Le concours « 20 ans » s’est achevé il y a quelque temps déjà ; n’ayant pas eu la possibilité de m’y consacrer à l’époque, je propose un peu tardivement ma participation : il s’agit surtout d’un documentaire sur l’Histoire de Revebebe (ou en tout cas sur ce que j’en ai retenu) ; mais ce texte, et notamment toute la partie qui entoure ce documentaire, peut aussi être vu comme une suite de clins d’œil à de nombreux acteurs du site (auteurs, évaluateurs, intervenants) ou de nombreux récits qui m’ont marqué à travers cette histoire.
Merci à Revebebe (le webmaster) pour ses relectures, ses corrections et ses compléments ; et merci à Mirthrandir pour sa participation et son aide à la résolution de cette affaire.
***
Bucarest, immeuble du GNO, jeudi 7, 8 h 56 (heure locale)
- — Alors ? demanda Susan Jordan en entrant dans son bureau. Quoi de neuf ?
Ania, Paco, et Cho, ses trois adjoints, ne levèrent qu’à peine les yeux de leurs écrans.
- — On piétine toujours sur l’affaire Kayle Huang, marmonna simplement Paco.
Le jeune Sud-Américain Paco Kleyner était la dernière recrue de l’agence. Susan l’avait choisi elle-même, non tant pour son charisme et son physique athlétique que pour ses compétences. « Mais tant qu’à faire, autant joindre l’utile à l’agréable… » s’était dit l’inspectrice du GNO lorsqu’il avait fallu trancher entre Paco et ses concurrents. Des concurrentes, d’ailleurs. « Une présence masculine ferait sans doute du bien dans la cellule. »
Depuis qu’elle s’était hissée à la tête de l’antenne locale d’enquêtes paranaturelles du GNO, Susan n’y avait été entourée que de femmes : Anastasia Slotinsky, la jolie Polonaise diplômée en informatique et en physique théorique, qui se faisait plus simplement appeler Ania ; Kosje Chow Yuan, que tous appelaient Cho, une stupéfiante Mandchoue experte en parapsychologie et surdiplômée en langues vivantes et anciennes ; Aeryn Rogers, l’incroyable Bahaméenne, spécialiste en communication et en infiltration…
Mais Aeryn était morte. Un stupide accident, avait-il été conclu ; mais Susan ne s’enlèverait jamais de la tête que ce n’était pas le cas. Un tel accident alors qu’elle revenait tout juste d’une mission d’infiltration de quelques mois, couronnée par l’arrestation d’un réseau international d’occultistes ? Elle avait du mal à y croire.
Quoi qu’il en soit, il avait fallu la remplacer. Le GNO était sollicité de toutes parts, en particulier ses cellules d’enquêtes, réputées pour leur discrétion et leur efficacité. Et aucune cellule locale ne pouvait se permettre la moindre baisse d’activité. Junione Terea, la supérieure de Susan, avait insisté pour que le recrutement se fasse au plus vite. On avait toujours quelques dossiers en réserve, des personnes recommandées ; Junione en avait soumis treize à Susan, qui en avait écarté quelques-uns, pour ne finalement recevoir en entretien que quatre candidats. Et l’inspectrice du GNO avait retenu le seul garçon.
On l’accuserait sans doute de l’avoir choisi pour son physique, mais le curriculum et les qualifications de Paco l’avaient convaincue : diplômé en ethnologie, archéologie et biologie moléculaire, et spécialiste en arts martiaux. Dans ce dernier domaine, elle l’avait même testé en provoquant un petit combat, et le jeune homme l’avait surprise par sa vitesse et sa précision. Dans un véritable affrontement, il lui aurait même sans doute donné du fil à retordre, elle qui était pourtant reconnue dans le monde entier comme une des meilleures combattantes de tinh-chi-oa.
- — On vient d’avoir un drôle d’appel, Madame, annonça Cho en reculant son fauteuil à roulettes, et en se tournant vers sa supérieure après avoir retiré son casque 5D.
Susan l’observa avec intérêt. La belle Chinoise poursuivit :
- — La police népalaise a arrêté un groupe d’Occidentaux qui partaient sans la moindre préparation à l’assaut du Kangchenjunga.
L’inspectrice en chef haussa les épaules.
- — En quoi cela nous concerne-t-il ?
- — Les autorités népalaises ne comprennent pas. Ces hommes et femmes n’étaient pas préparés à une telle ascension, leur condition physique n’est pas excellente, plusieurs sont âgés, ils n’avaient pas le matériel nécessaire… Et leurs interrogatoires ont désemparé la sûreté sud-asiatique. Ils tenaient des propos incohérents, affirmant devoir se rendre au sommet du Nanga Parbat pour le bien de l’humanité. Mais c’est à l’assaut du Kangchenjunga qu’on les a récupérés.
- — J’ai réussi à obtenir les comptes-rendus des services secrets népalais, poursuivit Ania en repoussant à son tour le siège à roulettes de son large bureau, et nous venons de les parcourir.
Susan sourit. Elle ne demanda pas si l’espiègle Polonaise avait rassemblé les autorisations nécessaires, et se doutait bien qu’elle était parvenue à entrer illégalement dans le réseau de sécurité népalais.
- — Je ne comprends rien au népalais, poursuivit la petite blonde, mais Cho pense qu’il s’agirait d’une sorte de secte.
- — Ils étaient une dizaine, continua l’Asiatique, fortement alcoolisés, mais tous a priori sans histoires, inconnus des services secrets et pour la plupart sans casier judiciaire dans leur pays d’origine. Leurs motivations individuelles restent obscures, mais leurs témoignages semblent converger vers un Européen qui se ferait appeler Radagast, qui semblerait être leur gourou et qui les aurait convaincus de partir à l’assaut du Kangchenjunga.
- — Dans quel but ? demanda Susan.
- — Personne n’en sait rien. Les réponses du gourou sont aberrantes et les autres témoignages semblent incohérents. La police népalaise a d’abord mis cela sur le compte de l’alcool, les considérant simplement comme des touristes éméchés, mais même après plusieurs heures de dégrisement, leur comportement a continué de sembler absurde.
- — Je pense que c’est pour ça qu’on nous a contactés, reprit Ania. Pas d’explication naturelle, des répercussions probablement internationales, des relations tendues entre les différents pays concernés…
- — Comment ça ?
- — Le Népal et la Belgique… L’un des hommes capturés est belge, et les relations népalo-belges sont en froid depuis le quart de finale de base-ball féminin il y a onze ans.
- — Ah ! c’est vrai, j’avais oublié…
Susan soupira. Le base-ball féminin prenait une place de plus en plus importante dans la société.
- — Il y a autre chose ! s’exclama Paco en retirant à son tour son casque 5D pour se tourner vers les trois femmes. Revebebe !
- — De quoi ?
- — Revebebe, c’est le nom de la secte. Basée en France.
Susan Jordan haussa les sourcils, puis ferma les yeux avant de soupirer à nouveau. Revebebe… Ce nom la plongeait des années en arrière… dans une autre enquête… et l’emplissait d’amertume… Une enquête non résolue, une des rares, une des seules déceptions de sa vie professionnelle… Mais des souvenirs aussi… des souvenirs qu’elle s’était efforcée d’oublier… et qui venaient de refaire surface en un instant, à travers un simple nom… Elle sentit une boule dans son estomac. Ou bien était-ce plus bas ?
Elle rouvrit les yeux et croisa le regard de Paco.
- — Quelque chose ne va pas ?
- — Tout va bien, Paco, c’est juste que…
L’inspectrice tira à son tour un fauteuil dans lequel elle se laissa tomber.
- — C’est juste que ce n’est pas la première fois que j’entends ce nom. Revebebe… Une de mes enquêtes, il y a quelques années, m’a déjà menée à ce… à cette… cette secte, comme vous dites.
Ania avait réajusté son casque 5D et ses mains virevoltaient à toute allure devant elle, comme sur un clavier virtuel.
- — Je l’ai ! s’écria-t-elle bientôt. Dans les archives du GNO. Août 2010. Un homme arrêté par la police suisse après s’être enfermé sous terre avec des vivres et une grande caisse de…
Elle marqua un temps d’arrêt, hésitante.
- — … de lubrifiant ?
- — Oui, de lubrifiant, souffla Susan. Une bien étrange histoire. Apparemment anodine. Un peu comme aujourd’hui. Nous avons été contactés quelques jours après les faits. Voici ce dont je me souviens : l’homme arrêté semblait fuir quelque chose, une grande menace selon ses dires lors de l’interrogatoire ; il s’était en effet enfermé dans une caverne, avec des vivres pour tenir plus d’un mois, et prétendait qu’on en voulait à son intimité ; ses propos confus avaient mené les enquêteurs à examiner son entourage et nous avaient conduits à cette organisation, Revebebe.
- — Pourquoi le GNO avait-il été saisi ?
- — Pour le grand nombre de témoins et de suspects. Ce qui avait initialement semblé une psychose ou un délire individuel s’était avéré d’une ampleur insoupçonnée : un grand nombre de personnes y étaient mêlées et semblaient sous l’emprise d’une hallucination collective.
- — Et comment cela s’est-il terminé ?
Susan soupira une nouvelle fois. Mais ce fut la jolie Polonaise qui répondit :
- — Affaire non résolue, toujours ouverte. L’interpellé a été relâché après des examens approfondis, et placé sous protection policière. Les interrogatoires n’ont rien donné. Plusieurs personnes semblent avoir été soupçonnées, mais toutes ont été relâchées, et aucun suspect n’est mentionné.
Pourtant, pensa l’inspectrice, il y en avait bien un… Elle avait mené cette enquête elle-même, elle se souvenait bien du suspect principal… Alors qu’elle se perdait de nouveau dans ses pensées, Paco et Cho s’étaient rééquipés de leurs casques 5D et parcouraient l’extra-web.
- — Et vous pensez que ces deux affaires pourraient être liées ? demanda le jeune métis.
- — Hmmm… ce n’est pas à exclure, répondit l’informaticienne polonaise. Même apparence anodine, des comportements absurdes, des délires collectifs… et surtout cette secte…
- — Oh, oui ! s’exclama soudain Cho en ôtant son casque. Regardez ça, l’homme retranché sous terre était belge et s’appelait Mithrandir ! Radagast… Mithrandir… ça ne vous évoque rien ?
- — Mirthrandir, répondit Susan.
- — Hein ?
- — Ce n’est pas Mithrandir, mais Mirthrandir.
La linguiste replongea un instant dans sa 5D.
- — Oui, en effet… concéda-t-elle. Mais n’importe. C’est plus qu’un indice. Il faut fouiller du côté de Tolkien ou des langues elfiques. Peut-être devons-nous chercher un certain Saroumane…
- — Ce doit être une faute de frappe lors de la copie des rapports, proposa Ania.
- — Non, ce n’est pas une faute de frappe, assura Susan. Je l’ai rencontré, je l’ai interrogé… Il nous a aidés pour l’enquête… Mais tout est resté au point mort.
C’était faux, et l’inspectrice le savait. Elle et son équipe avaient remonté la principale piste et avaient même arrêté un suspect. Elle était jeune inspectrice adjointe, alors, tout juste promue comme investigatrice et habilitée à diriger une petite équipe. Mais rien ne concordait, les preuves étaient maigres, les témoignages discordants… et le suspect…
Pourquoi fallait-il que tout ça remonte à la surface ?
- — Madame ? Tout va bien ?
Elle se reprit ; se leva.
- — Cho, vous filez au Népal interroger ce Radagast et ses apprentis alpinistes. Ania, rendez-vous en Belgique interroger Mirthrandir et obtenir le maximum d’information sur l’organisation.
- — Et moi ? demanda le jeune Sud-Américain.
- — Vous, vous restez avec moi, je pourrais avoir besoin de vous.
Les deux adjointes regardèrent leur supérieure avec étonnement. Celle-ci parut rougir puis détourna les yeux.
- — Euh… enfin… ce que je voulais dire, c’est que je vais devoir m’absenter et qu’il nous faudra à toutes les trois un correspondant ici.
- — Ah… un secrétaire, quoi…
- — Voilà, si vous voulez. Allez, Mesdemoiselles, et tenez-moi au courant.
***
Bucarest, sous-sol de l’immeuble du GNO, jeudi 7, 9 h 45
- — J’ai l’impression que Susan ne nous dit pas tout…
Ania et Cho marchaient côte à côte d’un pas soutenu dans le parking souterrain ; l’informaticienne portait un sac à dos par-dessus son manteau d’hiver ; la linguiste était vêtue d’une combinaison de cuir et tenait un casque de moto
- — À propos de Paco ? Tu penses qu’elle voulait rester seule avec lui ?
- — Non, non, répondit la jolie Chinoise en rajustant derrière son oreille une longue mèche sombre. À propos de cette vieille enquête. Comme si quelque chose la mettait en difficulté.
Elles s’arrêtèrent à côté d’un coupé noir garé entre deux berlines luxueuses.
- — N’empêche, reprit Ania en ouvrant la porte de la voiture de sport, j’ai bien l’impression qu’elle en pince pour Paco…
Elle jeta son sac à dos sur la place du passager puis se tourna vers sa collègue et la prit par la taille.
- — Sois prudente.
- — Oui, toi aussi.
Les deux jeunes femmes s’embrassèrent à pleine bouche. Puis la blonde sculpturale s’assit au volant de la voiture de sport et claqua la portière tandis que la belle Asiatique s’éloignait vers un roadster rouge rutilant garé quelques mètres plus loin.
***
Bucarest, immeuble du GNO, jeudi 7, 11 h 12
En revenant des toilettes, Paco repensait au changement d’attitude de sa supérieure. Depuis qu’il avait rejoint l’équipe de Susan Jordan, il avait bien remarqué que la jeune quarantenaire en pinçait pour lui. C’était une très belle femme, elle ne le laissait pas indifférent, lui non plus ; elle avait une telle aura… Et la différence d’âge l’attirait ; il l’imaginait femme d’expérience, ayant vécu tant de choses incroyables, rompue à toutes sortes de pratiques…
Et c’était la première fois qu’il se retrouvait seul avec elle. Il avait tenté de se montrer plus séducteur, plus empressé, plus obligeant ; puis l’avait effleurée, frôlée, à plusieurs reprises. Mais à l’évidence elle ne répondait pas à ses attentions. D’ailleurs elle ne semblait plus la même depuis ce matin. Elle d’habitude si resplendissante, si charismatique, si provocante même… paraissait à présent terne, morose… préoccupée, sûrement. Était-ce cette affaire qui leur tombait dessus ?
Lorsqu’il ouvrit la porte du bureau, il la trouva équipée d’un casque 5D, en pleine conversation.
- — Non, ça m’en coûte, mais je pense que je vais avoir besoin de ton aide.
Ayant remarqué le retour de Paco, elle mit rapidement fin à son entretien.
- — Je dois te laisser. Au revoir.
Elle ôta son casque et ses yeux tombèrent dans ceux du jeune Sud-Américain. Embarrassé, celui-ci finit par demander :
- — Euh… désolé… j’aurais peut-être dû frapper…
Elle soutint un instant son regard. Qu’est-ce qu’il était beau ! En temps normal, seule avec lui, elle aurait sûrement craqué. Mais là…
- — Un problème ? Est-ce que je peux vous aider ? demanda encore Paco.
