. Au bout de quelques secondes, Chloé l’interpelle en souriant :
- — Es-tu certaine que c’est la correcte attitude pour plagier la statue de la Liberté ?
- — …
- — Et je crois que même Jules le terrible ne prend pas cette posture lorsqu’il connaît la réponse à une question posée par sa maîtresse…
Les paroles spirituelles de Chloé ne semblent pas atteindre Martine qui reste totalement immobile. Jusqu’au moment où un faible son finit par sortir de sa bouche :
- — Je crois que c’est Rémy…
- — Qu’est-ce que tu dis ?
- — Là, juste en face, le flic qui nous fixe, c’est celui de l’autre jour…
- — Le flic mignon ?
- — Oui… il approche, regarde comme il est beau, je suis sûr qu’il m’a reconnu…
- — Qu’il t’ait reconnu ou pas, baisse ton bras !
- — Comment ?
- — Baisse ton bras et range ton doigt !
- — Dites donc vous là-bas, c’est moi que vous insultez ?
- — On dégage, crie Chloé en entraînant Martine.
Les deux femmes tournent casaque et filent au pas de course. Mais les forces en présence sont inégales : d’un côté un policier entraîné, de l’autre deux citadines enchaînées. Après moins de cent mètres, la course est déjà terminée. À peine essoufflé, l’aspirant Rémy dévisage Martine, son regard descend jusqu’aux menottes, puis ses yeux remontent vers le visage de Chloé. Il finit par s’adresser à Martine :
- — J’ai encore toute ma carrière devant moi, mais je me demande si je vais revivre des situations aussi improbables que celles que vous me proposez.
- — Je dois reconnaître que cela peut paraître un peu… étonnant, articule difficilement Martine.
- — Étonnant… oui… mais on pourrait aussi dire : surprenant, ahurissant, insolite, bizarre…
- — Quelle culture pour un flic ! ose dans un trait d’humour Chloé.
- — Attention, les deux comiques, il faudrait quand même pas exagérer avec l’impertinence. Et maintenant direction le commissariat pour la suite de cette intéressante discussion.
* * *
- — Entrez dans cette pièce et retirez vos menottes.
- — C’est-à-dire… on ne… peut pas… bégaie Chloé.
- — Comment ça ?
- — On n’a pas la clé…
- — Je sens que votre histoire va être passionnante, lance l’aspirant Rémy en ne pouvant pas se retenir de sourire. Puis il se tourne vers une autre policière qui semble le superviser. Je pense qu’il serait plus adéquat que ce soit vous qui les fouilliez, adjudante ?
- — Oui, Rémy, je m’en charge.
Rapidement l’adjudante extrait les divers objets que les deux femmes ont sur elles. En palpant la poche arrière du pantalon de Martine, elle fait une intéressante découverte :
- — À quoi sert cette clé ?
- — Euh… je ne sais pas, répond Martine qui ne reconnaît pas l’objet.
- — Eh bien moi j’ai une petite idée, lance Rémy.
Prenant la clé, l’aspirant Rémy libère les deux femmes des menottes qui les emprisonnent depuis presque deux Euhres.
- — Comment… ? interloquée, Chloé reste un long moment à contempler son poignet libéré.
- — Mais… que… Les mots ne sortent pas de la bouche de Martine qui ne comprend pas d’où vient cette clé. Comment pouvait-elle se trouver dans la poche de son pantalon ?
- — Tu es pire que mon mec ! hurle soudain Chloé.
- — Mais je ne savais pas… tente de se justifier Martine.
- — Salope ! Pourriture ! Traître ! Scélérate ! Fourbe ! Canaille ! hurle Chloé.
- — Hum… riche vocabulaire pour une femme… murmure l’aspirant Rémy, juste assez fort pour que Martine puisse entendre et lui lancer un regard sombre.
Puis il interrompt l’énumération de Chloé d’une voix plus forte.
- — Si je vous comprends bien, vous ignoriez que cette femme possédait la clé de vos menottes ?
- — Bien entendu, je croyais que nous étions toutes les deux captives de cette ferraille.
- — Qui a passé cette menotte à votre poignet ?
- — Martine, ici présente. Et elle m’a affirmé ensuite qu’elle ne pouvait pas la rouvrir.
- — Vous avez donc été trompée ?
- — Oui, c’est ignoble ce que tu as fait, Martine.
- — Mais je ne…
- — Taisez-vous ! Votre tour viendra. Quant à vous, souhaitez-vous porter plainte contre Madame ?
- — Euh… non… non… je ne veux pas porter plainte.
- — Bien, alors nous n’avons rien contre vous. Le fait de se balader en étant menottée est certes une drôle d’originalité, mais ce n’est pas une infraction. Vous pouvez donc partir.
- — Eh bien… merci, répondent en chœur Chloé et Martine.
- — Non, non, non, je m’adresse uniquement à Madame, nous allons poursuivre la discussion avec vous.
- — Mais… vous venez de dire qu’être menottée n’était pas… tente désespérément d’argumenter Martine.
- — Oui, mais faire un doigt d’honneur à un policier que l’on a giflé quelques jours auparavant, je pense que cela nécessite une petite discussion complémentaire…
Martine baisse la tête sans chercher à se défendre, elle réalise que sa journée est loin d’être terminée.
- — Courage ma salope d’amour, si tu t’excuses je viendrai t’apporter des oranges ! lui lance en guise d’encouragement une Chloé soulagée, mais qui n’a pas encore totalement digéré le dernier rebondissement.
- — Rémy, je raccompagne Madame et je vous laisse dresser le procès-verbal de Madame. Si vous avez une question, appelez-moi.
- — Merci adjudante.
Rémy et Martine se retrouvent seuls dans la salle d’interrogatoire. L’aspirant policier fixe un moment cette femme étrange qui pimente ses débuts sous l’uniforme, puis il attaque.
- — C’est quoi ton objectif ? me pourrir la vie, me faire chier ?
- — Mais pas du tout Monsieur, je… je n’ai rien contre vous.
- — Alors si tu croises mon chemin, c’est par hasard ? Si tu me traites d’enculé, c’est par hasard ? Connerie !
