Résumé de l’épisode précédent :
Déjà trois semaines que je suis entré dans le cocon de la femme de mes rêves. Mais j’ai à peine dix-huit ans, elle en a trente-quatre, vais-je réussir à m’en approcher davantage, à l’intéresser vraiment, jusqu’à… ? Je n’ose y croire, mais la peur n’évite pas… l’audace.
C’est long huit jours ! Espoir ou désespoir ? Victoire ou Bérézina ? Pourquoi faut-il vouloir toujours vieillir plus vite ?
14 mai : jeudi 14 h 30, c’est déjà presque un rituel. La porte s’ouvre sur un éclair de bonheur : elle porte le même tailleur qu’au gala de danse ! Petite déception cependant : j’attendais un petit baiser, je n’ai droit qu’à sa main, et elle me vouvoie. La suivant jusqu’au salon, me revient une pensée désagréable qui me traverse parfois : j’ai l’impression qu’elle souffle le chaud et le froid. Femme hésitante, allumeuse ? Pensée fugitive ! Elle me montre le canapé et s’installe directement à côté de moi. Je remarque qu’il n’y a sur la table que la fiche « priorités » et un stylo.
- — Alors Gérard, avez-vous bien travaillé ?
- — Travaillé, oui ; bien ? je ne sais pas !
- — Toujours peu sûr de vous, à ce que je vois ; sur ce point, vous n’avancez pas beaucoup.
Mince, je suis déstabilisé, moi qui m’étais promis… Le jeu des questions-réponses recommence. Elle détaille un point, elle fournit des explications complémentaires, mais je ne suis pas là : je découvre qu’elle ne porte pas de corsage sous son spencer, et guette le moindre de ses mouvements pour essayer de savoir. J’aurais dû m’en douter : toujours la même harmonie des sous-vêtements… Je suis brutalement sorti de mes investigations par une voix forte et autoritaire :
- — Mais enfin, Gérard, vous m’écoutez ? Répétez-moi ce que je viens de dire !
En une fraction de seconde, je redeviens un tout petit garçon, terrorisé par l’autorité. Les nerfs à fleur de peau, sans doute épuisé par les révisions et de longues insomnies, je ne peux plus me contrôler, et je fonds en larmes. J’imagine aujourd’hui le spectacle que je lui ai offert à cet instant : un grand dadais de 1,81 m et de près de dix-huit ans qui chiale comme un gosse de l’école primaire. Je dois avoir l’air ridicule, minable, ce qui n’est pas pour calmer mes sanglots et mes spasmes. C’est foutu. Mais la réaction n’est pas celle que j’attendais. Très vite, elle se lève, sort un mouchoir de sa poche, se met à genou sur le canapé, entoure mon visage de ses bras, et essuie doucement mes larmes.
- — Pardon, pardon Gérard, je n’ai pas voulu te blesser ! Dis-moi que tu me pardonnes. Ce n’est pas grave, on va parler, s’expliquer, oublier ce malentendu.
Pendant qu’elle parle, elle me caresse doucement les tempes, dépose de petits baisers sur mon front, mon nez, près de mes lèvres.
- — Mon petit Gérard, calme-toi pour qu’on puisse parler. Je ne supporte pas de te voir pleurer, concentre-toi sur ta respiration, inspire profondément, puis relâche tout doucement.
Elle est tout contre moi, le front contre ma tempe, et me demande de suivre sa propre respiration. Mon bras droit se tétanise, je l’extrais doucement pour le mettre sur son dos. Plus rien ne nous sépare : ma joue droite s’est posée sur son épaule, et elle dicte le rythme de nos respirations, tout en gardant ma main libre dans les siennes. Elle a la tendresse d’une mère consolant son enfant, mais je ne la perçois pas comme telle. Je voudrais que ce moment dure une éternité, mais elle sent bien que je suis enfin calmé.
- — Ça va mieux ?
- — Oui, madame, excusez-moi !
- — Écoute-moi… ! D’abord, j’aimerais que tu arrêtes de m’appeler madame, et que tu me tutoies, j’aurais l’impression d’être moins vieille, d’accord ?
- — Oui, je vais essayer, pour moi, vous… enfin, tu… n’es pas vieille !
