Résumé des épisodes précédents :
À la tête d’une entreprise de sécurité numérique, Jérôme vit en trio avec son épouse japonaise et sa belle-sœur. Lors de voyages professionnels, sa collaboratrice s’offre à lui.
Cependant, ce serait trop bien si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Un journaliste un peu plus perspicace que les autres a compris le rôle que nous avions joué dans cette histoire et la réputation que nous en avons tirée. Il a voulu en savoir plus et est venu fourrer son nez chez nous. Effet positif immédiat, les lecteurs de son hebdo économique ont constitué une seconde vague de clients faciles. Mais l’effet négatif, si toutefois c’est lié, c’est que le fisc est venu nous chercher des poux dans la tonsure. Contrôle fiscal, donc, portant sur l’ensemble de la holding. Bien sûr, n’y aurait-il pas magouille entre l’entreprise de sécurité des réseaux et le groupe, avec, pourquoi pas, une troisième entreprise bidon en Suisse, au Luxembourg ou aux îles Caïmans ? Ça n’a l’air de rien un contrôle fiscal. Quand on n’a rien à se reprocher, on se dit que ce ne sera qu’une formalité. Que nenni ! Quand ils débarquent, tu es coupable, ils en sont certains. Leur boulot c’est de trouver de quoi. Et moins ils trouvent, plus ils cherchent, te considérant comme un coupable plus malin que les autres. Tout y passe, TOUT. Et ça dure… quatre à trois mois, tous les jours, deux mecs et une nana, c’est la nana le chef, pour une fois. Ils fouinent absolument partout, comptent les ramettes de papier du stock, regardent sur les bureaux si les gens utilisent leurs stylos ou des stylos fournis, réclament les factures de tout ça, pèsent le courrier au départ, les corbeilles, pour savoir si du papier ne disparaît pas en cours de route, font des projections sur l’année, comparent avec nos comptes. Le pire, c’est quand ils tombent sur les frais de déplacement, qualifiés de somptuaires. Je rapporte toujours les factures d’hôtels, mais il arrive qu’un ticket d’autoroute ou d’essence s’égare… Catastrophe. La nana est particulièrement odieuse, pourtant pas laide malgré ses lunettes, son chignon et son tailleur sombre.
- — Vos pleins d’essence sont truqués, vous remplissez deux réservoirs sans raccrocher le pistolet, c’est bien connu.
- — Pas du tout, Madame, je suis juste coupable de posséder une Jaguar et son réservoir contient 82 litres.
- — C’est… c’est monstrueux !
- — Oui, mais très confortable.
- — Et tout est à l’avenant : des chambres d’hôtel à 450 € et plus, des repas à plus de 200 €, alors qu’il existe des Formule-1 et des Mac Do pour moins du dixième de ces dépenses somptuaires.
- — Vous remarquerez que les tickets d’autoroute sont les mêmes pour moi que pour vous…
- — Je ne parle pas de moi, mais de vous. Vous vous offrez des déplacements de luxe aux frais de votre société.
- — Madame, quand on démarche une entreprise cotée en bourse, une entreprise japonaise ou allemande, dont les PDG gagnent dix fois ce que je gagne avec des parachutes dorés par-dessus le marché, il n’est pas possible d’arriver en deux-chevaux et de loger au camping. Il faut, que cela vous plaise ou pas, se hisser à leur niveau pour discuter d’égal à égal. Dans le cas contraire, ils ne vous regardent même pas. C’est une des bases de la négociation. Votre, pardon, ma grand-mère dirait qu’on n’attire pas les mouches avec du vinaigre, je dirais qu’on ne signe pas de contrats avec des minables quand on fait partie des plus grosses fortunes d’un pays. La croissance de notre chiffre d’affaires prouve que je ne me trompe pas, et le Conseil d’Administration a approuvé les comptes sans trouver à redire à ces dépenses, que vous qualifiez de somptuaires, car eux savent ce qu’est la négociation avec de tels clients.