- — Mais je ne vous ai jamais traité de… de…
Martine est rouge comme une tomate et transpire comme une fontaine.
- — Et puis c’est quoi ce bordel d’être toujours dans un rapport de force ? Je te retrouve ligotée sur un siège de voiture, puis menottée avec une pauvre fille, c’est quoi ton kiff ?
- — Je… c’est-à-dire… comment dire…
Rémy se lève et s’approche de Martine, il n’arrive pas à se faire une opinion sur la fille qui est face à lui, si ce n’est qu’elle est très mignonne.
- — Chloé, c’est une bonne amie ?
- — Ma meilleure amie.
- — Mais alors, pourquoi l’avoir ainsi attachée, trompée, ridiculisée ?
- — Elle était d’accord…
- — D’accord de quoi ?
- — Elle a insisté pour participer à ce jeu.
- — Un jeu ? Être menottée avec toi ?
- — C’est-à-dire, le jeu devait nous permettre de retrouver un amant perdu de vue… celui de la voiture…
- — Le mec qui t’avait ligotée sur son siège ?
- — Oui…
- — Donc vous êtes toutes les deux raides dingues de ce mec ?
- — Oui, enfin pas tout à fait…
- — Pourrais-tu être plus claire ?
- — En fait, on ne le connaît pas très bien, mais mon kiff, c’est d’être attachée.
- — Vraiment ?
- — Oui, répond Martine en fixant Rémy droit dans ses beaux yeux, puis en abaissant son regard sur les menottes qu’il porte à sa ceinture.
Martine prend conscience à retardement de ce qu’elle vient de dire et de faire, son visage devient rouge écharpe. Si Rémy se rend compte à quel point il participe à la gêne de Martine, il n’en laisse rien paraître. Il retourne s’asseoir doucement de l’autre côté du bureau, juste en face d’elle et la fixe droit dans les yeux durant une longue minute, avant d’articuler très lentement et très doucement :
- — Pourquoi, m’as-tu traité d’enculé ?
- — Mais je ne t’ai pas traité d’enculé, jamais je n’aurais osé.
Martine réalise trop tard qu’elle l’a également tutoyé, comment va-t-il réagir à cette nouvelle insolence ?
- — Je pense que tu mérites une leçon, histoire de bien comprendre la signification des mots.
- — Je… tu as probablement raison…
- — Aimerais-tu que je sois ton professeur ?
- — Mon… quoi ?
Ils parlaient à voix très basse, penchés l’un vers l’autre. Leurs mains s’étaient rapprochées jusqu’à ce qu’un très léger contact physique s’établisse au bout de leurs doigts. Une fois cette minuscule connexion charnelle établie, Rémy reprit :
- — Ton pro… fesseur…
- — Je… je n’ai jamais fait ce genre de…
- — Tu as peur ?
- — Oui… non… enfin je ne sais pas trop…
- — Tu faisais moins la timide l’autre jour dans la voiture.
- — C’est-à-dire que ce n’était pas tout à fait moi, j’étais un peu… Euh… chaude !
- — Il fait froid, ici ?
Martine accentue la pression qu’exercent ses phalanges sur celles de Rémy :
- — Je préfère les endroits plus intimes.
- — Je croyais que tu aimais être emprisonnée ? C’est un bon endroit ici, non ?
- — Je n’aime pas les prisons, c’est froid, c’est impersonnel, c’est un lieu de souffrance. J’aime être dominée, ligotée, entravée, mais dans la douceur, dans la volupté, dans le respect mutuel…
- — Je n’ai jamais rencontré une fille comme toi…
- — Tu manques d’expérience !
Cette petite pique a un peu déstabilisé Rémy. C’est vrai qu’il manque d’expérience et il se retrouve dans une situation excitante, mais inconnue. Comment transformer l’actuel rapport de domination liée à sa fonction de policier en un rapport de domination sexuelle ? Est-ce possible ? Risque-t-il de ruiner sa carrière professionnelle ? Après un long silence, Rémy se jette à l’eau :
- — Je vais sortir de cette salle et laisser ma paire de menottes sur la table. Si lorsque je reviens tu t’es menottée, cela signifiera que tu acceptes de me suivre chez moi, d’être prisonnière et soumise durant une nuit captivante.
Sans attendre de réponse, le jeune policier se lève, pose vigoureusement ses menottes sur la table et quitte la pièce.
* * *
Chloé est folle de rage. Comment Martine a-t-elle pu se moquer d’elle de la sorte ? Depuis combien de temps Antoine la trompe ? Comment n’a-t-elle rien vu venir ? Est-ce que Martine couche aussi avec Antoine ?
Des larmes coulent sur ses joues, alors que ses pas la guident vers son appartement vide. Elle sait qu’Antoine ne sera pas là, puisqu’il n’est censé rentrer de Rio qu’après-demain… le salaud ! En tout cas il va m’entendre dès qu’il poussera la porte.
Chloé progresse rapidement de rue en rue. Elle passe à proximité du café des libraires. L’espace d’un instant, elle hésite à aller se confier à Sabrina, lui expliquer comment Martine lui a fait croire qu’elle n’avait pas la clé des menottes. La scène du bus. Mais finalement, elle renonce, Sabrina n’est certainement pas revenue, son comportement de tout à l’Euhre n’était pas très honnête et surtout elle ne la connaît pas assez bien pour s’épancher sur ses malEuhrs.
Ressassant ses pensées, Chloé n’a même pas remarqué que la nuit s’est installée sur la ville. La frénésie du jour s’éteint et le calme du soir s’installe. Ce changement d’atmosphère semble se propager en Chloé, ses pas se font moins rapides et ses pensées moins colériques.
Elle réalise qu’Antoine avait certainement compris qu’elle venait de le tromper lorsqu’il est rentré à l’improviste l’autre jour. Pourquoi n’a-t-il rien dit ? Pourquoi ? Était-ce pour éviter de faire voler leur couple en éclat ? Était-ce parce que lui même la trompe ? Elle sent sa colère contre son mari diminuer. Ils sont tous les deux coupables d’avoir laissé leur couple se déliter, d’avoir perdu la flamme de leur appétence sexuelle.
