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n° 20130Fiche technique138511 caractères138511
Temps de lecture estimé : 79 mn
14/03/21
Résumé:  Brillant étudiant, Jérôme intègre HEC en habitant chez sa demi-tante.
Critères:  fh fplusag oncletante grossexe amour fellation pénétratio fsodo init -rencontre
Auteur : Roy Suffer  (Vieil épicurien)            Envoi mini-message

Série : Grandes découvertes

Chapitre 02 / 03
À Paris

Épisode précédent :

Élève brillant, Jérôme est également doté d’un sexe de taille exceptionnelle. Il a découvert les premiers émois dans les bras de sa belle-mère, épouse délaissée par son père, chef d’entreprise.






La rentrée arrive vite, et je comprends rapidement que la prépa est un compromis entre bagne et harcèlement. Montagne de travail, colles permanentes, engueulades régulières des profs… La terminale, c’est le Club Med à côté !



Et elle avait parfaitement raison. Je m’oblige donc, sans me forcer, à penser à elle à chaque fois que ça ne va pas. Il me suffit de regarder l’heure ou de sortir mon stylo et hop, cause toujours tu m’intéresses. Mine de rien, je n’ai plus le temps de faire grand-chose d’autre. Ça tombe bien, Gwen « la fofolle », l’écervelée, bosse aussi douze heures par jour. Sur mon trajet du soir, je passe devant des petites boutiques sympas où je prends vite mes habitudes, un épicier marocain, une crèmerie, un petit traiteur auvergnat, une boutique chinoise… Tout ça me vide un peu la tête, et je nous prépare des petits dîners agréables dégustés en tête à tête. On se raconte nos journées de folie ou de merde, et puis je me remets à bosser. Souvent, Gwen se relève pour un pipi vers minuit et demi, et elle vient me sortir des bouquins pour m’emmener au plumard. On se fait quelques bisous, quelques caresses, et puis on s’endort dans les bras l’un de l’autre. On attend le week-end pour faire vraiment l’amour, et encore, quand elle n’a pas de salon ou de séminaire.



Un autre constat est que je dépense bien moins que prévu. C’est plutôt bien. Environ deux cents euros de self, et encore les mois pleins, trois cents pour les dîners, pas de transports ou presque, je me mets environ huit cents boules de côté par mois, que je vire immédiatement sur mon livret par Internet. Ce petit pécule gonflant chaque mois m’enchante, moi qui n’ai jamais eu que quelques billets aux fêtes et anniversaires. Les fêtes de fin d’année arrivent justement et, pour éviter qu’on ne s’ennuie, les profs nous assomment de devoirs pour la rentrée. Je n’ai guère envie de me replonger dans l’atmosphère familiale que je devine tendue. Cependant, pour le boulot de Gwen c’est le plus fort moment de l’année, et Béa me supplie de passer au moins une des deux fêtes avec eux. Je choisis Noël, car le Premier de l’an à Paris est un truc à ne pas rater, d’après Gwen. Je vais donc passer trois jours, pas plus, à la maison.


Béa a dû se tromper de régime, elle me semble avoir encore grossi. Mon père est toujours aussi harreng-frogné. Il trouve normal tout le boulot que j’ai à faire, il ne fait pas tous ces efforts pour que je me tourne les pouces. Pas un mot sur Gwen, ni de l’un ni de l’autre. Pas sympa pour elle. Il est vrai que Béa ne la connaît même pas. Je reçois quelques cadeaux « utiles », quelques paires de chaussettes et quelques cravates, j’en ai apporté d’inutiles, parfum et eau de toilette fournis par ma maîtresse. Béa a mis les petits plats dans les grands, et j’avoue me régaler. Avec son bon cœur habituel, elle me donne à remporter quelques précieuses denrées, foie gras du sud-ouest, crottes de chocolat, quelques conserves de mets délicieux qu’elle a préparées. Quand je lui dis que je me lance un peu dans la cuisine, elle court me chercher un livre jauni et défraîchi en me disant :



Et j’en fais bon usage, concoctant de nouvelles recettes presque chaque jour. Je me suis fixé une heure quotidienne tout compris, des courses à l’assiette, c’est ma récréation, mon vidage de tête, et notre régal. Je fais l’inventaire de la cuisine pour savoir de quels outils je dispose et lesquels il faudrait éventuellement acheter. En fait, je trouve à peu près tout, robot, moulinette, plats, couteaux, mandoline, etc. Dans leurs emballages d’origine, neufs ! Quand je demande à Gwen comment elle s’est équipée, elle me répond :



Voilà, l’envie était passée, trop compliqué, pas assez de temps. Pourtant elle apprécie mes petits plats. Cela ne nous empêche pas de nous faire un ou deux restos le week-end, où le temps disponible est plutôt passé au lit. Notre attraction réciproque ne faiblit pas, au contraire, les privations de la semaine cherchent une juste compensation le week-end. Il faut dire que Gwen passe le plus clair de son temps à la maison nue comme un ver, ce qui ne manque pas de me rendre un peu fou. Son corps est vraiment splendide de finesse et de fermeté, de grâce également. Je ne me lasse pas de regarder évoluer cette gazelle. Elle a une telle habitude des chaussures à talons que, même pieds nus, elle marche sur les orteils, talons décollés, et c’est prodigieusement érotique. Et puis, elle voue une telle admiration à mon sexe hors norme qu’elle passe, pour mon plus grand plaisir, beaucoup de temps à le câliner, le caresser, le sucer. C’est son « doudou » préféré, parfois même pendant que je travaille. La concentration est alors difficile.


Les partiels de février sont moins catastrophiques que ceux d’automne. La stratégie de l’établissement apparaît plus clairement. Après une douzaine de démissions par écœurement, on commence à encourager les « survivants » que l’on va présenter aux concours. Ainsi, les statistiques de réussite de la boîte seront meilleures. Malgré tout, on nous serine à longueur de temps que l’on est loin du niveau et que, sans un énorme coup de collier, nos chances de réussite sont infimes. Et on bosse comme des tarés. Gwen serait, elle, plutôt en roue libre jusqu’à la fête des Mères s’il n’y avait pas les bilans, les Conseils d’Administration, les projets stratégiques, etc. Le positif pour elle, ce sont les primes si le bilan est en croissance. C’est le cas, et vingt mille euros sont bons à prendre, même si les impôts vont se servir grassement. Elle me demande de l’aide pour sa déclaration, et je constate que son salaire n’est pas si élevé que ça, moins que je ne l’aurais cru, environ quatre mille. La carotte, ce sont les primes d’intéressement au chiffre d’affaires qui, sur l’année, doublent quasiment cette base. Pas mal pour une écervelée sans diplômes ! Mais pas mal les impôts non plus, pour une presque trentenaire célibataire. En ce qui me concerne, je suis toujours rattaché au giron familial, ce qui permet à mon géniteur de déduire ma « pension alimentaire » et comptabiliser ma part. Il n’y a pas de petits profits.


Pâques se passe au travail pour nous deux, sauf que je m’accorde un peu plus de temps pour cuisiner. J’ai l’impression de faire des progrès, de mieux gérer les temps de cuisson, et je commence aussi à mieux dresser mes assiettes. Le plus beau compliment que je reçois, c’est cette remarque de Gwen dans un restaurant :



Très vite arrive la période des concours succédant de peu aux derniers partiels, histoire d’avoir un dossier complet. Les notes sont cette fois sans commune mesure avec les précédentes, reflétant plus notre véritable valeur. Globalement, ça donne des moyennes annuelles notées sur 15, sur 10 au premier trimestre, sur 15 au second et sur 20 au troisième. Je m’en tire avec 15, major de promotion. C’est bien, mais un concours reste un concours et rien n’est gagné d’avance. Il faut s’inscrire aux concours et payer un droit d’inscription pour chaque école visée. Mille huit cents euros pour moi qui n’ai opté que pour les Parisiennes. J’ai lancé un appel à contribution exceptionnelle à mon cher père, sans réponse jusque-là. D’abord il y a les écrits, la semaine de l’Ascension, sans jour férié. Quarante heures d’épreuves non-stop en cinq jours, quatre heures par épreuve, l’une le matin, l’autre l’après-midi. Un marathon où, à nouveau, certains craquent et ne reviennent pas le lendemain. Ensuite c’est l’attente au pied de la boîte aux lettres, les réponses d’admissibilité sont individualisées et en direct, on ne retourne plus à Henri IV sauf en cas d’échec pour tenter un redoublement. Je suis sur des charbons ardents. « Imbuvable », dit Gwen. Mais normal, je joue ma vie professionnelle sur ce coup-là. Enfin les courriers arrivent, un à un, et évidemment les « petites » écoles en premier. Positif, positif… Jusqu’à la dernière et non la moindre, HEC positif. Pffiouuu !


