Une Histoire sur http://revebebe.free.fr/
n° 19888Fiche technique33537 caractères33537
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Temps de lecture estimé : 24 mn
06/11/20
corrigé 05/06/21
Résumé:  Marc découvre la loi des séries. En l'occurrence, une série noire, qui accélère à la vitesse d'un TGV. Attention, un gadin peut en cacher un autre. Et là, ça déraille pour de bon.
Critères:  #humour fh revede
Auteur : Amarcord      Envoi mini-message

Série : Mauvaise réputation

Chapitre 02 / 03
Je ne suis pas celui que vous croyez



Elle révèle un visage agréable, traits réguliers et bouche sensuelle. Elle doit faire partie de ces femmes bien plus séduisantes à l’approche de la quarantaine qu’elles ne le furent plus jeunes. Elle fut certainement jolie autrefois, mais elle a gagné une forme d’assurance conquérante, une classe évidente devant laquelle on ne peut que s’incliner. Je suis d’ailleurs un peu gêné d’avoir testé sur elle, avant de rejoindre le rendez-vous, les ressources du générateur de texte gonflé à l’intelligence artificielle. Après quelques réglages appropriés des curseurs, celui-ci m’a restitué un paragraphe court, mais troublant. *


Helen is facing Mark across the desk. She is wearing an elegant, strict suit, but whose cleavage reveals the upper part of her breasts. She defies him with a smile, her bewitching perfume reaches him. Mark knows it : she is the huntress, he is the prey.

(Hélène fait face à Marc, de l’autre côté du bureau. Elle porte un tailleur élégant, strict, mais dont l’échancrure révèle la naissance de ses seins. Elle le défie d’un sourire, son parfum lui parvient, envoûtant. Marc le sait : elle est la chasseresse, il est la proie.)


Les yeux d’Hélène le détaillent. Elle s’amuse de cette traque, elle goûte cette excitation, le danger qu’elle mesure en anticipant sa réaction. Son instinct animal est éveillé, et elle sait que son parfum l’envahit, ébranle ses pensées.


— Non, ce n’est pas le cas, dit-il.


Il a un aveu à lui faire. Il reste plein de doutes. Mais Hélène sait déjà à quoi s’attendre. Elle le sent. C’est tellement évident.




Il est dépouillé, son bureau. Pas un papier qui traîne, quand le mien est toujours envahi par un joyeux bordel, dans lequel je me retrouve, ceci dit, parfaitement. Tout juste y a-t-elle posé les trois cadres de rigueur. Le fiston de dix ans sur son vélo. Une mignonne petite princesse avec ses tresses. Et leur probable géniteur, un grand mec souriant, genre Ken de Barbie, muni des accessoires et du costume de la boîte « Champion à Wimbledon ».



Elle sourit



L’espace d’un instant, je repense au générateur de texte, quand il perdit tous ses moyens. Je la veux, elle ne me veut pas. Elle me veut, je ne la veux pas. Il et Elle veulent ou ne veulent pas, sans arrêt, et jamais synchrones. Peut-être. Peut-être pas. Tout cela est bien confus.





~~oOo~~




Un petit bip a retenti sur mon portable, signalant l’arrivée d’un message WhatsApp.


« Groupe Rat Pack

Alors comme ça, on s’exhibe sur la toile ? T’es libre ce soir ? On a un truc rigolo à te montrer. »


Qu’est-ce qu’ils me veulent encore, mes potes ? C’est quoi ces conneries ? Quant à les voir, pas question, j’ai d’autres projets, avec Barbara.


« Pas ce soir, j’ai rencard avec une créature. »

« Sois performant, dans ce cas ! C’est important de laisser une bonne première impression ! ☺ »


Quand on parle de la louve… Message WhatsApp de Barbara !


« Marc, désolée, j’ai un empêchement de dernière minute. Je dois annuler. »

« Pas de problème, je décommande le restau. Annuler, non, on reporte. Samedi ? »

« Pas possible non plus. »

« Dimanche ? Mercredi ? »


Pas de réponse. Jusqu’à ce que retentisse un appel vocal.



Elle a déjà raccroché.




~~oOo~~




De retour à l’appart, je me précipite sur mon laptop, tape fébrilement « ratemydate » et atterris sur la page d’un site qui propose aux gens de donner une cote assortie d’un commentaire à leurs partenaires sexuels de rencontre. On n’arrête pas le progrès.