Susan sourit. Après tout, qu’est-ce que ça changerait ? Au pire rien ; au mieux, ses idées !
- — Peut-être… répondit-elle avec un brin de malice.
Elle se leva, contourna le jeune homme et ferma à clé la porte du bureau derrière lui.
***
Katmandou, consulat de l’union occidentale, jeudi 7, 23 h 30 (HL)
- — Voyez vous-même, il n’y a rien à en tirer !
Cho était dépitée. Tout ce voyage pour rien. Les hommes arrêtés en plein Himalaya par les pisteurs de la police népalaise avaient apparemment perdu la raison. Un niveau entier de l’aile gauche du palais consulaire avait été fermé et les treize rescapés y avaient été confinés. La police avait souhaité les emprisonner, des avocats internationaux avaient plaidé l’irresponsabilité, mais l’ambassadeur de Belgique avait usé de son influence pour éviter l’internement aux ressortissants occidentaux (et surtout parce que ça l’amusait beaucoup de faire chier le gouvernement népalais ; quand même ! ce match de base-ball féminin d’il y a onze ans n’allait pas s’oublier comme ça !).
Une attachée consulaire avait conduit Cho jusqu’à un bureau de surveillance où de nombreux écrans diffusaient en permanence les images capturées par les caméras de tout le palais. Et sous ses yeux, les treize personnes à moitié nues se conduisaient de façon irrationnelle, courant, sautant, criant, chantant, levant les bras ou s’agenouillant dans des simulacres de prosternation ou d’accouplement.
- — Ils sont ivres ?
- — Non, ils n’ont pas absorbé d’alcool depuis leur retour.
- — Ben c’est peut-être ça, alors…
- — De quoi ?
- — Non rien. Ils sont suivis par un toubib ?
- — Oui, plusieurs, même. Une équipe de médecins se relaye auprès d’eux, mais sans la moindre piste.
- — Est-ce que je peux rencontrer leur… euh… leur…
- — Leur gourou ? Celui qui se fait appeler Radagast ?
- — Oui, voilà.
***
Bruxelles, bâtiment du consortium de la fédération picarde, jeudi 7, 19 h 55 (HL)
- — Je ne peux rien vous dire de plus, je vous assure !
Ania se montrait pressante auprès du dénommé Mirthrandir, mais sans vraiment de succès.
- — Même au vu de ces événements récents ?
- — Non… enfin… c’est vrai, j’ai été contacté par Radagast il y a quelques semaines, mais je n’ai pas donné suite.
- — Est-ce en lien avec votre… euh… votre fuite souterraine de 2010 ?
- — Non, tout ça c’est de l’histoire ancienne, ça n’a rien à voir.
- — Vous en êtes bien sûr ? Pourquoi fuyiez-vous en 2010 ? Que fuyiez-vous ?
- — Ne remuez pas le passé, mademoiselle… il n’y a rien de bon à en tirer…
***
Bucarest, immeuble du GNO, vendredi 8, 8 h 04 (HL)
- — J’ai l’impression que vous ne nous avez pas tout dit, Madame.
Tracassée, Susan Jordan observait à tour de rôle ses collaboratrices. Ania et Cho étaient toutes les deux revenues, avec bien peu de renseignements, mais avec un nom, bien réel… un nom qui l’inquiétait et la faisait souffrir.
- — Le Belge qui s’était caché sous terre, Mirthrandir, a évoqué un certain Gufti Shank…
- — Et c’est aussi un nom que nous avons pu deviner au milieu des balbutiements ineptes des rescapés du Kangchenjunga…
- — Comment se fait-il que ce nom n’apparaisse nulle part dans les comptes-rendus de l’affaire Mirthrandir ? demanda Paco en ôtant son casque 5D.
L’inspectrice en chef baissa les yeux. Devait-elle tout leur avouer ? Au risque de devoir rouvrir une vieille enquête ? Au risque de se compromettre ? Elle prit une profonde inspiration avant de répondre.
- — Bien, écoutez-moi attentivement… commença-t-elle.
Mais elle n’eut pas le temps de poursuivre. Elle fut interrompue par l’ouverture de la porte automatique du vaste bureau et par l’entrée d’une femme âgée à la peau noire vers laquelle tous les quatre levèrent des yeux déférents.
- — Junione ! souffla Susan en découvrant sa supérieure dont la venue ne lui avait pas été annoncée.
Les trois autres se levèrent respectueusement.
- — Bonjour à tous. Veuillez excuser mon irruption. Je vous en prie, Susan, poursuivez…
- — Euh… je… euh…
- — Hmmm… vous ne leur avez encore rien dit ? l’interrompit la vieille dame. Asseyez-vous, jeunes gens, et écoutez-moi bien. Sans cette lamentable affaire de 2010, Susan Jordan occuperait à présent ma place, et je pourrais enfin couler une retraite que je pense avoir bien méritée. Mais figurez-vous que…
Elle dut s’interrompre à son tour, car Susan s’était levée et sortait. Paco aurait juré qu’elle avait des larmes au coin des yeux.
- — Hmmm, la douleur est encore bien vive, commenta Junione lorsque l’inspectrice eut disparu.
- — Mais enfin, de quoi parlez-vous ? la pressa Ania.
- — Gufti Shank… souffla la vieille dame. Août 2010. L’affaire Mirthrandir. Susan dirigeait l’enquête du GNO. Tous les faisceaux d’indices pointaient vers cet homme, à commencer par la déclaration du rescapé. Susan a mené une longue enquête, pour rechercher le principal suspect, pour décortiquer ses activités, recouper les divers témoignages, relever et étayer les différentes preuves… Puis lorsqu’elle en a découvert le refuge, elle a rencontré ce Gufti Shank.
Elle marqua un long silence.
- — Et ?
- — Et l’enquête a rapidement conclu qu’il n’avait rien à voir avec tout ça. Un peu trop rapidement à notre goût. Dès lors, nous avons perdu toute trace de cet homme. Quelqu’un a effacé les rapports, falsifié les preuves, altéré les dépositions et fabriqué de faux témoignages. Maquillé la vérité en quelque sorte.
- — Mais… vous pensez que c’est Susan qui a fait ça ?
- — Nous n’avons jamais pu le prouver, mais…
La vieille dame fut interrompue à son tour par le retour de l’inspectrice.
- — … mais le GNO en a toujours été persuadé, soupira-t-elle en revenant auprès de ses collègues.
Elle s’essuya les yeux en revenant s’asseoir au milieu de son équipe.
- — Vous ne nous avez pas beaucoup aidés dans cette affaire… lâcha Junione d’une voix froide.
- — Eh bien ! je peux peut-être me rattraper maintenant, assura Susan.
Paco avait l’impression qu’elle reprenait peu à peu confiance en elle.
- — Je sais où le trouver, poursuivit-elle. Et même si je reste persuadée qu’il n’avait rien à voir avec cette affaire de 2010…
- — Comment pouvez-vous en être si sûre ? demanda sèchement la vieille femme.
- — Je le sais, c’est tout !
- — Pfff… bon, et donc ? où se cache-t-il ?
- — Je vais vous conduire à lui.
***
Hôtel Overlook, île Banana, Europe de l’Ouest, vendredi 8, 10 h 53 (HL)
- — Bienvenue Mesdames, bienvenue Monsieur, à l’hôtel Overlook. Que puis-je pour vous ?
Paco, pourtant rompu aux charmes de ses collègues, avait bien du mal à rester de marbre devant l’allure de la jeune femme incroyablement belle qui était sortie du vaste manoir pour accueillir les cinq enquêteurs du GNO descendus du bateau. Ania et Cho elles-mêmes la dévoraient des yeux en silence.
- — Nous devons rencontrer votre… euh… votre employeur, bredouilla Susan.
Le sourire mystérieux par lequel répondit leur interlocutrice la rendit plus ravissante encore aux yeux du jeune Sud-Américain.
- — Et qui dois-je annoncer ?
- — Susan Jordan et la commission d’enquête du GNO.
- — Ah oui… Gufti m’en a parlé. Suivez-moi, je vous prie.
Elle pivota et fit quelques pas en direction de l’intérieur du manoir ; ses fesses magnifiques ondulaient en roulant sous sa longue tunique pourpre.
- — Eh, tu veux que je t’aide ? murmura Cho en pinçant la main d’Ania.
Celle-ci rougit quelque peu en levant discrètement des yeux taquins vers sa compagne. Mais alors qu’ils allaient tous franchir le large portail orné de deux lettres qui délimitait l’hôtel Overlook, ils durent s’arrêter pour laisser passer un couple qui en sortait. Sans doute des touristes, pensa Susan ; apparemment des Américains.
- — Mais enfin, Don, criait la femme à son compagnon qui la tirait par la main, pourquoi devrions-nous quitter si vite cet endroit charmant ?
- — Karen, cet endroit n’a rien de charmant ! lui répondit l’interpellé. Ce Gufti Shank s’est complètement foutu de nous. Et puis de toute façon, l’Europe, c’est naze ! Nous serons mieux à Chicago.
- — Au revoir, Monsieur Booth, dit gentiment la sculpturale jeune femme qui les avait accueillis, en s’effaçant pour les laisser passer. J’espère que votre séjour vous a été agréable.
L’homme s’immobilisa devant elle et parut soudain se radoucir.
- — Ah, Aurélie ! reprit la dénommée Karen. Encore un grand merci pour tout, nous avons passé un séjour inoubliable. J’espère que nous aurons l’occasion de nous revoir, n’est-ce pas, Don ?
- — Ggrmpff… mouais…
- — Au revoir, Karen, moi aussi j’ai passé un très bon moment avec vous. Au plaisir !
Et le couple partit vers le quai d’où les enquêteurs étaient arrivés.
Quelques minutes plus tard, leur hôtesse les introduisit dans une vaste salle de réception, puis s’éclipsa tandis qu’ils s’y installaient. Et elle revint un instant après en compagnie d’un homme vers lequel Susan se précipita dès qu’elle l’aperçut.
- — Oh Gufti ! cria-t-elle en se jetant sur lui pour le serrer dans ses bras. Tu m’as tellement manqué !
La jeune femme brune qui les avait accueillis s’était écartée et considérait d’un œil sombre l’inspectrice qui avait sauté au cou de l’homme qu’elle était allée chercher.
- — Euh… Madame…
- — Du calme, Susan, tu vas m’étouffer… bredouilla le nouveau venu en repoussant doucement l’enquêtrice du GNO.
Il se rapprocha de la jeune femme qui les avait accueillis.
- — Hmmm… Aurélie, laisse-moi te présenter Susan, qui a… euh… disons… enquêté sur moi il y a quelques années… Susan, voici Aurélie, qui…
- — Qui partage sa vie, compléta la jolie brune d’une voix assurée.
Toutes les deux se lancèrent un regard noir sinistre et menaçant, tandis que l’homme s’avançait vers les enquêteurs du GNO qui ne l’avaient pas quitté des yeux.
- — Bonjour, Madame, fit-il avec un sourire charmeur en s’approchant de Junione.
La vieille femme avait bien du mal à l’admettre, mais elle était impressionnée par le charisme et la prestance de leur hôte. « Ah, si j’avais vingt ans de moins… » pensa-t-elle, fascinée par ce sourire et par ses yeux lorsqu’il lui serra la main. Elle prenait soudain vaguement conscience de ce qui avait poussé Susan Jordan à agir de la sorte quelques années plus tôt.
- — Bonjour, répéta-t-il en saluant tour à tour Cho et Ania.
La jolie Chinoise n’avait jamais été aussi troublée par un homme, et à voir son regard exalté, sa compagne polonaise ressentait les mêmes émois.
- — Bonjour, fit-il une dernière fois en serrant la main de Paco.
Celui-ci le salua poliment en retour, mais se rapprocha de Susan en gonflant le torse. Même s’il devait lui reconnaître un certain magnétisme, il avait instinctivement ressenti une vive animosité envers cet homme, qu’une sorte d’atavisme primaire l’avait poussé à considérer comme une menace.
- — Asseyez-vous, je vous en prie, continua-t-il lorsque Susan eut fait toutes les présentations. Comment puis-je vous aider ?
Un long silence suivit la question. Paco observa rapidement ses collègues ; toutes paraissaient ensorcelées, même la vieille Junione. Ce fut donc lui qui répondit finalement :
- — Connaissez-vous un certain Radagast ?
- — Radagast ? Oui, c’est le troisième magicien dans le Seigneur des Anneaux. Il y a Mithrandir, Saroumane et Radagast.
Grrr ! Paco bouillonnait sur son fauteuil. Ce type l’horripilait.
- — Nous sommes ici pour l’affaire Mirthrandir, reprit-il en prenant sur lui-même pour rester convenable.
- — L’affaire Mirthrandir ? répéta leur hôte. Je croyais cette histoire classée et résolue depuis longtemps.
- — Oui, mais il y a autre chose… poursuivit Susan, sortant enfin de sa torpeur. Une douzaine d’hommes et de femmes ont été secourus il y a quelques jours dans le massif du Kangchenjunga, dont ils étaient partis à l’assaut sans la moindre préparation. Ils tenaient des propos absurdes, et…
- — Et ?
- — Et ils ont tous un lien avec l’organisation Revebebe.
- — Hmmm… acquiesça Gufti Shank en hochant la tête.
- — Alors, Radagast ? demanda Ania. Ce nom vous dit-il quelque chose ?
L’homme lui sourit en retour et elle dut faire un effort pour ne pas dévoiler son trouble ; ses fossettes la faisaient fondre sur place.
- — Hmmm… oui, en effet. C’est un des agents dormants de l’organisation Revebebe, vous avez raison. Ils sont venus nous voir, lui et un petit groupe de conspirateurs, il y a…
Il se tourna vers sa compagne, la questionnant du regard.
- — Un bon mois, répondit-elle. Ils étaient une vingtaine. Ils ont passé quelques nuits ici.
- — Pour quelle raison ?
- — Pour quelles raisons des hommes et des femmes vont-ils à l’hôtel ? rétorqua la somptueuse jeune femme avec un sourire espiègle.
- — Pfff ! grommela Susan. C’est ridicule ! Vous savez très bien qu’il ne s’agit pas de cela !
- — Nous n’avons pas pour habitude de divulguer les habitudes ou les motivations de nos clients… riposta leur hôtesse.
- — Allons, du calme, je vous en prie, intervint Cho en s’efforçant de ne pas regarder l’homme dans les yeux. Nous nous sommes renseignés, Monsieur Shank : nous savons que ce n’est pas un hôtel ordinaire ; nous ne voulons pas savoir ce qu’y font vos clients, mais si vous savez quelque chose, vous devez nous aider.
