Résumé des épisodes précédents :
« L’écharpe rouge »
Lors d’une chaude soirée, Chloé a souhaité vivre une expérience de ligotage avec Jacques, son amant d’un soir. Une simple écharpe et la délicatesse de Jacques ont engendré une envoûtante contrainte au cœur de la nuit. Mais l’histoire s’est terminée brusquement avec le retour impromptu du mari de Chloé.
« L’écharpe noire »
Martine, la meilleure amie de Chloé, a toujours fantasmé d’être soumise aux cordes. Après avoir pris connaissance de l’aventure de Chloé, Martine a tout mis en œuvre pour retrouver son attachant amant et vivre une expérience similaire. Elle y est parvenue et a vécu un moment extatique, ligotée dans la voiture de Jacques qui roulait à vive allure. Mais l’histoire s’est terminée lorsque la police a intercepté le jouissif bolide. Les amants ont été séparés par les forces de l’ordre et ne se sont plus revus depuis.
« Les écharpées »
Pour vivre une nouvelle aventure attachante avec Jacques, Martine et Chloé ont accepté de se soumettre à un étrange scénario : traverser la ville en étant menottée l’une à l’autre. Après de multiples péripéties, dont un épisode haut en couleur avec Rémy, un policier crétin, elles ont atteint leur objectif et ont retrouvé Jacques, leur ligoteur préféré. Mais Sabrina, la sœur de Jacques, joue un drôle de jeu. Après avoir servi d’intermédiaire pour les aider à retrouver son frère et avoir aidé Martine à s’extraire des menottes de Rémy, voilà qu’elle ajoute un somnifère dans leur boisson. Une fois Martine et Chloé endormies, Sabrina ordonne à son frère de les attacher, puis de venir la rejoindre au lit. Jacques s’exécute.
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Écharpe de pirate
Un fin rayon lumineux s’immisce dans l’obscurité de la chambre et vient tambouriner sur les paupières de Martine. Émergeant d’un rêve lointain, la dormeuse discerne l’astre solaire qui lui suggère de se réveiller. Continuant de progresser sur le chemin de l’éveil, elle prend conscience qu’une pression uniforme s’exerce sur ses poignets, ses bras et son torse. Un agréable contentement l’envahit. En cherchant à s’étirer, elle valide la présence d’une contrainte externe qui l’asservit. Sa situation de femme ligotée confirmée, son être se remplit d’une douce ivresse qui se transforme rapidement en profonde félicité. Paisible, se laissant bercer par le chant des oiseaux, Martine imprègne sa mémoire charnelle de cet instant tant de fois fantasmé. Puis, finissant par céder aux appels du soleil, elle ouvre un œil.
- — Enfin, tu émerges, ma potasse !
Éblouie par le soleil, Martine a besoin de quelques secondes pour apercevoir Chloé, dont elle a parfaitement reconnu la voix. La forme allongée de son amie apparaît sur un lit jumeau du sien. Sa vision gagnant en netteté, son regard se fixe sur le long ruban vert qui embobine le haut du corps de son amie et retient ses mains emprisonnées dans son dos.
- — Elle est jolie ton écharpe verte…
- — Me gonfle pas avec ça, j’ai mal partout et je ne dors plus depuis deux heures.
- — Tu as mal ? Mais c’est tellement doux, ça fait des fourmis partout.
- — Je t’en foutrais des fourmis, c’est plutôt comme si j’avais deux tonnes de plomb dans chaque bras.
- — Arrête de râler, lance Martine tout sourire, ça ne te fait aucun effet cette coquine de petite écharpe qui serpente à l’intérieur de tes cuisses ?
- — Oui, bon, c’est vrai…
- — C’est vrai quoi ?
- — C’est vrai que c’est aussi à cause de ça que je n’arrivais pas à dormir…
- — Alors pourquoi tu ronchonnes de la sorte, n’est-ce pas le plus merveilleux des réveils ?
Sous le regard de Chloé, Martine s’agite à l’intérieur de son écharpe et finit par se retrouver en position assise.
- — Ouah, rien que s’asseoir ça rend dingue, essaye !
Chloé s’agite à son tour et après quelques gloussements réussit également à s’asseoir sur son lit.
- — Putain ça déménage dans le slip ! s’exclame, surprise, Chloé.
- — Comme c’est bien dit… alors, elle est pas belle la vie en écharpe ? Franchement, c’est un de mes réveils les plus chauds de la culotte.
