n° 21570 | Fiche technique | 78203 caractères | 78203Temps de lecture estimé : 54 mn | 28/02/23 |
Présentation: Second épisode | ||||
Résumé: La fascinante Mahoko initie notre héros aux coutumes nippones. | ||||
Critères: fh asie collègues travail amour -rencontre -amouroman | ||||
Auteur : Roy Suffer (Vieil épicurien) Envoi mini-message |
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Résumé de l’épisode précédent :
Jérôme se retrouve à la tête de son entreprise grâce à son patron malade. Un contrat avec le Japon le met en présence d’une fascinante Eurasienne.
Après une bonne douche, une cigarette et un whisky, je me dis qu’après tout, nous n’en sommes pas aux coucheries et j’ai bien compris qu’il me faudrait attendre longtemps. Alors, pourquoi ne pas tenter le coup ? J’appelle Mahoko, c’est un répondeur.
Le téléphone sonne presque aussitôt.
Bonheur que de déambuler dans les allées de la fête au bras de cette superbe fille, bousculés par des gens, les oreilles pleines de bruits et de musiques mélangées. Bonheur que son rire sur un manège. Bonheur que son envie de peluche au stand de tir et sa joie quand je lui obtiens. Bonheur que de voir sa bouche engluée de barbe à papa. Dieu que j’ai envie de l’embrasser, même d’y rester collé. En déambulant, nous mangeons des hot-dogs, des chichis, du nougat rouge, mon préféré. Elle est à la fois si femme et si petite fille, tellement attendrissante.
Je dors peu, mal. Je me demande si je ne m’engouffre pas dans une impasse, un amour impossible, voué à l’échec par avance. Si seulement je pouvais savoir ce qu’elle pense, ce qu’elle ressent. D’une part, il y a cette incroyable disponibilité, tout ce temps qu’elle me consacre. D’autre part, il y a cette absence totale de signaux favorables. Bien sûr, la tradition, les codes… Mais tout de même. Ou alors je ne sais pas décrypter.
Justement, j’en fais le sujet du lundi : comment décrypter, dans le comportement ou les paroles de mes interlocuteurs, s’ils sont favorables à ce que je leur propose ou au contraire s’ils sont réticents.
Le travail ne s’est guère fait attendre. Le téléphone a sonné, une communication du Japon. Je donne le combiné à Mahoko. C’est drôle de la voir répondre, d’abord en anglais, là, je comprends, puis en japonais et je ne suis plus. Elle se comporte au téléphone comme si elle était face-à-face avec son interlocuteur, respect, courbettes, sourire impénétrable. L’échange est assez long, je bouillonne, elle reste imperturbable et ça m’agace. Après une autre série de courbettes, enfin elle raccroche, toujours impassible.
Il ne faut pas me le dire deux fois. Je lui saute dessus, la serre dans mes bras et lui claque deux grosses bises appuyées sur les joues. Elle est rouge comme une écrevisse d’Édouard, cuite bien sûr.
Elle trouve le bureau d’Édouard suranné, mais cossu, ça va. Le mien est neuf, parfait, le bureau transformé en PC bourse pour le dossier Saint-Bogain est à renforcer encore avec des écrans muraux, des horloges de plusieurs pays, notamment le Japon. Les bureaux des secrétaires sont tristes et manquent de plantes vertes. La salle de café-détente, très importante chez eux, est à améliorer. Restent les couloirs sombres et moches, et l’accueil pas du tout accueillant. J’appelle le patron, il me donne carte blanche pour une rénovation a minima, pas plus de cinq mille euros. Que faire avec cinq mille euros sur tout un service de trois étages ? Je m’arrache les tifs. Bon, je sais bien que ce n’était pas prévu, pas validé par le Conseil d’Administration, etc. Mais merde ! Je repars de l’entrée, suivi comme mon ombre par Mahoko. À chaque pièce, elle me dit « il suffit de ceci, ou de cela… » Je prends des notes et, au final, j’ai listé le nombre de murs à rafraîchir, de plantes vertes à acheter, d’ampoules à changer, de signalétiques à mettre en place, d’astuces telles que des revêtements autocollants à utiliser. C’est monstrueux, impossible. Je suis lessivé, le moral en berne. Une entreprise nous coûtera cinq fois la somme allouée, encore faut-il trouver une entreprise disponible avant trois semaines…
Une plénière à l’accueil une demi-heure avant de partir. J’explique la visite et les enjeux, la nécessité de faire bonne figure sans pognon. Solution : faire du cache-misère avec les moyens du bord. Qui est partant pour donner un coup de main ? Tout le monde, merci, y compris ceux qui préviennent « mais moi, j’ai jamais fait et je suis pas bricoleur ». On commence quand ? Dès demain soir, on se donne une heure chaque jour avant la fermeture, il faut apporter des vêtements de protection.
Mon copain chef cuisinier nous accueille en ce jour de fermeture. Quand nous arrivons, il est en cuisine en train de tamiser une simple purée dans un chinois (!) avec un blaireau. Mahoko l’observe, stupéfaite. Entrées, bourse de pâte à brick contenant une huître et une tranche de betterave rouge. Goût de terre, goût de mer, étonnant et fabuleux ; petite escalope de foie gras poêlée avec des rondelles de boudin noir, un régal. Plat : pot-au-feu de la mer avec cinq poissons de couleurs, de goûts et de textures différents, petits légumes cuits à part et bouillon d’ail et fenouil. Stupéfiant, même pour la spécialiste du poisson. Crottin de chèvre chaud au miel et éclats de noisettes sur un mesclun de salade ; et pour finir une simple soupe de fraises agrémentée de menthe fraîche dans une crème anglaise. Apéritif, vin, digestif, et il se fait fort de servir l’armagnac de l’année de naissance de chacun des convives. Vendu !