La première bouteille de champagne saute, cent pour cent de réussite dès la première année sur Paris, c’est exceptionnel, me dit mon prof principal. En fonction de leurs dates, je me positionne sur cinq entretiens, les trois grandes écoles et deux secondaires au cas où. Et là, je sors le costard. Files d’attente, rencontres avec quelques copains de promo et surtout beaucoup de provinciaux ou d’autres de grandes prépas parisiennes. Les chances semblent tourner autour d’un sur dix, trente admis sur trois cents candidats plus liste d’attente. Nous savons que nous sommes tous « bons », parmi les meilleurs pour en être arrivés là. Ça va se jouer à des détails. Pour me motiver, Gwen me dit :



Gwen !… N’empêche que j’y pense à ce conseil, que j’ai intérieurement envie de rire à chaque fois et que mon stress tombe. Trois fois en cinq entretiens je me fais reprocher mon âge, trois fois je fais la même réponse inventée lors de la première : « Mieux vaut tôt que jamais et la valeur n’attend pas le nombre des années ».


Et toc ! Et ça a marché. Reçu cinq sur cinq, je choisis HEC évidemment et je fais quatre heureux sur les autres listes d’attente. Re-champagne et mieux, Gwen prend un vendredi et un lundi pour que nous passions quatre jours ensemble. Son cadeau ? Je n’ose le dire… Elle a bien perçu, et depuis longtemps, que sa petite rosette m’intéressait fortement. Je la titille fréquemment, la trouvant fort réactive, et un doigt dedans quand elle me chevauche augmente notablement son accès au plaisir. Mais on s’est arrêté là, elle craint probablement de souffrir et je n’ai même pas osé lui proposer, de peur de lui faire mal avec mon engin XXL. Nous faisons donc l’amour « classiquement », selon l’humeur et l’envie puis, quand je reprends vigueur, elle plonge vers son chevet et sort du tiroir un gros tube de gel lubrifiant et un curieux engin conique fait d’un chapelet de boules de taille croissante.



Au début, c’est facile et les trois premiers niveaux passent sans problème. Il n’en reste que trois. Mais le quatrième est déjà un peu difficile, je la laisse un bon moment se reprendre. Elle me demande de le retirer, de la masser avec les doigts, de l’étirer en tous sens puis de remettre l’engin en place. Le cinquième échelon la fait carrément souffrir. Après un long moment, elle décide de le garder en place et d’essayer de marcher un peu avec. Elle aurait voulu faire la danse des canards que ce n’aurait pas été plus comique. Quand je le lui dis, elle hoquette de rire et éjecte l’objet d’un coup. On le lave et on l’enduit à nouveau, je peux mettre beaucoup plus de gel maintenant dans son orifice déjà bien dilaté, ce qui permet de retrouver la cinquième sphère presque immédiatement.



OK. Je fais aller et venir le machin sur le niveau cinq pendant un bon moment, j’ai l’impression de la masturber avec un gode. D’ailleurs elle s’étonne :



À force de jouer et de rigoler, avec juste un peu de gel en plus, la sixième et dernière boule passe sans presque s’en apercevoir. Elle se lève de nouveau ne laissant plus dépasser que la rondelle terminale et va boire un coup en marchant presque normalement. Quand elle revient, elle m’annonce fièrement :



Je m’enduis de gel, essayant de contenir mon excitation pour être moins dilaté, mais rien à faire. Depuis une heure que je joue avec son trou du cul, je suis au paroxysme du désir. Je retire le gode et je me présente aussitôt. Je la laisse reculer vers moi, contrôlant son éventuelle douleur. Elle aspire fort entre ses dents et cloc ! Le gland rentre d’un coup.



Je la laisse encore faire à sa vitesse, et je fais bien parce que je n’aurais jamais osé aller aussi vite.



On arrête de parler, mais ce temps de conversation lui a permis de s’habituer à cette prodigieuse invasion, à la dédramatiser également. Et puis cerise sur le gâteau, nous sommes éperdument amoureux l’un de l’autre. Ça, c’est une vraie bonne nouvelle. Je suis comblé. Gwen de son côté est remplie et se doigte gentiment le bouton, provocant à chaque fois une contraction anale que je reçois en direct. Délicieux.



Je bouge, doucement, puis sur toute ma longueur, puis plus vite. Sur ses encouragements, mes coups de boutoir prennent de la puissance, mon ventre se met à frapper ses fesses sur lesquelles une onde de choc se propage harmonieusement. Une certaine cadence semble lui convenir, elle ne dit plus rien et s’astique énergiquement. Puis viennent les « oh ! Oui », les feulements, les grognements, les couinements. Le gel trop doux et trop abondant ralentit la montée de mon plaisir qui pointe cependant le bout de son nez. Dans cet étroit conduit en perpétuelles contractions, je perçois soudain un truc qui n’est pas dans le manuel, ou alors je suis passé à côté. Quand le plaisir monte chez l’homme, que l’orgasme approche, le pénis s’y prépare et change de forme, devient un peu plus fin et un peu plus long. À bien y réfléchir, je suppose qu’un gonflement excessif nuirait à la bonne progression du sperme dans l’urètre, ça doit être « étudié pour », comme disait Fernand. Il n’empêche que ça ravit ma dulcinée qui se met à brailler « vas-y, vas-y » et nous partons dans les étoiles ensemble dans un chœur d’onomatopées expressives. Le pied !



Et la voilà encore une fois partie aux toilettes en urgence, mais cette fois avec les mains entre les fesses, ce qui est peut-être plus élégant. Elle passe une tête :



On s’est vite mis sous la douche, on a lavé nos instruments, et puis on est resté sous la cascade tiède, serrés l’un contre l’autre, les yeux dans les yeux, à se bécoter et se dire des mots doux.



C’est simple, c’est bon, mais ça ne peut pas durer. Avec Gwen, ça finit toujours en quenouille :



Je suis désormais en vacances pour trois mois, pas Gwen hélas, et je dois rentrer au foyer familial, ne serait-ce que pour ne pas éveiller de soupçons sur ces amours un brin coupables. J’y rentre cependant avec deux objectifs précis : passer mon permis de conduire, financé sur mes petites économies, et faire avaler une énorme pilule à mon paternel : financer les quatorze mille euros annuels de frais de scolarité à HEC. Une paille ! Dans un premier temps, la fierté est de mise. Mon père ouvre même une demie (si, si !) bouteille de champagne pour fêter l’événement.



C’est au cours du dîner que les choses se gâtent, lorsqu’il me demande quels sont mes projets. J’évoque le permis de conduire, première grimace. Je précise que j’ai fait quelques économies sur le chapitre « transports » en marchant beaucoup, ce qui devient :



Pour une fois, Béatrice intervient :



Le silence se fait, on n’entend plus que nos mastications. Merci Béa. Mais quand père rumine, c’est mauvais signe. Il revient vite à la charge avant le dessert :



Il quitte la table en fureur. Béa cherche à atténuer le problème, comme d’habitude.



On ne le revoit plus jusqu’au lendemain matin. Je me tiens prêt dès sept heures et demie pour l’accompagner éventuellement au boulot, histoire de ne pas en rajouter. Devant le petit-déjeuner, il me demande les documents de l’école donnant les détails financiers, et marmonne longuement.



Sacré bonhomme, ancré dans ses certitudes, à la fois si autoritaire et néanmoins si fragile. Un instant j’ai cru deviner la raison de sa solitude avouée, Béa est adorable, lui est toute dévouée, mais il n’en est pas amoureux, il le reste de ma mère à qui je lui fais penser. Je fais un SMS à Gwen :


« Problème résolu en vingt-quatre heures, mais ce fut chaud ! »


Nous avions convenu de n’échanger aucun mot doux, de crainte que mon téléphone ne tombe entre de mauvaises mains. Et justement, Béa qui se lève vient me rejoindre.



Depuis l’aveu d’amour échangé avec Gwen, faire l’amour avec Béa me paraît difficile, une forme de trahison, une tromperie. Pourtant, je ne peux pas raconter mon idylle à ma belle-mère, et donc refuser ses avances. En arpentant la ville à pied, je réfléchis à cette situation délicate. J’en finis par me dire que lui avouer une relation avec une fille sans la nommer pourrait me tirer d’affaire.


Les trois auto-écoles du centre-ville sont hors de prix. Des franchisées qui mettent le permis entre deux et trois mille boules, avec secrétaire, jolis locaux, belles bagnoles et beaucoup de pub. Et quand je demande à passer l’examen avant le quatorze, on me rit au nez en me demandant si je suis sérieux. Il faut d’abord avoir le code, et le quatorze je n’aurai sûrement pas commencé les leçons de conduite. Moral en berne, je m’apprête à rentrer sans hâte, retardant le moment de retrouver Béa. En passant près de mon ancien bahut, je tombe sur un petit attroupement, une file d’attente en fait, devant un boui-boui étrange nommé « T’as la dalle ? » Ben oui, tiens, j’ai la dalle et je me colle dans la file. Que des jeunes, des lycéens essentiellement, mais quelques ouvriers en bleus. Derrière moi, arrivent ensuite quelques gens de bureaux, secrétaires, jeunes cadres. Et pour cause, ici tout est à cinq euros : sandwiches, assiettes de pâtes, salade composée, au choix avec un verre d’eau. Quand arrive mon tour, je reconnais deux anciens copains de collège et de lycée derrière le petit comptoir. On se fait coucou, mais ils sont en plein coup de feu.