- — Ouais, un point pour toi, n’empêche que cette histoire, elle, n’est pas toute nette.
- — Je ne te comprends pas, on voulait toutes les deux vivre cette histoire, alors pourquoi tu bougonnes ?
- — Est-ce que tu te rappelles à quel moment Jacques t’a attachée ?
- — Ben… heu… s’était hier soir ?
- — Mais t’en rappelles-tu ?
- — Non, pas vraiment… et alors ?
- — Je n’ai aucun souvenir d’avoir été attachée et d’être venue me coucher dans cette chambre. Et puis j’ai un peu mal au crâne… plus je repense au déroulement de la soirée, plus je suis persuadée qu’on a dû bouffer une saloperie.
- — Comment ça une saloperie ?
- — Je suis certaine que Jacques nous a donné un truc pour nous faire dormir.
- — Quoi ? Mais non, tu délires.
Assises face à face, les deux jeunes femmes s’enferment quelques instants dans leurs pensées. C’est finalement Martine qui rompt le silence.
- — Tu as peut-être raison…
- — Bien sûr que j’ai raison !
- — Mais je m’en fous, je fais confiance à Jacques, conclut de manière catégorique Martine.
- — Comment peux-tu faire confiance à un mec qui te fait des entourloupes ?
- — Parce qu’un mec qui me fait zozoter la chatte à distance ne peut pas être mauvais.
- — T’es cinglée ? Tu passes l’éponge juste parce qu’il te fait ronronner du minou ?
- — Oui… mais je vais quand même lui demander des explications.
Ulcérée par l’aveuglement de son amie qui fait passer son plaisir avant sa raison, Chloé se penche vivement vers elle en assenant :
- — C’est pas possible, tu es complètement… oups…
- — Que se passe-t-il ? Pourquoi fais-tu cette tête-là ?
- — J’ai fait un mouvement trop brusque et… j’ai le minou qui ronronne grave…
* * *
Debout, adossées l’une contre l’autre, Martine et Chloé tentent de se libérer des mailles ardentes de leurs écharpes. C’est Chloé, à force d’insister, qui a réussi à convaincre Martine de l’aider à se défaire de ses liens. Mais si Chloé souhaite se libérer, Martine prend la chose avec davantage de… détachement.
- — Vas-y, tu devrais pouvoir défaire un des nœuds… non ? répète Chloé pour la dixième fois.
- — C’est pas si simple… réplique Martine, qui ne parvient pas à desserrer l’écharpe qui lui emprisonne les poignets.
- — Mais tu fais exprès ou quoi ?
- — Toujours à se plaindre, maugrée pour elle-même Martine en explorant du bout des doigts les multiples liens de tissus qui habillent les fesses de son amie. Et si je tire ici… tu sens quoi ?
- — Arrête, ça c’est le brin qui m’excite le minou !
Mais Martine, plutôt que suivre l’injonction de son amie, se met à trifouiller tant et plus le morceau d’écharpe verte qu’elle a réussi à attraper malgré ses mains ligotées dans son dos.
- — Mais t’es dingue… mais…
- — Tu sens que ça vient ?
- — Oui, mais non, pas comme ça… arrête…
- — Non, non, il faut insister pour te libérer… de tes idées préconçues, ajoute Martine à voix basse sans se préoccuper des objections de son amie.
- — Tu es folle… tu ne peux pas me faire ça, c’est… c’est… c’est…
Continuant d’ignorer les jérémiades candides de son amie, Martine tire et retire le brin d’écharpe qui va-et-vient entre les cuisses de Chloé, jusqu’à la branler imparablement. De plus en plus bouleversée par les ondes émotionnelles qui la traversent, Chloé voit son inhibition fondre comme neige au soleil. Et bientôt c’est elle qui en exige davantage :
- — Vas-y franchement, presse-moi le minou ! Plus fort !
- — C’est pas si simple, ma miaulante, j’ai les mains attachées au cas où tu l’aurais oublié.
- — C’est super, t’es super, oui comme ça… encore… et encore…
Subjuguée par les émotions, Chloé s’abandonne aux frictions enivrantes de l’écharpe sur son sexe. Saoulée par le contentement qui l’envahit, elle oublie les lois qui régissent la pesanteur et bascule de tout son long à plat ventre sur son lit. Martine, fermement cramponnée au caresse-minou, est entraînée dans la chute et se retrouve en équilibre instable à moitié couchée sur le dos de Chloé. Obéissant à un accord tacite, les deux branleuses se démènent pour s’allonger dos à dos sur le lit de Chloé et reprennent de plus belle la partie de frotti-frotta en mode câline-minou.