J’ai passé ma journée à acheter le matériel nécessaire, des peintures sans odeur, des pinceaux, des rouleaux, des adhésifs. J’ai décroché dix pour cent par-ci, un prix de demi-gros pour les plantes vertes et j’ai mis la main sur un lot de moquette de couloir commandée par un hôtel qui, entre temps, a fait faillite. Sur le conseil de Mahoko, on ne fait pas dans le trop voyant. Du blanc essentiellement, en se permettant à l’accueil et dans certains bureaux un mur abricot, comme les portes. Ça se présente bien. En procédant étage par étage, on en fait presque la moitié en une heure chaque soir. Il faut dire que nous sommes plus de vingt, dont une bonne douzaine à œuvrer, les autres déplaçant les meubles, nettoyant et rangeant. Mille deux cents euros de moquette, huit cents de peinture, mille de plantes vertes, cinq cents de matériel et autres accessoires, il en reste assez pour acheter trois grands écrans en soldes et cinq horloges pour faire du PC bourse un centre de suivi des cours mondiaux… Impressionnant ! Et rien que le fait de remplacer les ampoules ordinaires par des LED plus puissantes, blanches et moins gourmandes, change totalement l’aspect des lieux, notamment des couloirs sombres. Quand tout le monde est parti, souvent bien plus tard qu’à l’habitude, Mahoko et moi déroulons la moquette de couloir et jouons du pistolet agrafeur. Belle occasion pour moi d’admirer son joli postérieur et d’en concevoir quelques émois érectiles. Mais bon, hors de question qu’un geste malencontreux me disqualifie, eu égard aux maudits codes ancestraux impitoyables.
C’est fou ce que quelques coups de peinture peuvent changer la vie. D’abord, il y a cette convivialité qui s’est instaurée durant les travaux. Ensuite, il y a ceux qui en ont profité pour réaménager leur bureau différemment, mieux bénéficier de la fenêtre et de la lumière naturelle, ou au contraire se tourner pour éliminer des reflets gênants sur les écrans. Il y a ceux aussi qui sont venus me demander timidement l’autorisation de changer de bureau pour se retrouver avec untel ou unetelle avec qui ils ont des affinités. Les plantes vertes sont aussi l’objet d’attentions et de soins. De mes propres deniers, l’enveloppe étant dépassée, j’ai aussi équipé les services de cafetières et de bouilloires et j’ai rompu les contrats avec le fournisseur de distributeurs de boissons, préférant de simples distributeurs d’eau fraîche. Au final, c’est tout l’esprit et l’atmosphère de l’entreprise qui s’en trouvent modifiés, un véritable enchantement. Mahoko a imprimé des plaques de portes sur papier doré, avec un pseudo relief Photoshop, en quatre langues : français, anglais, allemand et japonais. Collées sur les portes avec un film transparent mat, on jurerait de coûteuses plaques de laiton. Je craignais que tout cela ne fasse trop neuf, trop artificiel, comme quand on repeint les rues au Maroc quand le roi doit passer. Cette impression n’a duré que quelques jours, car les gens se sont approprié rapidement cet environnement qui leur convient, accrochant çà et là posters, calendriers ou photos personnelles. J’ai chargé ma japonisante d’initier tout le personnel a minima, afin que leur comportement soit conforme le jour de la visite. Comme je comptais bien sur la présence d’Édouard, très absent en ce moment, mais je le pensais occupé à son jardin d’hiver, j’ai téléphoné pour lui proposer à lui aussi un indispensable embryon de formation aux courbettes asiatiques. L’occasion également de faire la connaissance de Mahoko et de me dire ce qu’il en pense. C’est Amanda qui me répond, Édouard ne va pas bien du tout. Problèmes respiratoires et cardiaques, le médecin veut l’hospitaliser quelques jours. Je laisse tout tomber et j’y vais. Quand j’arrive, une ambulance est devant le perron, deux infirmiers descendent à grand-peine un brancard sur lequel repose le gros homme, branché de partout.
Je le lui rapporte, il me demande un stylo et le signe. Il me donne les pleins pouvoirs sur l’entreprise jusqu’au prochain Conseil d’Administration, dans deux mois. Il a préparé sa sortie, le bougre. Nous regardons le véhicule blanc s’éloigner dans l’allée.
Les Japonais sont là, Édouard aussi. Non pas qu’il aille franchement mieux, mais il tenait à être là un bref instant. Il s’est fait amener dans un fauteuil roulant, des tuyaux d’oxygène dans le nez, ce qui lui évite protocole et courbettes. Il s’excuse de son état, justifie la brièveté de sa présence et me délègue officiellement le pilotage de la visite. Mahoko traduit et dirige le petit groupe vers les bureaux. Je raccompagne Édouard jusqu’à son ambulance.
La visite se déroule parfaitement. Ils sont impressionnés par notre PC bourses, mais surtout par le comportement des employés qui semblent très autonomes et ne font pas qu’obéir aux ordres. J’explique mon mode de management et notre façon de fonctionner en équipe, insistant sur l’avantage qui permet, chacun étant au courant de tout pour un même dossier, d’être interchangeables en cas d’empêchement. Cela vaut également pour le patron et moi. Eux qui fonctionnent de manière très hiérarchisée sont très impressionnés. Je suis allé les prendre à l’aéroport avec un minibus « Tatayoyo » confortable avec chauffeur. Mais je leur propose une promenade apéritive dans la ville en train de s’illuminer pour aller à pied au restaurant. Ils ont été assis si longtemps qu’ils doivent avoir besoin de se dégourdir les guibolles. Ils acceptent en me demandant toutefois si on ne risque pas d’être attaqués par des voleurs ou des terroristes, fausse idée qu’ils se font de notre pays. Mahoko semble effectuer une traduction parfaite, j’ai presque l’impression de parler à travers elle.