- — C’est bien, tu vois que tu progresses, mais on est bien d’accord, uniquement ici, quand nous sommes tous les deux. Tu l’as compris : j’aime bien ta présence, nous ne sommes plus une prof et son élève, plutôt des amis, et j’espère que nous continuerons… Maintenant, si tu le veux, si tu le peux, j’aimerais savoir ce qui s’est passé pour que tu te mettes dans un tel état.
Là, ça va être dur, même si j’ai déjà répété cette scène des dizaines de fois. C’est difficile de se lancer, et elle le voit.
- — Prends ton temps, si tu ne peux pas aujourd’hui, ce sera la prochaine fois ! Mais quand tu me parleras, exprime toutes tes pensées, le plus sincèrement et le plus précisément possible, j’en ai besoin pour comprendre.
Je commence par quelques balbutiements, totalement inaudibles.
- — Parle, mon Gérard, dévoile-moi tes jardins secrets, pour que je trouve les clefs et que je puisse t’aider !
Nous sommes toujours enlacés et je sens la pointe de ses ongles caressant mon cou, remontant derrière mon oreille, redescendant sur mon buste… Je suis bien, et je me lance.
- — C’est vrai, je ne vous… enfin… je ne t’écoutais pas. Je n’étais pas concentré parce que depuis plusieurs semaines j’ai envie de vous dire… pardon… de te dire quelque chose !
Et je me tais.
- — Sois sans crainte, dis-moi !
- — Eh bien voilà… je… je vous aime !
Ouf, j’y suis arrivé ! Elle va me jeter, mais au moins je saurai ! J’attends le tonnerre, mais je n’entends rien qu’un long silence, puis une longue inspiration.
- — Petit coquin, tu sais bien que ce n’est pas possible !
- — Mais pourquoi ?
- — D’abord, je ne suis pas libre… Je suis mariée et mère de famille !
Ça aussi, je l’ai répété :
- — Excuse-moi, mais tu n’es mariée que deux jours par semaine !
- — On peut dire comme ça, mais tu oublies aussi mon âge. Je pourrais presque être ta mère !
Je sais quoi répondre :
- — Quand je tombe amoureux, je ne me pose pas ce genre de question… je ne demande pas un acte de naissance pour savoir si j’ai le droit ou pas d’être amoureux. Je n’y peux rien, ça me tombe dessus comme ça ! Tu es belle, tu es mon idéal. Je ne suis attiré que par les femmes mûres et les filles de mon âge ne m’intéressent pas ! Je suis comme Julien Sorel !
Un petit rire, puis :
- — Mais je n’ai pas envie de finir comme Madame de Rénal. Tu as réponse à tout ! Pour une fois, au moins, tu sembles sûr de toi.
Suit un moment délicieux de silence, dans la douceur de cette étreinte qui se poursuit.
- — Je peux te poser une question ?
- — Toutes celles que tu veux !
- — Imagine, j’ai bien dit imagine ! Imagine que je réponde favorablement à tes avances, réfléchis, ça nous conduirait où ? Moi, vers une situation que je n’ose même pas imaginer… Et toi ? À part inscrire mon nom sur la liste de tes conquêtes ? Plus tard, tu te dirais que ça n’avait aucun intérêt, crois-moi, il faut apprendre à lutter contre nos pulsions.
Là, elle va trop loin ! Je me surprends à entendre une voix ferme et assurée lui répondre :
- — Mais tu me prends pour qui ? Je ne suis ni un gigolo ni un séducteur, d’ailleurs je n’en ai pas les moyens. Ce n’est pas une histoire de sexe, je n’ai aucune intention de dresser un tableau de chasse ! Je suis amoureux, c’est tout. J’ai envie de vivre une histoire d’amour, une vraie, une belle ! Et si tu me laisses un peu d’espoir, je peux t’attendre des années ; sinon, jette-moi tout de suite !
- — Tu es complètement fou !
- — Oui, fou de toi !
Nouveau silence, nouvelle étreinte, nouvelles caresses et quelques baisers toujours assez chastes ! Que le temps s’arrête ici, là, maintenant ! Et il s’arrête un long moment. Je susurre :
- — Dis-moi ce qui te passe par la tête !
Nouvelle pause, puis la bande se déroule à nouveau :
- — Je ne sais plus du tout où j’en suis ! Oui, tu m’attires, tu me plais, je suis bien avec toi. Ça ne peut pas être de l’amour, enfin, je ne crois pas. En même temps, une petite voix me dit que je ferais une grosse bêtise. Je trahirais le serment que j’ai fait à la mairie quand j’ai épousé mon mari, j’aurais l’impression de renier mon éducation, de ne plus pouvoir me regarder dans la glace !