- — C’est du délire, t’es une reine, ma princesse d’amour… nooon… ne t’arrêêête pas ! piaille Chloé entre espoir et désespoir.
Très contrainte dans ses mouvements, Martine mène une lutte féroce contre ses liens pour grignoter les quelques centimètres de liberté qui lui permettraient de répondre encore plus favorablement aux désirs jouissifs de Chloé. Mais cette bataille n’est pas neutre d’effet collatéral. Les assauts de Martine génèrent des frottements, des effleurements et des grincements dans son propre entrejambe. Et les morsures de l’écharpe rouge se révèlent tout aussi impudiques et excitantes que celles de son homologue verte.
- — Moi aussi j’ai du feu entre les jambes ! souffle Martine, comme pour s’excuser de son manque d’efficience pour satisfaire les injonctions de son amie.
Réalisant que Martine ressent un bouillonnement aphrodisiaque similaire au sien, Chloé souhaite lui restituer ce qu’elle vient de découvrir. Luttant à son tour contre l’asservissement de ses liens, elle réussit à suffisamment approcher ses mains de l’entrejambe de Martine pour pouvoir saisir le brin d’écharpe rouge qui y réside. Avec la dextérité d’une cambrioleuse introduite dans un lieu interdit, Chloé explore, découvre et révèle les secrets les plus intimes de son amie.
Stimulée au plus profond de sa chair, Martine éructe son plaisir et se contorsionne jusqu’aux limites de l’univers de son écharpe. Ces convulsions incontrôlées bandent davantage encore les corsets d’écharpes auxquels sont mutuellement agrippées les deux ligotées. Les échos de leurs étreintes courent sur les liens et convergent jusqu’aux sexes des deux amantes qui ondulent à l’unisson. Tendues à l’extrême, les écharpes vibrent telles des cordes musicales et métamorphosent l’énergie qui les parcourt en symphonies de plaisirs. Devenues à la fois musiciennes et instruments de leurs cordes, Martine et Chloé jouissent à pleins poumons toutes les notes de la gamme orgasmique…
Déboulant tel un chef d’orchestre en retard à la première d’un concert, Jacques pénètre brusquement dans la chambre.
* * *
De délicieux effluves de café et de pain frais emplissent la cuisine. Les trois convives se sont installés autour de la table du petit-déjeuner. Deux écharpes, une verte et une rouge, pendouillent essoufflées aux dossiers des chaises de leurs obligées. Jacques a dû insister pour convaincre Martine de quitter sa prison de soie, mais contre la promesse d’une nouvelle aventure attachante, elle a accepté. Et si Chloé a abandonné plus facilement son statut de prisonnière, elle digère avec un certain embarras les événements récents. Cette gêne se matérialise d’une part dans son attitude prostrée et d’autre part dans les cinq doigts de sa main qui restent fermement crispés et entrelacés avec ceux de Martine.
- — Comment c’est possible ? Ce n’était pas moi ? répète Chloé pour la centième fois, sans oser lever les yeux de son assiette.
- — Tu me fais mal, susurre gentiment Martine à l’oreille de Chloé qui lui écrase les doigts avec toute la force de son désarroi.
- — Excuse-moi, souffle Chloé dans un murmure, sans pour autant relâcher son étreinte… Mais comment c’est possible ? Ce n’était pas moi ?
- — Je t’adore, lui souffle à l’oreille Martine en lui embrassant doucement la joue.
- — Comment c’est possible ?
- — Vous n’avez pas faim, les deux comploteuses ? lance Jacques en souriant.
- — Non, ce n’était pas moi… et JE SUIS SÛRE QUE C’ÉTAIT UNE AUTRE DE TES SOURNOISERIES ! se met soudain à crier Chloé en fixant Jacques dans les yeux.
- — Heu… ça ne va pas, Chloé ? répond Jacques en ne sachant pas quelle attitude adopter.
- — AVOUE ! Qu’est-ce que tu m’as fait avaler hier soir ?
Jacques se fige, des gouttes de sueur perlent sur son front et son faciès rosit.
Chloé hurle sa victoire.
- — Calme-toi Chloé, lui intime Martine. Jacques, pourrais-tu nous expliquer ce que tu nous as fait boire hier soir ? lui demande doucement, mais fermement Martine.