Le dîner les ravit, on le serait à moins, même si au début ils ont à peu près autant de mal avec couteaux et fourchettes que moi avec des baguettes. Le plat principal est une révolution pour leurs palais, et je pense qu’à leur retour « potofu » ne tardera pas à devenir un fleuron de la cuisine nipponne. Les digestifs rares sont très appréciés, un peu trop à mon goût, heureusement qu’un chauffeur les attend en dînant sobrement en cuisine. Dès qu’il les aura emmenés à l’hôtel, il prendra la direction de Dijon pour nous attendre à la gare TGV le lendemain matin.
Visites de caves joyeuses, ils repartent avec chacun un carton de trois grands crus. Déjeuner à Beaune avec les spécialités locales : kir, douzaine d’escargots, œufs en meurette ou en « couille d’âne », bœuf bourguignon, époisses frais sur pain d’épice toasté, jusqu’aux pets-de-nonne. La traduction littérale les fait hurler de rire. Rapide, mais indispensable visite des hospices, et nous reprenons le TGV pour être à l’heure pour leur départ vers le Nord. C’est dans le train qu’ils entrent en grand conciliabule et appellent Mahoko à leur secours. Sa jolie silhouette s’incline à maintes reprises, mais son visage ne traduit aucune émotion. Quand ils ont terminé de la questionner, elle revient s’asseoir près de moi. J’ai un coude sur le bord de la fenêtre, la tête appuyée sur la main, mais elle saisit discrètement mon autre main entre les deux sièges et la serre.
Cache ta joie, putain, cache ta joie et ton soulagement ! On n’aura pas fait tout ça pour rien. Et signer un contrat avec le leader mondial de l’automobile, non seulement c’est l’affaire de l’année, mais ça vous classe une entreprise. Je reste impassible. Ils m’appellent : « Jérôme-san, Jérôme-san ». J’y vais, avec ma doublure-son, bien sûr. L’invitation est faite, mais ils font encore jurer à Mahoko que son restaurant est véritablement très bon. Ils veulent absolument m’honorer parce que la visite que je leur ai préparée était un véritable enchantement. Je serre les dents sur mon demi-sourire un peu crispé en faisant mes trois courbettes. Mahoko s’éclipse un instant pour appeler le restaurant sur son mobile.
Il me faudra attendre le quatrième saké pour que, comme par magie, le contrat proposé apparaisse sur la table. Ils le signent tous les trois, je le signe tout seul. Puis le grand patron sort un chéquier grand comme un catalogue de papiers peints et aligne une belle quantité de zéros. Ce truc-là, seule la Banque de France l’acceptera, mais ce n’est pas un problème. Je vais enfin pouvoir quitter ma position assise sur les talons que j’ai conservée stoïquement tout le repas. Mais là, coincé ! Je ne parviens pas à me déplier et à retrouver mon équilibre vertical, je ne sens plus mes mollets ni mes pieds. Mahoko vient à mon secours et m’enlace à bras le corps, juste le temps que le sang revienne dans mes gambettes torturées. Pourtant, je m’étais entraîné. Ça les fait bien rire, ils mettent un peu ça sur le compte du saké. C’est la première fois que cette perle m’enlace ainsi et j’adore ça. J’en rajoute un peu pour que ça dure, façon Bourvil dans le « Mur de l’atlantique ». Le minibus les remmène à l’hôtel puis nous au bureau. Sur le parking, où il fait nuit noire, j’attire de nouveau Mahoko contre moi et la serre très fort dans mes bras.
Je la ramène chez elle sans desserrer les dents. Je viens de me prendre un râteau d’une taille à étaler la dune du Pilat. Je l’accompagne jusqu’à sa porte et la salue de trois courbettes qu’elle me rend. Deux grosses larmes coulent sur ses joues…
Sixième semaine… six semaines sans elle, sans la voir, sans l’entendre. Six semaines avec une boule de bowling dans l’estomac, à tourner autour du téléphone au bureau comme à la maison sans oser le décrocher. J’en suis malade, j’ai perdu deux kilos. Entre-temps, Édouard va un peu mieux. Nous nous voyons pour préparer le CA. Sa « caille » semble s’être un peu calmée à mon égard, heureusement parce que ce n’est pas le moment. Plus l’échéance des six semaines approche et plus je suis nerveux. Je lui avais fait parvenir dès le lendemain un chèque correspondant à son contrat, augmenté d’une prime presque équivalente pour le caractère exceptionnel du service rendu. Pas même un coup de fil ou un mot de remerciement. Rien. Si ça se trouve, elle est partie au Japon avec ce fric… Vendredi. Si elle n’appelle pas aujourd’hui, dès lundi je lui ferai un message professionnel pour savoir si elle accepte ou non l’emploi proposé. Elle n’est même pas venue fêter au champagne la signature du contrat avec toute la boîte en récompense des efforts accomplis. Tout le monde s’est étonné de son absence, avec un stoïcisme nippon j’ai expliqué qu’elle avait pris d’autres engagements, mais qu’elle reviendrait bientôt. Et puis « loin des yeux, loin du cœur », les gens ont vite oublié et sont passés à autre chose. Pas moi. Peu avant midi, mon téléphone tinte.
Ma main tremble quand je raccroche le combiné. Au diable le boulot et le prochain conseil, je prends mon après-midi. Comme les trois quarts de la boîte du reste, avec ces fichues RTT. Quand on va chez une dame, qu’est-ce qu’on apporte ? Des fleurs ? Des chocolats ? Du vin ? Allez, va pour les trois. Vingt-cinq roses rouges, un coffret de Marcolini et une bouteille de Dom Pérignon. Excessif, c’est sûr, mais très européen. Tant pis.