L’homme et sa compagne se regardèrent un moment avec ce qu’Ania prit pour de l’inquiétude. Elle poursuivit :
- — Lorsque j’ai rencontré le dénommé Mirthrandir, il a confusément évoqué un certain Bazouk…
À côté d’elle, Susan remua dans son fauteuil, visiblement mal à l’aise. Leur hôte la remarqua et s’adressa à elle :
- — Il me semble que tu peux tout leur dire, désormais…
L’intéressée baissa les yeux et soupira longuement. Relevant la tête, elle parut un instant chercher du regard le soutien de l’homme. Paco avait de la peine pour elle ; elle, si magnifique, si délicieuse, ainsi accablée à la botte de cet ignoble séducteur de pacotille. Mais elle répondit finalement d’un ton las :
- — J’ai classé cette affaire en août 2010 après avoir découvert que l’origine de tous ces troubles était… était… euh… une créature magique au service de Gufti Shank. Un génie maléfique dans une bouteille.
Aurélie pouffa. Elle allait intervenir, mais son compagnon l’arrêta en posant une main sur la sienne. En face d’elle, les enquêteurs du GNO avaient levé les sourcils, mais ne semblaient pas plus désemparés que cela. En leur qualité de membres de la cellule de recherches paranaturelles du GNO, ils en avaient déjà vu d’autres.
- — De ce dont je me souviens, le dénommé Mirthrandir aurait cherché à s’emparer de cette créature. Il aurait agi a priori avec de bonnes intentions, apparemment pour le soustraire au monde, car cette créature était responsable de bien des malheurs. Craignant la colère de Gufti Shank qui avait levé une milice pour le rattraper, il se serait enfui et de nombreux innocents ont été…
- — Mais c’est n’importe quoi ! coupa vivement la jolie brune sans que son compagnon ne parvienne cette fois à la contenir. Moi je crois surtout que vous vous êtes tellement amourachée de Gufti et que vous êtes tellement déçue de voir que vous ne pouvez pas vous réfugier dans ses bras, que vous êtes prête à raconter n’importe quoi !
Cho et Ania se regardèrent. Aurélie poursuivit tandis que Susan maugréait :
- — Ça ne s’est pas du tout passé comme elle dit. Mirthrandir a demandé à Gufti de lui prêter Bazouk, qui au passage n’est pas une créature maléfique dans une bouteille…
Elle lança à Susan un nouveau regard sombre.
- — … mais un gentil génie un peu maladroit dans une théière… et puis voilà, ça a évidemment encore déconné ! Bazouk n’a pas réussi du premier coup, Mirthrandir s’est pris un sort à la con, il est devenu fou furieux, il a fallu l’arrêter, y a plein de gens qu’ont reçu un ou deux éclairs au passage, mais c’est bon, tout est rentré dans l’ordre, comme d’hab !
Un silence gêné et confus lui répondit.
- — Mais franchement, Gufti, tu aurais pu me dire qu’il y avait eu une enquête du GNO sur ça !
- — Euh… je ne voulais pas t’inquiéter inutilement, ma puce…
- — Mouais, c’est ça… et pour elle ? rétorqua-t-elle en désignant Susan. Tu ne voulais pas non plus m’inquiéter inutilement ?
Paco ricana. Tiens, ça lui ferait les pieds, à ce crétin ! Il se sentit pousser des ailes lorsque la jolie brune posa sur lui ses yeux courroucés.
- — Mais, Susan, reprit Junione, pourquoi avoir tout caché ?
- — C’est moi qui le lui ai demandé, répondit leur hôte. Je ne souhaitais pas que l’existence de Bazouk soit rendue publique ou officialisée. Même pour le GNO. Et comme…
- — Et comme elle était folle de toi, le coupa Aurélie, elle s’est empressée de le faire ! Voilà ! Pffff…
Ses quatre collègues levèrent vers l’inspectrice des yeux interrogateurs. Son silence était un aveu. Hésitant, Paco prit dans la sienne la main de Susan pour la réconforter.
- — Et… demanda Ania, que voulait-il, Mirthrandir ? Pourquoi avait-il besoin de ce… Bazouk ?
- — Pfff ! souffla Aurélie.
- — Joker… répondit Gufti Shank en souriant. Il parcourut un instant avec un regard amusé ses interlocuteurs, puis poursuivit d’un ton plus sérieux : je dois vous avouer que je souhaiterais vivement proroger l’absence d’officialisation de l’existence de cette créature ; et je suis prêt, pour cela, à aider le GNO dans ses recherches, comme je l’ai déjà fait par le passé.
Tous le regardèrent avec étonnement. Tous sauf Susan Jordan, qui savait, elle. Elle savait, car elle avait déjà demandé à plusieurs reprises l’aide de Gufti Shank ; il l’avait aidée à mener à leur terme certaines de ses enquêtes les plus difficiles.
- — C’est vrai, ça, Gufti ? Décidément, j’en apprends de belles…
Pour le plus grand bonheur de Paco, la jeune femme venait de repousser la main de son compagnon qui avait voulu la lui saisir.
- — Hmmm… nous verrons cela, répondit finalement Junione. Et concernant ce Radagast ?
- — Eh bien, comme nous vous l’avons dit, ils sont venus à une vingtaine il y a quelques semaines. Ils ont évoqué plusieurs projets et m’ont proposé de me joindre à eux, mais j’ai décliné. Et ils sont partis.
- — Quelle sorte de projets ?
- — Rien de bien palpitant, il était surtout question d’investissement dans des vignobles, des distilleries, des brasseries, des caves… À mon avis, rien qui intéresse le GNO…
- — Vous voudrez bien nous laisser en décider.
Paco, qui caressait désormais doucement l’avant-bras de Susan en provoquant du regard la somptueuse compagne de l’abjecte crapule qui se permettait de traiter d’égal à égal avec eux, eut un rictus agacé en voyant la brunette s’agiter à son tour dans son fauteuil et reposer sa main sur la cuisse de la crapule.
- — Euh… Gufti… il y a peut-être autre chose à leur dire…
- — À quoi penses-tu, ma puce ?
- — Le soir, vers minuit, lorsqu’ils avaient tant bu… tu te rappelles ?
- — Oui, j’étais monté me coucher. Eh bien ?
- — Eh bien, ils se sont montrés un peu… pressants… insistants…
- — Que veux-tu dire ? Avec toi ? Ils t’ont touchée ?
- — Non, non, pas du tout. Mais ils ont insisté pour que j’intercède auprès de toi, pour que tu veuilles bien les aider… et comme j’ai éludé, ils ont voulu… ils ont voulu s’emparer de Bazouk…
- — Hein ? Mais…
- — Oui, ils rigolaient en expliquant que c’était très important, et deux d’entre eux ont tenté de me prendre la théière. Mais j’ai conjuré Bazouk et il ne s’est pas laissé faire, il leur a lancé un sort d’apaisement. Ils se sont tous mis à baiser dans tous les sens et j’ai cru que le problème était réglé. Ils sont partis tôt le lendemain matin.
- — Oui, avant que je me lève. Mais pourquoi ne m’en as-tu pas parlé ?
Paco se délectait de la situation.
- — J’ai l’impression qu’il y a un sérieux problème de communication dans cette maison… persifla-t-il.
Leurs deux hôtes lui lancèrent un regard noir et la jeune femme continua :
- — J’ai juste mis ça sur le compte de l’alcool, et euh… disons que j’ai l’habitude que des types bourrés se montrent un peu insistants avec moi. Ça m’a plutôt amusée de les voir finir en partouze générale. Mais maintenant que j’y pense… c’est peut-être comme avec Mirthrandir. Si tous ces gens agissent de façon incohérente et tiennent des propos absurdes… nous devons peut-être les aider…
***
Hôtel Overlook, vendredi 8, 12 h 10
- — En tout cas, je les ai rencontrés, et je peux vous assurer que leur comportement inquiète même les médecins népalais.
Cho avait raconté son voyage à Gufti Shank. Elle lui avait décrit l’état des hommes et des femmes qu’elle avait rencontrés. Et il avait alors émis l’hypothèse que c’étaient les effets conjugués de l’alcool et du sortilège d’apaisement qui les avaient rendus si étranges. Il s’absenta quelques minutes, pendant lesquelles Aurélie conduisit les enquêteurs du GNO dans une vaste salle à manger où un somptueux repas les attendait.
- — Avez-vous leurs noms ? demanda le maître des lieux lorsqu’il revint.
La séduisante Chinoise acquiesça et chercha un instant dans son smartphone, puis égrena une longue liste de noms.
- — Ce sont tous des agents de l’organisation Revebebe, commenta Gufti Shank lorsqu’elle eut terminé. Je pense connaître un moyen de les ramener à la raison avec l’aide de mon serviteur. Un sortilège inverse, qui les rende à eux-mêmes, qui leur ramène leurs esprits. Mais pour cela, il nous faut connaître ces esprits, en apprendre beaucoup sur eux, explorer leurs rêves, leurs fantasmes, leurs désirs, découvrir les secrets de leurs âmes.
- — Rien que ça… railla Paco. Et comment comptez-vous vous y prendre ?
- — Nous allons parcourir Revebebe.
Sa réponse à la fois simple et mystérieuse avait désemparé ses interlocuteurs. Seule Ania, l’informaticienne aguerrie, avait une idée de ce qu’il entendait.
- — Vous avez des explorateurs virtuels 5D ? questionna-t-elle.
- — Non, inutile. Comme vous l’avez dit tout à l’heure, l’hôtel Overlook n’est pas un hôtel comme les autres. Terminons notre repas, et Aurélie nous guidera dans les méandres de Revebebe.
***
Hôtel Overlook, vendredi 8, 13 h 41
Le repas fut expédié en silence, puis leurs hôtes conduisirent les cinq enquêteurs du GNO à travers plusieurs couloirs jusqu’à une première chambre dont Aurélie ouvrit la porte en marmonnant :
- — Gufti, je te préviens, hors de question que tu t’allonges avec cette Susan !
L’interpellé sourit et regarda l’un après l’autre l’inspectrice en chef et le jeune Sud-Américain.
- — Entrez, installez-vous, mettez-vous à l’aise ; puis allongez-vous, dormez… et laissez-vous guider.
La belle quarantenaire et son soupirant nerveux se regardèrent, hésitants, puis finirent par entrer, et la porte se referma doucement derrière eux. Un peu plus loin, leur hôtesse ouvrit la porte d’une seconde chambre.
- — Si j’ai bien compris, questionna Junione en devançant la consigne que Gufti Shank s’apprêtait à lui formuler, nous allons vivre une expérience de rêve partagé virtuel.
- — Plus ou moins, oui.
- — Et c’est vous qui allez nous guider ?
Aurélie acquiesça.
- — Donc vous ne venez pas avec nous ?
- — Non, en effet. Je vais guider votre conscience endormie en surveillant la partie émergée de vos êtres.
- — Hmm… alors… si vous le voulez bien, je vais rester avec vous, d’accord ?
La jolie brune leva vers son compagnon des yeux interrogateurs.
- — Ils sont sûrement assez de quatre enquêteurs, argumenta encore la vieille dame.
L’homme haussa les épaules.
- — Okay, répondit simplement Aurélie.
Puis elle se tourna vers Ania et Cho.
- — Je vais m’allonger avec elles, sourit Gufti Shank sous les yeux ombrageux d’Aurélie en les prenant par la taille pour les conduire dans la chambre.
***
Hôtel Overlook, vendredi 8, 14 h 27
- — Concentrez-vous sur le son de ma voix… ne pensez plus qu’à ça… suivez ma voix…
Les paroles résonnaient dans la première chambre, où Paco et Susan s’étaient allongés dans le grand lit ; elles résonnaient dans la seconde chambre, où Ania et Cho se tenaient blotties l’une contre l’autre ; et elles résonnaient dans la troisième chambre, où Gufti Shank s’était couché seul en maugréant. Et tous ne tardèrent pas à tomber dans un étrange sommeil.
***
Un bar, 00021 (unités de temps local)
- — On peut faire une partie ensemble ? C’est moi qui paie.
Une grande et grosse jeune femme s’approchait d’un jeune homme en désignant un flipper. Il l’observa un moment avec étonnement, puis lui sourit, gêné, et lui fit signe de commencer.
- — Où sommes-nous ? demanda Susan en regardant partout autour d’elle.
Paco lui tenait la main et se pressait contre elle ; à quelques pas, Ania et Cho se tenaient également la main en observant la salle avec attention ; un peu plus loin, Gufti Shank se frottait les yeux en cillant devant la lumière blanche. Derrière le bar, un gros homme avec d’énormes moustaches mangeait un épais sandwich.
- — Je n’en reviens pas… commenta Cho.
Derrière elle, les jeunes gens jouaient au flipper sans faire attention à eux ; et le gros derrière son bar ne paraissait pas les avoir remarqués non plus. Gufti Shank sortit une grande montre à gousset d’une poche intérieure de sa veste et la consulta d’un air soucieux.
- — Pourtant… Aurélie, tu m’entends ?
- — Oui, Gufti. Je te vois et je t’entends.
La voix semblait s’être élevée de partout et nulle part à la fois.
- — À moins que ma montre ne soit arrêtée, il me semble que nous ne sommes qu’au numéro 21 ?
- — Non, c’est bien ça. Récit 21. Elle ne correspondait à aucun de mes rêves, de Jean-Christophe. Publié le premier septembre 1999.
- — Il n’y a rien de plus ancien ?
- — Plus ici, plus maintenant. Tout a été enterré.
Il soupira en rangeant sa montre.
- — Bon… Eh bien, chers invités, nous y voici : ici commence Revebebe, désormais !
Abasourdis, les quatre enquêteurs du GNO lui lancèrent des yeux stupéfaits.
- — Vous voulez dire que… marmonna Cho.
- — Nous sommes… nous sommes dans Revebebe ? bafouilla Susan, incrédule.
- — C’est fantastique ! acclama Ania. Et sans explorateur virtuel, sans connexion. Comment faites-vous ça ?
- — Permettez-nous de conserver nos petits secrets, belle demoiselle, répondit Gufti Shank avec un sourire mielleux qui fit encore fondre la jeune femme et agaça de nouveau Paco.
Celui-ci, néanmoins, devait convenir qu’il ne s’était jamais imaginé vivre cela. Cho s’était éloignée vers le flipper et Susan vers le bar.
- — Ils… ils ne nous voient pas ?
- — Non, nous ne faisons que passer.
- — Comme des corps éthérés… conjectura la belle Chinoise, experte en parapsychologie.
Elle se glissa entre le jeune homme et la fille obèse qui tapait contre le flipper, passa la main devant leurs yeux ; ils poursuivaient comme si elle n’était pas là. La voix d’Aurélie résonna de nouveau autour d’eux.
- — Alors, Gufti ? Où voulez-vous aller ?
- — Partout, ou presque. Nous devons comprendre et découvrir les tréfonds des âmes de tous ces agents dormants qui ont suivi Radagast. Et nous comprendrons cela en parcourant Revebebe.
Il se tourna vers ses compagnons.
- — Premier septembre 1999, Revebebe n’a que quelques jours. Il est encore presque inconnu, mais les grandes lignes en sont déjà tracées. Des récits essentiellement érotiques, voire pornographiques, que tout un chacun peut envoyer et commenter.