- — Heu… je… ce n’est pas ce que vous croyez…
Martine sourit intérieurement de cette non-réponse qui lui rappelle l’épisode de la veille avec Rémy. Mais comme Sabrina n’est pas là pour mener l’interrogatoire, elle reprend :
- — Nous te demandons de nous expliquer ce que tu as fait.
- — Eh bien… je… j’ai mis un somnifère dans votre thé, répond Jacques qui ne veut pas leur révéler qu’en réalité c’est Sabrina qui a effectué ce geste.
- — J’EN ÉTAIS SÛRE ! hurle à nouveau Chloé. TOUS PAREILS !
- — Mais pourquoi as-tu fait cela ? Je ne comprends pas ta motivation, relance Martine d’une voix très contrôlée.
- — Je… c’est… c’est parce que ce n’est pas possible… c’est pour ne pas tomber amoureux…
- — Ha ha ha, c’est l’argument le plus nul de la galaxie, glousse Chloé dans un rire forcé et en se tapant les cuisses.
- — Jacques, es-tu sérieux ? reprend Martine, quel rapport y a-t-il entre mettre un somnifère dans notre thé et tomber amoureux ?
Jacques se rend bien compte que son argumentation ne tient pas la route, mais il ne veut surtout pas leur révéler qu’en réalité c’est Sabrina qui tire les ficelles de cette histoire et que lui a l’impression de n’être qu’une marionnette. Pour ne pas devoir impliquer sa sœur, il cherche à éloigner la discussion de ce sujet.
- — La vérité, c’est que j’ai peur de tomber amoureux, que je ne dois pas tomber amoureux.
- — Arrête de nous mener en bateau et…
D’un geste, Martine fait taire Chloé, elle a perçu dans le ton de la voix de Jacques qu’il voulait révéler quelque chose d’important.
- — Explique-nous ta peur, l’encourage Martine.
- — Je ne peux pas rendre une femme heureuse.
- — Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
- — J’ai déjà été très amoureux d’une femme et elle m’a révélé que je ne pouvais pas rendre une femme heureuse.
- — Mais…. que… pourquoi t’a-t-elle dit cela et pourquoi la crois-tu ? interroge Martine qui peine à comprendre comment Jacques peut croire et affirmer cela comme si s’était une évidence.
- — Je la crois parce que c’est vrai. Lorsque j’ai réalisé à quel point s’était vrai j’ai voulu me suicider et s’il n’y avait pas eu Sabrina, je l’aurais fait.
Les interrogations se bousculent dans la tête de Martine. Comment Jacques peut-il être convaincu de ne pas pouvoir rendre heureuse une femme ? Comment une « simple » déception amoureuse a-t-elle pu pareillement l’endoctriner ? Elle relance la discussion.
- — L’histoire avec cette femme constitue ta seule expérience amoureuse ?
- — Oui, enfin non… la seule qui a compté.
- — Et pourquoi ne pourrait-il pas y en avoir une autre ?
- — Parce que…
Jacques est coincé, il ne sait plus comment échapper à cet interrogatoire, comment éviter de révéler que c’est sa sœur qui décide tout pour lui, y compris ses aventures sexuelles…
Acculé, Jacques finit par dire n’importe quoi pour tenter de mettre fin à cet interrogatoire :
- — Parce que j’ai le Sida.
Surprise de cette réponse inattendue, Martine prend le temps de bien assimiler la réponse de Jacques avant de relancer.
- — Je comprends que c’est une situation personnelle difficile. As-tu peur de transmettre ta maladie ?
- — Oui, je ne veux plus avoir de rapports sexuels, je ne veux pas prendre ce risque, répond Jacques terriblement mal à l’aise.
- — C’est très généreux de ta part, mais n’est-ce pas exagéré, cette abstinence ?
- — Non, grâce à Sabrina j’ai trouvé d’autres manières de vivre des aventures sexuelles.
- — Sais-tu que tu m’as déjà davantage comblée que bien des hommes que j’ai connus ?
- — C’est gentil.
- — Mais alors pourquoi affirmes-tu que tu ne pourras jamais rendre une femme heureuse ? Je ne comprends pas.
- — C’est pourtant évident, je ne pourrai pas lui faire un enfant.
Autant empêtré dans son mensonge que Martine dans son écharpe quelques instants plus tôt, Jacques ne sait plus comment sortir de cette discussion.
Martine prenant le temps de la réflexion, Chloé fait soudain irruption dans la discussion et affirme avec une certaine véhémence :
- — Tu te trompes Jacques, par exemple les lesbiennes peuvent vivre de magnifiques aventures sexuelles sans qu’il y ait de pénétration avec une vraie verge et de bébé à la clé…
Et comme si elle était gênée à l’écoute de son propre discours, Chloé rougit, se ratatine sur sa chaise, et redevient silencieuse.
