n° 20321 | Fiche technique | 50318 caractères | 50318Temps de lecture estimé : 27 mn | 16/06/21 |
Résumé: L’enquête de Mac Roth sur le trafic d’êtres humains progresse. L’assassin de Sanmarco est probablement un travesti et Charles/Charlotte devient le suspect number one. | ||||
Critères: travesti policier -policier | ||||
Auteur : Domi Dupon (Une antiquité sur le site) Envoi mini-message |
Épisode précédent | Série : Fatale Fellation Chapitre 05 / 09 | Épisode suivant |
Résumé de l’épisode précédent :
Colette s’est envoyée en l’air avec Charles/Charlotte qui lui en a appris des belles sur Sanmarco devenant ainsi un suspect possible.
CHAPITRE 13
(jeudi matin)
Dans le taxi qui m’amenait rue Marius Berliet, j’eus le temps de repasser la vidéo de cette soirée en accéléré. Mes doutes sur ma sexualité qu’avait provoqué ma rencontre avec Charles étaient levés. Tailler une pipe me plaisait moyen, dans des conditions adéquates et avec un bon feeling, pourquoi pas ? Mais me faire pénétrer par une bite, ça je pouvais oublier. J’avais essayé… Je pouvais et je m’en tiendrai à cette unique expérience. Charles avait beau m’être sympathique à tel point que je bisserais bien avec Charlotte. En revanche, elle pouvait toujours rêver : son énorme clito n’aurait plus jamais accès à mon intérieur. Durant nos cabrioles, Anna, à plusieurs reprises, s’était introduite non pas dans mon vagin, mais dans mes pensées. Je ne savais pas si je devais m’en réjouir ou m’en inquiéter.
Professionnellement, je n’étais vraiment pas bien. La béatitude post-baise avait disparu pour laisser la place à la méfiance du flic. Charles apparaissait comme un suspect plausible et j’avais couché avec lui. Au cours de la soirée, il m’avait précisé, sans que je lui demande, avoir passé la soirée du meurtre au Babacha. La chatte reconnaissante, j’avais pris presque pour argent comptant ses déclarations. Contrairement à celui de Rose Delion, son alibi manquait de fiabilité. Il connaissait Sanmarco. Qu’ils se soient rencontrés et aient folâtré ensemble n’avait rien d’étonnant et je comptais sur Anna pour tirer de lui des renseignements précieux notamment sur cette histoire en ligne. À partir d’elle, on pourrait peut-être retrouver la Charline originale… si elle existait. Je me raccrochais à cette possibilité. Il fallait qu’il soit innocent, pas seulement parce que, s’il était coupable, j’allais être dans une merde noire, mais aussi, et surtout, parce que je l’appréciais vraiment.
Quatre jours que le corps de Sanmarco avait été découvert par sa gouvernante et nous n’avions aucun autre coupable potentiel dans notre viseur. Le couple Belle m’avait rappelé alors que je poireautais au Babacha. Ils avaient accepté de venir à l’hôtel de police ce matin, mais ils m’avaient tout de suite prévenue que leur relation avec la victime était très superficielle. La voix de la femme (c’était elle que j’avais eue au bout du fil) quand elle énonça cette affirmation m’alerta. Superficielle ? Là, ma chérie, faudra que tu m’expliques votre dénomination dans le répertoire de Sanmarco. Connaissant le personnage, il s’agissait probablement d’une nouvelle histoire de cul qui ne nous apprendrait rien de nouveau si ce n’est sur les pratiques sexuelles de Sanmarco. Enfin, je les interviewerai avec Anna.
Ce que le chef décide ne se réalise pas forcément. Alors que j’attendais Godot, euh non Anna, j’eus droit à Sarah. Heureusement, la nuit avec Charles/Charlotte m’avait mise de bonne humeur et ce fut presque cordialement que je lui hurlai dessus.