Derrière lui, la jeune femme obèse se pressa contre son compagnon d’un instant, ou plutôt d’un récit. Ils murmurèrent l’un à l’oreille de l’autre. Autour d’eux, la salle sembla s’étirer à mesure qu’ils firent quelques pas ; le jeune homme marchait ; mais ce n’était pas lui qui avançait, c’était bien le décor qui paraissait glisser sous ses pieds, le bar, son tenancier, la fille obèse, tout s’éloignait derrière lui. La porte du bar le franchit, et une rue se dévoila sous ses pieds tandis qu’il marchait sur place ; une église apparut.
Mais ni Gufti Shank ni aucun des quatre enquêteurs du GNO n’avaient semblé bouger. Ils étaient restés autour du jeune homme, glissant en même temps que lui dans le décor mouvant.
- — Pour le faire vivre, l’administrateur envoie de nombreux récits, sous différents pseudos, et les commente avec d’autres encore. Petit à petit, d’autres commentateurs réguliers s’inscrivent, envoient des récits.
Autour d’eux, la grosse jeune femme finit par rejoindre son compagnon près de l’église. Ils discutèrent quelque peu, puis l’environnement glissa de nouveau, et les deux protagonistes se retrouvèrent rapidement dans une chambre.
- — C’est… vertigineux… bredouilla Ania.
- — Inutile de nous attarder trop longtemps par ici. Il ne reste que le meilleur de cette époque, mais on est bien loin de l’âge d’or. Aurélie ? Peux-tu nous faire avancer doucement ?
- — Okay.
Cette fois, tout sembla soudain glisser vers le bas autour de Gufti Shank et de ses compagnons. La chambre, la fille obèse, le jeune homme parurent descendre tandis qu’une autre scène apparaissait autour d’eux, comme venue d’en haut. Baignée dans une lumière rose, une femme était assise dans un canapé et se masturbait.
- — Première histoire lesbienne.
Mais les mouvements du décor autour d’eux ne s’arrêtèrent pas et une autre scène remplaça bientôt la précédente : une lumière orange éclairait une femme qui se faisait mordiller les tétons par un petit chien.
- — Premier récit « borderline ». Mais les couleurs n’existaient pas à l’époque. C’est un ajout ultérieur.
La scène disparut et laissa place à une autre femme qui se masturbait dans un parking baigné par une lumière claire bleutée ; puis une cantine turquoise, derrière laquelle s’affairait encore une autre femme avec d’énormes fesses, lui fut bientôt substituée.
- — Mine de rien, ce qu’il reste de cette époque, ce sont des récits hauts en couleur.
Un cabinet médical apparut autour des « voyageurs », où une infirmière ou une doctoresse s’affairait auprès d’un patient presque nu ; mais il fut vite remplacé par un bureau où une femme assise pianotait sur un petit clavier.
- — Oooh… s’étonna Susan. On dirait un… un…
- — Un minitel, répondit Gufti Shank. C’est bien ça, oui. Vous n’avez sûrement pas connu ça, vous autres, ajouta-t-il en regardant tour à tour les trois enquêteurs plus jeunes.
Cela agaça encore un peu Paco, mais les deux femmes lui sourirent.
- — Nous en sommes au récit 48, de Valérie Maingat. L’un des premiers auteurs et évaluateurs réguliers. Il ne reste plus que six de ses textes et sa trace en tant qu’évaluateur est perdue, mais c’est grâce à des gens comme elle que Revebebe s’est épanoui.
Les quatre enquêteurs buvaient les paroles de Gufti Shank, admiratifs.
***
Une grange, 00088 (UTL)
- — Arrêtons-nous un instant ici.
Derrière les cinq voyageurs, un jeune type à l’air niais était plus ou moins caché près de l’entrée de la grange, occupé à dévorer des yeux une jeune femme aux prises avec deux hommes de ferme un peu rustres qui la prenaient dans les deux sens.
- — Jerome492, le premier des grands auteurs de Revebebe. Vingt et un textes, tous originaux, et une influence qui s’est exercée longtemps sur les auteurs du site.
D’un air mystérieux, Gufti Shank ajouta à voix basse en souriant :
- — Sans lui, Revebebe ne serait pas ce qu’il est…
Mais il poursuivit de sa voix habituelle :
- — Notez qu’on lui doit en particulier les conseils aux auteurs qu’on trouve encore de nos jours près du formulaire d’envoi.
***
Une terrasse, en bord de plage, 00135 (UTL)
- — 10 février 2000. Première « série ». En l’occurrence, simplement un texte en deux récits. Deux toutes petites histoires, qui auraient pu faire un unique récit. Mais c’est le début d’un concept. Aujourd’hui, des épisodes de série doivent dépasser 12 000 caractères, mais il n’y avait pas de telles restrictions, à l’époque. La taille d’un texte, lorsqu’elle a été limitée, ne l’était tout d’abord qu’à 5000 caractères.
***
Une chambre, 00161 (UTL)
- — Le premier récit spammé. Sans doute un gag, mais pris selon les sensibilités de chacun à divers degrés.
Derrière les voyageurs, un berger allemand sniffait étrangement l’entrejambe d’une femme allongée.
- — Mais ce qu’on peut remarquer surtout, c’est le rythme de parution. 170 récits en six mois, soit un peu moins d’un par jour. Aujourd’hui, on est autour de deux par jour, et on a parfois été à cinq, voire davantage. Mais vous voyez que dès le début, on publiait tout de même régulièrement.
***
Une piscine, au milieu d’un groupe d’habitations tropicales, 00256 (UTL) ; une grosse femme au visage bouffi passe près d’un homme qui prend un verre sur la terrasse.
- — André Sébastien Borland. Onze textes, étalés sur près de deux ans.
- — Ils raffolaient des filles bien en chair, à cette époque-là, commenta Paco en lorgnant la poitrine opulente qu’un tee-shirt ample ne cachait que peu.
Gufti Shank ne répondit pas mais consulta sa montre à gousset et sembla réfléchir un instant, alors que de nouveau la scène glissait autour d’eux.
- — Ses derniers récits nous permettent aussi de constater que près de quatre mille textes ont été publiés en environ deux ans. Plus de cinq histoires par jour en moyenne. Revebebe a rapidement trouvé son essor.
***
Un bureau, 00300 (UTL) ; une quarantenaire est assise et paraît travailler ; face à elle, installé au même bureau, un homme, en s’efforçant de paraître ne l’avoir pas fait exprès, laisse échapper son stylo, qui tombe et roule sous le meuble ; puis il se baisse pour le ramasser.
- — Chris, vingt-sept textes, sur près de trois ans. Mais regardez… Aurélie, tu nous montres les données techniques ?
L’interpellée ne répondit pas, mais des grilles de lumière apparurent soudain autour des voyageurs, se superposant au décor environnant, et semblant former des tableaux de données.
- — Qu’est-ce que c’est encore que ça ? s’emporta Paco en saisissant le bras de Susan d’un air protecteur.
Mais ce fut Ania qui expliqua, admirative.
- — Ce sont des lignes de code en langage syntonique.
Comme ses collègues restaient perplexes, leur guide reprit :
- — Il y a là beaucoup de données, mais voyez ici ces grilles : elles montrent les notes et commentaires de ce récit. Un grand nombre d’évaluations, étalées sur près de dix ans. On suppose que certaines, plus anciennes ont été perdues lors de l’un ou l’autre des crashes d’hébergement. Mais il en reste encore la plupart.
***
Un club, 00337 (UTL) ; sous une lumière bleu nuit, une trentaine de personnes ondulent un verre à la main au son lourd d’une musique techno ; une trans noire trône sur un haut tabouret près d’un bar et beaucoup n’ont d’yeux que pour elle.
- — Edvard Stokien, sept textes, bleus et bien notés. Et évaluateur régulier du site pendant près de trois ans sous le pseudo Eddy. L’un des membres très actifs au début du site, avec Niko, Chanette, Maud-Anne Amaro, Lena, qui ont rejoint ensuite l’équipe de Vassilia ( http://wp.vassilia.net/ ). Les premiers participants au site ont été très importants pour le devenir du site puisqu’ils ont permis d’en établir les règles. Malheureusement, des conflits entre différents groupes d’influence ont conduit au départ de certains auteurs majeurs qu’on ne peut plus citer puisque leurs textes ne sont plus sur le site à ce jour.
***
Un chalet en bois, 00342 (UTL) ; quelques jeunes gens sont installés dans un salon et jouent aux cartes en discutant.
- — Cyber Syr, dix-huit textes sur huit ans, également évaluateur. Beaucoup d’épisodes de séries, mais qui seraient aujourd’hui classés dans les « collections ».
- — Quelle est la différence ? demanda Cho.
- — Les épisodes de série doivent se suivre, avoir un fil conducteur logique, une même histoire dont on attend la suite. Les textes regroupés dans une collection ont seulement un univers, un thème ou des personnages en commun.
Conduits par Aurélie, Gufti Shank et ses invités reprirent leur voyage dans l’histoire de Revebebe, marquant régulièrement un arrêt dans un décor toujours différent, reflet des mots sinon des pensées des auteurs que leur guide mentionnait après un regard sur son étrange montre à gousset.
Les scènes chaudes s’accumulaient sous les yeux des voyageurs.
- — Ah, tenez, reprit Gufti Shank. Voilà un peu de détente qui nous fera du bien. Les récits de Jean-Sébastien Tiroir, seulement neuf, mais notamment un recueil de situations érotiques assez drôle.
***
Un supermarché, 01000 (UTL)
- — Le millième récit, Fabien et Toinette, de Jerome492 ; un style à part, une ambiance désabusée. Un des auteurs qui m’ont donné envie d’explorer ce site, de m’y investir. Millième récit en à peu près un an. Presque trois récits par jour en moyenne. Il n’en reste environ qu’un tiers, la grande majorité a été supprimée.
- — Pourquoi ?
- — Parce qu’ils étaient mauvais, souvent. Parfois parce que l’auteur a souhaité les faire retirer.
- — Est-ce qu’il reste des auteurs de cette époque ?
- — Pas sous leur nom de l’époque. Ou alors ils ont fait retirer leurs plus vieux récits. (NdA : Catherine, reviens !)
- — Et des évaluateurs ?
- — Pas à ma connaissance.
Le voyage à travers les récits avait repris.
- — Amenophis, 15 textes… Ursulin Neveway, l’auteur de la première anthologie de « perles » du site et de la première histoire à choix multiples (inspirant, tout ça, n’est-ce pas ?)… Histochris, 18 récits, étalés sur 15 ans… Ah, au fait, vous avez noté la présence de commentaires de non-inscrits ? À cette époque-là, ils commençaient. Une facilité de participation pour le lecteur de passage.
- — Pourquoi cela n’existe-t-il plus aujourd’hui ?
- — La suppression des commentaires des non-inscrits et la dévalorisation des notations des notes des non-inscrits ont été faites suite à un certain nombre d’abus qui ont conduit à la démission d’un certain nombre d’auteurs. Tylodine, dix-huit récits, dont certains pas si vieux… Jeanette, mais… nous en reparlerons plus tard.
***
Une ruelle, 01923 (UTL) ; une rouquine avec des taches de rousseur fait le trottoir ; un homme passe et la regarde du coin de l’œil.
- — Rue du Ponceau, de Léna Van Eyck. Seulement trois récits, mais très bien notés tous les trois. Le second, les Tétons de la Duchesse, a été un moment considéré comme un des excellents récits du site. Mais l’auteur a aussi et surtout marqué le site en tant qu’évaluatrice, sous le pseudo Lena. Les murs de Revebebe se souviennent encore de ses engueulades avec Catherine…
***
Une place, 02181 (UTL) ; une jeune femme fait la manche en grelottant.
- — Nora, six récits seulement, mais deux qui sont épinglés comme faisant partie des meilleurs du site, celui-ci, Petite pute aux yeux clairs, pour l’émotion qu’il dégage, et le précédent, Née dans la zone, distingué par le CE.
- — Qu’est-ce que c’est, le CE ?
- — Le Comité Éditorial. Les participants les plus réguliers du site.
- — Et ces distinctions ?
- — Eh bien le CE, sous l’influence du webmaster, a cherché, il y a quelques années, une façon de mettre en avant, de valoriser, les meilleurs récits du site. Et leur réflexion commune a conduit à un certain nombre de « distinctions » décernées par ce comité pour quelques récits qui se détachent nettement du lot : originalité, scénario, écriture, ambiance, émotion, personnages, excitation et promotion du CE. On les retrouve en lien sur la page d’accueil du site.
***
Une plage, 02590 (UTL) ; un homme nu regarde tout autour de lui, son sexe légèrement tendu.
- — La mission du héros, d’Estonius. Et les autres récits de l’auteur sont très bons aussi. Peut-être meilleurs que celui-ci, même, mais il me tient à cœur : dans mon souvenir, c’est le premier récit que j’ai lu sur le site. En tout cas, le premier qui m’a marqué, que j’ai trouvé super. Le récit qui m’a donné envie d’écrire et qui a participé à forger mon univers sur Revebebe.
Le voyage avait repris.
- — Vittorio, Julien 3… Patrick D ou encore Patoche participant, évaluateur pendant près de dix ans ; trois de ses récits ont été récompensés par le comité éditorial… Zwico, vingt-sept textes de 2001 à 2017, beaucoup de violets, un auteur actif sur une longue période… Alexis Defond-Rossignol, six textes, mais surtout connu plus tardivement pour son article sur la critique au sein de Revebebe… Achour, seulement sept textes, mais dispersés de 2001 à 2019… Lauriolan, trente-six récits de 2001 à 2015 et longtemps évaluateur régulier du site… OhJeff, cinq récits seulement, mais tous les cinq récompensés par le comité éditorial… CoolOthello, sept récits… Les premières évaluations de Benoblack, commentateur de plus 1700 récits, auteur sous un autre nom, et sans doute l’un des inscrits les plus anciens encore présent aujourd’hui…
***
Une piscine, 03461 (UTL) ; des nageuses terminent une course.
- — The Great Pretender, LE chef d’œuvre du site selon beaucoup de lecteurs et d’évaluateurs. Un long récit très prenant écrit dans un style fluide et fort à la fois. Le meilleur de Jeanette, sûrement, mais plusieurs de ses neuf autres textes méritent aussi d’être lus, comme Trahison ou Mon Amie Bénédicte.
Les cinq voyageurs restèrent un moment ébahis à contempler la scène et l’environnement baigné de lumière rose. Mais leur guide fit un geste et de nouveau tout glissa autour d’eux.
***
Une aire d’autoroute, 03479 (UTL) ; une voiture s’approche et ralentit.
- — Premier récit de Domi Dupon, un des plus anciens auteurs de Revebebe encore présents et actifs aujourd’hui. 73 récits publiés dont…
- — Quel nom avez-vous dit ? interrompit Cho. Dupont, c’est bien ça ?
- — Oui.
- — C’est le nom d’un des noms des rescapés de l’expédition du Kangchenjunga, confirma Ania.
- — Vous êtes sûre ? demanda Susan.
Les deux jeunes femmes acquiescèrent. Derrière elles, un homme sortait de la voiture et se dirigeait vers le bâtiment principal de l’aire d’autoroute.