Et toc, la conversation se termine là-dessus, du moins pour le moment. Je ne sais pas si cela traduit une certaine nervosité de sa part ou, plus prosaïquement, le simple besoin de se dégourdir les guibolles à force d’être assise au milieu de ses tas de paperasses, mais elle croise et décroise les jambes très fréquemment. C’est son droit, oui, mais, à chaque fois qu’elle effectue ce mouvement, ses collants, à supposer que ce ne soit pas des bas, crissent l’un contre l’autre au niveau des cuisses. Au début, j’ai trouvé cela agaçant puis, au fil du temps, l’agacement s’est déplacé. C’est vrai qu’il y a là un morceau de bonne femme. À peu près de la taille de la longue et fine Marie-Sophie, mais ce n’est pas du tout son calibre. Elle doit bien faire dix à quinze kilos de plus. Et ce n’est pas non plus l’image d’une Marie-Sophie grosse, pas du tout. Son squelette doit être beaucoup plus développé, avec de gros os, support plus épais et plus large couvert d’une belle musculature. Ce serait plus Marie-Sophie dopée aux amphétamines. Mais le résultat n’est pas désagréable à regarder, plutôt harmonieux, tout en puissance. Un tour au lit avec elle doit être un sacré combat. Ses cuisses notamment doivent être épaisses et charnues, ce sont elles les archets qui font vibrer les fines cordes de son collant. Voilà où mon esprit s’égare quand elle me parle et que des pulsations titillent mon pénis. Quelques jours plus tard, elle revient à la charge en me demandant de passer la voir dans le bureau qu’on lui a alloué. Ben non, je n’irai pas sur son terrain, elle n’a qu’à venir sur le mien. J’argue d’un coup de fil important attendu, elle se déplace. En frappant à ma porte, en venant avec un seul petit dossier sans la masse de tous ceux qui pèsent sur moi comme autant d’épées de « Dame Oclès », elle se met en position d’infériorité. Elle attaque sur la revente de notre ancien siège, qui s’est vendu beaucoup plus cher que ce qu’il avait été acheté. Donc, plus-value, taxe qui n’a pas été réglée.
- — Mais, attendez, cet impôt n’est dû que si l’on revend avant trente ans, non ?
- — Exact.
- — Le Président et fondateur de la société l’avait bien acheté trente-deux ou trente-trois ans auparavant ?
- — Eh non ! Il y avait exactement vingt-six ans, quatre mois et vingt et un jours. L’entreprise a été fondée initialement à une autre adresse. Donc il y a bien plus-value, impôt et pénalités de retard.
- — Ah, bien ça, j’en suis le premier surpris, je découvre et j’en suis navré.
- — Remarquez, vous n’en êtes pas complètement responsable, c’était au notaire de vous en informer et d’effectuer le calcul, de le déduire de la vente et de l’envoyer aux services fiscaux. Ça n’a pas été fait. Donc aujourd’hui, c’est bien à vous d’en assumer les conséquences, vous n’aviez pas le bon notaire.
- — Je ne me déroberai pas, nous avons tous besoin de routes, d’écoles, d’hôpitaux et de fonctionnaires, il est normal de payer ce que l’état nous demande. En l’occurrence, ça va chercher combien ?
- — Oh, rien de bien méchant auquel vous ne puissiez faire face. Disons à vue de nez dans les quatre à cinq mille euros. Mais c’est un début, nous continuons de chercher…
- — Attendez, Madame, votre phrase me choque un peu dans la mesure ou elle sous-entend que vous seriez à la recherche d’une escroquerie, volontaire ou non, d’une importance telle qu’elle nous mettrait en difficulté de paiement, voire nous contraindrait à un dépôt de bilan ?
- — Hélas, c’est assez fréquemment le cas. Disons que si ce n’est pas le but recherché, ça a au moins l’avantage d’éliminer les brebis galeuses.
- — Eh bien, je trouve cela odieux, voire scandaleux. L’État se plaint d’un chômage chronique qu’il est incapable de résorber, et au contraire il y participerait volontiers en mettant une trentaine de personnes sur le carreau ? J’ai un peu de mal à comprendre…
- — Et moi j’ai un peu de mal à comprendre ce que vous faites réellement. Il est vrai que je n’y connais pas grand-chose en informatique, si ce n’est que c’est un outil quotidien de travail, mais de ce que je vois depuis quelques semaines que je suis dans vos murs, c’est que vous brassez du vent et des millions. Tout ceci a l’odeur et l’apparence d’une grosse escroquerie et, c’est bien connu, plus elle est grosse et mieux elle passe. Qu’elle se double d’une arnaque fiscale quelque part, ça ne serait guère étonnant.