J’introduis mon nom dans le moteur de recherche des utilisateurs référencés. Merde, comme dirait la belle Hélène, aurais-je un homonyme que j’ignore ?


Une fiche apparaît, en tout cas. C’est bien mon nom. Et Barbara a raison pour la photo. Sauf que ce n’est pas ma queue. Le mec est monté comme une crevette. Je ne sais pas à quelle température il se savonne la bistouquette, mais on dirait bien qu’elle a sérieusement rétréci au lavage.


Côté popularité, c’est pas glorieux. Cote d’appréciation : 2, 33 sur 5. Ça fait pas la moyenne. Me voilà envahi par l’hébétude du patineur artistique assis sur le banc à l’issue de son programme. Il sait qu’il s’est viandé sur le double Lutz, qu’il a morflé dans le triple Axel, qu’il a tellement foiré la pirouette qu’il en a raclé la glace des incisives, et il n’ignore pas que les juges sont de vieilles peaux de vaches qui ne rateront pas l’occasion de l’humilier pour mieux favoriser les athlètes de leur nation. À quoi pense-t-il à cet instant, le pauvre garçon, en attendant les notes comme un marmot d’autrefois à l’école des fans ? Dix ans d’entraînement quotidien, et tant de tours de piste à dandiner du cul dans une atroce combinaison moule-couilles à froufrous, sur un remix tout pourri du boléro de Ravel, tout ça pour se prendre une sévère giclée de zéros pointés dans les gonades ? Si c’était à refaire, il choisirait pas ça, comme sport. Il s’inscrirait au Fight Club. Et le premier à qui ça plaît pas, pan dans les dents !


Et c’est bien mon état d’esprit. Parce qu’il y a pire encore que les notes. Il y a les commentaires.



★ ☆ ☆ ☆ ☆

Plutôt sympa, mais un obsédé sexuel qui devrait se soigner. C’est pas moi qui ferai l’infirmière.

Dominique du Barreau


★ ☆ ☆ ☆ ☆

Un incorrigible coureur de jupons. Je ne sais pas ce qui m’a pris de lui céder, alors que je pouvais me faire le top du top, mieux équipé et plus vigoureux - voir le profil de François V,, fiche N°49762.

Anne Hulard


★ ★ ★ ★ ★

Ne vous fiez pas aux avis précédents, très malveillants. Le meilleur coup de la ville. Cinq étoiles, sans parler de celles que j’ai encore dans les yeux. Quelle nuit !

Cécile


Putain, ça, c’est signé Dominique et François, et leur canular vient de me casser le meilleur coup qui me tendait les bras.




~~oOo~~




Ouverture de la session Zoom. Sur la webcam, j’ai la mine de Clint Eastwood quand il tend la pelle à Eli Wallach en lui expliquant que le monde se divise en deux catégories de gens : ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent. Et eux, la brute et le truand, ils creusent face à moi sur l’écran. En s’enfonçant de plus en plus, tout penauds, à force de chercher des excuses inutiles.



« Erreur. Mot de passe incorrect. Réessayez… »



« Erreur. Mot de passe incorrect. Réessayez… »



« Erreur. Mot de passe incorrect. Ceci était votre dernier essai. Vos tentatives de connexion infructueuse sont considérées comme suspectes. Contactez l’administrateur. Vous ne pourrez provisoirement plus déposer d’évaluations des autres membres. Votre fiche personnelle restera en revanche visible et active pour les autres utilisateurs. »


Un profond silence traverse la vidéoconférence. J’ai de plus en plus la dégaine du bon vieux Clint, il ne manque que les notes de guimbarde, la plainte de l’harmonica. Et puis la voix de Dominique s’alarme.



Effectivement. Et ça n’arrange pas ma moyenne.


★ ☆ ☆ ☆ ☆

Chiant, pas drôle, aucune sensation, aucune émotion. Sans imagination, je n’ai pas vibré, j’ai attendu que ça se passe et je n’ai éprouvé aucun plaisir. J’aurais mieux fait de me regarder un truc sexy toute seule à la maison.

Cindy


☆ ☆ ☆ ☆ ☆

Plus jamais. La pire expérience de ma vie, et Dieu sait que je suis une gourmande, je ne fais pas ma difficile, même quand c’est épicé, mais il y a des limites à tout.