La progression de Chloé dans la cité silencieuse est lente, elle a retrouvé un certain calme intérieur. Elle sourit en songeant qu’elle a imaginé, sous le coup de la colère, qu’Antoine et Martine puissent coucher ensemble. Quelles pensées débiles…
Elle sourit également en repensant à la tête de Martine au moment où l’adjudante a trouvé la clé des menottes. Elle paraissait vraiment tomber des nues. Serait-il possible que Martine ignorât qu’elle avait les clés ? Chloé fait un effort de concentration pour visualiser ce qu’il s’est passé au café des libraires. Sabrina est la seule personne qui s’est approchée de Martine, et c’est vrai que l’attitude de Sabrina n’a pas été totalement candide…
Faisant soudain demi-tour, Chloé s’écrie pour les seules oreilles d’un chien errant :
- — Tiens bon ma potasse d’amour, je viens te délivrer !
* * *
Martine fixe longuement l’objet déposé sur la table.
Elle sait déjà qu’elle ne pourra pas résister à la tentation d’enfiler les menottes. Son addiction à la soumission est beaucoup trop forte et l’occasion qui se présente est comparable à proposer un verre de vin à un alcoolique en manque.
Mais elle retarde un peu le moment de s’emprisonner pour observer l’objet de son entêtant fantasme. Les menottes qui l’attendent sont d’un autre modèle que celles qu’elle a partagées avec Chloé durant l’après-midi. Les deux menottes sont très rapprochées et fixées ensemble non pas par une chaîne, mais par une charnière semi-rigide. Martine imagine que la contrainte exercée par ce type de menottes doit être très intense. La liberté de mouvement des poignets doit être réduite au strict minimum.
Et Rémy ? Peut-elle faire confiance à un homme qu’elle connaît à peine ? Il est policier, c’est une carte de visite qui tranquillise et puis surtout : ses yeux, ses mains, sa bouche…
Prenant les bracelets d’acier dans ses mains, elle fait tourner plusieurs fois la partie mobile de chaque menotte. Mais tant que ses poignets ne sont pas disposés à l’intérieur des cercles, les mâchoires d’acier ne font que mordre le vide en émettant à chaque fois un petit cliquetis métallique. Martine sourit en imaginant qu’il s’agit d’une plainte exprimant la frustration de l’objet de contention qui ne trouve rien à emprisonner.
Puis subitement, comme si une force intérieure lui imposait sa volonté, Martine bascule ses bras derrière son dos, glisse ses poignets à l’intérieur des solides mâchoires et s’impose une sévère morsure en comprimant fortement les crocs de chaque menotte sur sa chaire. Immédiatement elle tente d’échapper à la contrainte qu’elle vient de s’infliger, mais c’est pour mieux réaliser que celle-ci est définitive.
* * *
Chloé revient sur ses pas à vive allure. Elle s’en veut d’avoir abandonné son amie. Maintenant que sa colère est passée, elle réalise que ce jeune policier pourrait vouloir se venger, peut-être même est-ce un sadique ?
Elle arrive bientôt devant le commissariat. Que faire ? Doit-elle entrer pour savoir si Martine est encore retenue à l’intérieur ? Mais il n’y a aucune raison qu’on lui donne cette information. Elle s’installe sur la terrasse d’un café qui donne sur la porte d’entrée du commissariat et réfléchit. Bon, première chose à faire, envoyer un texto à Martine…
* * *
À peine Martine s’est-elle volontairement soumise aux liens d’acier, que déjà la porte s’ouvre sur Rémy. Il semble évident qu’il devait être en train d’observer ses moindres faits et gestes à partir d’un point d’observation, probablement derrière ce grand miroir qui doit être semi-réfléchissant.
Rapidement et sans prononcer la moindre parole, Rémy attrape le bras de Martine et la force à se lever.
- — Ouille, tu m’as fait mal !
Il lui passe une large veste sur les épaules et la pousse vers l’extérieur du local.
- — On va où ?
- — Tais-toi, maintenant c’est moi qui commande !
Martine est un peu déstabilisée par le ton froid et sévère de Rémy. Elle a l’impression que l’homme qui la dirige maintenant n’est pas le même que celui avec lequel elle conversait dix minutes plus tôt. Après avoir suivi plusieurs couloirs, ils arrivent devant une loge avec un gardien.
- — Salut, Rémy, la journée est finie ?
- — Salut, Jo, pas tout à fait, j’ai encore du boulot à finir à la maison.
- — Bon courage ! Bonne soirée, Madame.
- — …
Martine est irritée de l’attitude de Rémy. Il continue de la pousser sans ménagement vers la sortie et fait de l’humour débile à ses dépens. Une fois sortis du commissariat, Rémy passe son bras autour des épaules de Martine. Ce geste anodin lui permet d’une part de maintenir le manteau qui camoufle les entraves de sa belle et d’autre part de guider fermement ses pas.
- — Rémy, j’ai serré les menottes trop fort, il faudrait les relâcher un peu.
- — Tu t’es attachée toute seule, ce n’est pas mon problème.
- — Mais…
- — Tais-toi !
- — On va loin ?
- — Non, et maintenant ferme ta gueule !
La virulence de Rémy laisse Martine perplexe. Elle n’arrive pas à comprendre s’il s’agit d’un jeu de sa part ou si c’est son caractère véritable qui se révèle. Finalement elle ne connaît de cet homme que son métier et sa gueule de beau gosse. Est-ce suffisant pour lui faire totalement confiance ? Martine commence à douter de son jugement sur le fait qu’ils partagent les mêmes appétences.
* * *
Aucune réponse à son texto de la part de Martine, Chloé en déduit que sa potasse est toujours enfermée dans le commissariat. Et lorsqu’elle aperçoit deux ombres qui sortent de l’immeuble et progressent rapidement sur le trottoir, elle n’a aucun doute : la plus petite des silhouettes est celle de Martine.