- — Vous croyez vraiment que Saint-Bogain, Tatayoyo, Michemin et compagnie, avec toutes les compétences dont ils disposent, nous achèteraient du vent à prix d’or ?
- — Cher Monsieur, souvenez-vous qu’on a vendu des avions « renifleurs » à un Président de la République entouré de dizaines de conseillers scientifiques. Alors… tout est possible ! Plus c’est gros, mieux ça marche, vous dis-je. Enfin, voilà un petit début. À bientôt, cher Monsieur, pour la suite…
La vache ! Aujourd’hui, elle a un atout, sur son territoire ou pas elle remporte le jeu. Mais merde, dire qu’on brasse du vent… Elle m’énerve, je dois rester calme. Et ses collants résonnent dans ma tête comme une porte grinçante dans une église vide. En plus, c’est elle qui a un petit sourire agaçant. Je lui ferai payer ça, je me le promets.
Je n’ai à attendre que quelques jours avant qu’elle ne déclenche un nouvel événement. Entre-temps, le notaire a pris une remontée de bretelles telle qu’il me propose, comme c’est de sa faute, de prendre en charge les sommes dues au fisc. C’est toujours ça de pris. Cette fois, c’est Bill qui fait irruption dans mon bureau, venant de ses nouveaux locaux, en traînant sa petite Corinne par la main, en pleurs.
- — Holà holà, que se passe-t-il ?
- — Il se passe… il se passe que cette pétasse mal baisée se comporte comme au temps de l’inquisition. Elle a poussé Corinne à bout et voilà le résultat.
- — Bill, calme-toi, vous aussi, Corinne, asseyez-vous, voilà une boîte de Kleenex et racontez-moi tout.
- — Ben voilà… Comme je fais les payes, elle est venue fourrer son nez dans les dossiers, les fichiers… Deux jours, ça a duré, j’pouvais même plus travailler. Et puis elle m’a posé des questions, pourquoi ceci, comment cela. Je répondais de mon mieux… mais ça suffisait pas, elle est montée dans les tours, elle m’a crié dessus, elle a tapé sur mon bureau, elle m’a menacé de gratter mon dossier et celui de Bill aux impôts, etc.
- — Mais que voulait-elle savoir ?
- — Ben… pourquoi Bill est payé plus cher que ses collègues ?
- — Mais en quoi ça la regarde ? Et qu’avez-vous répondu ?
- — J’étais paniquée… elle me faisait peur, cette grande bonne femme… j’ai dit ce qui me passait par la tête… que vous étiez bien copains, Bill et vous… et que c’était p’t-être pour ça…
- — Mouais, bon… C’est simplement le Conseil d’Administration qui l’a décidé, sur ma proposition il est vrai, mais vous, vous appliquez l’ordre et la raison ne vous regarde pas, sauf que votre Bill est l’un des tout meilleurs en France et que ça se paye.
- — En tout cas, elle a eu l’air contente et elle rugissait « ah voilà, je le tiens, on favorise les petits copains… »
- — Bien, Bill, tu peux rentrer sur le site des impôts ? Enfin, je veux dire… rentrer-rentrer, pas seulement consulter.
- — Très facile, mon pote, je peux leur foutre un bordel noir !
- — Surtout pas, ça nous retomberait sur le nez, toi en premier. Simplement, prépare-toi et retournez à vos postes comme si de rien n’était. OK ? Ça va aller, Corinne ? Faites-moi confiance…
Je cherche à joindre l’inspectrice du fisc, je ne la trouve pas. Elle s’est perdue entre les deux entreprises, ou elle est allée déjeuner et elle peaufine son attaque, ce qui est plus probable. Je laisse le message aux secrétaires, Madame Dalgaud est convoquée dans mon bureau dès son retour. Elle ne tarde pas à s’annoncer, je l’attends debout, les poings sur le bureau et sans le moindre sourire.
- — « Convoquée » me dit votre secrétaire, « invitée », je suppose.
- — Non, Madame, « convoquée » est le terme que j’ai employé. Asseyez-vous.