Le silence qui suit me ramène à une réflexion que j’ai souvent : encore une victime de son éducation chrétienne ! C’est sûrement foutu ! Je ne sais plus que penser, mais il faut rompre le silence :
- — Et… maintenant ? Si tu as fait ton choix, dis-le-moi tout de suite ! J’ai besoin de savoir…
- — Et moi, de temps pour réfléchir, tu comprends ?
- — Tout le temps que tu voudras !
Elle se précipite sur ma bouche, me dévore, me fait perdre tous mes moyens. J’ai envie d’aller plus loin lorsque j’entends :
- — Mon chéri, excuse-moi, je suis très en retard, il faut que j’aille chercher ma fille à la danse !
Oui, je sais, et je hais la danse et les petits rats. Je me lève, ce qui fait tomber le mouchoir à terre. Je me précipite pour le ramasser et le lui tendre. Elle me regarde et se met à rire :
- — Tu ne peux pas rentrer comme ça, tes larmes se sont mélangées à mon rimmel et tu es tout maquillé, mais très mal… Viens, que j’arrange ça !
Elle mouille le mouchoir sur sa langue, me le passe doucement sur le visage, puis me le tend :
- — Emporte-le, tu auras toujours un peu de moi avec toi.
Riant à mon tour, je lui dis :
- — Tu devrais aussi te remaquiller avant de sortir !
J’ai droit à une nouvelle étreinte et à un nouveau baiser furtif sur le pas de la porte. Sans doute pour gagner quelques minutes je dis :
- — Tu ne m’as pas dit ce que je dois travailler pour la prochaine fois.
- — Grand Bêta ! Réfléchis, tu vas trouver la réponse tout seul !
Et la porte se referme. Quel imbécile, j’ai encore dit une grosse bêtise ! Bien sûr, je sais à quoi je vais réfléchir. Elle ne m’a pas jeté, elle veut du temps, c’est peut-être pas foutu ! Cependant, une nouvelle angoisse m’envahit : je n’ai aucune expérience, si ça arrive, comment vais-je m’y prendre ? Une moitié de nuit à confier mes pensées à mon journal, mon seul ami véritable. Encore une semaine de stress en perspective ! Je trouve que c’est long, heureusement détourné de mon obsession par la préparation du Bac de français.
Jeudi 21 :
Je n’ai honnêtement aucune idée de ce qui s’est passé ne retrouvant aucune trace dans mon journal. Comment est-ce possible ? Sans doute la preuve de l’ampleur de mes tourments !
Jeudi 28 :
Je termine la matinée par un cours avec ma Louise, toujours la mine sévère, voire austère. J’espère un regard, un geste, une remarque, bref un signe. Mais rien ne la trahit. Mes copains de classe ne peuvent pas imaginer quelle autre femme elle peut être ! Beaucoup la considèrent comme « une peau-de-vache », ils sont sans doute plus influencés par son aspect sévère que ses réelles qualités de prof. Lorsque je le peux, je m’installe au fond de la salle, à l’une des tables qui bordent l’allée. Je tarde un peu à ranger mes affaires pour sortir le dernier ; avec un peu de chance, elle va me frôler et m’inonder fugitivement de son parfum. Ce jeudi-là, j’en ai un peu plus. En passant, elle me murmure « à tout à l’heure » et sort. Je n’ai même pas le temps de répondre !
14 h 30 :
Comme chaque semaine, j’ai essayé de deviner la tenue dans laquelle elle va m’accueillir, petit jeu pour lequel j’ai fixé les règles : si je trouve, c’est un signe et j’ai gagné… le droit d’aller plus loin. Je passe en revue toutes celles que je connais, écartant celles qu’elle porte en classe. Mais au fait, à part le petit tailleur « prune », je n’ai jamais vu deux fois la même. Oui, c’est ça, un nouveau vêtement. La porte s’ouvre : « gagné ! » Corsage carmin assez serré et jupe noire ajustée. La porte fermée derrière nous, je vois que je suis attendu si j’en juge par son étreinte. Elle me prend la main pour me conduire au salon, me fait signe de m’installer.
- — J’ai préparé du café, ça te dit ?
- — Avec plaisir !