Et de m’expliquer qu’elle avait obéi aux ordres de Bryce. Il avait insisté pour emmener Anna. D’après lui, il était important que Sarah reste pour me présenter ce qu’elle avait trouvé sur les vidéos. Ça ne m’arrangeait pas. Les talents d’intervieweuse du lieutenant Carlossant (Anna) allaient me faire défaut. Je compris vite le pourquoi de sa décision. Grâce à un travail de fourmi, Sara était parvenue à isoler du flot des voyageurs, la personne qui, entrée dans les toilettes sous les traits féminins de la dame au chapeau, en était ressortie sous une apparence indéniablement masculine, donnant raison à mon ex. Elle l’avait, ensuite, suivi par caméras interposées jusqu’à l’arrêt du tram T3. Monté dans une rame, il en était descendu à Meyzieu où elle l’avait perdu. Elle avait tiré une dizaine d’images des vidéos, mais l’homme se méfiait des caméras, dissimulant sa tête sous la cagoule d’un blouson. Une seule fois, une caméra avait réussi à le capter de face. Malheureusement, la résolution du matériel de surveillance étant ce qu’elle était…
Nous avions une photo de l’assassin : un mec mesurant environ 1,70 m pour 60 kg (estimation possible grâce à divers objets qu’il avait côtoyés dans sa fuite), caucasien, possiblement blond et d’un âge compris entre 30 et 50 ans. Il suffisait maintenant de trouver dans la population de la région. Facile. Avec son numéro de transformisme et son aisance à évoluer dans des vêtements féminins, on avait la quasi-certitude qu’il appartenait au milieu LGBT. Ce qui réduisait le champ des recherches à quelques centaines d’individus. Peut-être, si l’on considérait les relations de Sanmarco, était-il fiché ? Je félicitai Sarah pour son travail et la chargeai de voir avec les mœurs si quelqu’un dans leur base de données pouvait correspondre.
Je regagnai mon bureau avec un sentiment de malaise. Charlotte n’aurait pas déparé dans le rôle de la dame au chapeau. Quant à Charles, sa silhouette collait avec celle de l’homme qui était monté dans le tram et le portrait en flou que Sarah avait tiré ne l’excluait pas. On ne pouvait pas considérer qu’il avait un alibi. Le témoignage de Claude, le barman : Charles ayant fréquenté les lieux régulièrement, cela lui serait sans doute difficile de se souvenir de sa présence ou de son absence un soir précis. Les caméras, aucune au Babacha, par respect pour la clientèle et surtout par discrétion : certains n’avaient aucune envie d’avoir leur bouille sur un fichier numérique.
Je demanderai à Serge de récupérer les vidéos publiques et privées des caméras proches du bar aux heures du meurtre. D’ailleurs où était-il celui-là ? Je l’appelai. Il était encore avec la belle Mary-Lou. Enfin, il bossait aux mœurs. Il pensait avoir une touche pour le dernier client non identifié de San Marco. Je lui ordonnai de ramener ses fesses et lui expliquai ce que j’attendais de lui.
SMS furieux de Mary-Lou Mc Roth : elle voulait me voir. Je lui proposai de nous retrouver à la cafèt’ à 11 h 30. Les époux Belle venaient d’arriver. Couple folklorique. Lui la cinquantaine, grand dégingandé, jean tuyau de poêle, cuir ayant vécu, la mèche à la Didier l’embrouille, une caricature du rocker genre Dick Rivers. Sa greluche, la quarantaine, un corps à me faire mouiller, avec des boîtes à lait en expo, mais la figure entartrée comme une pute de garage. Ces deux-là ne m’apprendraient rien.
Je les conduisis dans la 421, notre cosy salon d’interview.
Sanmarco, un bon copain qui avait l’argent facile. Un bon gars quoi ! Ils ne savaient rien de lui. Ils l’avaient rencontré dans un club libertin au Cap d’Agde. Leur proximité géographique les avait rapprochés. Mais leurs relations se limitaient à des restos, des soirées, et avant tout, des couchailleries. Je les arrêtai. Le récit par le menu de leurs soirées libertines m’intéressait moyennement. Les clins d’œil salaces de sa moitié, à cette évocation, ne laissaient pas place au doute. Elle annonça, presqu’avec fierté, qu’il n’avait joui que dans son anus… et pas seulement dans le sien. Il agissait en dominant sadique. Marie m’avoua que ses seins, ses fesses et ses intimités en avaient fait de multiples expériences. Paul resta muet, cependant je supputai que, malgré ses dénégations, le rocker sur le retour avait goûté à la bite de Sanmarco. En fait, ils n’étaient que deux marionnettes dont il usait lorsqu’il était en manque de chair fraîche. L’uro, le SM et autres pratiques tordues ne devaient pas les rebuter. Avec eux, il pouvait laisser parler ses pires instincts sans risque de feed-back. S’il ne rémunérait pas directement leurs prestations, ils en tiraient certains avantages.
Les interrogatoires se suivaient et se ressemblaient. Le cul, une sexualité déviante. On en revenait toujours à ça. J’avais presque pitié. La vie de ce mec avait tourné autour de sa queue. Queue qui avait terminé dans sa bouche. Qui vit par la queue périra par la queue… !
#***************#
Dans l’espace ouvert, Serge Ampépeur releva la tête à mon entrée.
Pour couper court, j’enchaînai :
Il rougit puis éclata de rire.