- — Je n’avais jamais vu ça sous cet angle, sourit Jacques.
- — Je ne sais pas si Chloé a raison, mais en tout cas elle n’a pas tort, formule de manière alambiquée Martine. La maladie n’est certainement pas rédhibitoire pour vivre une histoire d’amour, j’en suis certaine et il y a des milliers d’exemples pour le prouver.
Le silence s’installe autour de la table du petit-déjeuner, jusqu’à ce que Jacques sorte de sa poche son smartphone. Martine décèle une petite grimace sur le visage de Jacques lorsqu’il visualise l’écran de son appareil.
- — C’est Sabrina qui m’appelle, excusez-moi…
Et il quitte la pièce.
Se retrouvant seules, Chloé et Martine font un point de situation.
- — Que penses-tu de tout cela ? demande Martine.
- — Mon impression est qu’il nous a balancé un écran de fumée à la figure et qu’il ne nous a toujours pas dit pourquoi il nous a fait boire un somnifère.
- — Tu ne le crois pas ?
- — Franchement, je suis sceptique, mais je m’en fous en fait.
- — Comment ça, tu t’en fous ?
- — Je crois que je vais rentrer à la maison…
- — Mais hier soir tu faisais des pieds et des mains pour rester avec Jacques et maintenant tu t’en fous ? Tu n’as plus confiance en lui ?
- — Non, ce n’est pas ça… ou peut-être que oui…
- — Allez, crache le morceau, tu as quelque chose d’autre derrière la tête, sourit Martine qui connaît suffisamment son amie pour savoir que le problème doit être ailleurs.
- — Eh bien… ce matin, notre réveil… je…
- — Ce n’était pas agréable ?
- — Si justement, ce… c’était trop bien !
- — Eh bien alors, quel est le problème ?
- — Mais… tu es mon amie, pas mon amante.
- — Je ne peux pas être les deux ?
- — Mais je ne suis pas une lesbienne, je suis normale.
- — Normale ?
Le visage de Chloé s’empourpre et elle baisse les yeux comme une élève prise en faute devant toute la classe. Après un moment de silence, Martine reprend la parole :
- — C’est donc si grave de partager un moment de bonheur ?
- — Tu as tellement raison, mais ça va trop vite, je suis perdue… je ne sais plus ce qui est bien, ce qui est mal… mon mariage… mon amie… Jacques…
- — Je te comprends.
Martine se penche vers son amie, lui dépose un petit baiser sur la bouche et lui chuchote ensuite à l’oreille :
- — Ce matin, j’ai vécu un moment délicieux grâce à toi, merci.
- — Et moi j’ai découvert que l’amour n’a pas de frontière, merci tendre potasse, lui chuchote en retour Chloé.
Les deux complices restent collées l’une contre l’autre en silence durant plusieurs minutes.
- — Mais il fait quoi, Jacques ? s’étonne soudain Martine.
- — Je ne sais pas, mais je te propose de déjeuner, toutes ces histoires m’ont donné faim, ajoute Chloé.
- — Je peux aussi déjeuner ? demande gentiment Martine en regardant Chloé.
- — Évidemment, pourquoi tu me demandes cela ?
- — Parce que j’aurais besoin de récupérer ma main avec laquelle tu fabriques de la compote de doigts depuis tout à l’heure… et je préférerais de la confiture de framboise pour le petit-déjeuner…
* * *
Pratiquement une heure a passé, lorsqu’enfin Jacques réapparaît.
- — Excusez-moi, je suis vraiment désolé, lance Jacques le visage contrit. Je me suis fâché avec ma sœur et… Chloé n’est pas là ?
- — Non, elle est partie, elle est rentrée chez elle.
- — Je vais l’appeler pour m’excuser.
- — Ne t’en fais pas, elle ne t’en veut pas, elle a besoin de prendre un peu de recul, de réfléchir.
- — C’est de ma faute, je dois t’avouer quelque chose, Martine.
- — Non, non ce n’est pas de ta faute.
- — Écoute-moi, je vous ai menti, je n’ai pas le Sida, mais je suis perdu dans ma vie, je manque de confiance en moi je m’accroche à ma sœur qui est ma boussole.
- — Tu as de la chance d’avoir une sueur comme Sabrina.