Courte absence, puis retour avec le plateau qui comporte un service à café en porcelaine décorée de fines fleurs. Pendant qu’elle installe le tout, j’ai le temps de détailler : le corsage est magnifique, mais elle n’a pas jugé utile d’attacher tous les boutons, et bien sûr me révèle le raffinement qu’elle met dans le choix de ses dessous, rouge et noir. Goût personnel ou clin d’œil à Julien Sorel ? Je saurai peut-être ! Par contre, la jupe est bien boutonnée, sur le devant, et des boutons, qu’est-ce qu’il y en a !
Elle est souriante, mais je la trouve un peu agitée, cherchant manifestement un sujet de conversation, et bougeant sans cesse : elle va chercher des petites cuillères, puis retourne prendre le sucrier, repart chercher un paquet de cigarettes, semble avoir du mal à trouver un briquet, puis un cendrier. Je suis un peu désemparé : « Mais qu’est-ce qui lui arrive ? » Elle se pose enfin tout contre moi et prend une cigarette. Je me précipite sur le briquet pour me comporter en galant homme. Ah, voilà, j’ai un sujet pour lancer la discussion.
- — Je ne savais pas que tu fumais !
- — La fumée te dérange ? Je peux patienter !
- — Non, non, non, ça ne me dérange pas du tout, je suis moi-même fumeur.
Et elle m’en propose une que j’accepte bien volontiers.
- — Tu sais, tu ne peux pas tout savoir de moi. J’avais arrêté le tabac quand j’attendais ma fille, mais en ce moment je suis un peu à cran, alors j’ai repris ! Je sais, c’est bête, mais c’est comme ça ! J’essaierai d’arrêter quand je serai apaisée… Enfin, si j’y arrive…
- — Tu es à cran à cause de moi ?
- — Je ne peux pas, je ne veux pas te cacher que tu participes un peu à mon bouillonnement intérieur, mais ce n’est pas désagréable. Je peux même te dire que je suis heureuse de te sentir à mes côtés. Pour le reste, je n’ai pas envie d’en parler maintenant, je ne veux pas gâcher nos petits moments.
Comme pour m’empêcher d’insister, elle se blottit contre moi, posant un index sur ma bouche, le remplaçant par ses lèvres pour un long baiser, beaucoup moins chaste que les précédents.
- — Dis-moi plutôt comment tu as passé ta semaine ?
- — Je t’ai fait des infidélités ! (Celle-là, je l’avais préparée !)
- — Comment ça, des infidélités ?
- — Non, pas à toi, mais à ta discipline ! J’ai davantage travaillé en français parce que le bac approche. J’ai terminé de choisir les textes que je dois présenter à l’oral, l’ai soumise à la prof pour la signature, et commencé à faire une fiche pour chacun, à partir des Lagarde et Michard !
- — J’aime bien l’idée que tu penses à me tromper : la connaissance, la littérature, la poésie, la culture, la musique…Voilà déjà cinq maîtresses dont je ne peux être jalouse. C’est très bien, mon chéri, et tu sais que si tu as le moindre doute, je suis moi aussi à tes côtés.
Tu parles, je ne vais sûrement pas empoisonner nos bulles de bonheur avec le bac. Je cherche comment revenir à son début de confidences, en n’étant pas trop lourd. Pas facile, mais je trouve une idée :
- — Et toi, as-tu passé une bonne semaine ?
- — Ne m’en parle pas !
Je pense qu’elle ne dira rien, mais elle se love contre moi, cale sa tête contre mon épaule, sa main droite sur ma poitrine, respire longuement et fortement, manifestement en proie à l’hésitation. Elle commence lentement, par petites phrases, et je me tais.
- — C’est tellement compliqué ! Je… je ne sais pas… je ne sais plus où j’en suis… par quoi commencer ? Non, je n’ai pas passé une bonne semaine. Ça a commencé par le week-end ! Samedi, mon mari est rentré comme d’habitude, mais fermé comme une huître. D’accord, il prépare sa thèse, d’accord, il a de l’ambition : il cherche à obtenir une chaire à l’université, et ça devient une obsession, il ne pense plus qu’à ça. Il a travaillé tout l’après-midi et encore après le dîner, jusque tard dans la nuit. J’ai l’impression qu’il ne nous voit même plus, Sarah et moi (tiens, elle s’appelle Sarah) ! Le dimanche soir, je l’ai trouvée en larmes dans son lit et entre deux sanglots j’ai compris « Maman, pourquoi papa ne nous aime plus ? ».