Il était presque midi. Nous étions en retard. Mary-Lou s’impatientait en sirotant un dietcoke. Je me rabattis sur une bière sans alcool et Sergio, sur un jus d’orange. J’eus droit à un compte rendu succinct où Mc Roth et mon geek jouèrent les duettistes.
À la suite de leur interpellation par les mœurs, la fouille de leurs domiciles avait permis, entre autres, des découvertes intéressantes dans leurs ordinateurs. Le chirurgien lyonnais comme l’industriel savoyard, sûrs de leur impunité, n’avaient même pas songé à dissimuler les vidéos souvenirs qu’ils avaient tournées avec les jeunes filles. Amenés dans nos locaux, devant les preuves présentées, ces pervers avaient reconnu une partie des faits qui leur étaient reprochés, se réfugiant derrière le consentement de leurs « invitées » qu’ils croyaient majeures. Elles étaient « livrées » par un Asiatique dont ils ignoraient tout. Ce même Asiatique les récupérait à la fin de leur « séjour ». Séjour qui durait le plus souvent l’espace d’un week-end, mais qui pouvait s’étendre à une semaine jusqu’à 15 jours pour le chirurgien qui avait emmené sa « conquête » en vacances en Corse. Évidemment, ces jeunes personnes avaient été parfaitement bien traitées, sans contrainte aucune. Elles étaient reparties fort contentes.
En nous le racontant, Mary-Lou s’énervait. Elle nous avoua qu’elle avait résisté tant bien que mal à la tentation de leur faire passer définitivement l’envie de baiser en leur lattant les roustons. Pourtant depuis les années qu’elle naviguait dans ces eaux troubles, elle en avait vu… mais ces larves BCBG, ces bourgeois qui donnaient au denier du culte, ces nantis qui fréquentaient le beau monde et se planquaient derrière leur ignorance… Ils lui foutaient la gerbe.
À partir de leurs aveux et du matos que Sergio avait fait parler, ils avaient mis en évidence le fonctionnement du réseau. Les deux avaient rejoint cette triste coterie par l’intermédiaire d’une relation mondaine : un homme d’affaires véreux bien connu des services de police selon la formule chère à la presse particulièrement, en ce qui concernait notre actualité, pour des attouchements sur mineurs, frôlant la pédophilie. Il avait échappé à toute condamnation grâce à ses relations dans la gentry rhodanienne, mais il n’avait pas échappé au crabe qui l’avait envoyé en enfer.
Leur seul contact humain avait été le « livreur ». Ils ne connaissaient ni Pârk ni Sanmarco. Toutes les actions se menaient à travers la messagerie cryptée et les « frais de transport » étaient payés en cash, et de la main à la main à l’arrivée des filles. Coup de bol, l’Asiatique avait commis une erreur de débutant : il n’avait pas éteint son téléphone perso. En recoupant les bornages lors des « livraisons », Sergio était parvenu à isoler quelques numéros, dont celui d’un truand notoire, américain d’origine chinoise : Linus Snoo Py. Cerise sur le gâteau, son téléphone le situait dans le parc de Jonage le soir de l’assassinat de Pârk.
Mary-Lou était dégoûté : le nom de ce truand était associé à celui d’une triade chinoise dont les tentacules s’étendaient sur les cinq continents. Un second couteau ! Elle avait lancé un mandat d’arrêt, prévenu la police des frontières. S’il était encore sur notre territoire, on pourrait sans doute le faire tomber pour le meurtre du Coréen. La triade n’entrerait jamais en guerre ouverte avec les organismes d’état, elle sacrifierait le pion. Une retraite dorée l’attendrait à sa sortie de prison. Il ne parlerait pas, c’était couru. Il prendrait tout sur lui : les destinataires des prépayés trouvés dans le coffre de Sanmarco n’avaient rien à craindre.
Pendant que Mary-Lou allait se ravitailler en coke, mon geek ouvrit son laptop et m’expliqua. Cela concernait le troisième homme qui correspondait avec Sanmarco sur TOR. Ce portable qui bornait près d’édifices publics le turlupinait. Avec sa dulcinée, ils avaient eu l’idée de croiser ces appels avec les caméras de surveillance disséminés en grand nombre dans ces endroits. Ils y avaient passé les soirées de mardi et mercredi, ainsi qu’une partie des nuits. Ce matin, en compilant les enregistrements, ils avaient touché le jackpot.
C’était un plaisir toujours renouvelé de le voir rougir.
Voilà pas qu’il commençait à se comporter comme mon ex et mes adjoints : je n’avais jamais le dernier mot.