- — Eh bien je n’en suis pas tout à fait sûr, ma boussole, elle n’indique pas toujours le nord, elle me mène un peu dans toutes les directions.
- — Je ne suis pas certaine de bien comprendre ce que tu veux dire.
- — Ce n’est pas grave, je pense que tous les frères et sœurs de la terre rencontrent des problèmes.
- — Oui, probablement, répète Martine, le regard interrogateur.
- — Oh, mais je m’en veux de vous avoir menti et d’avoir mis mal à l’aise Chloé.
- — Mais moi je suis toujours là, lance Martine en affichant un petit air coquin.
- — Je suis content que tu sois restée.
- — Tu ne te débarrasseras pas de moi si facilement, tu m’as fait une promesse.
- — Ah bon ? Je ne vois pas de quoi tu parles, réplique Jacques en prenant à son tour un air taquin.
La flamme de leur complicité s’est rallumée en un instant. Jacques est soulagé de constater que malgré les derniers événements, la confiance que Martine lui accorde n’est pas remise en question.
- — Tu veux visiter la maison ? propose Jacques.
- — Toi, tu sais parler à une femme curieuse, sourit Martine.
- — Alors, viens, lance affectueusement Jacques en prenant la main de Martine.
- — Pas comme ça, proteste la belle en retirant sa main.
Jacques marque un temps d’arrêt, surpris de cette reculade.
- — Vous oubliez que je suis dangereuse… articule Martine en défiant Jacques du regard.
- — Je ne peux donc pas vous faire confiance ? rétorque Jacques du tac au tac.
- — Aucunement.
- — Je suis donc obligé de prendre des précautions… contraignantes ?
- — Ne pas le faire serait du suicide.
- — Vous m’obligez ?
- — Je vous oblige à m’obliger…
Quelques instants plus tard, Martine est rhabillée d’une douce et contraignante écharpe rouge.
- — Alors viens, lance affectueusement Jacques en prenant bien soin de saisir à nouveau la main de Martin, une main liée dans son dos et qu’elle ne peut plus retirer.
- — Tu as gagné, sourit Martine amusée par le sens de l’humour de Jacques.
Et elle se laisse guider dans la maison par son hôte.
* * *
- — Mais quel con ! hurle Sabrina en précipitant son portable sur le sol.
- — Il va beaucoup moins bien fonctionner maintenant, tente d’enchaîner spirituellement José, le serveur du café des libraires.
- — Ta gueule, José, si j’ai besoin de toi je te sonnerai !
Haussant les épaules, José fait demi-tour et laisse sa patronne en tête à tête avec sa colère. Et ce n’est pas peu dire que la colère règne dans la tête de Sabrina, c’est comme si une usine à vapeur s’était mise à tourner à plein régime dans son crâne. On pourrait presque s’attendre à voir de la fumée sortir par ses oreilles, mais pour l’instant les seules exhalaisons sont des morceaux de phrases crachées dans le désordre :
- — … crétin de frangin, sans cœur… aucune reconnaissance… la première pétasse qui passe… tu vas voir… me suis occupé de toi… salope… et moi, tu penses un peu à moi ?… salaud… mais ça ne va pas se passer comme ça… oh non… jamais… je vais te… oui… c’est ça… c’est exactement ça…
Toujours plantée au milieu du café, les yeux mi-clos, Sabrina reprend doucement le contrôle de ses émotions. C’est même avec un petit sourire qu’elle interpelle son garçon de café :
- — José, pourrais-tu me prêter ton portable s’il te plaît, j’ai un appel urgent à faire.
- — Oui, mais un appel, pas un lancer, d’accord ? répond José un peu taquin, comme si sa patronne ne l’avait pas insulté cinq minutes plus tôt.
- — Merci José et est-ce que par hasard tu connaîtrais le numéro du commissariat ?
* * *
À peine sortie de la maison de Jacques, Chloé sent le poids d’une immense culpabilité lui tomber sur les épaules. Qu’a-t-elle fait ? Son mariage ? Son amie ? Qu’est-elle en train de faire de sa vie ? Sans plus attendre elle prend son téléphone et, désespérée, compose un SMS à l’intention de son mari :
Mon Amour, j’ai fait une immense connerie, je veux en parler avec toi tout de suite, je sais que tu n’es pas à Rio, mais moi aussi je t’ai menti, j’ai besoin que l’on se retrouve, que l’on se parle, que l’on s’aime… viens ! Ta Chloé
* * *
- — Sur le plongeoir ?