Long silence, puis elle reprend :
- — Je suis inquiète, pour lui et pour nous. Pour lui, parce que je le vois se tasser, se voûter, vieillir quoi ! Et pour nous parce que j’ai l’impression que notre couple agonise, et que notre fille va souffrir. L’université est en train de nous éjecter.
Surtout Gérard, sois prudent, et fais taire ton égoïsme ! Bien sûr, dans ta folie, tu as envie de lui dire de le quitter, mais elle n’en est pas là ! Ne porte aucun jugement sur le mari, ça se retournerait contre toi ! Laisse le temps ! Je sens quelques-unes de ses larmes couler sur ma joue. Incorrigible, j’ai envie de lancer une plaisanterie du genre « à ton tour de nous maquiller », mais ce serait de mauvais goût. J’opte pour la tendresse, sans autre arrière-pensée. Je la caresse, l’embrasse et lui murmure ce qui me passe par la tête :
- — Oui, laisse-toi aller. Évacue… ça va te faire du bien ! Ça va aller, mon ange, je suis là !
J’ai l’impression d’être nul, maladroit, gauche, de manquer de mots. Elle finit par se calmer. Je sors un mouchoir et essaie de remettre un peu d’ordre sur ce visage tourmenté. Elle reprend ses esprits et elle me confirme qu’elle est une femme forte quand elle me dit :
- — Tu t’es trompé, mon petit chéri, tu m’as dit, il y a peu, que je n’étais mariée que deux jours par semaine ! Eh bien, ce n’est même plus vrai toutes les semaines.
Son petit rire sonne faux, je la sens malheureuse, mais je me sens impuissant. Elle se lève :
- — Laisse-moi quelques minutes, je dois être horrible à voir, et je ne veux pas que tu gardes cette image de moi, je vais remettre un peu d’ordre dans tout ça.
J’ai très envie de l’accompagner, mais me ravise ! Elle me laisse une dizaine de minutes pendant lesquelles mon cerveau s’emballe. Je suis heureux qu’elle se confie, mais il faut que je trouve quelque chose pour que l’après-midi ne se termine pas sur ces notes tristes. Elle revient, resplendissante, maquillée, divine, ce qui m’inspire la suite.
- — Excuse-moi, mon chéri, de t’imposer cela, mais je ne peux me confier qu’à toi. Au fait, je peux garder le mouchoir ?
Rires… !
- — Je t’ai dit que je t’aimais… Je serais malhonnête si je n’étais pas là, dans tes moments difficiles… Et puis je n’ai pas eu le temps de te dire quelque chose. Je trouve ta tenue superbe, mais je me pose une question : as-tu choisi le rouge et le noir par goût, ou pour faire plaisir à ton Julien ?
- — Oh, c’est facile de répondre ! J’étais tellement mal que mardi j’ai eu envie de me faire un petit plaisir, peut-être de changer de peau. Je suis entrée dans un de mes magasins préférés, sans idée préconçue. La vendeuse, qui me connaît bien, m’a dit qu’elle avait reçu quelques petites nouveautés qui me plairaient sûrement, et elle m’a présenté cet ensemble. J’ai d’abord craqué, par goût pour répondre à ta question. Et quand j’ai essayé dans la cabine, que je me suis mirée dans la glace, j’ai pensé à toi, et je n’ai pas hésité en pensant : « oui, ça devrait plaire à mon Julien ». Et puis, pour ne rien te cacher, je n’ai pas résisté à l’envie d’être dans l’harmonie jusqu’au bout. J’ai même acheté une petite parure, en me disant que peut-être un jour je serais décidée à tout te montrer !
Que c’est doux à entendre ! Que c’est bon de changer de registre ! Il faut que je continue ! Je la serre un peu plus, lui propose mes lèvres qu’elle goûte tendrement. Ma main gauche caresse l’arrière de son oreille, descend doucement sur son cou, sur le début de son épaule, sur le haut de son sein, écarte un peu le revers du corsage, dégage le haut de la parure.
- — Le petit morceau que tu me montres me comble, mon amour, prends ton temps, j’attendrai le jour où, peut-être, tu me feras le bonheur de m’en dévoiler davantage.
- — Mais tu commences à m’inquiéter, mon petit chéri, tu es un vrai coquin, non ? Tu t’intéresses aux petits dessous des femmes ?