Le même personnage apparaissait sur chacune de photos. Un montage astucieux mettait en parallèle l’heure de l’envoi du message et la capture d’écran. Le bonhomme était parfaitement reconnaissable. Si l’on parvenait à le coincer, on allait faire le buzz. C’était pas gagné.
Mary-Lou qui tentait d’ouvrir sa canette sans causer de dégâts à son petit haut sexy, prit un air à en avoir deux.
Cette vieille baderne m’était indifférente. Mais si on l’arrêtait, ça allait faire un sacré beens dans le Landerneau lyonnais. J’étais heureuse de ne pas être en charge ce dossier. Elle avait intérêt à avoir des billes. À voir sa tête, elle le savait. Elle tenta de m’associer à son enquête.
Petit clin d’œil à son petit ami qui me le retourna. Le téléphone arabe ne fonctionnait plus si bien à l’ère de l’informatique.
Après avoir partagé, avec eux, un repas express où nous parlâmes de sujets plus légers, je refusai le café, pressée que j’étais de visionner les fichiers du Babacha.
J’acceptai de laisser mon adjoint à la disposition des mœurs jusqu’au soir afin qu’il finalise ses recherches. Mais vendredi matin, il réintégrait ma team.
#***************#
CHAPITRE 14
(jeudi midi)
Il était dit qu’aujourd’hui, rien ne se passerait comme je l’entendais. Les duettistes Carlossant et Martineau déliraient assis à leur bureau en mangeant un sandwich.
Anna s’interrompit pour mordre dans son morceau de baguette.
J’allais entrer et balancer une vanne sur la petite interprète coréenne, mais il continua et je stoppai net.
Anna se montrait anormalement irritable depuis quelque temps. Elle qui prenait toujours tout à la légère surtout quand ça venait de son complice. Il semblait que je sois une des causes de cet énervement.
Je n’étais pas aveugle.
Putain… La confirmation de ce que je craignais et espérais. Je ne voulais pas en entendre plus. Je revins sur mes pas silencieusement puis revins en faisant un maximum de bruit. Je trouvai mes deux compères, nez sur leurs écrans et mâchant consciencieusement leur sandwich.
Bryce — C’est pas trop tôt !
Anna — On a failli attendre !
Éclat de rire d’Anna, fard de Martineau.
Dans une synchronisation parfaite, dénotant leur entente, ils me racontèrent leur entrevue.
Elle les avait reçus dans un studio plutôt coquet, bien que sous les toits. Situé au cœur de la presqu’île pas très loin de Bellecour, il dénotait l’aisance matérielle de la jeune femme. Lorsqu’il l’avait contactée, Martineau n’avait pas précisé qu’il serait accompagné. La belle Adeline pensant avoir affaire au seul et unique lieutenant Bryce Martineau s’était habillée en conséquence, genre « cachez ce sein que je ne saurais voir ». Anna ne pouvait pas manquer l’occasion. Elle insinua lourdement que la jeune asiatique avait succombé au charme du Roméo de la flicaille, poursuivant, sans se soucier de se contredire, que c’était pour le perturber. Opération parfaitement réussie puisque Brissou avait été atteint d’un strabisme sévère dans l’incapacité qu’il était de choisir entre le décolleté plongeant et la robe trop courte. D’ailleurs ses questions s’en étaient grave ressenties. Et c’était parti pour une énième passe d’armes, Bryce se réfugiant derrière son professionnalisme et lâchant sans le vouloir que l’intérêt qu’il portait à la petite interprète coréenne était partagé. Leur show terminé, ils passèrent aux choses sérieuses.
Pour le soir du meurtre, elle semblait avoir un alibi. Soirée au théâtre, un verre avec des amis, rentrée chez elle, seule, vers minuit. D’après mes adjoints son histoire faisait qu’elle n’avait aucune raison de tuer Sanmarco. Bien au contraire…
Cinq ans auparavant, au printemps 2014, Adeline qui à l’époque se prénommait Lan-Chi (branche d’orchidée) était arrivée en France par la même filière que les filles délivrées lors de l’intervention à Édouard Herriot. Son enlèvement avait été une erreur. Femme enfant, elle ne faisait pas ses 20 ans. Sanmarco, alors client lambda, l’avait choisie parmi le cheptel arrivé ce jour-là. Contrairement à la plupart des filles qui au mieux baragouinaient quelques mots de français, Lan-Chi parlait parfaitement notre langue, avec même une pointe d’accent marseillais qu’elle conservait encore aujourd’hui. Son grand-père avait servi, comme officier, dans l’armée française et avait été cantonné plusieurs années à Orange. Sa connaissance de la langue avait changé la donne. Ils avaient passé le week-end à discuter et il ne l’avait pas touchée. Anna émit l’hypothèse que son âge, son intelligence et sa culture avaient fait la différence. Il l’avait traitée en être humain. Bryce, cyniquement, ajouta que n’étant plus vierge, elle était beaucoup moins intéressante. Ni l’un ni l’autre ne mirent en doute ses affirmations. L’exotisme et l’éducation de cette jeune personne la rendaient unique, la distinguaient de tous ses stéréotypes, pensai-je. Il pouvait « ne pas la haïr ».