- — C’est lui, assura Cho. Il est toujours détenu avec Radagast et les autres à Katmandou. Je l’ai rencontré là-bas. Il est plus vieux aujourd’hui, mais c’est bien lui.
- — Alors nous devons absolument suivre cette piste. Explorer ses récits pour mieux comprendre les tréfonds de son esprit et peut-être avoir une chance de découvrir un moyen de l’aider.
- — Nous pouvons nous séparer, si vous le souhaitez, proposa Gufti Shank. Aurélie, tu pourrais guider deux groupes ?
La douce voix de sa compagne s’éleva tout autour d’eux.
- — Oui, s’il ne s’agit que de suivre les récits d’un auteur, je devrais pouvoir maintenir la stabilité.
- — Mais il y a plusieurs agents de Revebebe à retrouver, soupira Ania. Nous ne serons pas assez nombreux pour tous les suivre.
Ce fut Aurélie qui répondit.
- — Je peux guider chacun d’entre vous sur les traces d’un auteur et vous ramener à un point de rendez-vous commun.
Les quatre enquêteurs du GNO s’observèrent un instant, hésitants.
- — Je reste avec vous, Susan, affirma Paco en couvant Gufti Shank d’un regard suspicieux.
- — Je vais suivre la piste Dupond, dit Cho en tenant la main d’Ania. Rendez-vous après cet étrange voyage.
Les deux jeunes femmes s’embrassèrent sous les yeux mi-curieux mi-étonnés de leurs collègues. Et alors que le décor glissait vers des toilettes, la belle Asiatique s’éloigna doucement d’eux pour finalement disparaître à mesure que l’environnement s’estompait autour des quatre autres voyageurs.
Et tandis que de nombreuses autres scènes se dévoilaient à eux, leur guide reprit ses explications.
- — Christian 4, auteur de 27 textes entre 2002 et 2006… Jean-Marc Manenti, 16 récits… Curieux 00S, 12 textes tous dans la même série, s’étalant sur six ans. Zahi, auteur de 25 textes, jusqu’en 2019, un autre des plus anciens auteurs de Revebebe.
***
Un chemin dans la campagne vallonnée, 04218 (UTL) ; deux jeunes gens marchent en observant le paysage.
- — Potomac Hills, une série que j’avais bien aimée. Une écriture et une histoire fraîches et réjouissantes. L’occasion aussi de constater les évolutions des notes et appréciations des évaluateurs : en 2002, obtenir de telles notes était exceptionnel ; aujourd’hui, ça paraîtrait plutôt dans la moyenne basse ; la qualité globale des histoires s’est améliorée, c’est sûr, mais les notations aussi. 2002, c’est aussi le début de la Centrale de Correction, le début de l’ère collaborative sur Revebebe.
***
Un appartement, 04647 (UTL) ; un jeune homme regarde la télévision en soupirant, écrasé par la chaleur.
- — Je serai président, de Fred 3, une série et un auteur que j’ai adorés et qui me rappellent mes tout débuts sur Revebebe.
Il y eut un silence tandis que de nombreuses scènes défilaient sous les yeux des voyageurs.
- — Les évaluateurs réguliers de l’époque sont Jeanette, Chris, Jerome492, Desirdelir, Lelorain, Sapristi, SaintAnge, JRolle, Liervol, Fred3… Pour la plupart, il n’en reste qu’un numéro…
***
Un amphithéâtre d’université, 04650 (UTL) ; des étudiants somnolents écoutent un cours de civilisations anciennes.
- — Une vie qui ne manquait pas de génie, de Leduc. Le génie de la bague qui se dévoile au héros. J’aurais pu dire que c’était inspirant, mais même pas, je l’ai lu après la découverte de Bazouk. Une chouette série dans tous les cas.
Le voyage reprit.
- — Chaton, de Bertrand D, un auteur longtemps actif et très prolifique, 91 textes à son nom… L’auteur Fan, peu de textes, mais une super présentation… Mario, 18 textes bleus… LongJacq, auteur des excellents Groddoc et Le valet de Mme Maude. L’occasion de relever aussi le nombre (et la moyenne) de notes publiques de l’époque. Est-ce que les récits étaient davantage lus ou simplement davantage notés par les lecteurs de passage…
Une étrange atmosphère multicolore baigna soudain les voyageurs et le décor sembla trembler de plus en plus fort autour d’eux. Alors que les enquêteurs du GNO paraissaient s’alarmer, leur guide sortit de nouveau sa curieuse montre à gousset avant de lever la tête.
- — Un problème, Aurélie ?
- — C’est Dans l’antre du mal, ça crée une sorte d’effet Larsen. Je vous éloigne.
- — Mon premier voyage dans les arcanes de Revebebe, expliqua Gufti Shank visiblement un peu gêné.
Les scènes défilèrent de nouveau autour d’eux.
- — Deux chouettes récits, Cité U de Nathalie 3, Tante Lubrique de Richard Wassel. Anne Walter, Pascalker, auteurs d’une dizaine de textes chacun. La critique est-elle soluble dans le coca-light qui pose déjà des questions sur la façon d’évaluer. Et je ne résiste pas à l’envie d’évoquer la reprise des compilations avec le premier Best-of des phrases douteuses, suivi de son pendant Anthologie des plus pires critiques, ou encore la première histoire façon pièce de théâtre… Et les premiers textes de Patrik, l’auteur le plus prolifique du site, toujours présent ; plus de deux cents textes à son actif, dont certains excellents ; auteur de l’image du forum, évaluateur occasionnel, participant régulier du comité éditorial ; une des figures du site.
Les voyageurs béaient d’admiration.
- — Nous sommes en 2003, les évaluateurs réguliers sont Niko, Lena, Fred3, Phil82… Il y a aussi des commentateurs réguliers, Kathryn, O’das…
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Un appartement, 06705 (UTL) ; une jeune femme entre et saute au cou d’un jeune homme.
- — Eh mais… c’est vous, là dans le salon ? s’étonna Ania.
Gufti Shank acquiesça en regardant la scène derrière eux avec amusement. Les quatre voyageurs se retournèrent pour observer un instant une version plus jeune de leur guide s’adresser à la superbe brune aux cheveux longs qui venait d’entrer (et qui n’était pas Aurélie…). Tous les deux discutèrent un moment, enlacés, puis se mirent à se caresser, et la femme entreprit bientôt de dévêtir son compagnon. Lorsqu’elle baissa son caleçon, Ania et Paco eurent un hoquet de stupeur, tandis que Susan maintenait sur la scène des yeux nostalgiques. L’enquêteur sud-américain du GNO se reprit rapidement et toisa leur guide d’un regard accusateur et courroucé. Mais avant qu’il puisse intervenir, le décor s’étira pour disparaître peu à peu, et la voix d’Aurélie s’éleva, nettement moins douce qu’habituellement :
- — Inutile de leur montrer ça, Gufti ! Tout ceci n’intéresse personne !
Si Paco était bien de cet avis, ce n’était pas le cas d’Ania ou de Susan qui regardèrent la scène s’éloigner avec un brin de déception.
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Un local, 06747 (UTL) ; la pièce n’est meublée que d’un bureau et d’une table sur laquelle brille une bougie dont la flamme vacille, mais tient bon ; sur le bureau, un ordinateur est allumé ; plusieurs lignes s’affichent sur l’écran.
- — La première interview de Revebebe. Des réponses à plusieurs questions qui ont agité la communauté pendant un moment à l’été 2003. Le site a été fermé pendant quelques jours
- — Pourquoi ?
- — Lassitude de l’administrateur, découragement, envie de tourner des pages… Des milliers d’utilisateurs se sont manifestés ; le site a fini par rouvrir.
- — Attendez, nous pourrions…
Mais le décor était déjà en mouvement ; Gufti Shank et Aurélie entraînaient de nouveau les voyageurs.
- — Incubus, auteur de 22 textes… Ben, 17 récits… Nicolas, 18… Sofie, auteure de 45 histoires et intervenante régulière du forum…
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Un bistrot miteux, 06877 (UTL) ; une fausse blonde mal siliconée danse au milieu du bar.
- — Ah… arrêtons-nous un instant ici ! Le premier récit de la série Don Booth, de Yuri Netternich, l’un de mes auteurs préférés ; 14 épisodes de cette série de polars noirs érotiques et humoristiques que je relis régulièrement avec toujours autant de plaisir.
- — Oui, nous avons croisé Mister Booth en entrant à l’hôtel Overlook, il n’avait pas l’air enchanté de son séjour…
- — Ce n’est rien, ça fait partie de son personnage. Et je pense que Karen, sa fidèle assistante délurée, aura apprécié pour deux.
Derrière eux, au bar, un gros mec en sueur servait un scotch à un type au look de privé qui tripotait un billet de banque. Mais les enquêteurs n’eurent pas le temps d’en voir davantage, le voyage reprenait.
- — Lisa, d’un auteur inconnu. Porte à porte, de Patrik, deux récits primés consécutifs. Fin février 2004, une série de compilations, celles des avis de lecteurs, celles des critiques, celle d’un collectif d’auteurs, puis de nouveau un best-of… Isilwen, 11 récits, très bien notés, dont Duo de pianos pour une sardine primé pour son ambiance. Bernard Nadette, auteur prolifique de 63 textes de 2004 à 2019… Sarah, auteur de 22 récits…
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Une chambre, 07868 (UTL) ; une jeune femme s’allonge, se glisse entre les draps, s’enroule dans la couette.
- — L’hist…
- — C’est hors de question que vous vous arrêtiez là, Gufti !
La voix d’Aurélie cingla autour des voyageurs, et le décor sembla changer de nouveau avant même que quiconque ait pu répondre.
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Une pièce sombre, 07983 (UTL) ; une jeune femme brune élégante est agenouillée aux pieds d’un homme qui lui éjacule dans la bouche en grognant.
- — Sale journée d’Amanite, l’histoire d’une descente aux enfers sordide dans un style fort. Auteur de sept récits sous ce pseudo, tous très bien notés, intervenant régulier du site pendant de nombreuses années, force de proposition ou râleur invétéré, selon les points de vue. Trois de ses récits de 2005 sont primés par le CE.
Derrière les voyageurs, la jeune femme manquait de vomir et s’essuyait la bouche. Mais la scène s’étira de nouveau et disparut vers le bas.
- — Claude Pessac, 34 récits depuis l’automne 2004 jusqu’en 2019… Ed Benelli, 20 textes… XXL, 26 récits… Fin 2004, les évaluateurs réguliers sont Niko (encore), Atchoum (auteur, évaluateur régulier de plus de 1000 évaluations et de centaines de commentaires auparavant, participant de premier plan sur le forum, qui a dynamisé le site), Julien Saint-Honoré, Phil82, Fred3, et ce sont les premières notes de Lucius qui commentera plus de 1000 récits, et de Karl, dont les très bons récits ont été retirés du site, qui en évaluera presque 3000 jusqu’en 2008. Le forum n’existe pas encore, mais mûrit et ne tardera pas. Catherine ou Bilitis ont publié de nombreux récits, mais la plupart ont été retirés du site par la suite. Jeff, auteur très prolifique de plus de 80 textes en moins de deux ans.
Tout défilait très vite autour des voyageurs.
- — Les concours existaient déjà, mais il ne reste que peu de traces des plus anciens. C’est fin 2004 que ça se relance un peu avec la parution du Défi lancé par Dara et suivi par quelques auteurs. Dans la foulée, le forum s’ouvre début 2005. Il est public au commencement, et c’est l’occasion de voir de nombreux lecteurs de passage venir déposer un remerciement, un encouragement. L’occasion aussi pour le webmaster de clarifier un peu la ligne éditoriale après la refonte de l’été 2004, de redorer l’image du site. La centrale de correction s’élargit début 2005, elle est animée par Pattie, Rip, Brevebebe, Karl, Merleenne, Segosa, Benoblack, bientôt rejoints par André L, CatSaTum, auteur de plus de 600 évaluations, correcteur très impliqué et participant de premier plan du forum…
Les enquêteurs du GNO regardaient en tous sens autour d’eux.
- — Le temps local défile moins vite. Le rythme de publication est assez élevé à cette époque, cinq récits par jour en moyenne. Printemps 2005, Musea, auteure de 34 textes, dont Couleur Tournesol, primé pour émotion, et la longue et très appréciée série Les sorcières de Saint Amant… Balou, 44 récits… C’est aussi le début des évaluations de Crinoline, commentatrice régulière et prolifique encore active aujourd’hui qui a évalué plus de 4700 récits. Les mises en avant existent depuis le commencement ; elles sont remises un peu au goût du jour.
Leur guide consulta de nouveau son étrange montre à gousset.
- — Mai 2005, les premières interventions d’acteurs clés du site : Lise-Elise, auteure de 33 textes ; et surtout Padoum, commentatrice régulière de près de 2000 récits, intervenante de premier plan en forum, à l’origine de bien des idées pour le site ; Nono, auteur de 9 récits et participant régulier aux forums ; et Lacducoucou, auteur de 15 récits, mais qui deviendra très actif par la suite en tant qu’évaluateur et surtout correcteur sous le pseudo Ldcc.
- — Quel nom avez-vous dit ? questionna Ania. Ldcc ?
Gufti Shank acquiesça en rangeant sa montre.
- — C’est aussi le nom d’un des rescapés de l’expédition du Kangchenjunga, poursuivit la jeune femme. Nous devrions suivre cette piste.
Les trois enquêteurs restants s’observèrent un instant l’un après l’autre.
- — Paco, murmura finalement Susan. Vous voulez bien vous en charger ?
Celui soupira en regardant de nouveau leur guide avec animosité.
- — J’aimerais autant rester avec vous, Susan.
- — Mais nous devons nous séparer ; je suivrai la piste Radagast, et j’aimerais qu’Ania explore le plus loin possible les arcanes de Revebebe ; ses talents seront sûrement utiles.
Le jeune Sud-Américain soupira de nouveau, mais parut se résigner à abandonner les deux femmes magnifiques à la crapule.
- — Aurélie ? demanda celui-ci. Tu peux guider ce sympathique enquêteur sur les traces de Ldcc, s’il te plaît ?
Elle acquiesça et celui-ci disparut, éloigné peu à peu des trois voyageurs qui continuaient de voir défiler autour d’eux de nombreuses scènes plus surprenantes les unes que les autres, alors que Gufti Shank reprenait ses explications.
- — Le Kawjer, 13 textes, dont d’excellents pastiches érotiques… OlivierK et SophieF., respectivement 43 et 31 textes… et les premières évaluations d’Olifant, commentateur de plus de 500 textes, encore actif aujourd’hui et notamment investi depuis longtemps en centrale de correction et dans le comité éditorial. Sur le forum, les intervenants réguliers, outre le webmaster, sont Karl, Pattie, Amanite, Brevebebe, Nono, Jeff, Lise-Elise, Pattie…
- — Août 2005, premiers récits de Zébulon, auteur de 22 textes, commentateur et participant régulier… et de AgeRespectab, qui a écrit 21 récits ; ce sont aussi les premières évaluations de Favasso, commentateur prolifique et régulier de plus de 3000 récits, de centaines de commentaires, intervenant de premier plan en forum, et impliqué longtemps dans la centrale de correction…
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Un salon, 09850 (UTL) ; une jeune femme soupire en observant alternativement des enfants écroulés devant la télévision, une autre femme éplorée au téléphone, et un vieil homme tristement assis dans un fauteuil roulant près d’un sapin de Noël.