Chloé bondit sur ses jambes et court vers son amie. Mais avant de la rejoindre, elle réalise que l’homme qui accompagne Martine est le flic qui les a arrêtées. Cela lui coupe son élan et elle observe un peu mieux ce drôle de couple. Elle est surprise que Martine lui laisse mettre son bras autour de ses épaules, cette proximité est étonnante. Il lui faut encore une centaine de mètres pour se convaincre que la démarche de Martine n’est pas tout à fait naturelle et finalement réaliser qu’elle ne doit pas être libre de ses mouvements. Mais qu’est-ce que cela signifie ? Elle n’est pas ressortie libre du commissariat ?
Chloé décide de ne pas se montrer et de les suivre discrètement.
* * *
Silencieuse, Martine réfléchit pendant que Rémy continue de la diriger sans douceur. Doit-elle s’inquiéter du changement de comportement de Rémy ? Est-ce juste la conséquence du stress qu’il a dû gérer en la sortant de manière non officielle du commissariat ? Souhaite-t-elle poursuivre ce jeu de soumission ? Martine ne sait trop que penser et hésite sur l’attitude qu’elle devrait adopter.
La parole de Rémy extirpe Martine de ses pensées. Elle constate qu’ils se trouvent devant une toute petite maison individuelle. Ils marchent sur trois dalles de pierre pour franchir le carré de gazon qui sépare le trottoir de la porte d’entrée. Puis, toujours sans douceur aucune, Rémy propulse son travail du soir à l’intérieur de sa demeure.
- — Rémy, ça ne va pas du tout ! lance Martine pendant qu’il lui retire le manteau de ses épaules.
- — Je suis d’accord avec toi, ça ne va pas du tout, lui retourne Rémy en souriant d’un air niais.
- — Tu me traites comme un objet et cela ne me plaît pas.
- — Mais enfin Martine, tu es mon objet.
- — Je… quoi ?
- — Je t’ai laissé le choix au commissariat et tu as décidé d’être ma chose, ma soumise.
- — Ce n’est pas du tout ce que nous avons convenu. Je t’ai offert ma confiance et ma liberté, mais tu dois être à mon écoute et répondre à mes envies.
- — C’est un peu tard pour vouloir changer le scénario, ma belle. J’ai pris des risques pour passer cette nuit avec toi, si quelqu’un se rend compte que je t’ai amenée ici je risque gros, alors que pour toi ce n’est que du plaisir.
- — Je veux être ta soumise, mais pas ta chose. J’ai besoin que tu me respectes, que tu sois à mon écoute, c’est ainsi que je pourrais avoir du plaisir avec toi.
- — Tu parles pour ne rien dire. Dans le terme soumise, il y a une notion de « soumission », alors arrête de vouloir décider de tout.
- — Non, la soumission c’est pouvoir s’abandonner avec confiance à un homme. Cela sous-entend que cet homme a de l’empathie et qu’il est à l’écoute de celle qui lui fait confiance. C’est la base d’une relation de con…
Le propos de Martine est magistralement interrompu par une gifle cinglante.
- — Tais-toi, tu m’emmerdes, la connasse !
Cette inattendue brutalité fait couler une larme sur la joue de Martine. Elle est choquée par ce qui lui arrive, jamais elle n’avait envisagé un tel scénario. Son fantasme de soumission a toujours été basé sur le respect mutuel, sur une totale confiance et un partenaire à son écoute. Elle commence à réaliser que ce soir elle n’est qu’un jouet dans les mains d’un enfant imprévisible et le sort des jouets n’est pas toujours enviable.
- — Arrête s’il te plaît, Rémy, ce n’est pas du tout cela que…
Calmement, très calmement, trop calmement, Rémy prend une serviette sur une table et tout en fixant Martine dans les yeux, il la contraint à gober le tissu. Martine roule des yeux énormes, jamais elle n’avait été bâillonnée et encore moins de manière aussi froidement brutale.
* * *
Les deux ombres viennent d’entrer dans une petite maison. Prudemment, Chloé s’approche d’une fenêtre illuminée. Retenant sa respiration, elle lance un coup d’œil à l’intérieur.
Elle distingue un canapé, mais ne voit ni Martine ni Rémy. Alors qu’elle tente de changer un peu de position, elle entend soudain un claquement et la voix forte de Rémy qui insulte son amie.
Chloé est tétanisée, c’est pire que tout ce qu’elle aurait pu imaginer. Que faire ? Appeler la police ? Mais Rémy est dans leur camp. Frapper à la porte ? Mais Chloé se rend bien compte qu’elle ne va pas impressionner Rémy. Jacques ? Mais oui, il habite dans le même quartier. Si par chance il est chez lui, il saura quoi faire.
Retrouvant un peu d’énergie, Chloé se met à courir à la recherche de la demeure de Jacques.
* * *
Rémy s’est versé un grand verre d’alcool fort et le boit d’un trait.
Martine décline d’un mouvement de tête.
- — De toute façon, tu ne peux pas le boire avec les oreilles… ha ha ha…
Martine est affligée, comment a-t-elle pu voir dans ce connard un mec intéressant ? Comment a-t-elle pu pareillement se tromper dans son jugement ? La domination physique, voire une certaine brutalité, ne la dérange pas, mais le mépris, le dédain que Rémy manifeste à son égard la blesse. Et pourtant, c’est bien contre elle-même qu’elle est le plus en colère. Elle s’inflige la responsabilité d’avoir méjugé cet homme, de s’être totalement trompée sur sa personne. Et c’est la cause originelle de cette erreur qui la stigmatise : obnubilée par la beauté extérieure de Rémy, elle s’est imaginé qu’il en était forcément de même de sa beauté intérieure. Idiote que je suis ! hurlerait-elle si sa bouche n’était pas totalement obstruée par un ensorcelant bâillon. Une jouissive expérience qui vient pondérer sa frustration.
- — Tu sais quoi, ma belle ? On va jouer à pile ou face. Si c’est face, je m’occupe de ton côté face et si c’est pile je m’occupe de ton côté pâle… ha ha ha… Attention… Pile ! Tu te souviens de ce doigt que tu m’as montré tout à l’Euhre ? Je pense que c’est pile le moment que je te rende la monnaie de ta pièce… tu acceptes quels centimes dans ta fente ? Ha ha ha…
- — Connard ! Connard ! Connard ! aimerait lui cracher dessus Martine.