Sanmarco ne se contenta pas de la respecter, il l’acheta au réseau, l’affranchit en quelque sorte. Il lui donna du boulot, se débrouilla pour qu’elle soit régularisée. Une première : depuis la découverte du corps, Paolo Sanmarco avait un comportement bienveillant. D’après mes deux compères, la belle Adeline était émue à en pleurer à parler de son bienfaiteur. Ses larmes n’avaient rien de larmes de crocodile, selon eux. Si une nana sexy pouvait, en limite, berner Bryce, Anna avait trop de psychologie pour se faire manipuler. Elle émit quelques réserves sur le côté conte de fées de son histoire, mais globalement, elle la croyait sincère.
Son travail de femme de ménage/gouvernante justifiait les émoluments que son patron lui versait et lui permettait de continuer ses études. À 25 ans, elle finissait un doctorat de sciences sociales. En cinq ans, elle était devenue l’amie, la confidente de Sanmarco. Selon mes enquêteurs, il la considérait comme l’enfant qu’il aurait aimé avoir.
La personne qu’elle leur raconta ne ressemblait guère au portrait que nous en avaient dressé les autres témoins. Elle le présentait comme une bonne personne, généreuse, à l’écoute. Il ne lui avait pas caché son goût pour les jeunes filles et les jeunes presque hommes, lui avait avoué que ça lui coûtait bonbon. Pour elle, ça ne posait pas question, c’était un homme riche. Elle ne savait rien de son implication dans le trafic des jeunes. Elle le considérait comme un client. Il lui avait affirmé qu’elle avait été la première et la dernière fille qu’il avait louée. Qu’elle fût la dernière, elle le croyait tout en reconnaissant que sa naïveté n’allait pas jusqu’à croire qu’elle ait été la seule.
Il se confiait sur ses aventures. Aucune de celles-ci, même s’il humiliait et avilissait ses proies, ne pouvait avoir engendré une haine allant jusqu’au meurtre. Pour les femmes de la société « normale » qu’il baisait, il savait jusqu’où aller quant à ses autres « victimes », elles appartenaient à un milieu où ce genre de jeu était la règle.
Le témoignage d’Adeline, s’il ne contredisait pas formellement la vision qu’on avait de Sanmarco, lui donnait une certaine humanité. Sa sexualité déviante, ses perversions pas réellement assumées, son mépris avaient pour origine, selon lui, son aventure folle avec « Charline ». La version qu’il avait servie à Adeline ne différait guère de celle que m’avait donnée Charles. Elle avait seulement ajouté quelques détails. D’après sa gouvernante, Charline le poursuivait d’une haine implacable allant jusqu’à le menacer d’un procès, lui envoyant des lettres d’insultes, ou dessinant des graffitis obscènes sur les murs de ces entrepôts. La vraie nouveauté : ce harcèlement avait cessé une dizaine d’années auparavant, bien avant qu’il ne la rencontre.
Quand Anna lui avait demandé pourquoi il n’avait pas porté plainte. Une évidence : Charline, et peut-être aussi Rosette avaient des preuves de cette relation. Or elle/il n’avait pas 16 ans au moment des faits. Il serait tombé pour détournements de mineur, aggravé par le fait qu’il était son patron. Il avait subi stoïquement, mais non sans répercussion.
Tout ceci expliquait l’isolement social, la paranoïa sécuritaire. Si ce que racontait la belle Adeline reflétait une certaine vérité, je comprenais mieux qu’ils ne conservent rien. Il s’attendait au pire et agissait en conséquence. Nous n’avions rien trouvé et nous ne trouverions rien.
Tous les éléments désignaient, de plus en plus, « Charline » comme coupable idéal. Il suffisait de trouver qui se cachait derrière ce prénom féminin. Sauf qu’elle/il semblait être passé à autre chose… ou à préparer sa vengeance !
La belle Adeline, malheureusement, n’avait pu nous donner aucune indication sur l’identité réelle de ce troll qui avait pourri la vie de Sanmarco.
Je chargeai mes deux zigotos de chercher dans les archives de la boîte de Sanmarco dans les années 2000, de contacter l’URSSAF. S’il avait employé « Charline », on devrait trouver des traces d’un Charles. Enfin s’il s’était contenté de féminiser le prénom.