Je me pose dans un coin de terrasse avec un sandwich et un verre d’eau, et je regarde le défilé incessant pratiquement jusqu’à treize heures trente. Incroyable comment ça marche. J’ai vu passer plus d’une centaine de personnes et il y en avait bien autant avant moi. Beaucoup repartent immédiatement avec leurs sandwiches, certains apportent même des boîtes en plastique pour se les faire remplir et repartent avec. En plus c’est assez bon : pain croustillant, jambon goûtu, petite feuille de salade, rondelle de tomate, lamelle de fromage, très bien. L’un des copains vient me retrouver, en sueur.



Je raconte brièvement, il fait une tronche admirative.



Je fais connaissance de leurs nanas, simples et sympas. Elles sont aussi bien là que derrière une caisse de supermarché, et puis elles travaillent pour elles et sont beaucoup mieux payées.



Là aussi, il y a une petite file d’attente, juste quatre jeunes correctement vêtus. Un grand type aux cheveux grisonnants en brosse vient ouvrir à quatorze heures pile. Les quatre saluent poliment et vont s’installer dans une salle sombre, des habitués. Je salue et je demande les conditions d’inscription.



Il y a cinq pupitres avec cinq tablettes connectées en réseau. Au mur, un écran et un vidé- projecteur connecté à un PC.



Il explique pendant une demi-heure des photos de situations avec des panneaux, ponctuant ses explications par :



Il n’y a plus de service militaire, mais j’en aurais eu un aperçu. Ensuite viennent les exercices pratiques, une vingtaine de questions genre QCM auxquelles on répond avec nos tablettes. Ça me paraît très simple, même si parfois les situations peuvent prêter à confusion. Il suit nos résultats sur son ordi, ce qui lui permet, dès le temps imparti terminé, de vociférer à nouveau.



Mathilde, c’est une grande rousse à silhouette de camionneur qui attend dans le bureau. C’est elle qui donne les leçons de conduite.



Je finalise mon inscription avec le « chef » qui me dit de m’asseoir et de me taire. Il prend un vieux téléphone filaire.



Bon, ben, ça va le faire. Enfin peut-être parce que la conduite, à part mon vélo et les autos-scooters, je n’ai jamais fait. On verra bien, Sainte Mathilde priez pour moi. Je rentre en flânant, en passant le long des berges, profitant de la fraîcheur des eaux noires. Arrivant vers seize heures quarante-cinq, il me reste un peu de temps pour boire un jus de fruits avec Béa, mais pas plus. Elle fait un peu la tronche, mais son bon cœur reprend vite le dessus. Elle est contente que je puisse passer ce permis à temps et n’a aucun doute sur ma réussite. Elle me fait un chèque du montant que je viens de débourser.


La voiture bariolée se gare devant la maison à l’heure dite, je sors immédiatement. Tiens, la grande Mathilde est seule et s’est changée, troquant son pantalon et blouson de jean contre une petite robe d’été. Je lui fais remarquer, elle sourit à demi.



Elle nous pilote jusqu’à la sortie de la ville et s’arrête devant un grand portail rouillé qu’elle va ouvrir. En revenant vers l’auto, ses longues jambes puissantes et blanches écartent les pans déboutonnés de la petite robe. Quel bestiau ! On dirait une Viking en période de moissons. Elle avance le véhicule jusqu’à une longue piste de béton.



Je m’installe au volant, elle me rappelle tous les points à vérifier : position du siège, rétroviseurs, point mort, rôle des pédales, frein à main, contact. Le moteur tourne.



La troisième tentative est la bonne, je roule ! Mais le moteur rugit, il faut passer la seconde. Chaotique ! Ça va mieux avec la troisième et j’ai l’impression d’aller vite, très vite. Le compteur indique quarante ! On fait des allers et retours, dix fois peut-être, jusqu’à ce que tout soit fluide. Je prends mon pied !



J’ai l’impression de nous coller aux sièges comme dans un manège de grand huit. Ça vibre un peu, mais je cramponne le volant. Aux bâtiments, on est à cent vingt ! Elle me fait signe de ralentir, je lève le pied et je descends les vitesses une à une. Pas assez vite, il faut freiner en bout de piste pour pouvoir tourner.



Elle me montre les principaux organes… de la voiture. Mais pas seulement. Penchée en avant, étirant le bras et aussi déboutonnée en haut qu’en bas, ses deux beaux hémisphères, vaguement soutenus par une lisière de dentelle blanche, se baladent sous mon nez, tantôt serré l’un contre l’autre, tantôt épris de liberté. Ça commence à m’agacer le polichinelle, en passe de sauter de son tiroir. Ce n’est pourtant pas une beauté, mais un corps athlétique doté d’une femelle animalité. Troublante. J’avale ma salive comme une bouchée mal mâchée. Elle se redresse, l’œil brillant d’avoir réussi son coup, et continue en me montrant l’emplacement de la roue de secours et du cric, s’accroupit pour me montrer à quel endroit le placer, cuisses grandes ouvertes et culotte en accès direct. C’est de la provoc sans retenue, surtout qu’on est en plein désert. On remonte enfin dans la bagnole.



Ce fut mon premier créneau. Raté. Au troisième, elle ouvre sa portière pour que je regarde la distance au trottoir. Évidemment, je suis obligé de me pencher sur elle, de survoler balcon et colonnes du temple. Faudrait pas que je me trompe de levier de vitesse. Ensuite elle me fait suivre le bord droit de la piste, à 50 puis à 90 de façon à ce que je m’imprègne du son de la voiture et de l’impression ressentie à ces allures limitées. Avec demi-tour au bout et sans manoeuvres.



Je sors du terrain, elle va refermer.



Elle me fait faire un grand tour sur des routes de campagne. Sa vitre est grande ouverte, ses cheveux flottent au vent comme les revers de sa robe. Elle semble rêvasser. À un stop, je lui demande :



Elle me fait faire un créneau juste devant mon ancien bahut.



Finalement, ça se passe plutôt bien, mais un peu loin du trottoir.



Il est dix-neuf heures trente quand on se pointe au troquet, je suis épuisé, en sueur et les mains moites. Mathilde embrasse tout le monde, toute guillerette. Moi, je fonce aux toilettes pour me rafraîchir. Francky m’attrape à la sortie :



Quand les musicos arrivent, on s’est déjà enfilé une première crêpe avec une bière refilée en douce par les potes. La grande a une descente que je ne voudrais pas remonter en skis, même avec des peaux de phoques. La canette n’a pas fait un pli, cul sec ! Quoi que ça reste à prouver. Ma liquette est trempée au milieu du dos, je reste un peu dehors pour la sécher et j’en profite pour appeler Béa, la prévenir que je ne rentre pas dîner. Le petit concert commence, les gens rappliquent, on se serre. Et plus le temps passe, plus on se serre. C’est vrai que c’est sympa. Deux grattes, une six cordes et une douze, un mec à la rythmique avec des tas de trucs, bongos, maracas, cuillères, guimbarde… Les tubes d’Aufray s’enchaînent, on reprend en chœur, on tape dans les mains.


Mathilde se lève et esquisse des pas de danse sur place, me gratifiant de coups de hanches et de cul. Elle se rassoit collée contre moi. On se reprend des crêpes avec boules de glace et un pichet de cidre glacé, ça, ils ont le droit d’en vendre. Il y a de plus en plus de monde parce que les mecs sont vraiment bons, on est de plus en plus collés l’un contre l’autre, tellement que maintenant on se tient l’un à l’autre, elle par mes épaules, moi par sa taille épaisse. Vers minuit trente, après un dernier « Santiano », les musicos plient les gaules, la foule se disperse. Super bonne soirée pour les copains qui ont vendu plus de deux cents crêpes, ils sont crevés. Pendant que Mathilde va à son tour aux toilettes, mon pote me dit :



S’il savait comme ça tombe bien, moi l’étalon de service. Je suis cependant perplexe et un brin gêné, vis-à-vis de Gwen surtout. Et puis je ne sais rien de cette fille que je ne connaissais pas le matin même. En même temps… c’est vrai que je suis attiré, attrait de l’inconnu, de la nouveauté, et puis elle me drague ouvertement depuis cinq heures et demie de l’après-midi. Que faire, sinon laisser faire ? Elle revient, bise tout le monde, félicite pour la soirée et me demande :



On passe donc par la boutique, on monte chez elle par une porte collée à la devanture. À peine entrés, elle me roule un patin monstrueux. Devant mon air éberlué, elle ricane :



Disant cela, elle fait tomber sa robe, pose soutif et culotte en un tournemain. Vraiment une belle plante, qui ne fera assurément pas la une des magazines, trop balaise. Elle me ressert un patin avec le droit de toucher et d’éprouver sa robustesse dans le détail. Je suis fasciné par sa toison rousse autant que par la puissance de son corps. Je pelote à pleines mains, elle m’encourage et roucoule comme une colombe en chaleur. Étape suivante et incontournable, elle pose ma chemise et s’attaque à mon pantalon.