- — Mais, vous n’en avez pas le pouvoir, seul un supérieur hiérarchique…
- — Madame, coupé-je, toute personne évoluant dans nos locaux est susceptible d’obéir aux règles de sécurité en vigueur et de répondre aux injonctions du Président Directeur Général, quelle que soit sa hiérarchie, car ici c’est moi qui donne les ordres.
- — Parlons-en…
- — Oui, parlons-en. Madame, votre comportement de ce matin est inqualifiable. Vous avez le droit de faire votre métier, de fouiller papiers, dossiers, documents électroniques, poubelles et cuvettes des chiottes tant que vous voulez. Vous avez le droit de vous renseigner et de poser des questions pour éclaircir tel ou tel point, en vous exprimant poliment et en respectant votre interlocuteur. Mais vous n’avez pas le droit d’exercer un véritable harcèlement sur un personnel, de l’agresser verbalement, de la terroriser, de hurler en vous adressant à elle, ni de frapper sur son bureau comme une harpie ou un tribunal d’inquisition, hurlé-je en frappant mon bureau de la même manière. Ça, vous n’en avez pas le droit.
- — Vous parlez de la petite…
- — C’est d’elle que je parle, en effet. Cette scène a eu des témoins auditifs, faute de témoins visuels, mais c’est suffisant pour que je puisse porter plainte contre vous et vos méthodes, au moins auprès de votre hiérarchie vénérée. Pour abus de pouvoir et, comme cette jeune femme est enceinte, pour abus de faiblesse.
- — Ah, je ne pouvais pas savoir, ce n’est pas écrit… Mais avec le foin que vous venez de faire, tout le monde ici est également au courant de votre attitude agressive envers moi, et ça peut vous coûter cher.
- — Madame, vous oubliez un léger détail. Ce bureau où se traitent des négociations très confidentielles est totalement insonorisé. Même la secrétaire à côté ne m’a pas entendu. Mais ne cherchez pas de faux-fuyants et revenons à votre interrogatoire. Toute femme de moins de cinquante ans est en mesure d’être potentiellement enceinte, souvenez-vous-en et contrôlez-vous. Vous aviez trouvé là le maillon faible et vous en avez éhontément abusé. Et pour lui soutirer quoi ? Quelle information que je ne vous aurais pas donnée sans la moindre hésitation si vous l’aviez demandé ? Oui, Monsieur Bill Guette, son époux, est payé le double de ses collègues, salaire décidé par le Conseil d’Administration sur ma proposition.
- — Oui, j’ai lu le PV, vous aviez même demandé plus. Quel honteux copinage !
- — Oh, je vous arrête immédiatement, il ne s’agit nullement de copinage. Ne vous déplaise, ce Monsieur est un génie de l’informatique. Il s’ennuyait comme un rat mort sous l’escalier d’une université à réparer les conneries des étudiants et des profs. Je l’en ai détourné pour l’embaucher à de meilleures conditions ici où il fait merveille et nous rapporte beaucoup d’argent. Je n’ai pas envie qu’une autre boîte vienne à son tour me le piquer. Je souhaitais donc le récompenser et le sécuriser dans son emploi.
- — Ha ha ! Les grands mots, « génie de l’informatique », laissez-moi rire, c’est atterrant.
- — Allô Bill, dis-je en prenant mon téléphone ? Prends un portable et rapplique dans mon bureau, s’il te plaît. Merci… Madame, vous allez voir de vos yeux de quoi ce Monsieur est capable avec un ordinateur banal. Pour être très clair, c’est un ancien hacker de très haut niveau qui s’est fait pincer un jour, qui a payé sa dette à la société, et qui s’est repenti et reconverti, car seul un ancien hacker, connaissant toutes les astuces pour pénétrer un système, est capable d’inventer les parades aptes à sécuriser ce système.
- — Je vois, joli profil. Vous préférez recruter dans la voyoucratie plutôt que faire confiance aux diplômes de l’État.
- — Madame, insinuation sordide, une personne sur trente employés et, qui plus est, qui travaillait dans une université et était payé par l’État. Excusez-moi, mais c’est petit, tout petit.
Bill débarque à ce moment, je me lève et vais fermer la porte à clé, la belle semble soudain mal à l’aise. Salutation brève et froide, l’eau est déjà dans le gaz
- — Madame, je suppose que vous considérez que le serveur des impôts, où chacun fait sa déclaration et son paiement, est parfaitement sécurisé.