Mais Poilala junior venait de nous annoncer l’arrivée de Charles Beaumont. Je briefai rapidement Anna et Bryce sans leur cacher que je le connaissais, restant dans le flou quant à notre relation. Je m’éclipsai dans mon bureau avant qu’ils ne posent des questions gênantes.
Les vidéos ! J’allais enfin pouvoir les regarder. Par acquit de conscience, je ne croyais pas Charles capable d’un tel sadisme. Rien dans le témoignage de la gouvernante/femme de ménage, amie et confidente, n’écartait mon amant d’un soir des suspects potentiels.
#***************#
Charles Beaumont n’était pas très rassuré quand il se présenta à l’hôtel de police. Il n’avait guère de sympathie pour la flicaille. Les quelques rencontres avec cette gent avaient eu lieu lors de contrôles d’identité dans des clubs où les mœurs effectuaient des descentes. Si ça ne lui avait jamais causé d’ennui, il n’en avait pas moins détesté l’état d’esprit de cognes. Entre palpations déplacées, remarques homophobes et mépris affichés, sans parler du vocabulaire employé. Lorsque Claude lui avait révélé la profession de Colette, ça l’avait refroidi. Heureusement, elle appartenait à une autre race. Elle lui plaisait. Mais depuis qu’elle savait que le ténébreux Paolo l’avait baisé, il avait senti la méfiance dans son regard. Son attitude l’avait peiné, mais aussi inquiété.
Le poulet qui était à l’accueil après vérification téléphonique le dirigea vers l’étage de la criminelle. En montant dans l’ascenseur, Charles se sentait déjà dans la peau d’un coupable. Tout ce qu’il avait entendu sur les méthodes policières ne le rassurait pas. Quand il arriva à l’étage, deux flics l’attendaient, enfin un flic et une fliquette. Ni l’un ni l’autre n’avaient la gueule de l’emploi.
Le mec, il l’aurait volontiers mis dans son lit : grand, athlétique genre décathlonien, courts cheveux bruns, un visage viril, un regard franc… un Alain Delon, années 70, qui ne ressemblerait pas à un gigolo.
La nana lui apparut plus quelconque : pas très grande, bien roulée pour qui aimait les petits seins et les petits culs et de longs cheveux châtains tombaient dans son dos, sommairement attachés par un chouchou. Elle louchait légèrement. Ce qui aurait pu être un défaut rendait son regard plus intrigant.
La fliquette se présenta sèchement, lieutenant Carlossant alors que l’homme, nettement plus cool, lui tendit la main, Bryce Martineau. Le gentil flic et le méchant flic, tellement classique.
Ils le firent entrer dans une pièce qui malgré son côté chaleureux était sans doute l’antichambre de la geôle qui l’attendait. Le côté convivial, les fauteuils et le canapé. Le côté salle d’interrogatoire, l’enregistreur numérique sur la petite table. Après l’avoir fait asseoir dans un des fauteuils, les deux flics s’installèrent chacun à un bout du canapé. Le gentil flic enclencha le magnéto. Le méchant flic le mit tout de suite dans l’ambiance : nom, prénom, qualité. Il était terrifié et, paradoxalement, il se retenait pour ne pas leur rire au nez.
L’homme lui rappela que, connaissant Sanmarco, il pourrait leur apporter ses lumières. Lors des premières questions, sous l’œil suspicieux de l’une et bienveillant de l’autre, il répéta globalement ce qu’il avait dit à Colette la nuit précédente. Alors que la lieutenante Carlossant lui demandait ce qu’il pouvait leur dire sur l’auteur qui avait mis en ligne, le récit racontant l’aventure de Sanmarco avec un mineur, la porte s’ouvrit. Colette entra.
Charles comprit, au regard que lança la jeune lieutenante à sa cheffe, l’animosité qu’il avait ressentie dans ces propos. Jalousie. Elle en pinçait pour sa supérieure. Le considérait-elle comme un rival. Qu’est-ce que Colette leur avait raconté ?
Le commandant Dupin alla s’adosser à la porte. Trois flics pour l’interroger. L’air embarrassé de Colette ne le rassurait pas.
Il apprécia qu’elle ne se défile pas et ne cherche pas d’excuse.
Colette lui avait téléphoné après qu’elle ait en vain regardé les vidéos. Charles vit à son air qu’elle n’était pas convaincue de la validité du témoignage du bistrotier.
Malgré son inquiétude, le fard que piqua la fliquette quand elle comprit qu’ils avaient passé la soirée ensemble ne lui échappa pas.
La réplique suivante, il l’avait en bouche depuis l’arrivée de Colette dans la pièce.