À mon tour de rire :
- — J’assume totalement, ça t’étonne ?
- — Tu me surprends juste un peu, tu es si jeune ! J’ai hâte que tu m’expliques !
- — D’accord, mais tu me laisses le temps de formuler précisément ma pensée… Une très belle femme, c’est un bijou ! J’ai trouvé en toi la perle rare, le diamant le plus précieux. Je voudrais être l’orfèvre qui t’a sculptée, polie…. J’ai remarqué que chez les orfèvres, plus le bijou est rare, plus il est cher. Et plus il est cher, plus l’écrin de présentation est luxueux et raffiné… Alors pour moi, une femme qui porte des dessous chics soigne l’écrin dans lequel elle va présenter le diamant qu’elle est, et peut-être l’offrir. Elle se met en valeur, non pour provoquer, mais pour être encore plus désirable, preuve de son attention, de son respect, de son envie, de sa sensualité, de son propre raffinement… !
Long, très long silence, étreinte resserrée, et je vois deux petites perles au coin des yeux de ma douce :
- — Oh, mon cœur, je n’ai jamais entendu un aussi bel hommage à la femme, et ne suis sûrement pas près d’en entendre un pareil. Décidément, tu m’épates, je ne connais pas beaucoup d’hommes plus âgés qui en seraient capables. Tu me subjugues, tu me submerges, tu m’emmènes dans les nuages. Il faut que tu écrives ça pour le mémoriser et me le relire de temps en temps !
Tendresse, douceur, communion, respect… J’ai conscience que le temps tourne et que l’école de danse va encore mettre un terme à ce délice. J’essaie de jouer les prolongations :
- — Je ne suis pas sûr de ce que je vais te dire, mais il me semble que tu as changé de parfum.
Court silence, puis :
- — Décidément, rien ne t’échappe, c’est un vrai bonheur ! Je vis avec un homme qui ne remarque jamais rien des efforts que je fais pour tenter de le séduire, et toi, tu vois tout, tu remarques tout, tu sens tout ! Oui, j’ai changé de parfum, et puisque tu l’as remarqué, je t’explique. Je portais le précédent qu’il m’avait offert, il y a déjà longtemps. Il savait que je l’appréciais, et du coup, ni à Noël, ni pour ma fête, ni pour mon anniversaire je n’avais de surprise, c’était son cadeau ! Et donc, mardi, j’ai eu envie d’en sortir. J’ai choisi celui-ci en espérant qu’il te plairait. Je ne sais pas s’il faut y voir un signe.
Elle a gagné, il me plaît, il m’envoûte, il m’attire, il me séduit. Nouvelle pause, nouveaux soupirs, une respiration saccadée qui se calme lentement :
- — Tu sais, je pensais qu’en portant des dessous bien choisis, en harmonie avec mes dessus, enfin un peu plus affriolants, je réveillerais ses désirs… Mais j’ai arrêté le soir où dans notre chambre, je me suis déshabillée devant lui… qu’il a levé les yeux de son livre et m’a demandé à quel jeu je jouais… et… si maintenant… j’allais m’habiller comme une pute !
Nouvelle crise de larmes, nouveau temps pour retrouver le calme.
- — Cela m’a blessée, et depuis ce jour je ne me déshabille plus jamais devant lui, mais dans la salle de bain où je passe une longue chemise de nuit. Mais j’ai gardé mes petits dessous, et je les porte quand il n’est pas là. J’aime à me regarder dans la glace, pour me convaincre sans doute que je suis encore un peu séduisante. C’est peut-être la preuve que je suis frivole ?
Je n’ai pas le temps de répondre, car elle poursuit :
- — Il faut aussi que je te dise : les tout derniers, notamment le rouge et noir, je les ai achetés en pensant à toi ! Je ne sais pas où ça va me conduire, j’ai même parfois un peu peur, voire un peu honte. Pourquoi ai-je tellement envie de te plaire ? Je me demande parfois si je ne suis pas une femme légère, une séductrice, mais ta réponse m’a rassurée. Merci, mon ange.
- — Non, tu n’es pas séductrice, mais séduisante ; tu es simplement une femme jeune qui a envie de croquer la vie ! Je t’aime telle que tu es.