Me voilà tout déconcerté. La première fille qui ne fait pas de chichis, qui ne se fait pas peur, qui me prend… comme je suis. Elle caresse, branle, suce un peu, mais ne s’attarde pas. Vite aux choses sérieuses, à plat dos cuisses ouvertes, une main pilotant le trépan pour guider le forage. Après c’est :



Ça finit par rentrer, à sa grande satisfaction. Elle m’agrippe des bras et des jambes, m’encourageant vertement avec un vocabulaire choisi. Je recherche très égoïstement mon propre plaisir sans désir profond pour cette fille, terminant par une levrette effrénée. C’est drôle comme dans cette position elle a une taille, je suppose que de profil son ventre doit pendre un peu, il faut bien que ça passe quelque part. Elle beugle quand je donne mes derniers grands coups de reins avant l’inondation, ouvrant la bonde à plusieurs jours de rétention. Je me relève le premier, contemplant un bref instant le spectacle affligeant de cette grande fille avachie sur le dos, jambes ouvertes et repliées, luisante de sueur et le poil collé de miasmes. Ce ne sera pas mon meilleur souvenir.



Il est à peine une heure et demie quand elle me ramène, c’est dire que l’affaire a été vite expédiée. Béa a laissé les lumières extérieures et de l’entrée allumées, il n’y a plus d’éclairage public après minuit pour économies.

Dès sept heures trente, je suis debout pour déjeuner avec mon père.



La brève image de mon père au volant d’un bolide, tirant la bourre avec Sébastien Loeb, me traverse l’esprit et me fait sourire. Il part au boulot avec de belles pensées dans la tête, et c’est l’essentiel. Douche, bonjour rapide à Béa et direction l’auto-école, garde à vous ! Je prends une avoinée de première pour n’avoir que 18/20 aux tests du matin, censés être plus simples que ceux de la veille. C’est la formulation des questions qui me gêne dans ces tests, pas le manque de savoir. Mais j’en suis quitte pour acheter un code avec obligation de le réviser, stratégie commerciale sans doute. Je rentre vers onze heures, deuxième tour cet après-midi et conduite ce soir. Béa est en cuisine, jupette grise, débardeur rose et tablier. Elle a effectivement grossi, mais ce n’est pas dégoûtant, au contraire. Ça lui donne un côté « petit boudin », pardon… « petite femme dodue » plutôt appétissant. Gwen, au point où j’en suis, un peu plus un peu moins… Je mets donc mes mains sur les hanches rondes, elles glissent malencontreusement sur ses fesses que je découvre d’un geste maladroit.



Elle se retourne en se séchant rapidement les mains dans un torchon, sans détourner de mon visage son regard brillant et énamouré. Elle lève les pieds un à un pour quitter sa culotte et m’offre sa bouche avide. Je l’embrasse longuement en défaisant le noeud du tablier, puis l’agrafe de sa jupe ; l’attache de son soutif. Elle se laisse faire en gémissant doucement. Elle se laisse tellement faire qu’elle termine nue, couchée sur la table à l’endroit même où mon père avait déjeuné, ses seins dans mes mains et ma queue plongée loin dans sa chatte gourmande.



De la table au canapé, il n’y a qu’un pas pour une levrette endiablée. Elle jouit, ma douce Béa jouit et re-jouit encore avant que je n’explose en elle. Son vagin encore béant fait de grosses bulles de sperme et de cyprine mêlés. Je vais prendre une douche, elle me succède. Nous déjeunons face à face, elle picore en ne cessant de me regarder avec ses yeux embués d’amour et de désir. Quand je me lève pour partir, elle ose juste demander :



Colonel, second tour. Je retrouve les quatre de la veille pour les QCM, ils me regardent un peu comme une bête curieuse, eux qui sont contents quand ils atteignent quatorze. Cette fois, je me concentre et j’essaye d’analyser les situations présentées et ensuite les questions posées, exactement comme je faisais en prépa en essayant de me mettre à la place de tel ou tel prof. Quand on arrive à retrouver le mode de pensée, on tombe juste à tous les coups ou presque. Une fois démonté le processus, ça devient très facile. Pour le code, on rend difficile ce qui ne l’est pas, on complique volontairement la question pour égarer l’apprenti. Bingo ! 20/20, le colonel est ravi.



J’avais envie de lui répondre « tout de suite, ce serait fait », je me suis contenté de « oui chef, merci chef ».



Vite, c’est vite dit. Je ne suis pas encore à l’aise au volant, encore crispé, anxieux de faire une connerie. Je le dis à Mathilde quand elle vient me chercher, et je lui demande de retourner d’abord sur la piste.



Je règle mon siège, les rétros, vérifie le point mort et je démarre. Elle ouvre la grille et me demande :



Un tour, deux tours, la montée des vitesses s’améliore, des progrès à faire dans la descente, on prend des à-coups.



Je vais au bout de la piste, demi-tour et en avant. Le moteur ronfle, je suis à 130 au niveau du pylône.



On recommence, je monte la grille plus vite et pousse la troisième, la quatrième et même la cinquième.



Je crois que je n’ai pas intérêt à lui rouler sur les arpions, qu’elle a cependant très grand. Une fois, deux fois, trois fois, je crois que cette fois, le créneau est acquis. Je refais un tour de piste à cent soixante cette fois, ma position est bien meilleure. Je peux lâcher le volant d’une main sans crisper l’autre. Je suis content. Je tente un passage de main sur ses cuisses nues.



On va donc sur la route, de campagne un peu puis rocade, et on rentre en ville avec les feux, les piétons, les cyclistes, le flot de circulation de dix-huit heures et la trouille de ne pas tout maîtriser.



On fait le tour, rues, avenue, ruelles, ronds-points. Elle me montre quelques-uns des pièges qu’il utilise :



C’est évidemment un petit whisky et un grand ramonage. Mon polichinelle a du succès, et c’est finalement bien agréable. Elle me ramène à la maison pour le dîner, un délicieux rôti froid avec une salade, préparés maison. Après une bonne douche, j’échange un moment avec Gwen qui prendra un peu de vacances après le quinze août et le reste à la Toussaint. Elle me manque, je lui manque aussi. J’efface aussitôt la conversation, on ne sait jamais.


À la fin de la semaine, le colonel me fait valider le code et transmet le dossier aussitôt pour l’examen du treize. Il aurait encore eu un képi qu’il l’aurait mangé. Car 40/40 au premier tour, ça ne lui était jamais arrivé. La suite se passe donc avec la seule Mathilde, qui se fait trousser à plusieurs reprises dans la nature, cramponnée à la voiture ou vautrée sur le capot. Nous avons bien essayé l’habitacle, plus discret, mais entre la chaleur et l’exiguïté du lieu, nous avons vite renoncé. En dehors de ma leçon de conduite tardive, mes journées sont donc libres et Béa en profite pleinement. C’est simple, elle ne se lève même pas. Elle attend le départ de mon père avec lequel je déjeune et je vais la rejoindre dans son lit. Ils font chambre à part parce qu’il ronfle comme une Harley. En une semaine, elle recouvre sa joie de vivre et l’envie de prendre soin de sa ligne et de son apparence. C’est bien.


Le permis se passe sans encombre, avec un petit Monsieur qui cherche pourtant à me piéger autant qu’il le peut. Le colonel et Mathilde sont derrière, beaucoup plus tendus que moi. Mais j’applique encore une fois les conseils de Gwen et j’évolue dans ma ville, un lieu que je connais comme ma poche. Grâce aussi à Mathilde, je m’attends vraiment aux pièges qui me sont tendus, pas aussi nombreux cependant. On l’a forcé à me prendre en plus, il se venge le salaud. C’est lorsqu’il me demande de rentrer à l’école, sans la moindre question vicieuse, que je suis étonné, j’en aurais presque fait des erreurs. Béa était très fière de moi et veut fêter cela. Elle prépare un dîner de gala, cocktail avec des gougères, saumon fumé, petites quiches aux poireaux, chèvre chaud et salade de mâche, crêpes flambées. Quel cordon bleu !



Évidemment, il faut faire attention à ce qu’on dit. J’ai envie de lui répondre que Gwen ne verrait aucun inconvénient à acheter un peu de foie gras, mais… Mais j’avais été très évasif sur notre fonctionnement, moi le self à midi et un plat nourrissant le soir, genre pâtes ; ma tante rentrant parfois tard mange souvent dehors.



Grrr ! Je me contrôle sur ce sujet qui me hérisse. Entre ma mère et sa sœur, je me demande laquelle est la plus écervelée.