Rudoyant Martine jusqu’au canapé en cuir situé vers la fenêtre du salon, Rémy la positionne face au dossier. Puis, d’une pichenette dans le dos, il la fait basculer en avant. Martine se retrouve la tête en bas, son ventre arc-bouté sur le dossier du canapé et les fesses à l’équerre. D’un geste vif, Rémy lui retire son pantalon et sa culotte, sans se préoccuper de ses jambes qui battent dans le vide.
- — Ne bouge pas je reviens, lui lance son bourreau.
Le nez dans un des coussins du canapé, Martine continue d’analyser sereinement sa situation et le résultat de cette petite introspection est ambivalent… D’un côté elle est ulcérée d’être le jouet de cet homme qui ne la respecte pas, mais d’un autre côté la situation l’excite terriblement. Le fait d’être totalement soumise et de n’avoir aucune emprise sur les événements embrase son imagination, mais à chaque fois que Rémy s’exprime grossièrement ou fait de l’humour gras, c’est comme si un flot glacé se déversait sur elle et étouffait sa libido. Autant elle ressent attirance et envie pour leur relation physique, autant leur relation psychique provoque répulsion et dégoût.
Bientôt Rémy est de retour. Sans prononcer un mot, il attache chaque pied de Martine à une extrémité du canapé, ce qui a pour conséquences d’ouvrir largement son fessier et de ranimer son trouble. Martine se débat un peu, mais ses entraves, et en particulier les menottes, sont si serrées qu’elle doit rapidement se résoudre de continuer à subir les événements.
Lorsque Rémy commence à fourrager son entrefesson, Martine est étonnée de la douceur et la finesse de son doigté. Très rapidement une excitation intense la traverse et son fessier se dilate. Bien entendu son fourrageur s’en rend compte et malEuhreusement il commente :
- — Putain, la garce, t’es chaude comme une armée de fliquettes ! Je vais te mettre à nu… sss… ha ha ha… anus, répète-t-il avec insistance en s’esclaffant.
Mais ta gueule ! vocifère intérieurement Martine, calquant son verbe sur celui de son tortionnaire. Si seulement il pouvait me bâillonner les oreilles pendant qu’il me branle délicieusement le cul, grogne-t-elle frustrée dans son bâillon. Suite à cet assaut de vulgarité masculine, son désir diminue et par voie de conséquence, son sphincter se resserre. Mais cette contraction a pour effet d’augmenter son ressenti du doigt visiteur et cela relance doublement son excitation. Il va me rendre folle s’il continue à jouer au yoyo avec mes émotions, songe-t-elle exaltée.
Boum ! boum ! boum ! Police ouvrez !
Rémy se fige de stupeur, oubliant son doigt profondément enfiché dans Martine. Tout autant surprise, Martine aimerait suggérer à son tortionnaire de cesser de lui prendre la température avec son phalangeomètre, mais elle ne peut que sourire (un peu) et subir (beaucoup). Après quelques interminables secondes, Rémy retrouve l’usage de la parole, mais pas ses esprits :
- — Tu as entendu ? demande-t-il ingénument.
Martine se tortille en tous sens, mais elle ne peut ni répondre à la question ni se débarrasser du manche à con qui prend racine dans son troufignon. Toujours statufié, Rémy continue de questionner dans le vide :
- — Tu crois que c’est qui ?
Boum ! Boum ! Boum ! POLICE, ouvrez immédiatement ou on enfonce la porte !
Cette seconde salve réussit à sortir Rémy de sa torpeur. Il récupère son majeur, se dirige vers la porte d’entrée et l’ouvre…
- — Capitaine Anirbas, de l’inspection générale de la police nationale, qu’est-ce que vous foutiez ? Vous en avez mis un temps !
Une femme élancée et dynamique lui agite sa carte sous le nez tout en repoussant Rémy dans l’appartement. Il a juste le temps d’apercevoir deux ombres qui restent à l’extérieur de la maison.
- — Je pense que vous savez pourquoi je suis là ?
- — Euh… je…
- — Bon ne perdons pas de temps, vous êtes bien l’aspirant Rémy Liard ?
- — Oui… c’est moi.
- — C’est vous qui avez amené deux femmes au commissariat cet après-midi ?
- — Cet après-midi ? Oui…
- — Et vous savez que l’une des deux s’est volatilisée ?
- — Que… comment ?
- — Eh bien ça, c’est à vous de me le dire !
- — Mais… je… je… ce n’est pas de ma faute… c’est elle qui…
- — Ne vous foutez pas de ma gueule !
- — Mais… je ne…
- — Vous avez été vu quittant le commissariat avec une femme.
- — Moi ?
- — Oui, vous ! Qui était cette femme ?
- — Euh… Eh bien… elle… je…
À ce moment, après une longue lutte avec son bâillon, Martine réussit à émettre un grognement juste perceptible.
- — Vous n’êtes pas seul ?
- — Eh bien… oui… enfin non…
La capitaine fait quelques pas dans la maison et entre dans le salon. Elle découvre alors une scène improbable : une femme entravée de toutes parts avec son fessier proéminent dominant l’ensemble de son corps soumis. Rémy, qui a suivi la capitaine, bafouille rapidement :
- — Je… ce… ce n’est pas ce que vous croyez !
- — Aspirant Liard, vous n’avez aucune idée de ce que je pense !
- — Non… oui, bien sûr… mais…
- — Je pense que cette femme est celle dont vous aviez la responsabilité, vrai ou faux ?
- — … Oui
- — Vrai ou faux ?
- — Vrai.
- — Je pense que vous l’avez fait sortir du commissariat de manière non officielle, vrai ou faux ?
- — … C’est vrai.
- — Je pense que vous pouvez dire adieu à votre carrière de policier, vrai ou faux ?
- — … mais… je… elle est consentante…
- — Je pense que vous êtes un connard !
- — Vrai… Euh… non, je veux dire.
- — Vous voyez, vous n’avez aucune idée de ce que je pense ! Aidez-moi à la libérer, nous allons la remettre à mes collègues qui sont devant la porte et ils prendront sa déposition au poste.