Un petit blanc pour savourer. Charles put apprécier l’air réjoui de Martineau qui retenait difficilement son rire, le nez de la jeune fliquette qui se tordait un peu plus et le stoïcisme de Dupin.
Il sortit un post-it de sa poche sur laquelle, les flics purent lire : dani.durant@gmal.com*.
Après cette sortie, ils lui posèrent encore quelques questions pour la forme. La fliquette, avec une certaine satisfaction dans la voix, lui demanda de rester à leur disposition et de les tenir au courant d’éventuels déplacements. Colette tint à le raccompagner. Silencieuse descente en ascenseur, elle n’osait pas affronter son regard.
Arrivée au rez-de-chaussée, elle le retint par le bras.
Quel mensonge à la con ! C’est comme ça qu’on s’enfonce. Il ne lui avait pas parlé, mais il l’avait vu au Babacha, avec une petite gouape, y’avait pas si longtemps.
Il comprit que c’était un travesti qui avait commis le meurtre.
Colette hésita quelques secondes.
C’était pire que ce qu’il croyait.
Il se délecta de sa déception.
Il s’éloigna puis prit d’une soudaine inspiration, revint vers elle.
Il s’en fut, laissant Colette interloquée. Content de sa dernière réplique, Charles Beaumont sortit de l’hôtel de police en sifflotant ! Finalement, ça aurait pu plus mal se passer.
* dani.durant@gmal.com : inutile d’essayer de contacter D. D. par cet émail. Il est « théoriquement » fictif !
#***************#
CHAPITRE 15
(jeudi soir)
Quelle conne ! « Si tu n’m’en veux pas trop, on peut s’voir ce soir. ». Bonjour le professionnalisme ! Coucher avec, qui plus est, un homme alors que je venais d’apprendre qu’il était suspect, déjà pas top. Le réinviter le lendemain, et en minaudant, je déraillais complètement. Pour finir, prendre un râteau… plus que mérité d’ailleurs. J’assurais grave.
Son alibi était foireux et il m’avait fallu que quelques minutes pour me rendre compte que ces vidéos de surveillance d’un restaurant situé à quelques encablures du Babacha me seraient inutiles. Comme Serge me l’avait signalé, aucune des deux caméras ne couvrait l’entrée du bar. Malheureusement, Charles n’avait pas eu la bonne idée de venir faire un coucou. J’avais croisé les doigts… Mais que dalle. Il ne me restait plus qu’à espérer que nous puissions contacter rapidement ce Dani Durant.
Pendant mon visionnage, j’avais reçu un appel de Mary-Lou Mc Roth. Ils avaient logé Linus Snoo Py. Ils planquaient devant la propriété et elle avait besoin de quelqu’un pour compléter son équipe. Elle comptait le serrer dès qu’il se pointerait. Je lui avais promis de lui envoyer Martineau dès que nous en aurions fini avec Beaumont. Anna, de son côté, avait pris en charge ce qui concernait le texte publié sur Rêvebébé. Elle devait contacter le webmaster, écrire un mail au dénommé Dani Durant, et aussi prendre connaissance de ses œuvres. Tout cela nous avait amenés à 17 heures et des brouettes. Il était temps pour moi de réintégrer ma tanière.
Alors que j’allais partir, Anna débarqua. Elle attaqua mi-goguenarde, mi-chagrine :
Je l’aurais bien rembarrée, mais entre ce que j’avais constaté, ce que j’avais entendu et ce que m’avait dit Charles, ma petite adjointe s’intéressait à moi. Et je… mais même sans cela, la blesser mettrait une mauvaise ambiance. Au lieu de la renvoyer dans ses 22 et lui dire de s’occuper de ses fesses, je tentai de me justifier. Du grand n’importe quoi.
Le résultat dépassa mes espérances. Anna se transforma en Sergio : elle devint rouge comme une pivoine. Je retirai ma main avant que la situation ne devienne tendancieuse.
Ma réponse à double détente lui avait plu. Elle lui avait cloué le bec tout en la laissant espérer. Était-ce que j’avais voulu ? Elle changea de sujet.
Je captai son sous-entendu. Je ne réagis pas. Aucune envie de croiser le fer. Je la remis sur les rails.
Dans ma Mégane (blanche essence modèle de 2001 avec un pain sur l’aile gauche pour les gusses qui voudraient visualiser), coincée dans les bouchons à la sortie du périf, je gambergeai. Anna, Charles, Sanmarco, ça pédalait dans ma tête et dans la choucroute… Le fait que tout s’emmêle en rajoutait une couche. Je cumulais, j’avais « couché » avec un suspect potentiel et je m’obstinais. J’avais un faible, un gros faible pour mon adjointe, attirance apparemment partagée. Vous ajoutez un meurtre (je ne comptais pas Kim Jong, simple opération de nettoyage) qui sortait de l’ordinaire, drôle de cuisine.