- — Quand il descendit du ciel, de Pattie. Récit primé pour originalité. Son précédent l’avait été pour l’écriture. Elle a été très longtemps l’inscrit la plus impliquée en centrale de correction et en forum, modératrice, publieur, un des piliers du site entre 2005 et 2010. C’est elle qui m’a donné envie de rejoindre l’équipe des correcteurs, et de m’investir au sein du forum.
Admiratives et déférentes, Ania et Susan observaient la jeune femme s’éveiller en sursaut dans la suite de son récit. Mais le décor s’étira de nouveau et les voyageurs repartirent.
- — Moi je pourrai plus avoir d’enfant maintenant, un autre excellent récit primé fin 2005… Laure et JP, auteur de 16 textes, dont le primé Le phénix à deux têtes… Et l’arrivée d’Olaf, auteur de 62 textes, dont 7 primés par le CE, notamment pour la qualité de l’écriture, participant régulier au forum, évaluateur occasionnel… C’est aussi le début des évaluations et de la participation de Ptolemee, très impliqué en forum ainsi qu’en centrale de correction. Il sera un peu plus tard à l’origine, avec Dara, du site Oniris ( http:www/oniris.be ) . Le 10 000e texte est publié peu après Noël 2005 ; le site a un peu plus de six ans et a proposé une moyenne de presque cinq nouveaux récits par jour…
Le décor cessa soudain de glisser sous leurs yeux et des images vinrent se superposer dans toutes les directions à celles qui les entouraient déjà, comme projetées de tout autour d’eux.
- — Aurélie ? un problème ?
- — J’ai du mal à vous stabiliser, Gufti. On dirait…
- — On dirait quoi ? Qu’y a-t-il ?
Les trois voyageurs furent ballottés plusieurs fois par à-coups de gauche à droite, comme les passagers d’un grand huit virtuel, au milieu d’un flot incompréhensible de scènes qui s’entassaient à toute vitesse sous leurs regards saturés.
Tout s’arrêta soudain de tourner, le décor s’immobilisa pour ne plus dévoiler qu’une scène figée, deux femmes assises à une table face à un homme. Rien ni personne ne bougeait ; seuls Susan, Ania et Gufti Shank pouvaient se déplacer dans le décor pétrifié.
- — Où sommes-nous ?
- — Je n’en sais rien. Aurélie ?
Il n’y eut aucune réponse. Tout était affreusement glacé. Gufti Shank sortit une nouvelle fois sa curieuse montre à gousset et la consulta longuement, la tournant par instants telle une boussole.
- — Hmm… c’est ce que je craignais, finit-il par dire tandis que les deux enquêtrices l’observaient avec inquiétude. Nous avons basculé dans l’univers parallèle Z.
Devant l’incompréhension visible de ses interlocutrices, il reprit :
- — L’univers des récits supprimés. Il en reste quelques traces. Souvent juste de quoi se rappeler qu’ils ont existé. Parfois plus. L’écho d’une scène, les restes d’une fiche technique. Nous ne devrions pas être là.
- — Comment avons-nous atterri ici ? demanda Ania.
- — Je ne sais pas, peut-être qu’Aurélie n’est pas parvenue à nous stabiliser tous en même temps. Peut-être s’est-elle heurtée à une difficulté en conduisant vos collègues, mais… j’ai peur que ce ne soit plutôt l’effet d’un virus… ou d’un troll…
- — Un troll ? Comment ça ?
Et comme en réponse, une voix forte s’éleva tout autour d’eux, comme celle d’Aurélie quelques minutes plus tôt.
- — CE N’EST PAS DU TOUT VRAI QU’IL Y A DES TROLLS SUR REVEBEBE !
Gufti Shank soupira en rangeant sa montre, et sortit d’une autre poche un curieux objet oblong sombre et lisse, gravé d’écritures blanches, et dont la pointe luisait d’une pâle clarté iridescente.
- — Venez, serrez-vous contre moi.
Les deux femmes somptueuses, inquiètes, se lovèrent contre lui tandis qu’il levait et pointait cet objet dans une direction que lui seul semblait deviner. Et de nouveau le décor s’étira, virevolta, fut secoué de gauche à droite, de haut en bas…
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Une cellule obscure, 10 167 (UTL) ; un homme en haillons est conduit hors de la cellule par deux gardes en uniforme.
- — Ça y est, nous sommes revenus dans l’univers principal ! commenta Gufti Shank lorsque le décor autour d’eux se stabilisa enfin.
Il rangea son artefact et ressortit une fois de plus sa montre à gousset qu’il observa un court instant.
- — Le résistant, de Giusepe. Un violent récit qui prend au cœur. Distingué par le CE. L’auteur n’a écrit que cinq récits, mais tous sont très bien notés, et quatre d’entre eux ont été distingués.
Les deux femmes buvaient les paroles de Gufti Shank en contemplant la scène qui avançait doucement dans un dédale obscur en suivant le prisonnier. À l’évidence, elles ne faisaient pas d’effort pour quitter l’étreinte de leur guide, chacune se serrant contre lui d’un côté. Mais la voix d’Aurélie s’éleva bientôt :
- — Ah, vous êtes là… Que s’est-il passé ?
Susan et Ania sursautèrent et s’écartèrent quelque peu en affectant un air désolé.
- — Je ne sais pas, répondit Gufti Shank. Une rupture de la cohérence du continuum énergétique, apparemment. Sans doute due à un troll. Mais peut-être pas, peut-être qu’il a juste profité du passage.
- — Hmm… oui, il faudra qu’on s’en occupe. Et… que faisiez-vous, au juste ? ajouta la guide d’un ton suspicieux.
- — Rien, nous sommes revenus et nous allons poursuivre la visite.
- — Comment vont Cho et Paco ? demanda Susan.
- — Apparemment bien, répondit Aurélie. Ils continuent d’explorer les récits des auteurs qu’ils suivent.
De nouveau, le décor autour d’eux se mit à glisser et le voyage reprit.
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Un vaisseau spatial, 10 298 (UTL) ; un corps flotte, immobile, dans la cabine seulement éclairée par la lune et les étoiles.
- — Souvenirs de l’Avant, de Patrick R.D., auteur de 14 textes, dont plusieurs pastiches, évaluateur régulier et participant actif du forum entre 2006 et 2009… Plusieurs chouettes récits primés en avril 2006, Saut de l’ange d’Olaf, L’hirondelle qui fait le printemps de Jeff, Branleur de Maurillo (aka Amanite)… Les évaluateurs réguliers sont Ptolemee, Karl, Phil82, Giusepe, Padoum, Patrick R. D. , Olifant, Benoblack, mais il y a aussi des commentateurs réguliers qui laissent un petit mot en bas des fiches techniques : Favasso, Broutille, Lapinlapin, Sofie, et toujours Catherine ou O’das.
L’environnement se déplaçait de nouveau.
- — Phileras, 11 textes et des évaluations… Macapi, 29 textes… Ducfranck, 15 textes… Les premières évaluations d’OeilCoquin, commentateur régulier et prolifique de près de 2000 récits, participant fréquemment aux forums… Toujours régulièrement des récits de Patrik, d’Olaf, de Lise-Elise, de Musea, de Bertrand D, de Sophie F… Benoberna, 20 textes… De plus en plus de couleurs dans les récits du site, c’est plus varié, de plus en plus souvent, il ne s’agit plus d’érotisme seulement… la qualité générale des récits s’améliore… En forum, le Comité Éditorial fait beaucoup de tri, de nombreux récits sont écartés du catalogue, relégués pour certains dans l’univers parallèle Z… Début 2007, le retour de Don Booth dans une nouvelle enquête (11 153)… Premiers commentaires de CatSaTum qui s’implique aussi et surtout en centrale de correction et en forum… Lucien Ramier, 15 textes, et commentateur avec plus de 1000 évaluations… Karine2x, 23 textes… Les premiers textes de Samuel qui enverra près de 90 récits courts mais toujours délirants et originaux…
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Une rue, 11 229 (UTL) ; un jeune homme grassouillet sort d’un bâtiment médical en soupirant.
- — Le premier épisode des Enfants de la nuit de Dr Lamb, un de mes auteurs préférés. 41 textes de science-fiction, de fantastique ou de délires en tous genres sans prise de tête. Dommage qu’on ne le voie plus aujourd’hui.
Dans le récit autour des voyageurs, le temps sembla s’arrêter et le même jeune homme réapparut soudain beaucoup moins gros. Mais le décor glissa une fois encore autour d’eux.
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Un couloir, 11 557 (UTL) ; un homme immobile observe par une porte entrebâillée vers une chambre où l’on devine un couple s’ébattre.
- — Travail d’artiste, de Mirthrandir, excellent auteur sous ce pseudo ou d’autres, qui a malheureusement supprimé une longue et superbe série intitulée « la fille sous l’orage », mais qui nous a laissé plusieurs excellents récits primés en compensation. Il s’est rapidement et durablement impliqué pour le site, en centrale de correction, en forum, en tant qu’évaluateur, participant, modérateur, et animateur pour des concours, ou encore publieur. C’est partiellement grâce à lui que le site a pu fonctionner ainsi pendant longtemps.
- — Je l’ai rencontré, dit finalement Ania après avoir observé un moment l’homme du récit visiblement en proie à un conflit intérieur. Il semble dire que…
- — Moi aussi, je l’ai rencontré, l’interrompit Susan. Pour la première enquête du GNO qui visait Revebebe et qui te visait toi, Gufti.
Elle s’approcha de leur guide et murmura à son oreille :
- — Je maudis ce jour qui m’a fait tomber dans tes bras.
- — Ce n’est pas la peine de chuchoter, fit tout autour d’eux la voix d’Aurélie. J’entends le moindre de vos souffles, et je devine un certain nombre de vos pensées…
Simultanément, Ania et Susan firent un ou deux pas en arrière pour s’éloigner de Gufti Shank en baissant les yeux. Celui-ci sourit. Mais déjà le décor défilait de nouveau tout autour des voyageurs.
- — Été 2007 toujours, Maldoror, 22 textes, et sa série Cum, blood and bullets sur fond de road movie polar glauque… Louise Gabriel, 13 textes, régulièrement salués pour la qualité de l’écriture… AlainK, 17 textes, et beaucoup d’évaluations… Tanis, 10 textes, dont l’excellent Gantier de Sainte-Florine, cinq ans plus tard… Myhrisse, 25 textes orientés SM et quelques évaluations, débarque avec Marion, primé pour écriture… Skratsch, 6 textes, évaluateur</a> et impliqué dans le forum…
- — Attention, Gufti, nous approchons du Repaire secret, possible qu’il y ait encore un effet Larsen. Accrochez-vous…
Dans un réflexe, les deux femmes se lovèrent de nouveau contre leur guide. Mais cette fois la situation sembla rapidement revenir sous le contrôle d’Aurélie, et les scènes continuèrent de défiler.
- — Hiver 2007-2008, on s’amuse, on diversifie, on originalise, sur Revebebe ! Pattie reprend la suite de la Traque… Patrick R.D. publie le troisième épisode délirant d’une série qui n’a jamais commencé… Atchoum écrit des trucs bizarres… CatSaTum les perles de la centrale… Les Enfants de la nuit ont repris avec une deuxième série… Les sorcières de Saint Amant continue… Samuel propose un Casting très drôle… Isilwen une Malédiction de la courgette décapante et drôle aussi… Mirthrandir une Maison hantée… OlivierK une Bien délicate mission… et Les apprenties débarquent… Les évaluateurs réguliers de l’époque sont Mirthrandir, Atchoum, Melinda, Myrhisse, Sky-doll, Patrick R.D., Catherine (auteur à ce jour de plus de 600 critiques), Favasso, Patoche, Chtulu, Lucius, X-avier, Noursette410, OeilCoquin, Baleine (qui deviendra aussi correcteur) et Nicoli, évaluateur régulier et prolifique qui a commenté plus de 1700 récits avec un point de vue souvent original, mais aussi l’inoubliable AlpoH… Surtout, ils sont très nombreux, les récits sont beaucoup évalués, la diversité des points de vue est riche… C’est l’âge d’or de Revebebe…
Ses compagnes de voyage buvaient les paroles de Gufti Shank.
- — Hidden Side, 47 récits aux scénarios travaillés à dominante SF, un évaluateur occasionnel mais surtout un participant très impliqué au forum et à la vie du site, à ses débats, au comité éditorial, à des concours… Cidoup, 41 textes… Kitty Lévine, 15… Eric Grand, 11… Et toujours en cet hiver 2008, quelques grands récits qui ont marqué le site : Si tu veux, tu sais où me trouver, de Vince (alias Karl) et Lise-Elise (alias…), qui récolte plusieurs 20, ce qui à l’époque était vraiment exceptionnel… Une mission impossible de DrLamb… Tendre initiation de Mademoiselle Hélium (aka …)… Redevance télévisuelle de Patrik… Le cycle de Caroline de Lacépière (aka …)… Girl creator de votre serviteur… et surtout Plan à trois avec ma femme, de Gonzo le clown…
On entendit clairement Aurélie soupirer. Mais son compagnon ne sembla pas y prêter attention et poursuivit :
- — Et le premier récit de Lilas, auteure de 41 textes bien notés, et qui s’est investie ensuite longtemps dans le site en tant que correctrice, évaluatrice (avec plus de 600 commentaires), animatrice et modératrice du forum qu’elle a participé à faire vivre au quotidien pendant plusieurs années…
Gufti Shank ressortit sa montre à gousset, l’ouvrit, et appuya sur deux de ses boutons.
- — Fin 2008, quelques très bons récits, les Morceaux choisis de John Dough, la Lettre d’Élise de Louise Gabriel, Le phénix à deux têtes de Laure et JP, les Pharomones bretonnes d’Olaf, Vraimodo de Guust, On se déshabillera plus tard de Jeff169… Les bonnes séries du moment sont L’étrangère de Lilas, Dans la peau d’un autre de Hidden Side, Mon patron, cet abruti d’Anne Grossbahn… Mais on peut aussi conduire Jenny en boîte… Les premiers récits de Fantasio, auteur de 26 textes… On a beaucoup de récits jaunes ou verts, pas forcément ou peu érotiques, tous ceux de HugoH, par exemple… On a les évaluations incroyables de Ziburu… Démon rejoint le site et s’y investit, un peu pour commenter, beaucoup pour corriger, et encore plus pour faire vivre, animer, modérer, organiser le forum…
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Une chambre d’hôpital, 13 272 (UTL) ; un homme est allongé dans un lit et contemple une femme en souriant.
- — Les pensées d’autrui, un chouette récit fantastique, optimiste. Et surtout l’arrivée de Louvilneau, auteur de sept très bonnes histoires toutes saluées par les évaluateurs, commentateur de près de 1000 récits, et surtout très impliqué en tant que correcteur, publieur, animateur et modérateur du forum. C’est en partie (si ce n’est parfois en quasi-totalité) grâce à lui que le site a continué et continue de fonctionner depuis de nombreuses années.