Je couche les fleurs sur mon bras en tenant le sac de chocolats de la main, de l’autre je parviens à sonner en tenant la bouteille par le goulot. Elle ouvre, pieds nus, simplement vêtue d’un kimono de soie bleu nuit qui fait ressortir la pâleur de sa peau. Je pose mes deux paquets sur le sol de l’entrée avant de lui tendre le bouquet à deux mains, comme il se doit. Courbettes répétées trois fois avant que je ne quitte mes godasses.
Ça sent bon la cuisine raffinée. La table est déjà couverte d’une multitude de petits bols et coupelles appétissants. Elle a repoussé deux chaises contre les murs, ce sera donc un tête-à-tête.
Elle a soigné la soirée dans les moindres détails, semble-t-il. Par l’ouverture rectangulaire de la cuisine, je la regarde en buste s’affairer, tout en sirotant mon whisky. Mon souvenir n’est pas à la hauteur de sa beauté, elle est vraiment sublime. Nous passons à table.
Tout est délicieux et en toute petite quantité. Comme au Japon, seuls les bols de riz sont individuels. Pour le reste, nous piochons alternativement nos parts dans les récipients, avec les baguettes dont je n’ai pas oublié le maniement. Beignets de crevettes, petits sushis, lames de poisson cru marinées, algues bizarres, tout est délicieux, mais le silence est lourd. Quand je suis rassasié et que je refuse poliment un peu plus de riz, je tente une amorce :
Bon, va te faire voir. C’est mal engagé mon affaire… Espérons que le champagne la détende un peu. J’ouvre la bouteille et nous sers. Elle adore, je lui maintiens le niveau. Pour accompagner le breuvage, elle ouvre le coffret de chocolats.
Elle se lève, dénoue sa ceinture, et sans autre forme de procès laisse tomber son kimono à terre. Je m’étrangle. Non, ce n’est pas un travesti, mais une telle beauté intégralement nue que ma pomme d’Adam bouscule mes amygdales. D’une blancheur de porcelaine de la tête aux pieds, sans le moindre lupus ou défaut de peau. Des seins magnifiques aux larges embases qui leur permettent de tenir bien droits, seules les aréoles brunes tranchent sur cet océan laiteux, modelé magnifiquement en taille fine, buste en V, hanches galbées, cuisses charnues, toison discrète. Elle devient écarlate et pique du nez vers le sol, couvrant pudiquement sa poitrine d’un bras et son pubis de l’autre main.
J’en ai la mâchoire qui tombe, je suis ébloui par tant de beauté. Le choc passé, je me lève à mon tour et je ne sais que faire d’autre que de la serrer dans mes bras. Très fort. Très longtemps. Je ne bande même pas, comme si une telle perfection m’était inaccessible. Sa peau est douce sous mes mains et son corps chaud contre mon corps. Elle sanglote silencieusement, je lui relève doucement le menton.
S’en suit un interminable baiser laissant à nos bouches et à nos langues le temps de faire connaissance et de s’apprivoiser. Le futon de sa chambre, d’une sobriété monacale, portes coulissantes sur le couloir comme pour les placards, tatamis de paille de riz au sol et juste une petite lampe de papier de soie orangé, nous accueille ensuite. Elle est bien plus belle que je ne l’imaginais ; sa peau est bien plus douce et plus sensible que je ne le soupçonnais ; elle se montre plus aimante et plus active que je ne l’espérais. J’ai mis des heures à parcourir de mes lèvres chaque centimètre de sa peau délicate, de la nuque aux orteils. La sublime entrée de sa grotte d’amour, aux petites lèvres ourlées de brun, s’est vue dégustée, léchée, sucée jusqu’à ce que tous les sucs en sourdent à flot continu. Et là, oui, là, je suis entré dans une érection phénoménale, comme si sa liqueur avait soudainement boosté ma virilité. Après que tout son corps se soit tétanisé de plaisir, elle a voulu me rendre la pareille. J’ai vécu le frisson intégral sans cesse réactivé, le désir fou à en éclater. Quand elle est arrivée à mon sexe, elle a murmuré :
Pourtant, quelques instants plus tard, alors qu’elle m’enlace de ses cuisses ouvertes, nous savons que nous sommes conçus l’un pour l’autre tant ma lame trouve son parfait fourreau et son écrin épouse à la perfection mon dard turgescent. Du calme, nous passons à la frénésie, de la frénésie à la folie, de la folie à la démence totale. Le dimanche soir, nous avons vidé le champagne bien sûr, les chocolats, le reste de riz et tout son frigo, sans avoir vu, de jour, que les brefs instants de rapides collations. Jamais une femme ne m’a provoqué un tel désir instantané et prolongé, un effet « Viagra » en quelque sorte. Je n’ai de cesse que de vouloir la remplir et la couvrir de ma semence, comme un impérieux besoin de féconder chaque cellule de son corps. L’amour que j’ai senti grandir pour elle se mue en adulation, en culte de la perfection, celle de son corps. Je suis au pinacle, éberlué par tant de félicité.