- — Oui, je veux que tu me ligotes allongée sur le plongeoir, face au soleil.
- — Et pourquoi le plongeoir ?
- — C’est hyper bandant un plongeoir, on dirait un énorme phallus tout aplati et moi je veux être la nymphe que tu pénètres sur cette verge extatique.
- — T’es quand même grave, sourit Jacques. Et si un voisin nous aperçoit ?
- — Mais je me fous de tes voisins, ce que je veux c’est que tu me domines sur le plongeoir, que tu te transformes en requin et que tu me bouffes toute crue.
- — Je n’aurais jamais imaginé qu’un plongeoir puisse faire autant d’effet, mais il est vrai que j’ai peu d’expérience avec les folles.
- — Tu es drôle Jacques.
- — On va voir si tu tiendras le même discours une fois allongée sur ta planche, pirate.
- — Hum… oui, une étreinte de pirate…. ton idée me plaît Jack…
- — Jack ?
- — Dès à présent, tu es Jack Sparrow et je serai ton Angelica…
- — C’est tiré de quelle histoire ?
- — Crétin ! Mais par contre…
- — Par contre ?
- — Ton écharpe est trop douce pour ce combat, il va falloir songer à des liens plus solides, plus virils.
- — De rugueux cordages de bateaux pirates ?
- — Oui, c’est tentant…
- — De solides nœuds de flibustiers ?
- — Parfait, se réjouit déjà Angelica.
Abandonnant la discussion, Jacques s’en va chercher d’autres liens plus « virils ». Laissée seule, Martine prend la direction du plongeoir, ses poignets et ses bras toujours entravés dans la douceur de l’écharpe. De retour avec de multiples cordes, Jacques trouve Martine assise sur le plongeoir, soulevant ses jambes de manière lascive pour le provoquer.
- — Alors Jack, je te fais peur ?
Sans répondre, Jacques s’approche de Martine, lui prend délicatement la jambe et caresse son mollet.
- — Jack, ce n’est pas une attitude de pirate ça, lui reproche gentiment Martine.
- — Sais-tu pourquoi le supplice de la planche terrifiait les pirates ? questionne Jacques.
- — Heu… à cause des requins ?
- — Non, ma belle, parce que les pirates ne savaient pas nager.
- — Ah bon ? répond Martine qui ne comprend pas où Jacques veut en venir.
- — Et toi, sais-tu nager ?
Sans attendre de réponse, Jacques soulève vigoureusement la jambe de Martine qui bascule en arrière dans le vide séparant le plongeoir de la surface de l’eau. Au milieu d’une gerbe d’écume, Jacques attrape le regard déconcerté de Martine juste avant qu’il disparaisse dans les profondeurs de l’océan.
Bonne nageuse, Martine profite de cet instant de fraîcheur et se laisse descendre au fond de la piscine. C’est seulement après quelques secondes qu’elle prend conscience d’un détail, un minuscule détail : elle est attachée ! Poussant vigoureusement avec ses jambes sur le fond de la piscine elle émerge brusquement à la surface, juste assez longtemps pour proférer un tonitruant « Salaud ! » et déjà sa tête redisparaît sous la ligne de flottaison. Mais cette fois Martine sent une présence à ses côtés et sa tête émerge à l’air libre sans qu’elle ait d’effort à fournir.
- — Petit salaud, répète Martine hilare.
- — Alors belle Angelina, comment c’est, le supplice de la planche à bascule ?
- — Angelica, avec un C comme corde, crétin ou connard…
Jacques sourit, plonge son regard dans celui de Martine et enroule ses bras autour de sa rebelle prisonnière. Sans amarres pour les retenir au bord de la piscine, les deux pirates partent à la dérive sous la ligne de flottaison. Jack vient ventouser ses lèvres contre celles d’Angelica et ils s’enfoncent sous les flots en s’échangeant l’air contenu dans leurs poumons et la passion accumulée dans leurs cœurs.
Durant plusieurs minutes, un étrange ballet en trois dimensions anime la piscine. Une danse rythmée par des ruades désordonnées pour se libérer de leurs vêtements, par les impulsions régulières sur le sol ou les murs du bassin pour remonter se saisir d’une gorgée d’oxygène et surtout par d’étranges contorsions accrobatico-extatiques lors desquelles les deux amants donnent libre cours à leurs pulsions sexuelles.
Après plusieurs minutes de sportive passion, Jacques entraîne Martine dans la partie moins profonde de la piscine. Essoufflés par leurs ébats sous-marins, les deux pirates s’accordent quelques secondes de répit.