Sarah





~~oOo~~




Jeudi. Finalement, j’ai bien dormi, après avoir vidé ma colère. Et ce midi, je goûte une bonne rasade de soleil automnal. Sans masque. Je grille même une cigarette. Le pied. C’est fou, voilà deux gestes qui en d’autres lieux me feraient passer pour un asocial ou un oisif. Détrompez-vous. Le jeune Arthur, qui gère dans mon équipe les contacts presse et les réseaux sociaux, vient de recevoir une demande d’interview de la part d’une journaliste d’un magazine féminin. Une certaine Julie Danvers, cheffe de rubrique chez Girlz. Une excellente occasion de gérer la réputation de la marque que je représente, tout en mettant bas les masques sur la terrasse du bistrot de notre brasserie, où le public peut déguster toutes nos bières. J’attends qu’elle se pointe.


La voilà qui arrive, accompagnée d’un photographe. J’ai bien fait de me raser, m’habiller un peu smart.


Merde, dirait Hélène. Qu’est-ce qu’elle est mignonne ! Chaque fois que je m’offre une petite friandise signée Radagast sur Rêvebébé, je pense aux films de Philippe de Broca avec Belmondo. Résultat, j’ai décidé de réviser mes classiques, et de visionner toutes ces pelloches qui ne font pas leurs quasi cinquante ans. La semaine dernière, je me suis donc fait l’Incorrigible. Eh ben, devine quoi : la petite Julie-reporter, c’est ni la Dorléac, ni la Ursula, ni la Bisset. C’est comme un miracle. Comme si Marie-Charlotte Pontalec venait de s’échapper de la bande de celluloïd pour rejoindre la vraie vie. Comme si elle se proposait de me servir de tutrice et se charger de soulager l’application de toutes mes peines. Face à moi, c’est le double de ma Bebel-girl préférée qui s’avance, une autre Geneviève Bujold, et ça me rend tout chose.



Et là-dessus elle m’adresse un sourire qui fait s’évaporer les restes de ma mauvaise humeur. Trente-deux quenottes éclatantes, le compte est bon, et si vous y ajoutez ces irrésistibles petites fossettes, le mien aussi. Elle peut me demander ce qu’elle veut, et même si je n’ai pas réponse à tout, je m’étendrai volontiers, en rêvant gentiment à l’improbable hypothèse qu’elle en fasse autant.



Elle est mignonne, sage et sérieuse en apparence, mais de temps, son petit nez mutin se retrousse, ses yeux se font espiègles. Elle commande un Perrier, le photographe accepte pour sa part volontiers la bière, s’installe un peu à distance, le temps qu’elle mène l’interview.



Nœud dans la gorge, je bafouille.



Elle acquiesce, sourit avec une forme de bienveillance amusée.



Ça s’appelle un râteau monumental. Rester souriant. Enchaîner.





~~oOo~~




Au cours des derniers jours, je me suis imposé une cure de réalité. Abstinence digitale : silence sur Twitter, absence sur Instagram. Facebook, je n’y suis pas, depuis toujours, et délibérément. J’ai délaissé le générateur de texte, que j’avais davantage testé par curiosité que par véritable intérêt pour sa prose dopée à l’intelligence artificielle. Je ne me suis pas connecté sur Rêvebébé, mes petits textes peuvent bien y plaire à quelques-uns ou sombrer dans l’oubli, peu importe. Pas envie d’y lire, non plus. Et puis j’ai bien sûr soigneusement évité d’aller revoir cette maudite page de canular sur RateMyDate qui m’a manifestement privé d’une nuit bien douce. Et qui sait, de mieux encore, d’un début d’histoire d’amour, si affinités. J’espère simplement que François tient parole, et qu’il s’active à supprimer ce compte intempestif.


Je m’efforce de ne pas être amer, de prendre ce revers si malchanceux avec le détachement et l’humour que j’ai revendiqués en expliquant le sens de mes petites contributions sur Rêvebébé à Julie, la délicieuse journaliste qui m’a gracieusement envoyé balader. Elle non plus ne m’a toujours pas renvoyé son texte, et finalement ça m’arrange. Après cette indigestion de tentations décevantes, je hausse les épaules et prends la vie comme elle vient.