Vers six heures, lundi matin, je rentre chez moi sur les rotules et sur un nuage, histoire de me changer et de retrouver aspect humain, les poumons dilatés d’allégresse. Que le manque de sommeil est facile à porter quand on est heureux ! Je laisse sur sa table un contrat de travail de chef de service, à l’instar de tous les responsables de dossiers de la boîte. À neuf heures, elle arrive fraîche et pimpante, on se demande comment. En la voyant, tous les collègues sortent des bureaux pour venir la saluer et aussi la féliciter, ce qu’ils n’avaient pas pu faire il y a six semaines, et pour cause. De bureau en bureau, des petits groupes se forment autour d’elle, on boit le café ou le thé, on discute, on lui demande la raison de son absence, on s’enquiert de sa santé. Il est pratiquement dix heures quand elle arrive dans mon bureau, me tendant le contrat signé. Je le signe aussi.
J’ai téléphoné à Édouard dans l’intervalle, d’abord pour prendre de ses nouvelles, ensuite pour lui dire que nous avons un problème de place : tout est plein, il manque un bureau pour Mahoko.
Mahoko revient, tout éberluée, et le feu aux joues.
Je referme la porte, elle s’approche de moi et me pose un petit bisou sur les lèvres. Je pose mon doigt sur les siennes.
Édouard va de mieux en mieux, et j’en suis ravi. Il a perdu quatorze kilos, mais ça se voit à peine. Tout juste est-il moins rouge et sa tête moins engoncée dans les épaules. Il peut en perdre encore autant pour espérer quitter le fauteuil roulant et ne plus avoir de bonbonne d’oxygène que la nuit. Il nous invite, Mahoko et moi, pour un week-end afin de déguster le fameux brochet, et inaugurer son jardin d’hiver maintenant terminé. Cette fois, elle accepte. Elle est impressionnée par la propriété et sa diplomatie fait merveille avec Amanda. J’espère que la gourdasse ne va pas lui raconter que j’ai couché avec elle, on verra bien. Ça me permet de rouler Édouard jusqu’à l’étang et de placer pour lui, sous son œil avisé de connaisseur, quelques balances.
Nous revenons juste avant le dîner. Effectivement, je sors presque un seau entier des précieux crustacés. Les dames nous accompagnant cette fois, ma Japonaise bat des mains, elle adore ce mets de choix rarissime et très cher, même au pays du soleil levant. Le brochet sauce Nantua, juste un jus de citron pour Édouard, est délicieux, très bien préparé et presque sans arêtes, un prodige. Les écrevisses seront pour demain. Nous retournons dans le jardin d’hiver pour faire plaisir à notre hôte qui le préfère encore de nuit que de jour. Les travaux sont juste terminés, la cathédrale de verre est encore vide, mais l’espace est très agréable et permet surtout à Doudou de circuler de la maison à la piscine en fauteuil.
Tu me donnes une bonne idée, mon ami. Le week-end se termine agréablement, et Mahoko peut même emporter une boîte d’écrevisses qu’elle cuisinera à la mode de son pays, j’ai remis les balances en place. Curieux de fonctionner comme un couple sortant chez des amis. Pourtant, nous n’en sommes pas encore là. En effet, Mahoko ne peut pas venir vivre chez moi, et abandonner son logis presque japonais. Je ne peux pas m’installer chez elle, trop petit. Alors nous alternons, à l’envi, mais ce n’est pas top. Le mieux serait de nous installer dans un nouveau logement, mais ce n’est pas simple non plus. Car les souhaits de Mahoko ne sont pas faciles à satisfaire. Un « palais » comme Édouard, sûrement pas. Trop grand, trop prétentieux, trop isolé. Une maison neuve ? Ce serait l’idéal pour l’aménager comme elle le voudrait, avec une partie japonaise. Mais elle les trouve moches : soit des cubes qui ressemblent à des morceaux d’immeubles pas terminés, soit des pseudo-traditionnelles sans véritable caractère.
Elle m’en montre certaines, des pavillons 1900 avec des petits jardins autour, pleins de charme, c’est certain, mais pas à vendre… Nous verrons, nous avons le temps.
Édouard a tenu à présider au moins le début de son dernier Conseil d’Administration. J’ai demandé à Mahoko d’y assister pour en faire le procès-verbal.
L’assemblée se lève et applaudit longuement, très longuement.
De nouveau, l’assemblée se lève et fait une très longue standing-ovation à Édouard, très ému. Chacun vient lui serrer la main ou l’embrasser, puis je le pilote jusqu’à son véhicule spécial.
Sa déception me fait de la peine, même si je sais qu’elle sera de courte durée. J’ai tout organisé, contactant tous les membres du CA, les employés et certains vieux clients. J’ai moi-même mis cinq mille euros dans le pot, autant que pour Amanda. La cagnotte est vite montée à près de cent mille euros, une bagatelle ! Avec ça, j’ai commandé un maximum de plantes exotiques et rares à un horticulteur spécialisé. Deux camions pleins. À installer pendant le conseil d’administration avec la complicité d’Amanda.
Mine de rien, les autres m’attendent avec un petit café, mais il faut que je prenne les rênes.
Je sors avec Mahoko, pas du tout sûr de mon coup. Édouard m’avait encouragé à le faire tout de suite, je ne suis pas certain qu’il ait eu raison. Je n’en mène pas large. Finalement, plus on grimpe dans une hiérarchie et plus on se sent comme le jour du bac ou du brevet. Mahoko reste impassible, sourire de circonstance, et me rapporte un gobelet de café dégueulasse. Pas le choix, distributeur du coin, on en perd vite l’habitude. Il leur faut moins d’un quart d’heure pour délibérer.
Ils se regardent tous, hochent la tête.
À cet instant, mon téléphone sonne.
Pot et petits fours s’ensuivent en petits groupes de discussion. Mahoko fait recette, la coqueluche des petites mémés qui la trouvent tellement adorable. Les petits pépères aussi, je vois. C’est bien que je l’aie amenée, elle est une excellente ambassadrice, et puis elle se frotte à un aspect très particulier du fonctionnement de l’entreprise, fait la connaissance de gens influents. Elle est… « introduite », si j’ose dire. Il est presque une heure de l’après-midi quand les derniers nous quittent, je suis épuisé, mais content. Je finis mes petits fours préférés et m’enfile encore deux flûtes.