L’étreinte qui suit a encore plus de saveurs que les précédentes, mais malheureusement… Ah oui, la danse ! Et la douleur du départ, de la séparation. Dans la rue, il me faut atterrir ! Ai-je avancé ? Je sens bien qu’elle s’interroge sur l’état de son couple, moi je pense, parce que ça m’arrange, qu’il est mort, mais il me semble qu’elle cherche un moyen de le sauver. Ça, c’est l’ombre du tableau ! Il y a pourtant beaucoup de soleil : c’est en pensant à moi qu’elle a choisi ses vêtements, son parfum. Est-ce qu’elle est en train de me préparer ma place ? Non, elle ne sait pas où elle en est, c’est ma seule certitude. Ah, quels tumultes dans ma tête d’adolescent qui oscille sans arrêt entre doute et confiance ! Je confie tout à mon journal ! Allez au boulot, le bac approche et les révisions permettent de ne pas trop penser à autre chose.
4 juin :
En marchant en direction des quais, je fais mon jeu préféré. Nouvelle tenue ou pas ? Ah, j’aimerais revoir le rouge et le noir, et je me dis que ce sera cela. Gagné ! La porte refermée, nous nous enlaçons :
- — Bonjour, ma Louise.
- — Bonjour, mon Julien.
Cela me semble de bon augure. Nous nous dirigeons vers le canapé, pratiquement silencieux, et nous jetons l’un sur l’autre. Du moins, je me jette sur elle, convaincu que le grand moment est arrivé, mais aussi maladroit qu’on peut l’être quand on est un jeune puceau d’à peine dix-huit ans, n’écoutant que ses propres pulsions.
- — Chuuut, calme-toi mon chéri, écoute-moi s’il te plaît ! J’ai bien compris tes envies et je vais te confier quelque chose : maintenant, j’en suis sûre, moi aussi j’ai envie qu’on se rapproche encore, mais je veux que tu entendes ce que j’ai à te dire ! Je voudrais que tu me répondes franchement, c’est important ! Est-ce que tu as déjà eu des rapports avec une fille ou une femme ?
J’hésite un peu, pensant qu’un oui menteur me donnerait peut-être le statut d’homme, mais ce serait une folie et j’avoue que non !
- — Et quand tu penses que je serai la première, tu penses à quoi ?
Je ne sais pas vraiment que dire !
- — Je vais répondre à ta place, et tu me diras si je me trompe. Même si tu en as envie, ça te fait un peu peur parce que tu vas à l’inconnu. Et puis tu te demandes par où commencer, et si tu es suffisamment doté pour rendre une femme heureuse. Je me trompe ?
Décidément, elle a tout compris !
- — Non.
- — Ça veut dire que tu es un garçon normal. J’ai beaucoup réfléchi à ce moment qui devait finir par arriver, et je vais te dire ce que je pense, ce que mon expérience m’a appris. J’ai très envie d’être ta première et de te montrer. Je ne serais plus ta prof, mais ton initiatrice comme l’étaient les grandes bourgeoises du XIXe siècle pour les fils de leurs amies. Peut-être est-ce que je cherche un prétexte pour me donner bonne conscience, amoindrir ma culpabilité, avoir l’impression de pousser un peu plus loin, un peu « trop » loin, ma mission d’éducatrice, mais je t’avoue que l’idée que tu m’offres « ta petite fleur » m’excite un peu. Et toi ?
- — Oh oui, ma chérie, je te la réserve, je te la garde !
À partir de là, elle alterne la leçon, si je puis dire, et ce qu’on pourrait appeler les travaux pratiques.
- — Il faut que tu aies une chose en tête : les hommes et les femmes ne fonctionnent pas de la même manière. Un homme peut être prêt à faire l’amour en quelques minutes. Pour la femme, c’est une autre affaire : elle a besoin de douceur, de tendresse, de se sentir en confiance, et désirée. Et ça, c’est l’homme qui doit l’amener. Cela lui demande deux qualités : la patience et l’attention. La patience parce qu’il va devoir freiner son désir, et l’attention aux réactions de sa compagne. Il doit apprendre à provoquer la montée de son désir et à ne pas faire passer son propre plaisir avant celui de sa compagne. Tu comprends ?
- — Oui… je comprends… mais comment je sais si son désir monte, si elle a du plaisir ?
- — En étant à l’écoute de ses moindres réactions, de celles de son corps, attentif à ses gestes, voire à ses paroles. Tiens, embrasse-moi !
Je reprends les gestes et les caresses que je lui ai déjà prodiguées. Doucement, patiemment, tendrement, toutes antennes sorties :
- — Hmmm ! C’est bon… continue ! Tu sens comme je suis bien ?