Farah, mon ex, m’a appelé, plutôt gentiment, pour prendre de mes nouvelles. Ce n’était, ceci dit, pas tout à fait désintéressé. Accessoirement, elle m’a demandé si ça me dérangerait de lui prêter la tente Quechua. Elle compte passer quelques jours dans les Cévennes, « avec quelqu’un ». Quelqu’un de manifestement pas trop différent. Non, bien sûr, ça ne me dérange pas, même si la démarche manque un peu d’élégance. Mais je ne lui en veux pas, je lui souhaite sincèrement de trouver ce qu’elle cherche, et d’abord de le savoir, aussi.


Me voilà presque zen, occupé à revoir le plan média du prochain lancement.


Arthur entre dans mon bureau sous le prétexte de me demander si je veux qu’il me rapporte un sandwich du snack voisin. J’accepte en le remerciant, mais remarque aussitôt qu’il me dévisage de façon bizarre.



Il me tend son iPhone, et je découvre l’objet du délit.


D’abord la photo : ma gueule enfarinée, couverte du masque, certes, mais manifestement détendue, et levant mon verre en direction du photographe, comme s’il y avait quelque chose à fêter.


Ensuite, le titre :


Cet homme est le pire coup du monde, mais il le prend bien !


Et puis le chapeau d’introduction de mon interview :


M. H., 36 ans, possède la pire moyenne du monde sur l’application RateMyDate, ce nouveau service communautaire où il est désormais possible d’attribuer une note à ses partenaires sexuels. Si ce spécialiste du marketing travaille de jour pour une brasserie, c’est en véritable stakhanoviste du sexe qu’il consomme de nuit les brunes et les blondes, puisque des milliers de partenaires ont évalué leurs rapports intimes avec lui. De quoi confirmer le dicton « Qui trop embrasse mal étreint », car le moins qu’on puisse dire est qu’elles n’en ont pas gardé un souvenir impérissable. Une situation qu’il prend avec beaucoup de philosophie, dans l’interview qu’il a accordée à notre reporter Julie Danvers.


Nausée. Guibolles en coton. Qu’est-ce que c’est que ce truc ?


Je me précipite vers mon écran, tape l’adresse de RateMyDate, cherche ma fiche apocryphe. Elle est toujours là, désormais encombrée de commentaires qui s’étalent à l’infini, quand je déroule l’ascenseur latéral.


★ ☆ ☆ ☆ ☆

Accueil courtois. Les hors-d’œuvre sont plutôt sympas. Ça se gâte dès l’entrée, la portion est vraiment trop maigre. Service trop rapide, le plat de résistance arrive aussitôt, noyé dans la purée. Le dessert ? Non merci. L’addition, vestiaire, et pas de livre d’or.

Lucie-fair



★ ☆ ☆ ☆ ☆

De prime abord, plutôt engageant, mais ne vous y fiez pas. La propreté laisse à désirer. Trop petit, minuscule même. Je n’ai couché qu’une fois et puis je me suis cassée. À éviter. Il y a bien mieux dans les environs.

Globe-trotteuse



☆ ☆ ☆ ☆ ☆

Nous sommes un couple de retraités allemands qui aimons faire de nouvelles découvertes. Les prestations étaient de niveau correct, jusqu’à ce que nous nous mettions au lit. Nous n’en gardons que de mauvais souvenirs, et bien des démangeaisons. Rétrospectivement, une expérience épouvantable, il nous a fallu des semaines pour venir à bout des petites bêtes indésirables.

Horst & Gerda


Et il y en a 19 352 autres comme ça, de comptes-rendus de rapports sexuels, et 100 % de partenaires insatisfaits, des deux sexes.


Merde, je ne me savais pas aussi sexuellement actif. Si j’ai tant grimpé, c’est comme disait l’autre à l’insu de mon plein gré.


Vite, un texto à François en lui disant d’aller voir. En le couvrant d’insultes, aussi.


Colère froide.

Je saisis mon téléphone, forme le numéro. Trois sonneries. Elle décroche.



Je lui explique en vitesse le quiproquo. Le canular foireux de mes potes. Rêvebébé. L’incompréhensible avalanche d’évaluateurs inconnus qui m’accablent. Le cauchemar.


Seul un long silence me répond à l’autre bout du fil.



Je raccroche. Ma tête tourne. Après, il y a un trou noir. Un vertige, une douleur intense, et puis plus rien.



* Tous les extraits attribués ici au générateur de texte aléatoire sont authentiques et ont été reproduits sans la moindre altération.