La petite vache ! Mais finalement, c’est une bonne idée. Je ne sais pas si j’ai eu raison de la faire travailler avec moi, elle va m’épuiser aussi au boulot. Je la dépose au bureau et je rappelle l’agence. Le guignol est embêté, il n’avait pas prévu… On va s’arranger. Pour quinze heures si ça me convient. Juste le temps de passer prendre un télémètre laser, et j’arrive au moment où il ouvre le porche pour rentrer nos voitures. C’est vraiment sympa, mais je n’en laisse rien transparaître. La façade côté rue est impeccable, bonnes vieilles pierres de taille qui n’ont pas bougé. La cour est moche, il faut juste laisser une allée centrale et faire sauter le reste des pavés pour en faire un coin sympa de convivialité, surtout pour les beaux jours. Et puis disposer d’une vue agréable et d’un peu de verdure depuis la verrière et les coursives. La verrière est à nettoyer, à restaurer en quelques endroits. Le parking est livré aux herbes folles qui poussent dans le goudron. Il faudrait planter des arbres, il manque d’ombre. L’agent me suit comme un chien-chien, me précédant de temps en temps pour déverrouiller une porte ou remettre l’électricité. Le porche sépare le rez-de-chaussée en deux, ennuyeux, mais le premier et le second sont reliés. Les bureaux sont clairs, même si les fenêtres donnant sur les jardins des maisons voisines sont opacifiées, ce qui est normal. J’établis un plan sommaire de chaque niveau et je prends des mesures. Chien-chien radote et me dit et me redit qu’un marchand de sommeil est sur le point de l’acheter. Eh bien, qu’il l’achète ! Je veux visiter le grenier. Ah ? Il n’a pas la clé. Qu’il la trouve ! Il panique un peu, le toutou, téléphone et retéléphone. Finalement, il l’avait, c’est une clé qui sert également pour la cave. Ah parce qu’il y a une cave ? Je veux voir aussi. Je constate que seul le bâtiment principal est d’époque, les deux ailes ont été rajoutées plus tard. Elles sont couvertes en bac-acier, le bâtiment central en ardoises, quelques-unes sont déplacées ou cassées. Gare aux infiltrations. La cave n’est également que sous le bâtiment central, en deux parties. L’une a dû servir de buanderie, il y a encore un tas de linge pourri. L’autre sert de chaufferie avec un énorme système au fuel totalement obsolète. Grosse dépense. J’ai une liste d’interventions longue comme le bras.
Nous y allons. Le patron paraît moins sot, mais beaucoup plus filou que son agent « canin ». Nous discutons longuement, âprement. Il faut que lui aussi fasse un effort et baisse sa marge. Finalement, nous tombons d’accord sur une proposition à quatre cent vingt-cinq que je rédige. C’est au geste qu’il a de s’en saisir aussitôt et de la mettre dans son tiroir que je sens que je viens de me faire arnaquer. Et ça, ça a le don de me gonfler.
De retour dans ma voiture, je regarde l’adresse et le numéro du propriétaire. Je l’appelle. Un brave papy qui voudrait bien se débarrasser de ça. On prend rendez-vous, il est disponible, je passe le voir.
Retour au bureau, le procès-verbal est comme celle qui l’a rédigé : parfait.
Faste journée, mais qui pourrait finir mal. À cause de travaux et de déviations, nous voilà paumés en rase campagne juste pour faire dix kilomètres. Des routes presque moins larges que la voiture, et pas un panneau bien entendu. Enfin, au bout d’un quart d’heure, voilà un patelin.
Petit bourg paisible, grande place couverte de marronniers dont les feuilles commencent à tomber, équipée d’anciennes lices et d’une bascule pour la foire aux bestiaux, un charmant petit pont de pierre voûté sur un cours d’eau paisible, des bistrots, des petits commerces, des bancs, des gens, un lieu hors du temps où il semble faire bon vivre, comme à la campagne. Et enfin une pancarte pour notre direction. Mais mon Eurasienne n’en finit pas de laisser son regard errer sur les maisons qu’elle trouve adorables. Finalement, après un détour de douze, nous retrouvons nos dix kilomètres pour rejoindre le restaurant avec un peu de retard. Nous nous excusons, expliquant notre mésaventure.
Le repas est excellent, mais Mahoko semble pressée d’en terminer. Je n’ai même pas à lui poser de questions, je remets le cap sur Bracôme. Nous nous arrêtons sur la place, en quelques pas de promenade nous trouvons le vieux fronton XIXe « République française – Mairie-École publique ». Le mur d’enceinte est en pierres avec des grilles grises, le portail est fermé, mais pas le portillon grinçant. J’entre.
Les bâtiments sont traditionnels, marqués du style Jules Ferry, rendant l’école obligatoire pour tous. Un gros bâtiment carré d’un étage, logement des instituteurs « hussards de la république » et dont la moitié du rez-de-chaussée servait de mairie, et puis deux salles de classe, l’une à gauche, l’autre derrière, école des filles et école des garçons. Cette disposition de bâtiments en équerre séparait naturellement deux cours de récréation bien distinctes, avec en fond deux préaux, de simples toitures d’ardoises sur des poteaux de bois. Au-delà des préaux, il y a également deux jardins potagers que les instituteurs, qui ne gagnaient pas cher, devaient cultiver pour pouvoir nourrir leurs familles. Souvent, l’un des deux, en général le directeur, était aussi secrétaire de mairie, ce qui lui faisait un petit complément de salaire non négligeable. Les jardins sont en friche, mais l’on aperçoit des cercles de fruits et de feuilles tombés sous de nombreux arbres fruitiers. Quel gâchis ! Évidemment, en dehors des jardins, tout est goudronné, même l’espace entre les bâtiments et la rue, bien que les enfants n’y aient accès que pour entrer et sortir de l’école. Il y a encore une cloche accrochée au mur avec la chaîne pour l’actionner. Mahoko trouve ça charmant, les constructions aux arêtes et linteaux de pierre taillée très jolis. Oui, ça pourrait être pas mal, mais… que de travaux là aussi ! Des tonnes de goudron à retirer, des plafonds de quatre mètres impossibles à chauffer, etc.