- — Oui, je crois !
Elle prend ma main qui lui caresse le cou, et lentement la place sur son sein gauche. Je commence à palper, doucement, puis appuie un peu plus fermement. Je perçois de petits gémissements… Il me semble qu’il commence à gonfler, que le téton durcit, et je suis au comble de l’excitation. Mais le tissu me gêne. Nouvelle tentative… je glisse alors ma main sous la veste, mais elle me la retire très vite en me glissant d’une voix très douce :
- — Tu es trop pressé, prends ton temps, je suis bien ! Continue à être doux, lent, à promener tes mains.
Je me promène un peu sur sa jambe, puis sa cuisse, appuie suffisamment pour sentir, à travers la jupe, son bas, puis le petit coin de peau nue à la limite supérieure.
Je suis au bord de l’explosion. Lentement, très lentement, elle reprend ma main, la caresse, la porte à ses lèvres et soupire :
- — Mon chéri, tu sais ce que je vais dire ; tu vas détester la danse, mais c’est bientôt l’heure !
- — Ça ne t’a pas plu ? Sois franche, je t’ai déçue ?
Un grand éclat de rire :
- — J’ai décidément encore du travail pour te faire prendre un peu d’assurance ! Non, je ne suis pas déçue, je vais même te dire plus : tu es plutôt doué, naturellement doué, encore plus qu’en classe, et je trouve que tu apprends vite ! Tu es en train de trouver la voie qui te conduira au bonheur !
Toujours dans le doute, je me dis qu’elle dit cela pour me faire plaisir, et je risque :
- — Alors j’aurai droit à la deuxième leçon ?
- — Comment peux-tu encore en douter, mon chéri ?
- — Jeudi prochain ?
- — Non !
Je ne comprends pas et reste figé.
- — Ne t’affole pas et écoute-moi ! L’idée du jeudi après-midi ne me plaît pas, on a trop peu de temps. J’imagine… j’ai envie d’un long moment, où nous prendrons notre temps, loin du monde, profiterons l’un de l’autre, prendrons soin de ce « NOUS » qui grandit de jour en jour. Je suis sans doute égoïste, mais je n’ai pas envie de m’imposer un calvaire d’encore une semaine, pas plus qu’à toi, maintenant que je sais ce que je veux. Je te propose demain soir, si tu es libre bien sûr !
Évidemment, quelle question !
- — Mais comment fait-on, tu as un plan ?
- — Bien sûr, nous pourrions nous retrouver ici vers 19 heures et commencer par l’apéritif !
Je l’interromps :
- — Je pourrais t’emmener au restaurant !
- — Quel enfant tu fais ! Excuse-moi, mais ça, mon chéri ce n’est vraiment pas une bonne idée. Nous serions au milieu de gens qui pourraient nous reconnaître, et notre intimité ne serait pas totale. Non, mon ange, je passerai chez le traiteur et nous dînerons ici, tranquillement. Et nous nous laisserons porter là où notre imagination et nos désirs voudront nous emmener. Pour toi comme pour moi, il faut que cette soirée soit un souvenir inoubliable, quoi qu’il arrive ensuite !
- — Et Sarah ?
- — Ce n’est pas bien, je te l’accorde, mais je lui ai fait un petit mensonge en m’inventant une réunion. Je me suis arrangée avec la maman de sa meilleure amie, elle la prendra à l’école, la fera dîner et la gardera pour la nuit. Ça sortira un peu ma petite chérie de sa mélancolie, et pour une fois, je vais penser à moi.
Mais il me reste une inquiétude :
- — Ton mari, il ne rentre jamais le vendredi soir ?
- — Non, d’autant qu’il a, paraît-il, un cours exceptionnel samedi matin, il ne rentrera que l’après-midi. Il faut que j’y aille mon chéri, mais cette fois on se revoit très vite !
Nous nous quittons très vite.
Je n’ai aucun souvenir du moyen de transport que j’ai utilisé pour rentrer : la marche (probablement) ? Le vélo ou la voiture (je n’ai ni l’un ni l’autre) ? l’hélicoptère (c’est très loin de mes moyens) ? Plus probablement un petit nuage ressemblant à celui de Nounours dans « Bonne nuit, les petits »
Comme moi, passez une bonne nuit, nous sommes sûrs de nous retrouver demain !