Martine est rapidement libérée par la capitaine et expulsée de l’appartement en direction des deux ombres qui attendent devant la maison. Tellement rapidement que c’est seulement une fois dehors qu’elle peut commencer à retirer son bâillon.
- — Et maintenant à nous deux, aspirant Liard. Êtes-vous conscient de ce que vous avez fait ?
- — Mais c’est elle qui voulait…
- — Tournez-vous !
Rémy s’exécute et la capitaine lui passe les menottes qui entravaient Martine trois minutes auparavant.
- — Ces menottes ne sont pas officielles, d’où viennent-elles ?
- — Euh… ce sont les miennes… je les ai achetées…
- — De mieux en mieux. Et ainsi vous avez kidnappé une femme sous votre responsabilité au commissariat ?
- — Non, non, c’est elle qui voulait…
- — Est-ce que vous réalisez ce que vous dites ? Venez par ici !
La capitaine positionne Rémy sur le canapé de la même manière qu’il l’avait fait pour Martine.
- — Et bien entendu, c’était également la volonté de cette femme de se faire dominer ainsi ?
Rémy est devenu atone. Il réalise que sa carrière de policier est terminée, qu’il va être accusé de viol et d’enlèvement et qu’il n’a aucune chance de s’en sortir. Il ne réagit même pas lorsque la capitaine lui enlève son pantalon et l’immobilise exactement dans la même position que Martine. Il subit les événements sans réagir, abattu, prostré, déprimé…
Toutefois, lorsque Sabrina entame un lent et profond massage prostatique, des ondes enivrantes traversent Rémy et lui font reprendre ses esprits. Et c’est seulement à partir de ce moment qu’il commence à douter du fait que la femme qui est en lui et chez lui soit réellement une bœuf-carotte.
* * *
Les rires fusent dans le jardin, devant la maison de Jacques.
- — Et tu aurais dû voir sa tête lorsque Sabrina lui a dit qu’il était un connard et qu’il a répondu oui !
- — Ha ha ha… mais tu n’as pas eu peur ?
- — Non, pas peur, mais je n’arrivais pas à savoir si j’allais passer un bon moment ou un sale quart d’Euhre, ça c’était assez bizarre…
Les trois amis continuent de converser et Martine leur raconte en détail le déroulement de cette soirée particulière.
- — À entendre ton récit, je pense que ce mec n’est pas un connard de circonstance, mais un connard circonstancié, décrète Jacques.
- — Ton jugement est trop catégorique, peut-être qu’il ne se rendait pas compte du décalage qu’il y avait entre lui et moi, cela peut provenir d’un manque d’expérience.
- — Mais tu ne vas pas continuer de le défendre parce qu’il a de beaux yeux ? C’est fou ça ! s’énerve Chloé.
- — Ce que je veux dire c’est que son attitude était clairement déplacée, mais j’ai participé activement à ce dérapage. Et puis il n’y a pas que ses yeux qui sont beaux…
- — Cette nana trébuche sur un pervers et elle tombe en amour… c’est invraisemblable.
- — Encore une petite bière Martine ? intervient Jacques.
- — Volontiers, j’ai la gorge desséchée.
- — Les effets secondaires de ton bâillon ?
- — Enfin une qualité à l’actif de Rémy, intervient Chloé. C’est le seul mec qui parvient à empêcher Martine de dire des conneries !
Et les rires de fuser à nouveau sous le ciel étoilé. Une fois l’excitation retombée, Martine se tourne vers Jacques.
- — Mais à propos, pourrais-tu nous expliquer pourquoi Sabrina a subitement disparu lorsque nous étions au café des libraires ?
- — Eh bien, une fois que le jeu était lancé, vous deviez venir jusqu’ici et Sabrina n’avait plus à intervenir. Évidemment elle n’avait pas prévu que vous feriez un petit détour par le commissariat.
- — Attends, attends, elle ne nous a pas donné ton adresse et si Chloé est arrivée chez toi, c’est un peu par hasard.
- — Comment ça, par hasard ?
- — C’est vrai, confirme Chloé, Sabrina nous a laissé tomber une fois que nous nous étions attachées ensemble, sans nous donner ton adresse.
- — Mais non, lorsqu’elle m’a rejoint cet après-midi, elle m’a dit que vous devriez bientôt arriver.
- — Hum, c’est pas très clair cette histoire et à propos de Sabrina, elle fait quoi ? s’interroge Martine.
- — Alors là, ne te fais aucun souci pour elle, sourit Jacques, je pense qu’elle est en train de faire mitonner ton mignon. Elle nous racontera.
- — Bon, ma potasse, enchaîne Chloé, j’imagine qu’après la journée chargée d’émotions que tu as vécue, tu aimerais rentrer te coucher ?
Fatiguée, Martine allait acquiescer, mais elle a aperçu un coup d’œil équivoque entre Chloé et Jacques.
- — Je… tu rentres avec moi ?
- — Euh… c’est-à-dire…
- — Quoi ? Est-ce que tu essayes de te débarrasser de moi ? C’est ça une amie ?
- — Mais pas du tout, pas du tout, c’est juste que je ne voulais pas que tu te sentes obligée de rester éveillée…
- — Dis donc, tu crois que je ne te vois pas venir ? Et toi Jacques, tu es également pressé que je parte ?
- — Non, tu fais comme tu veux. J’imagine juste que tu dois être fatiguée après de tels événements.
- — Quoi ? Mais comment pouvez-vous imaginer que je suis rassasiée seulement avec un petit doigt dans le cul ! se met à hurler Martine.
Jacques devient tout rouge et espère que les voisins n’ont rien entendu. Il cherche à se retirer de la conversation.
- — Joker, les filles, vous vous arrangez entre vous, et il ponctue ses paroles en se retirant dans la cuisine.
- — Non, non, non, tu ne te dégonfles pas, le mec, riposte Chloé, tu m’as dit que tu me consacreras la nuit, alors tu assumes.
- — Tu avoues, intervient Martine, tu voulais donc bien te débarrasser de moi.
- — Dis donc, tu as déjà assez foutu le bordel aujourd’hui, alors maintenant c’est à mon tour et toi tu vas au dodo.
- — Comment ça, j’ai foutu le bordel ? Mais bordel toi-même, ce n’est pas de ma faute si on est tombé sur cet empaffé de flic.