Voilà une vieille école qui vient d’abriter le plus long baiser de l’histoire du cinéma contemporain.
Quelle faste journée ! Le lendemain, dégusté jusqu’à la dernière goutte, je me renseigne auprès de la mairie.
L’ennui avec les enchères, c’est qu’il faut disposer de la somme le jour même et ne pas compter sur un prêt hypothétique. Pendant un an, j’ai bossé comme un dingue et je n’ai pas eu beaucoup de temps pour dépenser mon gros salaire, à 120 000 €, et maintenant c’est le double. Juste cette Jaguar que je commence à regretter. Le banquier à qui je raconte mon problème se comporte en banquier. Lui qui se fait des ongles en or avec mon pognon toute l’année m’annonce qu’il me « couvre » généreusement sur dix pour cent de mon salaire annuel, soit en gros quarante-cinq mille. Ma dernière enchère possible est donc de deux cent quarante-cinq mille. J’espère que ça suffira, de toute façon, au-delà ça ne vaut plus du tout le coup. Nous faisons la visite organisée le samedi. Mon problème n’est pas de projeter les travaux à faire, on verra après, mais de repérer les acheteurs potentiels. Il y a beaucoup de badauds, des gens qui sont venus à l’école ici et visitent une dernière fois par nostalgie. Mais deux visiteurs m’inquiètent. Deux types qui auraient l’intention de monter un restaurant. Beau projet. Cependant, ils sont en désaccord sur l’emplacement de la cuisine. Je suis leur conversation en faisant semblant de m’intéresser à ceci ou cela. L’un veut faire la cuisine dans les logements, pour mieux distribuer la production, l’autre veut en faire l’accueil, les vestiaires, les toilettes et profiter des cent quatre-vingts mètres carrés des deux préaux pour y faire cuisine et stock. La phrase qui fait tilt :
S’ils sont limités sur les travaux, ils le sont forcément sur l’achat. La vente a lieu le samedi suivant, Mahoko est très excitée, c’est à dire plus pâle encore que d’habitude.
Il y a un grand blanc, le commissaire priseur s’inquiète, Mahoko me tire la manche.
Ho-la, ça s’emballe, ce n’est pas bon. Dans cinq minutes à ce rythme-là, on a passé deux cents mille. Je temporise, ce qui agace Mahoko qui va finir par me déchirer la manche.
J’attends la réponse de la dame, qui ne vient pas. Elle s’était donc fixé cette limite. Et maintenant, je suis après les deux autres, ce que je préfère. Cependant, le commissaire s’inquiète et relance. J’annonce cent cinquante sept. Nous montons ainsi lentement jusqu’à cent soixante-neuf, et j’ai la main. Les deux autres discutent ferme et n’ont pas l’air d’accord du tout.
Je relance, l’autre contre et tient jusqu’à cent soixante-quatorze. Là, son collègue le fait asseoir et lui intime de se taire. Bingo à cent soixante-quinze, une fois, deux fois, trois fois et j’ai une grosse médaille autour du cou qui s’appelle Mahoko. Mon sentiment est plus partagé, pour un tas de raisons. D’abord, je viens de vider mon compte en banque en tenant compte des frais, et ce n’est jamais agréable de se retrouver presque « sur la paille ». Ensuite, je trouve qu’il y a beaucoup de travaux à effectuer, ce qui prend du temps avant d’en profiter. Tout ça pour faire plaisir à ma compagne qui n’est même pas encore mon épouse. Coup de tête, coup de cœur, mais certainement pas un acte raisonné. Mahoko est déjà dans une visite privée, je confie mes doutes au notaire pendant que l’on règle les dernières démarches administratives. Il me rassure :
Admettons, l’avenir le dira. Le présent, c’est le bonheur de ma petite Japonaise. Elle voudrait déjà revenir le lendemain pour… faire du ménage. J’ai toutes les peines du monde à la convaincre que c’est totalement inutile, car dans quelques semaines, tout cela sera entre les mains armées de gros outils des entreprises qui feront les travaux. Nous y allons tout de même pour établir des plans cotés de l’existant qui n’existent pas. Du coup, Mahoko occupe tout son temps libre à dessiner les projets de transformation, elle en remplit un cahier entier avec, je dois le dire, un talent certain. Mais la réalité est là, il faut d’abord obtenir un prêt, un permis de construire, et nous avons décidé de nous marier avant, poussés en cela par Édouard. Il tient toujours à être mon témoin, mais il ne va pas très fort, malgré une nouvelle dizaine de kilos perdus. Maintenant, il a de la peau en trop, au niveau du cou et des joues, ce qui le vieillit considérablement. L’avantage, c’est qu’il n’a plus d’assistance respiratoire que la nuit, mais il ne peut se passer de son fauteuil que quelques minutes.