C’est la première fois que je mets les pieds dans « l’usine » paternelle. En a-t-il un peu honte ? Souhaite-t-il séparer vie privée et vie professionnelle ? Est-ce que l’occasion ne s’est jamais présentée ? J’ignore, un curieux mélange de tout cela peut-être. En fait d’usine, il s’agit d’un gros atelier artisanal où l’on fabrique des gants. Oui, des gants, de cuir pour la plupart, parfois cuir et tissus combinés. « Mais des gants de luxe, faits à la main », précise mon père, « de fabrication française avec des cuirs français ». C’est dit ! J’ai droit à la visite intégrale de ce grand bâtiment datant du XIXe, fait de pierres et de bois, autrefois un peu isolé en périphérie de la ville, maintenant entouré de zones pavillonnaires, ce qui le rend encore plus vétuste et suranné. Le stock d’abord, d’un côté les peaux multicolores, posées à cheval sur des tréteaux de bois, d’où s’exhale un merveilleux parfum de cuir neuf, et une multitude de rouleaux de tissu. De l’autre, des boîtes et des cartons où, enveloppés dans du papier de soie, les produits confectionnés attendent d’être expédiés. C’est déjà le bazar, même si l’espace est grand, puisqu’on y fait deux actions totalement différentes. D’un côté on prépare les expéditions, de l’autre on vient choisir les peaux dont on a besoin. Ça coince souvent au passage de la double porte, encore plus quand les deux fourgonnettes sont là, l’une venant des fournisseurs, l’autre partant aux transporteurs. Remarque stupide de ma part, comme de bien entendu :



La peausserie est au fond de la cour. Les peaux y sont choisies, examinées, humidifiées, étirées, préparées pour la découpe. Tout à la main. Quant à l’atelier de découpe, j’hallucine. Des gabarits en carton sont disposés sur les peaux, les emplacements marqués, avant de passer à la « main de fer », un emporte-pièce qui découpe les peaux. Mais comme les peaux ont des épaisseurs variables, la découpe est imparfaite, laisse des barbes ou parfois accroche. Deux « petites mains » rectifient cela aux ciseaux… Vient ensuite un atelier optionnel de parage, qui consiste à appliquer un éventuel décor sur le cuir : trous d’aération, nervures, motifs en relief, etc. Avant de passer au piquage dit « à l’anglaise », avec des coutures extérieures qui ne doivent pas gêner les doigts. Les gants sont ensuite étirés, chauffés, contrôlés. Certains passent à la doublure, en soie, cachemire ou même lapin avec manchon de fourrure. Les gants de motards reçoivent des manchons de cuir, ceux de jardiniers des manchons de toile renforcée. Les gants de conduite reçoivent un bouton pression sur leurs languettes, les gants de sport des scratches… De quoi s’y perdre. Vient enfin le contrôle final avec étiquetage et emballage. Tous ces ateliers sont sombres, mal éclairés par des vasistas très hauts, alors qu’ils donnent sur une coursive vitrée très lumineuse, longeant la cour. Au bout, en fait donnant sur la rue, les bureaux. Mêmes parquets craquants aux larges interstices, papiers peints défraîchis, mobilier de tôle grise, l’horreur… Seul le bureau directorial dispose de meubles de bois, de rideaux aux fenêtres et d’un vieux tapis râpé. Qu’est-ce que je viens foutre dans cette galère ? Je l’apprends vite. Le patron me désigne un petit bureau gris partiellement sous l’escalier, avec un crayon de papier et une gomme pour tout matériel. Madame Yvonne y dépose une énorme pile de dossiers et quelques grandes feuilles au format A3 pré remplies de tableaux. Je dois faire des statistiques… Comme ça, au crayon ?



Mon dieu… J’y vais voir et effectivement, trois nanas ayant l’âge d’être mes grands-mères tapotent sur des claviers gris, devant des écrans-tubes de quinze kilos chacun. Des fils courent partout jusqu’à un photocopieur/imprimante. Je me demande si la roue, ou peut-être le feu, ont déjà été inventés dans ce monde étrange… Je ne pensais pas que ça pouvait encore exister. Eh bien mon cher père, y a du boulot !


J’examine les tableaux que l’on m’a fournis afin de comprendre ce que l’on me demande. Du banal en fait. Il s’agit de connaître les évolutions annuelles, de date à date, c’est à dire des précédents congés aux suivants, des différents modèles en fabrication, par type, par taille, par couleur, par finition. Ça sert à orienter la production en fonction du marché, à acheter les produits de base en conséquence, à avoir moins de pertes ou d’inutilisés. En somme, guider la production, mais avec un an de retard par rapport au temps réel. Nécessaire sans doute, mais avec une efficacité limitée au vu du décalage. Je compile les dix premiers dossiers, histoire de savoir où se trouvent les données dont j’ai besoin. Et je ne dispose même pas d’une calculatrice pour faire mes additions ! Heureusement, il y a celle de mon mobile… Et puis non, je m’arme de culot. Toc, toc, toc à la porte directoriale.



Tu parles que ça lui fait du bien, si tu savais combien ! Avec prudence, il ne s’agit pas d’esquinter l’auto de papa, je file à la maison, au grand bonheur de Béa qui bien sûr veut en profiter. Je n’ai guère le temps, mais elle insiste :



Facile, mais inconfortable, du coup je ne mange pas et repars avec portable, tablette et clé USB pour arriver pile à quatorze heures. C’était du vite fait mal fait, navré Béa. Le reste va tout seul. Une demi-heure de préparation d’un tableau Excel, trois heures de saisie des données. Les calculs se font automatiquement, il ne s’agit plus que de mettre en page. À dix-huit heures, tous les rats quittent le navire. Je me déplace au secrétariat et je connecte mon portable à l’imprimante/copieur. Le tableau sort impeccable en format A3, super ! Restent les courbes. Courbes en lignes, mais en noir et blanc, le rendu n’est pas terrible. Je fais donc un essai avec des barres 3D, c’est un peu mieux, mais pas très convaincant, il y a trop de paramètres pour le noir et blanc, il faudrait de la couleur. Tant pis, je cumule les représentations en toiles d’araignée, bulles et courbe 3D, l’une explicitant l’autre. Je me tape des légendes et commentaires précis, appuyant chaque représentation et explicitant les résultats. Il est près de vingt heures lorsque j’ai terminé. Je classe les feuilles, je tire un exemplaire en A4, plus facile à transporter, inutile de chercher un matériel à relier, mais la grosse agrafeuse est à portée. Je frappe à la porte directoriale, la gorge un peu serrée. Je présente mon dossier au grand patron.



Nous passons tous les chapitres en revue, un à un, puis la synthèse.



Il a téléphoné, je l’ai prévenu, il a promis de ne pas s’emporter. Et je balance… grave ! Il se lève, pour contrôler ses réactions j’imagine, il allume un cigarillo, ce que je ne l’ai jamais vu faire, et quand j’ai terminé il revient s’asseoir à son bureau, se prend la tête à deux mains, puis me regarde avec des yeux larmoyants. C’est clair, je viens de casser son jouet.



Inquiète, elle l’est déjà, redoutant le pire à cause de notre heure et demie de retard. Et mon père qui veut prendre un apéro, un whisky qui plus est, et qui m’en propose un. Elle est rongée par la curiosité.



Au dîner, il ne parle pas et grignote sans conviction. Dès qu’il a fini, il sort sur la terrasse et fume encore un cigarillo, ce qui ne lui arrive absolument jamais. Et puis il va se coucher… Béa me demande :



Après un SMS à Gwen, je me lance dans la rédaction d’un rapport que je veux complet. Premier chapitre, le constat. La suite dans les jours à venir.


L’analyse des documents financiers montre effectivement que les finances de l’entreprise sont saines, avec des fonds de réserve hors d’époque. Proportionnellement, il n’y a qu’Apple qui en a autant. Tout est placé prudemment en obligations, il y en a pour près d’un million d’euros. Paradoxalement, les employés, globalement peu qualifiés, sont payés au lance-pierre, mais ils doivent aimer ça puisque, bizarrement, le turn-over est minime. Par exemple, le commercial est rémunéré depuis l’âge de vingt-six ans. Trente-deux ans à pousser les mêmes portes avec pratiquement les mêmes produits… Quant à mon père, il ne se sucre pas tant que ça, de cinq à six mille euros seulement. J’aurais cru plus. Il apparaît également que le rapport des placements joue de façon importante dans l’équilibre financier de la boîte. Si on les supprime, les trois dernières années sont un peu déficitaires. Pas bon, pas bon. Un nouvel argument très convaincant, j’en fais une courbe. Mais il faudrait tout revoir, les prix de vente, les prix d’achat en trop petites quantités, le pourcentage de pertes non valorisées, l’explosion des coûts de maintenance sur des machines vétustes, etc., etc.


Je prends tous ces éléments puis je passe aux projets et à l’évaluation de leurs coûts. Ça va de l’état des bâtiments, leur organisation, les nouvelles machines, le nouveau mobilier, un minimum de déco, l’informatique, le réseau téléphonique, etc. Tant qu’il ne s’agit que de faire faire des devis, j’ai carte blanche, il me prête même sa voiture pour aller voir in situ les machines qui nous intéressent. Je suis sans cesse au téléphone pour harceler les entreprises afin d’obtenir des devis rapidement. Début août, le couperet tombe, j’ai un projet ficelé et bien complet. Montant de la facture, un million sept cent mille euros. Une fortune. J’étudie donc les possibilités de financements autres que les fonds propres, dépassés de près du double. Huit cent mille euros à trouver, rien du tout ! Emprunt bancaire ? Difficile en raison des récents déficits réels. Montage d’une société avec des investisseurs ? Possible, compte tenu de la clientèle, certains groupes pourraient être intéressés à soutenir une production rare en France. Sera-ce suffisant ? Pas sûr. Mais un mix des deux pourrait fonctionner, les banques étant sensibles au poids des grands groupes du luxe. En rendant mon rapport, je promets à mon père, étant bientôt sur Paris, de démarcher ces grandes marques. Malgré tout, il faillit s’étouffer en voyant l’addition. Normal.