- — Alors belle Angelica, prête pour un nouvel abordage ?
- — Oui, mon bel aventurier, viens planter ton étrave juste sous mes entraves.
- — Et que dirais-tu d’un petit canonnage pour commencer ?
- — Touchée, je hisse le pavillon de la reddition.
- — Non, ma belle, pas de quartier chez les pirates
- — Oh, laisse-moi m’affaler, c’est trop fort…
- — La prise est bonne, à l’abordage
- — Oh oui Jack, branle-bas… branle-bas…
Cessant de commenter leurs ébats-combats, les deux amants s’abandonnent au plaisir de leur chair dans de multiples explosions orgasmiques.
* * *
- — Allo, c’est Rémy ? C’est ta chère et tendre Sabrina qui t’appelle.
- — Bon… bonjour Sabrina… heu… je peux faire quelque chose pour vous ?
- — Oui, mon Amour, j’ai besoin de toi, c’est très important.
- — Que… que se passe-t-il ?
- — Je t’appelle de la part de Martine.
- — De… Martine ?
- — Oui, elle souhaite te revoir, car tu l’as beaucoup impressionnée.
- — Mais hier vous m’avez dit…
- — Oui, je me suis trompée, en réalité elle te trouve extraordinaire et ne rêve que d’une chose : aller jusqu’au bout de son attachement avec toi.
- — Ah bon !
- — Mais il y a un problème.
- — Un problème ?
- — Oui, Martine est en danger et seule une personne aussi courageuse que toi pourrait l’aider.
- — Je suis policier, je suis là pour sauver les filles en danger, c’est ma mission !
- — Oui, oui, je n’en doute pas. Il se trouve que Martine est entre les mains d’un dangereux pervers, il faudrait immédiatement l’en délivrer.
- — Où… quand… comment… ?
- — Voilà l’adresse, je suis persuadée que Martine trouvera les gestes pour te remercier de l’avoir sauvée.
- — Vous pouvez compter sur moi Madame, merci Madame, je suis en route Madame….
* * *
Chloé est triste, perdue. Son mari n’a pas répondu à son SMS et son portable est sur messagerie. Elle a également l’impression d’avoir abandonné sa meilleure amie. Elle ne sait que faire…
Sans vraiment s’en rendre compte ni l’avoir décidé consciemment, elle fait demi-tour et reprend la direction de la maison de Jacques.
* * *
Allongés sur le rivage, Jack et Angelica sont épuisés. Ils ont mené bataille jusqu’au bout de leur passion et ont maintenant besoin de récupérer quelques forces.
- — Jacques ?
- — Oui Martine.
- — Tu es le plus formidable pirate des océans.
- — C’est gentil.
- — Mais tu es également le plus beau salaud de la terre.
- — Comment ça ?
- — Je t’avais demandé d’être prise sur le plongeoir et toi tu m’as noyée.
- — Tu m’en veux ?
- — Bien sûr que je t’en veux.
- — Que dois-je faire pour être pardonné ?
- — Tenir ta promesse.
- — Heu… ma promesse ?
- — Eh bien oui, le plongeoir.
- — Quoi ? Tu veux dire que maintenant tu veux encore ?
- — Tu ne t’imagines quand même pas qu’il suffit de faire quelques pirouettes sous-marines pour me rassasier ?
- — Mais… je…
- — On s’était mis d’accord sur un moment viril, pas sur un ballet lacustre.
- — Ce n’était pas bien ?
- — C’était parfait.
- — Mais alors ?
- — Ce n’était pas ce qui était prévu.
- — D’accord, alors que dois-je faire pour satisfaire Madame ?
- — Je veux sécher au soleil en étant ta prisonnière sur le plongeoir.
- — Donc en étant attachée très serrée avec les cordes, c’est bien ça ?
- — Oui et n’oublie pas de bien mouiller les cordes avant de me ligoter afin que la contrainte se resserre davantage lorsque les liens sécheront au soleil.
- — Angelina… ça ?
- — Oui ?
- — Tu es complètement folle
- — Oui… de toi
* * *
Ainsi ce jour-là, à 14 heures 12 précises :
• Un forban fatigué encorde une folle pirate sur un plongeoir.
• Un policier déterminé et stupide fonce à travers la ville la sirène hurlante.
• Un mari trompeur et trompé géolocalise son épouse grâce à son portable.
• Une sœur manipulatrice tente de tirer les ficelles d’un sac de nœuds.