Les bans sont publiés, il ne me reste qu’à trouver un lieu pour accueillir notre union. Elle se fera uniquement en mairie, car je suis catholique de naissance bien que non pratiquant, et Mahoko est shintoïste, sans temple de cette confession à proximité. Elle tient à ce que les photos et le maximum de choses se fassent dans notre nouveau quartier, sur les bords du cours d’eau ; elle envisage même d’aménager une ancienne salle de classe pour le repas. Encore une fois, je dois bagarrer, mais juste un peu. C’est l’automne bien avancé, non seulement il faut un traiteur, mais aussi du chauffage, un coup de peinture provisoire, un revêtement de sol, bref tout un chantier pour quelques heures. Ce n’est pas que nous soyons très nombreux. De mon côté, c’est zéro à part Édouard et Amanda. Tout le monde, hélas, est mort. Du côté de Mahoko, il y a sa mère qui fera le voyage de Suède, et sa sœur et son mari qui habitent actuellement en région parisienne. Mais nous ne pouvons faire l’économie d’inviter toute la boîte et les conjoints, soit près de trente personnes. À force de me tourmenter, un jour, Édouard m’attrape par le col :
Quel cadeau faire à la mariée ? J’ai anticipé, in extremis, avec le notaire. J’ai fait mettre l’école à son nom, je lui remettrai l’acte à signer le jour du mariage, le notaire sera invité à la cérémonie.
Mahoko a quand même tenu à faire du ménage dans l’ancienne école. Elle veut la faire visiter à sa famille et aussi aux collègues. Dans une classe, elle a affiché ses croquis, agrémentés de touches de couleurs aux pastels, de ce que sera notre future demeure. C’est vraiment un projet qui lui tient à cœur. Mon cadeau devrait lui plaire.
Je fais connaissance de sa mère, veuve, mais ayant hérité d’une belle maison et d’une rente enviable assurée par le gouvernement suédois. Elle ne parle pas français, mais nous nous débrouillons très bien en anglais. Rien à voir avec sa fille, du pur sang jaune coule dans ses veines : face de lune, pas de menton, cheveux noir corbeau, yeux bridés et en même temps un peu tombants, globuleux avec des paupières multiplis. Elle est petite, très petite quand elle me montre des photos de couple avec son suédois de mari, genre colosse. La sœur est plus surprenante. C’est une caricature de la femme japonaise. Petite, brune, elle a à peu près la même grosse poitrine, le même cul charnu que Mahoko, mais sur la hauteur de sa maman. Cela fait d’elle une femme un peu ronde, plutôt jolie cependant, les jambes torves et les pieds en dedans, plissant les jupes horizontalement par des cuisses courtes et très charnues. À l’opposé, son mari, diplomate également, est un échalas maigre comme un clou. Ce serait à cause d’une saloperie attrapée en Égypte, son dernier poste, pour laquelle il a été rapatrié et se fait soigner par les plus grands spécialistes des maladies tropicales.
Mahoko m’explique qu’elle a de l’amour pour sa mère, mais qu’elle ne s’entend pas très bien avec elle, celle-ci considérant sa vie à l’Européenne en France comme une hérésie. C’est pourquoi elle n’a pas voulu vivre avec elle lorsqu’elle s’est installée en Suède, alors elle a occupé l’appartement de sa sœur en France pendant qu’elle était en Égypte.
Le mariage a lieu le matin, à dix heures trente, de façon à ne pas imposer à Édouard une soirée interminable. Promenade et photos au bord de la rivière, visite de notre future résidence. Ça plaît beaucoup aux collègues, car c’est un projet à taille humaine. À leur taille, ils pourraient en faire autant. En revanche, ils sont estomaqués par la propriété de leur ancien patron. Seule ma désormais belle-mère s’y sent à son aise, répétant à qui veut l’entendre qu’elle a passé toute sa vie dans des villas et des palais somptueux. N’importe, notre hôte est fou de joie et a réalisé lui-même plusieurs pêches miraculeuses d’écrevisses. J’ai embauché plusieurs extra pour donner un coup de main en cuisine et surtout au service. Le tout se termine en garden-party, animée par le rire asin d’Amanda, folle de joie de vivre enfin une réception dans sa gentilhommière. Elle fait du gringue à tout ce qui passe près d’elle portant pantalon, certains dansent dans le jardin d’hiver où l’on a installé une stéréo, d’autres osent la baignade en boxer ou culotte et soutif ! Il faut dire qu’Édouard a tenu absolument à fournir les vins.
Certains donc ont usé, voire abusé. Je fais de nombreuses photos de tous ces instants magiques. On y voit souvent, assis côte à côte sous une tonnelle, Édouard et Jean-Charles, mon beau-frère, les deux malades amaigris devisant en regardant les autres s’amuser. Vers dix-huit heures, à force de clins d’œil complices, je donne le signal du départ. Nous traînons quelques boîtes de conserve derrière la Jaguar comme il se doit et la gentilhommière retrouve sa quiétude.
Pour le voyage de noces, nous allons passer huit jours en Normandie, dans le port austère, mais charmant de Granville. Balades sur Chausey, dans les dunes, sur d’immenses plages quasi désertes. À ma plus grande joie, Mahoko adore. On nous y reverra, c’est sûr. Incroyable comme un acte aussi simple que le mariage peut changer le comportement. Nous étions amants et elle était une maîtresse adorable, mais une fois mariée, Mahoko révèle sa vraie nature, devenant épouse empressée à la sexualité débridée. Jamais jusqu’alors elle n’avait été demandeuse ou provocatrice. Quoique… Elle s’était bien dénudée pour moi le premier jour. Mais ensuite, sans jamais se dérober, elle attendait ma sollicitation. Depuis le mariage, c’est de la folie furieuse. Les promenades ne sont là que pour recharger les batteries et nous passons plus de temps au lit qu’en dehors. Pour mon plus grand plaisir.