- — Louvilneau… souffla Susan. Une piste que j’avais déjà suivie à l’époque…
Gufti Shank et Ania l’observèrent un moment en silence.
- — Et que nous devrions suivre de nouveau. Aurélie, acceptez-vous de guider Ania sur la piste Louvilneau ?
- — Non, hors de question que je vous laisse toute seule avec Gufti, répondit l’interpellée du tac au tac. Vous n’avez qu’à y aller, vous. Je peux vous guider.
- — Et laisser Ania toute seule avec moi ? ricana Gufti Shank.
- — Elle est principalement attirée par les filles, me semble-t-il. Et surtout, elle ne se languit pas d’un bonheur passé avec toi perdu au fond de ses souvenirs…
Susan soupira lourdement.
- — Quand j’ai rencontré Mirthrandir au consortium de la fédération picarde, murmura Ania, il m’a assuré que la piste Louvilneau ne nous mènerait nulle part dans cette affaire.
- — Très bien, alors repartons ! trancha l’enquêtrice en chef.
Et de nouveau le décor se déroula sous les yeux des trois voyageurs.
- — Été 2009. La seconde interview de Revebebe par Padoum (où l’on apprend que Jean-Christophe, l’auteur du récit n°21 avec la grosse femme qui joue au flipper est en fait…). Les débuts d’Annie-Aime sur le site, évaluateur régulier ayant commenté plus de 2500 récits, auteur de 14, impliqué longuement dans l’équipe de correction, participant activement au forum et au comité éditorial… Des récits de Zébulon… Les premiers de Kristal (28 textes)… Les premières apparitions de Bazouk… Le concours « Sexe brut »… De nouvelles enquêtes de Don Booth… Des textes jaunes non érotiques, Jean de Sordon, Lilas, Gaed, Jean Balun… Le site a dix ans, et pour son anniversaire, il nous offre un festival de science-fiction ou d’anticipation, porté par un concours ; on trouve notamment l’excellent Super-X de Hidden Side, End of the world ou la Mission Survival de Domi Dupon, les 15 Errances d’Iam.Knowbodies, également évaluateur régulier et participant au forum, les Lagarde d’Alain Garic, Pour Tilya d’Harold B…
Les scènes défilaient, enivrantes et dépaysantes.
Le décor paraissait défiler de plus en plus vite sous les yeux des voyageurs.
- — Hiver 2010-2011, l’arrivée de Shiva__ , d’Herminie, d’Anophèle, auteures de 6, 5 et 4 récits, de nombreuses évaluations(ici ou là), et impliquées sur les forums… Un concours « théâtre » … Les récits originaux de Petit Bouquet (11 textes) ou de Café-Clope (5 textes)… Le rythme de publication ralentit doucement, on est plutôt à deux récits par jour, contre cinq il n’y a pas si longtemps.
Gufti Shank marqua une pause en attendant que l’environnement se stabilise un instant sur le salon d’un appartement.
- — Été 2011, l’arrivée de Rain, auteur de 20 récits de fantastique, de sf ou d’horreur, évaluateur régulier (sévère… :-) ) ayant commenté plus de 1300 histoires, et participant actif aux forums et à la vie du site en général, par exemple en tant que juré de concours… Et c’est aussi le début des Antilogies : on publie les recueils de mini-concours ayant lieu en forum sur des thèmes opposant deux concepts. Les évaluateurs réguliers de cette époque sont encore nombreux, Hidden Side, Louvilneau, AlainK, Natacha Torride (également correctrice), Café-Clope, Lacuzon, Lucien Ramier, Iam.knowbodies, Nicoli, Annie-Aime, Shiva__, Mirthrandir, Lilas, Tynette, Jacques Valcourant… Quelques textes ont marqué le site : Celui que tu ne verras jamais, de User Unknown… Corps à corps dans le Vercors de Ludwig Mrza…
De nouveau, les scènes défilaient sous leurs yeux.
- — Quelques inscrits proposent leurs premiers récits : Azkinato qui a écrit 11 récits de SM soft… Ingyt, auteur de 31 récits… Mais c’est surtout l’arrivée d’Athanagor, auteur de 6 récits tous très bien notés, évaluateur prolifique ayant commenté plus de 800 récits, participant régulier aux forums, aux concours, à la vie du site… C’est aussi de Noël 2011 que datent les derniers récits rescapés de Catherine, qui hante le site presque depuis son commencement… Charline88 propose ses premiers récits, il y en aura de nombreux par la suite, mais l’auteur demandera finalement le retrait de tous ses textes…
Gufti Shank consulta de nouveau son étrange montre.
- — 2012, VincenLise, auteur de 37 textes… Tortue675, 13 récits… Le gantier de Sainte-Florine de Tanis… Et les premières histoires de Someone Else, auteur d’une bonne vingtaine de récits originaux, fluides, vivants, tous très bien notés, évaluateur occasionnel, et membre impliqué dans la vie du site et dans les forums…
- — Someone Else, avez-vous dit ?
Ania regarda Susan.
- — J’y vais, répondit celle-ci d’un air décidé. Je vais suivre cette piste. Restez avec Gufti Shank, et tâchez d’en découvrir le plus possible sur l’un ou l’autre des rescapés de cette expédition himalayenne.
La jeune informaticienne acquiesça gravement en observant sa responsable lever la tête pour interpeller leur guide.
- — Aurélie ?
- — Oui, je vais vous conduire sur les traces de SomeoneElse, répondit la compagne de Gufti Shank.
À peine avait-elle dit ces quelques mots que le décor s’étirait de nouveau ; Susan sembla s’éloigner des deux derniers voyageurs qui continuaient de regarder défiler les récits et l’histoire de Revebebe.
- — Fin 2012, on en est au 15 000e récit publié. Et fin 2019, on s’approche gentiment du 20 000e. Environ 4 500 récits en 7 ans. On est à moins de deux récits par jour. Le site ronronne depuis cette époque. Fin 2012, c’est l’arrivée de Jakin, auteur de 10 récits, évaluateur, mais surtout très impliqué en tant que correcteur et participant activement à la vie du site et aux forums… de MarkTen, discret mais régulier participant… de Cheminamants, auteur de 30 récits… de Sergefra, auteur de 18… mais également de Maguy, auteur de très nombreux textes (et de très nombreux pseudos pour les commenter) finalement radié…
Tout évoluait de plus en plus vite autour d’eux.
- — 2013, le concours « Trame imposée »… Quelques auteurs discrets publient plusieurs récits, RobertAnne, 1Bichon, Fwm, Starpom, DuranDuran… Les participants actifs en tant que correcteurs, évaluateurs, animateurs du forum ou site sont Louvilneau, Favasso, Rain, Catherine, Lilas, Démon, Lucien Ramier, Nicoli, Atchoum, Jakin, Ldcc, Annie-Aime, Hidden Side, Mirthrandir et Ben04, auteur de plusieurs récits retirés du site, évaluateur occasionnel, et surtout impliqué dans les forums, les concours, et les discussions concernant la vie du site… En tout cas, à cette époque, un récit tout neuf pouvait encore espérer récolter une dizaine d’évaluations.
- — Selon nos données, murmura Ania après un silence, c’est à l’automne 2013 que Radagast publie sa première histoire.
Gufti Shank ressortit encore une fois sa montre à gousset et en tapota deux boutons. Le décor cessa bientôt de défiler pour s’arrêter sur la chambre-cuisine-bureau-séjour-débarras d’un minuscule studio où déambulaient un jeune homme et son chat.
- — Nous y voici. Ma louve rousse, de Radagast. Le premier de la soixantaine de textes qu’a publiés l’auteur à ce jour.
La belle informaticienne darda vers son guide des yeux aguicheurs de biche en chaleur.
- — Est-ce que vous m’accompagnez sur la piste Radagast ?
Il lui sourit en réponse.
- — Je vais laisser Aurélie vous y guider, et je vous retrouverai à votre retour.
Elle paraissait hésiter.
- — Est-ce que… est-ce qu’il y a d’autres choses à savoir de la grande histoire de Revebebe ? Qu’est-ce que je vais manquer ?
- — En explorant cette piste, vous suivrez l’histoire récente du site. Les auteurs réguliers, OlivierK, Patrik, Samuel, Olaf, Bertrand D, Hidden Side, Rain, Fantasio, Lauriolan, Bernard Nadette, Domi Dupon… et les nouveaux venus, Cyrielle, Camille Saint Clair, Love Doctor, Tito40, Roby, Nooz, Rollerbi, P-hpassage, Igitur, auteur de 15 récits très bien accueillis, Innocent (l’auteur le plus mal noté de tous les temps ?), Brodsky, auteur de 63 textes (sous ce pseudo) souvent insolites, évaluateur et participant impliqué dans la vie du site, Laure Topigne, 21 récits et évaluateur régulier, Samir Erwan, Clubescargot (auteure de 26 récits), ViolaFleur (de 28), Drulin (22), André 59, Martin, Pericles, Amarcord, Faustine (28 récits), Jane Does (25), Isa13450, Fantasmatique, L’artiste, ou surtout Calpurnia, auteure de plus de 50 récits fantastiques, originaux, inattendus, historiques, dérangeants, régulièrement saluée pour son écriture…
Ania sembla hésiter encore davantage. Gufti Shank poursuivit :
- — Vous traverserez les dernières années en suivant les évaluations de commentateurs prolifiques : Arobaz ou CUku (avec plus de 800 évaluations chacun), Kudu (4 textes et plus de 500 commentaires), Asymptote (5 récits et plus de 400 critiques). Mais surtout, plus récemment encore en vivant l’arrivée de nouveaux inscrits très impliqués dans le site, que ce soit en tant qu’auteurs, évaluateurs ou animateurs du forum : Charlie67 (10 récits très bien accueillis, plus de 1700 évaluations et une animation régulière du forum et du site), Loaou (12 textes dont l’excellente série Observés – dont j’attends la fin, au passage… – et une implication régulière en forum et sur le site, sous forme notamment de multiples idées pour les faire évoluer), Vous verrez aussi les concours les plus récents, « 100% dialogues », « Twist final », « Polar noir », ou encore « les 20 ans du site »…
- — Vingt ans… répéta, pensive, la jolie Polonaise.
Mais comme son compagnon de voyage l’observait sans comprendre sa remarque, elle reprit :
- — Il y aurait plusieurs autres pistes à suivre, plusieurs noms que vous avez mentionnés sont ceux de rescapés de l’ascension du Kangchenjunga. Mais si votre compagne accepte de me guider, je vais me lancer sur la piste Radagast.
- — Très bien, je vous retrouverai à la fin de votre voyage. Aurélie va vous prendre en charge.
Et Ania eut l’impression que le corps de l’homme devenait peu à peu transparent. Lorsqu’il eut totalement disparu, elle se retrouva seule à contempler dans le décor une femme en pleurs, assise sur une marche devant l’entrée d’un autre appartement, les mains emmaillotées dans des pansements. La voix d’Aurélie résonna tout autour d’elle :
- — Vous êtes prête ?
- — Oui, allons-y, je dois découvrir les tréfonds de l’âme de Radagast !
***
Suite n°21 de l’hôtel Overlook, vendredi 8, 18 h 51 (HL)
Susan Jordan s’éveilla la première ; à côté d’elle, Paco avait apparemment une fin de sommeil agité, il n’allait sans doute pas tarder à ouvrir les yeux. Elle s’étira, regarda l’heure, repensa à cette étrange expérience. Son esprit embrumé avait fixé une bonne partie des images de leur voyage, et c’était comme si elle avait vécu tous les récits de Someone Else. Mais par-dessus tout, elle se sentait très excitée, hantée par des scènes de sexe à bord d’un navire-pirate. Avec un sourire carnassier, elle se tourna vers Paco, mais elle eut soudain une autre idée : maintenant que cette peste d’Aurélie n’était plus là pour la surveiller…
Silencieusement, elle quitta le lit et alla sur la pointe des pieds jusqu’à la porte qui ne grinça qu’à peine lorsqu’elle l’ouvrit. Le couloir lui sembla désert. Avant de s’enfermer ici avec Paco, elle avait entendu que Gufti Shank était dans la troisième chambre ; elle allait le rejoindre discrètement et ils allaient faire l’amour sauvagement comme dans ses plus brûlants souvenirs. Mais alors qu’elle allait s’avancer, elle entendit s’ouvrir une pièce voisine. Des murmures lui parvinrent et, observant par l’entrebâillement de la porte presque fermée, Susan aperçut ses deux collaboratrices, Ania et Cho, sortir dans le couloir en tenue légère et, étouffant des rires et des gloussements, tapoter doucement à la porte de la chambre suivante avant d’y entrer en ricanant.
Agacée, contrariée, déçue, et exaspérée par ces deux petites salopes censées être lesbiennes qui venaient de lui piquer la place, Susan claqua la porte en grommelant et en se promettant d’aller tout balancer à Aurélie. Mais en attendant, elle reporta ses attentions sur Paco, que le bruit venait d’éveiller et qui semblait se demander où il était. Il avait intérêt à assurer, se dit-elle en déboutonnant son chemisier.
***
Salon d’accueil de la réception de l’hôtel Overlook, vendredi 8, 20 h 08
- — Il nous reste à vous remercier pour votre aide et votre hospitalité.
Junione était restée une bonne partie de l’après-midi auprès d’Aurélie, l’avait observée guider les voyageurs, et, au fur et à mesure qu’elle lui en avait fait part, avait pris note de leurs ressentis et impressions. À la fin de cette curieuse expérience, leur hôtesse avait dû s’absenter, prétendument appelée par ses responsabilités dans le fonctionnement de cet inquiétant hôtel. Susan et Paco avaient retrouvé Junione quelque temps après leur réveil ; ils paraissaient détendus et enthousiastes des pistes qu’ils avaient découvertes en suivant la trace de l’un ou l’autre des rescapés de l’expédition du Kangchenjunga. Gufti Shank les avait rejoints aussi, changé et pimpant, sortant visiblement de la douche. Il tenait un petit coffret en bois sombre sculpté de nombreux motifs finement ciselés.
- — Vous êtes sûrs que vous ne voulez pas passer la nuit ici ?
- — Non, merci, c’est gentil, répondit la vieille femme. Nous devons nous hâter d’aller soigner ces malheureux au Népal. Êtes-vous toujours d’accord pour nous y aider ?
Leur hôte sortit de sa poche une petite clé argentée qu’il introduisit dans la serrure du coffret.
- — Oui, répondit-il, dans la mesure où de votre côté vous l’êtes toujours pour que rien ne soit officiel.
Il fit tourner la clé, ouvrit le couvercle de la boîte, et en sortit un curieux objet doré et cabossé.
- — Oh ! s’exclama Susan. C’est… c’est Bazouk ?
- — Oui, fit Aurélie en reparaissant derrière son compagnon. Mais ne rêvez pas, très chère, nous n’allons pas vous le confier. Et comme il est hors de question que je laisse Gufti seul avec vous, je viens aussi.