Je reprends le TGV et je retrouve ma Gwen, en vacances pour profiter de moi. Je lui raconte tout dans le détail, sauf évidemment les épisodes avec Mathilde et Béa. Mais peu importe, son corps de rêve est là pour m’envoûter de nouveau, et je me promets bien de ne plus m’abaisser à des compromissions avec d’autres, beaucoup moins belles. Il fait encore très chaud et nous vivons à poil, volets presque clos, dans la torride chaleur parisienne qui ne cesse pas même la nuit, tous ces bétons et bitumes accumulant la chaleur. Il se produit un événement rare : pour la première fois, mon père m’appelle sur mon mobile.



Ma « logeuse » ! Comme elle essayait de me distraire en faisant d’horribles grimaces qui ne me déstabilisaient pas, elle s’est agenouillée entre mes jambes et me pompait à pleine bouche. Je la prends par les joues, amenant sa bouche jusqu’à la mienne, et elle s’assoit sur mon dard brûlant de désir. Juste de quoi justifier une bonne douche fraîche.



HEC, ce n’est pas du tout ce à quoi je m’attendais. En fait, le bagne est derrière moi. Ambiance plutôt cool bien qu’un brin exécrable à cause de l’évidente sélection par l’argent. Pour la plupart de mes congénères, ils ne sont pas de mon monde ou je ne suis pas du leur. Peu importe, cependant il faut cohabiter, voire collaborer. Beaucoup de travaux de groupes, de travaux personnels, de jeux de rôles, mais aussi beaucoup d’intervenants passionnants et des conférences de haute tenue. Mais globalement assez peu d’heures de cours, rythme fac, en somme, sans les amphis bourrés à craquer. Au total, ça me plaît bien, je m’y sens rapidement à l’aise, et j’ai plus de temps à consacrer à Gwen et à ma seconde passion, la cuisine. Passé maître dans l’art du chou et de la gougère, je tente les choux farcis aux escargots, avec un bon beurre à l’ail et au persil, des escargots en boîte repassés dans un petit court-bouillon maison, et le tout quelques minutes au four.



Dans le courant d’octobre, elle invite ses amis. En fait sa copine, connue au boulot, et compagne du grand patron. Un couple très sympa, elle, très spontanée et extravertie, lui, plus réservé, fonction oblige, mais à la conversation très intéressante. D’abord ils sont ravis de voir Gwen en couple, « enfin » crie sa copine. Je commence doucement par un petit cocktail maison aux couleurs stratifiées, gougères, choux aux escargots et au foie gras et mini pâtés berrichons au boudin et œufs de cailles.



J’enchaîne par de fines tranches de magrets fumées sur lit de poires citronnées réduites en brunoise et couvertes d’un mélange de mâche tombée avec du Saint-Morët. Ensuite petit pot-au-feu de la mer avec petits pavés de haddock, filets de carrelet et rondelles d’espadon grillées, queues de gambas et les petits légumes habituels cuits séparément, mais pas trop. Avec le bouillon et un peu de beurre et de farine, j’ai monté une sauce légère aigre-douce aux câpres. Même moi, ça m’a bluffé.



On a ri, j’allais en oublier le fromage de chèvre réduit en pâte avec des amandes et du miel sur le reste de mâche à l’huile de noisette et balsamique, et une simple tarte aux pommes, cannelle et gelée de coings pour terminer.



Je lui ai vraiment fait plaisir. Et après le départ de ses invités, elle m’a remercié jusqu’à l’aube. Trois étoiles !


Béa m’appelle à plusieurs reprises pour me parler de mon père. D’abord inquiète parce qu’il maigrit à vue d’œil et semble tout excité. Elle se demande s’il n’a pas une maîtresse ou une maladie grave, deux circonstances radicalement opposées qui peuvent avoir les mêmes conséquences. Il lui demande de ne lui faire que des grillades et des légumes à la vapeur. Puis il lui déclare s’être inscrit dans un club de golf pour faire de la marche et de l’exercice, et surtout rencontrer des gens « haut placés ».



Incroyable en effet, mais plutôt bien. Si le bizutage est désormais interdit, il subsiste cependant des « soirées d’intégration » où anciens et nouveaux font connaissance, HEC n’y échappe pas. Comme on pouvait y venir avec son copain ou sa copine, je le propose à Gwen.



Elle m’accompagne, j’en suis très fier. Elle peut ainsi rencontrer mes condisciples, humer l’atmosphère de l’école et elle est vite devenue une attraction pour quelques copines.



Leurs yeux brillent d’envie. Si elles savaient qu’elle n’a qu’un brevet des collèges, elles en seraient malades. Une fille surtout, une grande blonde très jolie, mais assez « prout-ma-chère » l’a collée un bon bout de temps, pour finir par lui demander :



Et là, Gwen a eu une réaction inattendue. Elle s’est plantée devant la fille, a levé son index devant son nez et lui a répondu :



En rentrant, elle me dit :



C’est ensuite le tour de mon père de m’appeler. Il a obtenu des rabais d’environ quinze pour cent en moyenne sur tous les équipements et travaux projetés. Du coup, il se lance. Il a réuni tous ses employés pour leur annoncer les transformations et leurs conséquences sur leur travail. Notamment, il a décrété que les travaux ne pouvaient pas se faire en août, trop d’entreprises fermées. Donc, exceptionnellement cette année, les congés seront en juin pour tout le monde, le temps des travaux. Et en juillet-août, tout le monde se formera en reprenant la production à vitesse réduite, de façon a être pleinement opérationnel en septembre. Lui-même se forme à l’informatique… C’est sûr, l’été sera enneigé !


Il me dit qu’il fait du golf avec son ami le député qui va défendre à l’Assemblée l’approvisionnement des armées avec du matériel français. Leurs gants venant de Chine voyagent avec des produits de protection et de préservation contre l’humidité qui provoquent de nombreuses allergies. Il a tout de suite pensé à mon père et espère bien lui obtenir ce marché important. Il semble très excité, en effet, et très fier de lui. C’est bien, pourvu que ça marche. Ce qui me réjouit dans cette histoire, c’est le rapprochement père-fils qu’elle a provoqué. Je ne suis pas dupe, je connais sa motivation : transformer son atelier comme je le souhaite pour me le transmettre. Cependant, je n’ai nulle envie de revenir travailler avec lui, nos relations fussent-elles excellentes. Je ne fais pas HEC pour ça.


Quand les travaux sont réalisés, il m’implore presque de venir passer quelques jours à la maison pour voir le résultat du projet que j’ai conçu. Je n’en ai guère envie, mais Gwen m’incite fortement à y aller.



Bien, chérie. Je débarque donc du TGV un dimanche matin, juste pour huit jours, au motif que je dois chercher un lieu de stage pour l’année suivante. Nous devons effectivement faire trois stages en milieu de travail, dans des entreprises et des secteurs différents, dont un de trois mois, le dernier. En arrivant, j’ai failli échapper ma valise. Mon cher père a le sourire, exceptionnel ! Il a maigri d’environ dix kilos, faisant griller de la viande en short sur un barbecue… J’ai beau fouiller toute ma mémoire d’enfance, je n’ai pas un souvenir identique. Il se comporte de façon enjouée, Béa aussi a le sourire, de temps en temps il la prend par les épaules. Nous mangeons dehors, sur la terrasse où il a fait installer un store électrique dépliable. La neige n’est pas loin ! Au lieu de s’endormir sur un fauteuil après le repas, il me dit :



Bien sûr que j’y vais. Il peine encore un peu dans les côtes, mais fait le brave. En suivant Béa, je constate qu’elle aussi a maigri, pratiquant de fait le même régime. Ça lui va plutôt bien, elle semble rajeunie. Il flotte comme une impression de bonheur tranquille, c’est très rassurant. Le soir nous parlons longuement de mes études. Je leur dis combien c’est différent de la prépa, avec beaucoup moins de pression, moins de cours, plus de travail personnel et de groupe, des intervenants très intéressants. Mais globalement, les enjeux sont minimes, d’après les plus anciens. Le plus difficile est d’y entrer, après, tout le monde en sort diplômé, ou presque.



Le lundi, nous partons ensemble pour l’entreprise. Là, je suis scotché. C’est étonnant de voir réalisé tout ce qu’on a imaginé. Alors certes, il y a de nombreuses touches paternelles, ne manquant pas d’à-propos, je dois le reconnaître. Par exemple, il a varié les couleurs du revêtement de sol avec chaque domaine de travail. Pas mal. Il a déplacé le bureau directorial ancestral au premier étage pour restructurer le rez-de-chaussée : accueil, secrétariat, comptabilité, pôle commercial et, nouveautés, un pôle création et un espace détente-restauration. Je rêve !