J’étais arrivée, en conduite automatique, à la hauteur de la sortie de Miribel-Jonage, là où le pauvre Pârk avait terminé sa vie. Je passai le péage de Mex et me retrouvai chez moi. Ma première action, allumer une cigarette. Pas envie de me faire à bouffer, même pas faim. Sale temps pour la mouche. Clope au bec, je me désapai jetant mes fringues en vrac dans le salon. J’attendais personne ce soir.
Un bain… Mon paquet de clopes, une boutanche de cognac, et direction la salle de bain. Je sentais venir la soirée biture. Pendant que la baignoire se remplissait, je m’envoyai une première gorgée d’alcool à 40°. À peine le temps de plonger dans le bain, de m’allumer une nouvelle clope et de m’expédier une seconde rasade au fond du gosier que le Boss faisait des siennes.
Cette journée serait merdique jusqu’au bout du bout. Même pas pouvoir se beurrer tranquille. J’hésitais, mais si on m’appelait à cette heure. Je sortis du bain, et en tenue d’Eve je récupérai mon tél. C’était Anna.
Je décelai une certaine contrariété dans son interrogation. Je décidai d’ignorer.
J’enfilai une robe de chambre informe, m’assis au bord de mon lit et repris mon tél.
Sur quel ton lui avais-je répondu : un ton presque suppliant. J’étais mal barré.
Réflexion instantanée : merde, deux rasades de cognac de trop !
Sa flèche aurait dû accroître mon exaspération, bizarrement elle m’avait fait chaud au cœur, et pas que… Et c’était d’une voix de pucelle effarouchée que je lui balançai.
Silence radio.
Je n’avais pas eu le temps de lui dire que mon seul Roméo était un cognac de 5 ans d’âge et de supermarché. Son appel m’avait tourneboulée. Ce qui devait m’importer aurait dû être la réalité de Dani Durant. Réalité qui devait nous permettre d’identifier Charline et nous offrir une alternative à Charles. Que dalle, mon problème était ailleurs. Je chantonnai un vers de ce bon Jean-Louis :
Il se passait quelque chose. Bryce s’en était aperçu, Charlotte aussi, qui d’autre encore ? Ses mots, ses gestes, ce qu’elle ressentait, ce que… je ressentais. Je m’inquiétais que ça puisse nuire à notre travail. Là, je me mentais un max.
Qu’elle vienne à Bressoles, que nous nous retrouvions seule à seule… chez moi… Ok pour le boulot. Si je ne me trompais pas, et connaissant ses talents de conductrice, elle serait là dans moins d’une demi-heure. Ça laissait un long laps de temps… pour préparer l’entretien. Surtout, ça allait nous obliger à affronter la situation.
Je tournais toutes ces idées à la con, une clope à la bouche. J’avais rangé la bouteille de cognac. Il me restait encore une once de conscience professionnelle : conduire une audition bourrée, ça ne m’était jamais arrivé.
Il fallait que je m’habille. La dernière fois, je lui avais ouvert la porte, nue. Je n’allais pas la recevoir cette fois dans un peignoir qui avait connu Verdun. En toute innocence, j’enfilai une petite culotte noire avec un liseré en dentelles. Elle ne la verrait pas, mais moi je saurai. À cette heure, nullement question que je m’encombre d’un soutif. Je passai un jean et une chemise dont je laissai les trois derniers boutons ouverts.
Alors que j’essayais de discipliner mes cheveux, toujours cogitant, une lumière s’alluma : je savais ce que j’allais faire. Et tant pis pour les grands principes.
Il était temps, ma sonnette dringuedalila (à la campagne, on n’a pas forcément des interphones !). Surprise ! Mon adjointe avait égayé son visage habituellement vierge de tout artifice d’un léger maquillage. Elle avait troqué son sempiternel t-shirt noir contre un top qui lui arrivait au-dessus du nombril et dissimulait sans y parvenir totalement sa poitrine. Je la soupçonnai d’avoir usé d’un subterfuge pour lui donner un volume inhabituel. Miracle parmi les miracles, elle portait une jupe qui soulignait les rondeurs de son petit cul. Les rares fois où je l’avais vue en jupe étaient lors des cérémonies, uniforme d’apparat oblige. Seules fausses notes, son rayon escarpin devait être aussi vide que le mien, elle portait des Converses rouges.
Elle restait plantée sur le seuil, bouche bée.
À suivre