- — Mais, ma puce…
- — C’est ça ou rien, mon amour… l’interrompit-elle avec une moue rageuse qui fit plaisir à Paco.
Susan soupira.
- — Très bien, reprit Junione, alors dès qu’Ania et Cho nous auront rejoints, nous pourrons…
- — Ah oui, au fait, coupa encore Aurélie, elles sont descendues il y a quelques minutes, et elles m’ont chargée de vous dire qu’elles partaient devant.
Tous la regardèrent avec étonnement. Haussant les sourcils, elle expliqua encore :
- — Rendez-vous à Bucarest, ont-elles dit. À mon avis, elles ont déjà dû prendre le bac.
Gufti Shank observa sa compagne d’un air suspicieux. Elle soutint son regard en lui retournant des yeux qu’elle s’efforçait de faire paraître candides et innocents, mais dans lesquels se lisaient malice et rancœur.
***
Suite n°23 de l’hôtel Overlook, vendredi 8, 20 h 20
Bâillonnées et menottées nues, bras et jambes écartés sur le lit king-size, Ania et Cho tentaient d’appeler à l’aide depuis un bon quart d’heure sans le moindre succès lorsque la porte de la chambre s’ouvrit enfin pour leur plus grand soulagement, dévoilant Gufti Shank que suivaient Paco et Susan. Celle-ci se mordit la lèvre en découvrant la scène, regrettant instantanément d’avoir pu suggérer quoi que ce soit à cette folle d’Aurélie.
- — Oh mon dieu ! Cho ! Ania !
Paco se précipita pour dénouer les liens des bâillons (non sans contempler discrètement les magnifiques corps dénudés de ses deux collègues).
- — Que s’est-il passé ?
- — C’est Aurélie ! expliqua Ania lorsque sa bouche fut libérée. Elle est entrée ici et est devenue complètement dingue !
- — Elle s’est jetée sur nous, nous n’avons rien pu faire ! compléta Cho.
Gufti Shank soupira en s’avançant à son tour.
- — Je suis désolé, sincèrement.
Tandis que les deux hommes s’affairaient à libérer les enquêtrices, Susan ne pouvait s’empêcher de s’interroger quant à la furie dans laquelle devait se trouver Aurélie : comment cette femme avait-elle pu venir aussi facilement à bout de deux enquêtrices du GNO, athlétiques, surentraînées et rompues à toutes sortes de techniques de combat ?
- — Je vais chercher les clés de ces menottes, dit Gufti Shank en se relevant. Ou en tout cas de quoi les ouvrir.
Il s’éloigna et sortit de la chambre. Devinant sans doute les pensées de leur responsable, Ania tenta de se justifier :
- — On venait tout juste de se réveiller, on ne s’y attendait pas… On était encore assoupies…
- — C’est curieux, persifla Susan, j’aurais pourtant juré que vous étiez dans la chambre voisine…
- — Euh… je… c’est… balbutia Cho, c’est sans doute cette expérience de rêve partagé qui…
- — Bon, allez, ne vous fatiguez pas…
S’approchant d’Ania pendant que Paco s’évertuait à ouvrir un des bracelets qui menottaient la belle Asiatique, Susan se saisit du bâillon que le jeune Sud-Américain venait de lui ôter, et s’en servit pour essuyer le front et la tempe gauche de la jolie Polonaise.
- — Tenez, d’ailleurs, vous en avez encore un peu là…
Ania rougit un peu plus en dardant ses yeux penauds et confus dans ceux moqueurs mais désolés de Susan.
***
Embarcadère de l’île Banana, Europe de l’Ouest, vendredi 8, 21 h 45
- — Nous espérons que vous avez passé un agréable séjour, et nous vous souhaitons un bon retour.
Les enquêteurs, sidérés, observaient Aurélie déclamer d’un ton froid les formules d’usage. Avec une amabilité forcée cynique et insistante, elle poursuivit en contemplant tour à tour Ania et Cho, qui se contenaient pour ne pas exploser :
- — Nous sommes désolés pour la gêne occasionnée par ces petits désagréments de fin de séjour, et serons très heureux de vous offrir une réduction lors de votre prochain séjour à l’hôtel Overlook.
- — Bon, ça va aller, grommela Gufti Shank. Tu crois pas que t’en fais un peu trop ?
- — C’est pas moi qui ai commencé… rétorqua sa compagne avec un sourire espiègle. Je t’attends à la réception.
Elle lui déposa un baiser puis fit demi-tour et s’éloigna d’un pas léger sur le chemin de l’hôtel en roulant de ses fesses somptueuses sous les yeux voraces de Paco.
- — C’est sans doute mieux comme ça, chuchota Junione quand elle se fut éloignée. Je ne crois pas que sa présence aurait favorisé le bon déroulement de cette mission.
Se tournant vers Gufti Shank, elle poursuivit :
- — Ni la vôtre, d’ailleurs. Il semblerait que dès que le GNO a affaire à vous, ça finisse bizarrement…
Ania et Cho baissèrent les yeux. L’interpellé avait du mal à se retenir de ricaner ; Paco, lui, avait du mal à se retenir de lui péter la gueule.
- — Au moins vous comprenez sûrement mieux ce qui s’est passé en 2010… marmonna Susan.
Mais personne ne releva et Junione continua :
- — Alors c’est définitif, vous ne venez pas ?
- — Oui, je pense que c’est mieux pour tout le monde que je ne vous accompagne pas.
- — Et vous pensez que ce Mithrandir est fiable ?
- — Mirthrandir, corrigea Gufti Shank. Oui, vous pouvez compter sur lui.
Susan et Ania renchérirent l’une après l’autre :
- — Je l’ai longuement côtoyé en 2010, j’ai eu totalement confiance en lui.
- — Et moi je l’ai rencontré hier matin, il m’a fait bonne impression.
- — À part pour cette sombre histoire de lubrifiant, il n’est pas fiché dans les registres du GNO, confirma Paco en parcourant des dossiers sur un smartphone.
- — Et vous acceptez de lui prêter votre théière ? demanda encore Junione. Vous pensez qu’il saura l’utiliser ?
- — Ça lui rappellera les bons moments de 2010… Je viens de lui parler en visio ; c’est d’accord pour tout. Il passe ici prendre Bazouk, on fait un briefing et il vous rejoint à Katmandou. Évidemment, c’est le GNO qui prend en charge tous ses déplacements et ses frais.
- — Il lui faudra également un faux passeport, annonça Cho.
Comme tous la regardaient sans comprendre, elle précisa :
- — C’est un ressortissant belge, il ne sera pas admis si aisément au Népal…
- — Ah oui, c’est vrai, j’avais oublié ! soupira Gufti Shank. Encore les suites de ce match de base-ball qui a mal tourné… Mais ce ne doit pas être un problème pour le GNO de lui fournir de faux papiers suisses ?
- — Pourquoi suisses ?
- — Je ne sais pas, sans raison particulière.
- — Et pour franchir les contrôles avec la théière ?
- — Il faudra être prudent et veiller à ce que les douaniers ne la frottent pas outre mesure. Sinon, eh bien… ce sera à Mirthrandir d’improviser…
***
Salon de l’hôtel Overlook, samedi 9, 11 h 10
- — C’est vraiment pour te faire plaisir, Gufti… parce que bon, moi je m’en fous un peu qu’ils restent coincés dans leur asile là-bas au Népal. Je leur avais dit que c’était une mauvaise idée.
- — Mais j’irais bien, moi, mais c’est Aurélie qui…
- — Attention à ce que tu vas dire… fit justement celle-ci en les rejoignant dans le grand salon.
Gufti Shank ne l’avait pas entendue arriver et resta un moment hésitant, puis il reprit à l’attention de Mirthrandir, assis face à lui :
- — Bah, tu vas faire un beau voyage à Katmandou avec Bazouk, tous frais payés par le GNO… et puis tu peux penser aussi à l’image de Revebebe…
Il se retourna pour vérifier qu’Aurélie, affairée à autre chose, ne l’observait pas et reprit en chuchotant :
- — Et puis tu verras, ces filles ont du tempérament… surtout les deux jeunes…
- — Comment ? demanda vivement Aurélie. Tu disais ?
- — Euh, non… rien, ma puce. Je disais qu’il était temps de faire sortir l’animal. Alors, tu te souviens ?
Gufti Shank effleura à plusieurs reprises la théière dorée qui trônait bien en évidence sur une petite table face aux deux hommes. Une forme évanescente bleutée s’en éleva en tournoyant, semblant y prendre vie, et dessinant bientôt une créature potelée qui attendait, les bras croisés sur sa poitrine, en arborant un grand turban et un large sourire.
- — Bazouk, tu te souviens de Mirthrandir ?
- — Oui ! répondit le génie. Je m’en souviens bien ! Lui et moi avons beaucoup ri ensemble il y a quelques années !
Mirthrandir grommela :
- — Oui, enfin, c’est surtout lui qui avait ri…
- — Bon, voilà, très bien. Alors je voudrais que tu acceptes de te mettre à son service pour quelques jours. Nous avons besoin de ton aide pour ramener à la raison quelques personnes égarées.
- — Si je peux me rendre utile…
Mais la créature leva doctement l’index avant de poursuivre :
- — Dans la limite de ton intérêt, du mien, et de celui du reste du monde !
- — Parfait ! Alors, écoute bien, Bazouk : mon intérêt, c’est que tu reviennes entier ; pour cela, ton intérêt, c’est que Mirthrandir ne te noie pas dans le sel ; et pour cela, l’intérêt du reste du monde est que tu ne fasses pas de sottises…
Le tas de fumée parut se renfrogner quelque peu.
***
Suite n°99 de l’hôtel Overlook, lundi 11, 20 h 10
Avachis l’un contre l’autre dans un gigantesque canapé de la plus belle suite de l’hôtel, Aurélie et Gufti Shank dégustaient un apéritif en regardant distraitement les informations diffusées par un très grand écran.
- — International, à présent. Les relations népalo-belges se seraient encore dégradées.
Tous deux se redressèrent pour fixer plus précisément leur attention sur les paroles du journaliste.
- — En effet, le comité mis en place pour se substituer au gouvernement de transition du Royaume de Belgique accuse le Népal d’avoir détenu contre son gré un ressortissant belge. Les autorités népalaises, en revanche, assurent que ce ressortissant était retenu avec une douzaine d’autres, essentiellement français, pour des raisons sanitaires. Ces difficultés ne sont pas sans rappeler l’affaire du quart de finale de base-ball féminin d’il y a onze ans. Le rappel des faits avec Julie M’bolo-N’Guyen.
- — Et voilà, ils vont encore nous faire chier avec leur match à la con ! bougonna Aurélie en changeant de chaîne.
- — … que les médecins népalais grâce au soutien de la Suisse, qui a délégué sur place un exorciste. Celui-ci, avec l’aide des médecins et d’une équipe spéciale du GNO, a pu ramener hier soir à la raison les touristes occidentaux qui demeuraient depuis plusieurs jours dans un état second. Ils ont pu être évacués dans la nuit par avion jusqu’à l’aéroport international de Bar-le-Duc. L’exorciste suisse, dont l’identité n’a pas été rendue publique, a quant à lui été retenu par la Sûreté népalaise en raison de liens supposés avec l’équipe de base-ball féminine belge. En réaction, Éric Trompette, le Président de la Nouvelle République Réformée d’Europe Occidentale a tweeté qu’il le remerciait, l’assurait de son soutien, et a promis qu’aussitôt libéré par, je cite, « ces enculés de Viet-Cong », l’exorciste se verrait remettre la très grande Légion d’honneur du Congrès ouest-européen.
- — Cool ! ricana Gufti Shank. Mirthrandir va être décoré ! Il va être content !
- — Oui, aussitôt qu’il aura quitté le Népal…
- — Économie, à présent. Nous apprenons ce soir que les stocks de lubrifiant ont subitement baissé en quelques heures dans tout le quart nord-est de la France, faisant craindre une rupture et une spéculation qui, selon les…
En soupirant, Aurélie changea de chaîne et la télé diffusa ensuite de la musique et des clips. Un téléphone posé sur la table devant eux sonna et vibra. Gufti Shank s’en saisit, en regarda l’écran et sourit.
- — Tiens, ben c’est justement lui…
Il décrocha en déclenchant le haut-parleur.
- — Allô ? Gufti ?
- — Oui. Alors, ça va ? Tu es retenu au Népal ?
- — Pfff ! Je te préviens, c’est la dernière fois que je te rends ce genre de service ! La prochaine fois, tu iras toi-même, et tant pis pour les histoires avec tes gonzesses !
- — Ben non, beugla Aurélie, pas tant pis !
- — Le GNO n’a pas pu te sortir de là ?
- — Si, si, c’est bon, je suis dans l’avion pour rentrer, mais c’est Bazouk, je n’arrive pas à le contrôler comme il faut.
- — Ben fais gaffe quand même, surtout si vous êtes en avion…
- — Non, non, c’est bon, là ; j’ai réussi à le faire rentrer dans sa théière. Mais je crois que je vais avoir besoin d’aide en arrivant…
***
Salon de l’hôtel Overlook, mardi 12, 3 h 35
Gufti Shank semblait amusé mais pas Mirthrandir ; celui-ci venait d’entrer, entouré par les enquêteurs du GNO qui n’avaient pas l’air dans leur état normal : Ania, Cho, Susan, Junione et même Paco se blottissaient et se frottaient contre lui à qui mieux mieux, le caressant, l’embrassant, le cajolant, ou glissant leurs mains à tour de rôle partout sur son corps.
- — Hmmm… Mirthrandir, mon héros !
- — J’ai envie de toi, Mirthrandir !
- — La différence d’âge n’est rien quand on aime, Mirthrandir !
- — Oh, Mirthrandir ! Marions-nous !
- — Mirthrandir, maintenant que tu as revu Gufti, abandonnons tout et installons-nous ensemble dans une bergerie en Pologne !
Aurélie était écroulée de rire, mais Mirthrandir moins. Avec un regard exaspéré, il tendit à Gufti Shank le coffret qui contenait la théière dorée.
- — Bon, installe-toi, lui répondit celui-ci en souriant, je vais voir ce que je peux faire…
***
Une grotte, quelque part dans la Meuse, mardi 12, 8 h 45
Trois hommes discutaient près de nombreuses bougies assemblées au cœur de la caverne, qu’elles éclairaient faiblement. Un peu plus loin, un groupe d’hommes et de femmes entassaient plusieurs piles de caisses dans un recoin de la grotte. Quand ils eurent terminé, ils rejoignirent les trois personnes et tous se disposèrent en cercle autour des bougies, puis l’un d’entre eux prit la parole :
- — Bien, avec tout ce lubrifiant et ce whisky, nous devrions pouvoir tenir un moment. Radagast va maintenant ouvrir la séance.
- — Merci. Mes amis, commençons par nous recueillir pour scander et louer le nom de notre sauveur.
Tous s’agenouillèrent, posèrent les mains sur le sol, et une étrange litanie s’éleva de leur groupe, où chacun semblait en transe et psalmodiait d’une voix lente et mécanique :
- — Mir-thran-dir ! Mir-thran-dir !