Mais oui, papa qui se voit déjà comme un cas d’école, de commerce en l’occurrence. Ma visite est édifiante. En fait de production au ralenti, quand le coupeur, qui commence à devenir opérationnel, lance la découpe d’une peau, il alimente le reste de l’atelier à la même hauteur que précédemment. C’est splendide à voir. La peau surfacée sur l’envers pour une épaisseur constante est humidifiée, étirée et placée sur le tambour de la machine. Un scanner en détermine la forme, deux pastilles servent de repères. Il caresse et examine la peau pour détecter les défauts à la vue et au toucher. Les défauts détectés sont marqués avec un stylo virtuel. Ensuite il choisit le modèle de gants à exécuter, tous les gabarits ayant été scannés. Un appui sur « Envoi » et toutes les pièces se mettent en place sur l’écran avec une optimisation maximale. Quand le schéma est accepté, un seul bouton suffit à lancer la découpe. La peau avance seule sur la table et une lame ultra fine vient tout découper en quelques minutes avec une précision diabolique. Pendant ce temps-là, le coupeur peut préparer la peau suivante. Toutes les pièces sont rangées dans une panière que les piqueuses viennent chercher. Le peu de déchets est collecté pour une association qui fait des bricoles (porte-clés, étuis, nœuds, etc.) pour les Restos du Cœur. Zéro déchet !



C’est évident, il faudrait six fois plus de piqueuses. Mon père l’a bien vu et, après tâtonnements, il a décidé de changer quelques personnes de poste. Le coupeur fait seul toute la préparation des peaux, du stock à la découpe, ce qui libère deux employées et le ralentit un peu. L’une est passée à la piqûre, l’autre à la doublure. Les nouvelles machines à coudre sont également beaucoup plus performantes que les anciennes Singer, totalement manuelles. Sur un modèle donné, elles sont capables de réaliser l’ensemble des piquages en deux minutes chrono contre dix auparavant. Ça débite ! Les ouvrières qui le souhaitaient ont pu récupérer gracieusement leurs anciennes machines. Un bon geste. Et tout ceci dans une ambiance claire, lumineuse, tous les éclairages ayant été changés pour des lampes LED très basse consommation. Chaque atelier dispose de son terminal informatique où s’affichent les commandes et d’un poste téléphonique sur le réseau interne. Dans les bureaux, c’est presque le luxe aussi avec du mobilier neuf, des ordinateurs nouveaux et performants, une banque d’accueil, etc. Ces dames se sont empressées d’apporter des plantes et tout est beaucoup plus gai, fonctionnel, agréable. Les formations vont bon train, et chacune s’étonne de la facilité et de la rapidité de réalisation de ce qu’elles faisaient avant quasi manuellement.



C’est bien tout ça, je suis content pour lui et pour son entreprise.



Je n’ai pas dit non, je n’ai pas dit oui. C’est un peut-être qui semble lui convenir. En tous cas, il est visiblement libéré d’un grand poids. Il voyait bien que sa petite entreprise était en danger, il ne savait pas comment s’en sortir. Mon intervention lui a donné le culot de se jeter à l’eau. Il sait nager, désormais.


J’ai eu un entretien en privé avec Béa, lui annonçant que j’avais une petite amie et que nous deux… c’était fini.



J’ai revu mes copains du « T’as la dalle ? », j’y ai croisé Mathilde avec un grand noir, un peu gênée, mais je n’ai fait aucune allusion au passé. Et puis très vite je me suis ennuyé, ennuyé de Gwen surtout. Alors je suis rentré à Paris dès le jeudi. Eh oui, je dis rentré parce que c’est devenu chez moi, maintenant. Ma Gwen fait des bonds en me voyant déjà revenu, un peu inquiète cependant, craignant que ce se soit mal passé. Une fois rassurée, nous fêtons nos retrouvailles. Un peu de bonheur, ça fait du bien.


Les cours de cuisine sont également interrompus pendant les vacances. Mais je vais voir l’un de nos intervenants, un professionnel qui nous avait dit avoir un restaurant dans le VIIe. Il accepte de me prendre chaque midi dans sa brigade. Mon but n’est pas tant de me faire de l’argent de poche que de progresser. J’apprends donc plein de choses, comme les coups de gueule et les coups de feu, la préparation minutieuse et l’emballement du rythme quand les clients arrivent. Les meilleurs formateurs passent à côté de détails et de gestes qu’ils font sans même y penser, et c’est bien en situation que tous ces trucs de métier s’apprennent. J’y reste un mois et demi, et je suis heureux de rentrer vers seize heures pour me plonger sous une douche fraîche. Petit à petit, employé temporaire un peu privilégié, il me laisse prendre la main sur certains plats. J’apprends ainsi à sortir cinquante assiettes du même niveau de qualité dans la même heure. Il arrive souvent que des plats soient préparés en excès, il y a toujours des pertes, et il m’autorise à en emporter dans une glacière plutôt que de les mettre à la poubelle. Ce n’est pas très légal, mais nous faisons cela en douce, y compris de la brigade.



J’y retourne encore durant une quinzaine de jours pendant les fêtes, à la place de l’un des deux stages courts en entreprise, axé sur le diagnostic et le conseil. En effet, j’ai décidé de valoriser mon expérience dans la ganterie de mon père, malgré son antériorité. C’est un peu risqué puisque le stage n’est pas effectivement réalisé durant la période, mais j’ai l’avantage de pouvoir montrer le résultat. Mon père accepte de signer une convention de stage, je reprends et j’adapte le rapport que je lui avais remis et le prof valide mon travail avec une excellente note.


Je peux donc travailler un peu plus la pâtisserie et le chocolat, au grand bonheur de la gourmande Gwen. Nous recevons nos amis Sophie et Arnaud pour le réveillon de la Saint-Sylvestre, ils s’attendaient à se régaler et ne sont pas déçus. Je leur ai fait des huîtres cuites au foie gras et champagne posées sur un lit bleu, du sel coloré au curaçao, des cailles farcies aux figues pelées, coupées en deux avec une tranche de foie gras au milieu, une petite purée de pommes de terre fumées, un fagot de haricots verts dans une barde de poitrine grillée et quelques morilles, et j’ai terminé par une charlotte agrumes-chocolats, quartiers de clémentines, oranges et quelques-uns de citrons verts noyés dans une mousse brûlante de chocolat au lait qui les confit et les emprisonne, le tout nappé d’une coque dure de chocolat noir.


On se souhaite la bonne année à minuit, on se fait des cadeaux. Avec mes faibles moyens, je me suis fait envoyer quelques paires de gants, pour Arnaud et Sophie, Arnaud m’a offert l’encyclopédie culinaire en trois volumes de Marc Veyrat, superbe cadeau qui me va droit au cœur. Tous mes gains de cuisinier et mes petites économies sont passés dans l’achat d’une bague pour Gwen, qui m’offre une gourmette en or. Nous décidons sur-le-champ que nous venons de vivre notre repas de fiançailles et ouvrons une ultime bouteille de champagne.



Il nous faut Internet pour retrouver toutes les paroles de Brassens et entonner « La non-demande en mariage ».

Bien bourrés, sans plus de transports en commun dans un Paris peuplé de viande saoule, l’aventure est trop périlleuse, Sophie et Arnaud restent dormir sur le convertible de mon bureau. Vers dix heures du matin, je croise Arnaud sur la route des chiottes.



À chaque bout du couloir, les mêmes exclamations retentissent :



Après, on n’entend plus rien, car les portes se referment jusque vers quinze heures. Ils ne veulent pas déjeuner, reprennent juste un jus d’orange avant d’aller souhaiter quelques vœux dans la famille d’Arnaud. J’en fais de même en appelant ma famille tandis que Gwen appelle sa sœur sur Skype. Je ne vois aucune raison de lui parler et fais signe que je ne suis pas là.



Comment ne pas retourner au lit avec cette petite femme aux yeux remplis de larmes d’émotion. Eh bien, vous savez quoi ? On n’a pas fait l’amour. On a fait la tendresse, des caresses, des gestes lents, des baisers partout, des muqueuses qui se contractent, des spasmes sans mouvements et des flots d’amour qui coulent partout.


Mon second stage, je le fais à Pâques, avec Arnaud comme maître de stage. Il m’a volontiers accueilli dans son réseau franchisé. Encore une arnaque sympathique ! Ça tient un peu de la vente pyramidale, mais autorisée, celle-là. Certes, plus le franchisé vend et plus il gagne, mais aussi le niveau de la zone dont il dépend est évidemment le siège. Et le siège, dans sa grande magnanimité fournit aussi la marchandise qu’il achète un, revend un et demi au niveau régional qui le revend deux au franchisé. Double gain que le gogo (le client) paye, évidemment. Sur des parfums, finalement, ça ne me gêne pas trop. Produits de luxe pour des bourges blindés de fric, il faut prendre l’argent où il est. Là où ça me gêne, c’est pour le gosse qui voit une superbe pub à la télé et qui casse sa tirelire pour offrir un parfum à sa mère, il est aussi arnaqué. Et l’autre point, c’est que ce système fonctionne aussi pour un tas d’autres choses : les lunettes, les fringues, les services, l’alimentaire, même le bâtiment. On se fait enfler à tous les coins de rue.