- — Évidemment que c’est de ta faute, qu’est-ce qu’il t’a pris de lui faire un doigt d’honneur ?
- — Mais pas du tout, je faisais un doigt d’honneur à ton crétin de mari !
- — Comment ça, mon crétin de mari, mais patate toi-même !
- — Cornichone des îles !
À ce moment la porte d’entrée s’ouvre et c’est une Sabrina rayonnante qui pénètre dans la maison.
- — Salut la compagnie, comment ça va, Martine ?
Cette entrée fracassante a le mérite d’éteindre la chamaillerie des légumineuses. La cornichone perd son vinaigre et la patate devient douce avant de répondre.
- — Super bien, merci de m’avoir secourue et extirpée de cette situation compliquée.
- — Je n’ai pas eu l’impression que j’arrivais en sauveur, je pense même que tu n’étais pas loin de prendre du plaisir.
- — C’est vrai et faux à la fois, rétorque Martine.
Ce clin d’œil à son intervention chez Rémy fait sourire Sabrina. Chloé en profite pour s’initier dans la discussion.
- — Mais qu’as-tu fait chez Rémy durant tout ce temps ?
- — Petite curieuse, répond Sabrina dans un nouveau sourire. Eh bien, disons que j’ai répondu à ses attentes.
- — Que veux-tu dire ?
- — Rémy est l’archétype du mec soumis et frustré, je suis même persuadée qu’il a fait subir à Martine exactement ce que lui-même rêve de subir. C’est-à-dire que dans son esprit simpliste, ce qu’il faisait à Martine était forcément agréable.
- — Tu en es sûre ? interroge Chloé en prenant un air dubitatif.
- — Oui.
- — Mais comment peux-tu affirmer cela ? Insiste Chloé.
- — Parce que je connais bien ces messieurs.
- — Quand même, c’est un peu léger comme théorie, non ? renchérit Martine.
- — Mais ce n’est pas une théorie, j’ai validé avec succès mon analyse par la pratique, répond très sérieusement Sabrina.
Un court silence s’installe pendant lequel chacun digère les paroles de Sabrina, puis une gigantesque explosion de rires inonde la maison. Seul Jacques, toujours à la cuisine, ne rit pas à gorge déployée, probablement inquiet pour sa prochaine rencontre avec ses voisins.
- — Et si nous parlions un peu de vous maintenant ? lance Sabrina.
- — Comment ça, de quoi veux-tu parler ? demande Martine.
- — Vous étiez bien en train de vous chamailler pour mon Jacques avant que j’arrive ?
- — Non, c’est déjà oublié, on ne va pas se battre pour un homme. Chloé va avoir l’élégance de me laisser la priorité, affirme Martine dans un sourire.
- — Toi, je t’assomme, crie Chloé en feignant la colère.
- — C’est fou… votre faculté de réconciliation ne cesse de m’étonner… conclut Sabrina sans véritable conviction et en se levant pour rejoindre Jacques à la cuisine.
Restées seules au salon, Martine et Chloé tentent de résoudre leur problème de priorité masculine. Mais Jacques est de retour bien avant qu’une esquisse de solution prenne forme.
- — Sabrina a pris le relais à la cuisine, pensez-vous qu’il soit possible d’aborder notre petite problématique sans que cela tourne à l’émeute ?
- — Oui, promis, répondent simultanément et sans se consulter Chloé et Martine.
- — Vous souhaitez donc toutes les deux revivre une aventure attachante, c’est bien ça ?
- — Oui, c’est ça, répondent en chœur les deux amies avant de s’étrangler de rire devant la symétrie de leur réponse.
- — Mais est-ce que vous souhaitez être attachées ensemble pour partager ce moment ? Cela résoudrait le problème de priorité, propose Jacques qui peine à dissimuler sa gêne et ne parvient pas à empêcher son visage de rosir.
- — Euh… Oui… Non… Cette fois les réponses divergent.
- — Oui, ça pourrait être une belle expérience, exprime Martine.
- — Non, déjà être attachée c’est un truc bizarre, mais en plus faire ça avec toi… non, ce n’est pas un truc qui m’attire, signifie Chloé.
- — Bien, alors une autre proposition : on tire à la courte-écharpe !
- — À la courte-écharpe ? relance Martine.
- — Oui, c’est une variante de la courte-paille, je vous propose plusieurs écharpes et vous en choisissez une.
- — D’accord, mais où est-ce que ça nous mène ? interroge Chloé.
- — Eh bien ensuite je vous attache avec l’écharpe que vous aurez choisie et la première qui parvient à se libérer est déclarée vainqueur.
- — Hum… oui, pas mal… lâche Martine.
- — Du thé pour les braves ! Sabrina interrompt la discussion en distribuant les tasses de thé.
Laissant de côté la résolution de leur problème d’écharpes, les quatre amis sirotent leur thé à la menthe. La discussion prend quelques instants la direction du Sahara, mais assez rapidement la thématique principale de la soirée remonte à la surface.
- — Toi aussi, Sabrina, tu aimes les jeux de cordes ? questionne soudain Martine.
- — Oui, je crois que dans cette pièce nous sommes en harmonie pour dire que les instruments à cordes sont les plus lascifs, même notre musicienne débutante… non ? répond Sabrina tout en fixant Chloé.
- — Je suis encore surprise moi-même de mon évolution sur ce sujet, répond Chloé dans un bâillement.
- — Et toi Jacques, où as-tu appris à manier les liens avec tant de savoir-faire ? demande Martine, tout en réalisant soudain que Jacques ne semble pas vraiment écouter ou apprécier la discussion en cours.
- — C’est venu des jeux tout gamin, des jeux de nuit avec les scouts et puis voilà.
Sabrina lance un regard sombre à son frère, Martine se rend bien compte que quelque chose ne va pas, mais elle ne comprend pas quoi. Quant à Chloé elle s’est allongée de tout son long sur le canapé et ne suit absolument pas la discussion.
- — Avec Jacques nous avions participé à un cours sur l’art du ligotage japonais, révèle Sabrina.