Ça me hérisse et je commence à me demander si j’ai bien choisi ma voie, même si Arnaud le vit très bien et si j’en profite un peu à travers Gwen. J’ai intérêt à bien choisir l’entreprise dans laquelle je ferai mon stage long, trois mois, en troisième année. Là, ce qui est super, c’est que j’ai accès à tout et qu’Arnaud me fait une confiance totale sur ce qui peut être dit ou pas. Je suis juste un peu ennuyé de devoir lui remettre un exemplaire de mon rapport, qui ne va pas être très sympa. Mais je l’ai prévenu, et c’est le principe qui est en cause, pas sa société particulièrement. Il abonde d’ailleurs mon propos en citant certaines sociétés fort connues qui multiplient les niveaux-boutique locale, niveau départemental, niveau régional, niveau national, niveau international ! Soit quatre niveaux pas ou peu actifs qui vivent sur le dos des boutiques franchisées et par conséquent du client. J’ai cru entendre parler de circuits courts et de consommer local ?



Ben voyons ! Consommateurs de tous les pays, unissez-vous ! Mais il paraît que commerce et socialisme ne font pas bon ménage… Ma note pour ce rapport sera beaucoup moins bonne, j’aurais dû garder mes appréciations pour moi et louer l’efficacité commerciale de ce système. « Le but du commerce n’est pas de fournir aux gens ce dont ils ont besoin, ça, c’était Neandertal. C’est de vendre aux gens le maximum de produits et pour cela tous les moyens sont bons », dixit le commentaire du prof !


J’ai des nouvelles « du front », par mon père d’abord pour qui tout va bien. Il est en passe de remporter de nouveaux marchés d’état, même pour les jardiniers des parcs et jardins nationaux, Élysée, Matignon, Sénat, Versailles, etc. Le problème est qu’il a faut qu’il créé un petit laboratoire pour tester la résistance de ses produits à la perforation, à la déchirure et au feu. Du côté de Béa, c’est beaucoup moins bien. Elle est inquiète, elle le trouve fatigué, pense qu’il a trop maigri en trop peu de temps, qu’il en fait trop et court partout.



Gwen approuve cette décision prise à chaud, sans la consulter, même si ça la révulse que nous soyons ainsi séparés. La seconde année à HEC se termine bien, même si mes résultats sont un peu pénalisés par mon second rapport de stage. En fait, tout se jouera l’année prochaine avec le stage long et la soutenance du mémoire qui l’accompagne. Je commence déjà à rechercher une entreprise d’accueil pour le faire, ce n’est pas le plus facile. En attendant, c’est petite période en cuisine toujours dans le resto de mon prof puis direction la maison familiale.


C’est vrai que mon père à l’air très fatigué, mais je mets ça aussi sur le compte de son amaigrissement important. Il se retrouve avec trop de peau, plein de rides qui ne se voyaient pas, des bajoues, de la peau qui pend sous le menton, mais aussi des yeux creux, pochés et entourés de sombre. Je ne dirais pas qu’il m’inquiète, mais il a certainement besoin de repos. À force de le tanner avec ça, de lui dire que je suis venu exprès, il finit par accepter de partir une quinzaine à Royan avec Béa. Mais à condition qu’il passe huit jours avec moi avant, de façon à me mettre au courant de tout dans l’entreprise. Et elle va bien son entreprise. La production a quasiment doublé depuis ma première visite avec le même personnel, à quelques heures supplémentaires près, un mi-temps pour Béa et un mi-temps pour un responsable de labo de tests. Autant dire que les finances sont saines, même s’il faut trois à quatre mois en râlant pour se faire payer par l’État, et malgré l’emprunt à rembourser.


Ayant pris toutes les consignes, bien informé des productions en cours, je me consacre à trouver comment alléger la charge du patron. Deux constats apparaissent comme des évidences : d’abord, il ne sait pas déléguer ; par exemple, lui qui a fait tous les postes de travail du temps de son père, il s’oblige à montrer à chacun ce qu’il doit faire lors du lancement de chaque nouvelle série. Or les employés savent très bien ce qu’ils doivent faire. Ensuite, le maillon faible c’est bien le commercial, trop ancré dans ses habitudes d’un autre temps, qui n’a pas assez de mordant et ne réalise aucun travail de prospection. Je me donne donc le mois pour tenter d’influer sur ces deux points. Je lui propose de créer un niveau de maîtrise par type d’activité, un responsable qui sera chargé d’organiser le travail sur les nouvelles tâches. Bien sûr, une gratification financière va de pair avec la fonction, mais on peut se le permettre. Intermédiaires entre la direction et les employés, ces personnes seront réunies à chaque lancement de nouveau produit, on leur expliquera en réunion et ils feront appliquer chacun dans sa spécialité. Plus d’intervention directe du patron sur les postes de travail.



J’ai beaucoup discuté avec les employés. Il faut avouer qu’ils n’osent pas dire grand-chose à mon père, toujours péremptoire, et détenteur de la vérité. « Mais avec vous, Monsieur Jérôme, c’est plus facile ». Du coup, il y a une multitude de petits changements, d’aménagements, que nous avons pu mettre en place durant cette quinzaine. Ils connaissent parfaitement leurs jobs, leurs besoins, leurs difficultés. Des détails comme un petit chariot haut pour transporter les éléments de la découpe au piquage, ce n’est rien, mais ça évite beaucoup de fatigue et de mal de dos ; changer l’orientation des bureaux au secrétariat de façon qu’il n’y ait plus le reflet des fenêtres dans les écrans, ce qui obligeait à forcer leur luminosité et fatigue la vue… Toutes ces petites choses qui rendent la vie au travail plus facile et plus agréable. Et puis les gens se lâchent petit à petit. Les transformations ont été difficiles pour eux, il a fallu s’adapter. Mais ils trouvent que pour « Monsieur Edmond », c’est encore plus difficile. Il leur paraît inquiet, angoissé, tellement dans l’obligation de réussir ce virage qu’il en devient parfois agressif.



Il a raison. J’épluche en détail le dossier de Robert, le commercial, et je constate que depuis deux ou trois ans ses arrêts maladie sont de plus en plus fréquents et longs. On ne s’en aperçoit guère puisqu’il est toujours en tournée, et rarement dans son bureau. Je le convoque.



Bon, septembre sera la période idéale pour recruter un nouveau commercial, je reviendrai participer au recrutement. Et puis je songe fortement à la création d’un site Internet qui permettrait de présenter les collections et de commander en ligne en limitant les tournées. Mon père est revenu de vacances un peu requinqué, je l’informe de toutes ces petites avancées, je trouve étonnant sa façon d’accepter toutes ces choses venant de moi avec un certain fatalisme, voire un détachement.


Fin août début septembre, quelques jours à passer avec Gwen qui a pris quelques congés. Nous allons les passer au bord de la mer, dans les Landes, une semaine très agréable et très amoureuse, sans mobiles, sans ordis, une vraie coupure. Nous nous sommes baignés dans une lagune artificielle, mise en contact chaque nuit avec l’océan tumultueux à cet endroit, près de Cap Breton. L’eau était encore tiède et le soleil encore chaud, un bonheur. Gwen espérait, et moi aussi, que je trouve une entreprise sur Paris pour rester près d’elle pendant mon stage. J’ai fini par en trouver une, mais rien ne s’est passé comme prévu.


D’abord, je retourne trois jours chez mon père pour le recrutement d’un commercial. Nous avons trouvé le bon candidat, du moins je l’espère, une jeune femme d’une trentaine d’années avec déjà une solide expérience, mais qui déménage pour suivre son conjoint, récemment nommé directeur de l’hôpital local. Ça, c’est plutôt rassurant. En revanche mon père donne de nouveaux signes d’inquiétude : quelques tremblements, une nervosité exacerbée et une pâleur à faire peur. Il me jure que ses dernières analyses sont excellentes. Mais Béa me confie qu’il se sent complètement dépossédé de son « bébé » et que le moral ne va plus du tout. Comme quoi, en essayant d’améliorer les choses, je les ai peut-être aggravées.


Je rentre à Paris un peu préoccupé, mais la vie parisienne a tôt fait de reprendre le dessus. Nombre de mes congénères ont déjà trouvé leurs stages soit en famille soit chez des amis, et l’essentiel des cours consiste en une préparation, à la fois du stage et du mémoire que nous aurons à soutenir. Mon obstination finit par payer, et je suis accepté dans un grand groupe commercial dont le siège est à la Défense, mais dont les points de vente sont un peu partout en Europe et dans le monde. J’y fais plusieurs visites, le siège d’abord, quelques points de vente en région parisienne ensuite, puis j’ai de nombreux entretiens avec les différents chefs de service. Je suis assez satisfait à maints égards. D’abord parce qu’un groupe aussi structuré apporte forcément beaucoup au novice que je suis. Ensuite parce que l’indemnisation proposée a tout d’un salaire substantiel que je n’aurais pas osé espérer. Enfin parce que le soin qu’ils ont mis à me recruter augure potentiellement d’une embauche à l’issue de ma formation.


Tout semble rouler et aller de soi jusqu’à fin janvier, où le directeur à l’international me demande d’aller, avec mon regard neuf, examiner ce qui se passe dans leur nouveau déploiement au Canada. Byzance a priori, mais ma Gwen… Nous discutons longuement, elle finit par me convaincre de ne pas manquer une telle occasion très valorisante sur un CV. J’accepte. Premier mars, en route pour Montréal.