- — Ça existe ? relance trop rapidement Martine, puis se rendant compte que sa question est un peu bête, elle précise, je veux dire, ça existe ici ou vous êtes allés au Japon ?
- — Bon, est-ce que vous voulez être attachées ou discuter toute la nuit de l’art japonais, intervient brusquement Jacques.
Martine ne comprend toujours pas l’origine du malaise, mais elle décide d’aller dans le sens de Jacques.
- — Oui, bonne idée, tu apportes les écharpes ?
Jacques se lève et quitte la pièce, Martine en profite pour se tourner vers Sabrina.
- — Est-ce que j’ai fait ou dit quelque chose qu’il ne fallait pas ?
- — Non, non, il est simplement un peu irritable quand il est fatigué… pas comme elle, termine Sabrina en désignant Chloé qui ronfle sur le canapé.
- — Oh, la courgette, réveille-toi, ce n’est pas le moment de dormir !
Lorsque Jacques revient les bras chargés de tissus multicolores, Chloé émerge difficilement de son sommeil.
- — Allez, qui commence par tirer une écharpe ? propose Jacques d’un air un peu maussade.
- — Moi, moi, lance joyeusement Martine, comme pour contrebalancer le ton de Jacques. Et je choisis la rouge !
- — Excellent choix, confirme Sabrina, une acquisition récente testée par la dormeuse sur votre droite.
Effectivement Chloé s’est rendormie. Martine la secoue à nouveau et elle parvient à lui faire prendre un morceau d’étoffe vert, dans lequel elle s’enroule comme s’il s’agissait d’une couverture.
- — Mais qu’est-ce que tu fous ? s’énerve Martine.
Rien n’y fait, Chloé s’est à nouveau endormie. Martine tente mollement de la réveiller, mais elle se rend compte que c’est sans espoir. Fatiguée, elle prend un des coussins pour la cogner, mais ses coups sont de moins en moins virulents et finalement elle pose sa tête sur l’objet douillet et renonce elle aussi à conserver ses yeux ouverts.
* * *
- — J’en étais sûr, tonne Jacques, pourquoi as-tu mis un somnifère dans leur thé ?
- — Moi, j’ai fait ça ? répond Sabrina en prenant un ton ingénu.
- — Arrête de faire la conne, je te connais trop bien pour ne pas voir qu’il y a un truc qui ne joue pas, c’est quoi le problème ?
- — C’est toi le problème, tu es en train de déconner.
- — Comment ça je déconne ? Je rencontre des filles sympas, on va passer un moment agréable ensemble et toi tu fous le bordel.
- — Tu es trop naïf, ces filles pourraient te faire du mal.
- — Mais pour l’instant ce n’est pas le cas et je n’accepte pas que tu interviennes de la sorte dans ma vie.
- — Je te rappelle que j’ai déjà dû pas mal recoller les morceaux dans ta vie.
- — Je sais tout ce que tu as fait pour moi, mais j’ai confiance dans ces deux filles.
- — Allons, cesse de faire l’enfant, on en a déjà discuté.
- — Je connais ton avis, mais je les trouve sympas et je peux passer un moment agréable avec elles…
- — Arrête avec ça ! Je vois bien que tu as des sentiments pour ces deux nanas et je te rappelle que ce n’est pas simple, la dernière fois que tu es tombé amoureux, ça a très mal tourné.
- — Mais je pense qu’elles sont différentes.
- — Bien sûr, quand on a des sentiments tout est idyllique. Je te signale tout de même qu’en l’état actuel, il y a deux femmes en face de toi, dont une qui est mariée… non, mais tu vois le bordel que ça va être, sans même parler du reste ?
- — C’est vrai que ce n’est pas simple, mais je vais mieux gérer, je… je ne vais pas tomber amoureux.
- — Connerie ! Tu crois que je ne te connais pas ? Je vois déjà que tu seras incapable de rester dans les limites prédéterminées du jeu sexuel. Cette histoire deviendra forcément sérieuse et là, il y aura deux prétendantes, ce qui est beaucoup pour un seul homme dans notre société.
- — Oui, je dois choisir, je ne peux pas avoir les deux.
- — Mais arrête avec ça ! Tu peux avoir les deux tant qu’il s’agit de sexe et uniquement de sexe scénarisé. Si tu sors de ton rôle, c’est la merde et tu vas revivre la même désillusion qu’avec l’autre tarte.
- — Oui, tu as probablement raison.
- — Regarde la vérité en face, tu ne peux pas donner ta confiance à ces filles. Tu as bien vu que Martine couche avec tout le monde et que Chloé n’hésite pas à tromper son mari, tu ne pourras jamais trouver un équilibre de vie avec une fille comme ça, elles sont juste attrayantes dans leurs rôles de marionnettes à cordes.
- — C’est vrai, je reconnais que tu as raison, pourtant il me semblait…
- — Écoute, on va faire comme ça : maintenant tu les attaches chacune dans un lit et demain tu leur expliques que tu as changé d’avis, que l’histoire est terminée et qu’elles doivent rentrer chez elles.
- — Tu crois que c’est la seule issue ?
- — J’aimerais tellement te dire que c’est possible, mais franchement tu n’as pas d’avenir ni avec l’une ni avec l’autre et comme tu ne parviens pas à mettre tes sentiments de côté et rester dans le cadre du jeu… je suis désolée.
- — Peut-être que je devrais tout leur dire, tenter le tout pour le tout pour voir si c’est possible ?
- — Ne te berce pas d’illusions, si tu leur ouvres ton cœur, il va à nouveau y avoir du sang partout dans cette maison.
- — Alors c’est sans espoir…
- — Ne sois pas trop déçu, ces filles ne sont pas à ton niveau. Je sais que bientôt on trouvera une femme qui sera vraiment assez bien pour toi et qui saura dépassé les préjugés.
- — Tu crois ?
- — Et puis ne t’inquiète pas, même si c’est un peu difficile, moi je serai toujours là.
- — Merci, ma sœurette d’amour, que ferais-je sans toi ?
- — Certainement des conneries.
Sabrina prend Jacques dans ses bras et l’embrasse longuement sur la bouche.
- — Allez, va les attacher, puis viens me rejoindre au lit.