- — C’est une évidence. Nous n’avons jamais eu d’intrusion grave, et les autres ont été rapidement détectées et réprimées. C’est certainement le site le plus protégé de France avec celui de la Banque de France.
- — Parfait. Bill, s’il te plaît ?
- — Ha ha ! Laissez-moi rire. Moi-même, pour me connecter, je dois utiliser une clé qui fournit un code qui change toutes les deux minutes.
- — Vouais vouais vouais, un code à six chiffres, soit dix à la puissance six possibilités, un million quoi. Ma petite routine sort un million de codes différents en moins de deux minutes, forcément le bon. Il suffit de tromper le système en gardant ces deux touches enfoncées… Voilà, voilà… lancement de la routine… il faut attendre quelques secondes, marmonne Bill… Voilà, bien, nous y sommes.
- — Quoi ? Mais c’est l’écran que nous avons nous dans le service… !
- — Eh oui, M’dame…
- — C’est impossible, y a un truc, c’est une imposture…
- — Va donc jeter un œil sur le compte de Madame, s’il te plaît, Bill.
- — Pas de soucis. Dalgaud Annie… Ah, tiens ? J’ai deux occurrences sous le même nom, à Paris et à Melun… Ah oui, je comprends, ceci explique cela… Donc : Annie Dalgaud, célibataire sans enfants, perçoit un salaire imposable de 53 000 euros annuels et un revenu immobilier de 9 000 euros à Melun où elle est propriétaire bailleresse et paye donc une taxe foncière. Taux d’imposition à 14,5 % ce qui représente après abattements divers un impôt sur le revenu de 11 800 € et des broutilles…
Elle s’est levée d’un bond, écarlate, tremblante, hors d’elle.
- — Monstrueux, vous êtes monstrueux, vous n’êtes que de vulgaires pirates, des bandits ! J’appelle immédiatement la police et je vous fais coffrer pour violation d’un logiciel public, violation de données confidentielles, acte de piratage. Voilà ce que vous êtes, des voleurs avec pignon sur rue, c’est comme ça que vous faites vos affaires…
Elle hurlait si fort que je commençais à douter des capacités de l’isolation phonique. Une furie.
- — Holà, holà, holà. Madame, calmez-vous s’il vous plaît et asseyez-vous. Vous ne pourrez rien prouver, nous ne sommes que trois dans ce bureau fermé à clé, et je jurerai que Monsieur Guette n’a absolument rien fait de ce dont vous l’accuseriez.
- — Je me calmerai si je veux et je m’assiérai si je veux.
- — Vous voulez que je baisse votre taux d’imposition ? Je peux, proposa Bill en se marrant intérieurement.
- — NON ! Ne touchez à rien, je vous l’interdis. De toute façon, vous avez laissé une trace sur le serveur et on retrouvera votre intrusion. Et là, retour à la case prison.
- — De trace, il n’y aura que la vôtre M’dame, je suis entré avec votre nom.
- — Bill, s’il te plaît déconnecte, Madame a vu, maintenant. Voilà, je te remercie Bill, mais laisse-nous maintenant.
- — Voilà, je savais bien qu’il y avait quelque chose de pas clair, nous y sommes, vous montrez votre vrai visage et votre véritable activité…
- — Allons, allons, reprenez votre sang-froid et discutons posément.
- — C’est ça, passons au chantage et ce sera complet.
- — Pas du tout. Vous voulez un verre d’eau fraîche ? Tenez, buvez… Madame, écoutez-moi, je vous en prie, avant de recommencer à hurler, ce qui est très désagréable.
- — Tant mieux, j’en suis ravie.
- — Madame, ce n’était qu’une démonstration…
- — Pour me faire peur ? Intimidation et chantage.
- — Non… Pas du tout. Je voulais juste vous montrer que ce mec-là est vraiment un génie de l’informatique. Vous pourriez en faire autant ? Moi non plus, et pourtant, on se sert de ces machines tous les jours. Mais voilà, il y a des gens comme lui qui donnent l’impression de penser comme ces machines, de vivre dedans, tellement il les connaît bien. Mais je peux vous jurer sur ce que j’ai de plus cher au monde, sur la tête de mes deux filles, que jamais, jamais au grand jamais nous n’utilisons ces pratiques à des fins malintentionnées. S’il s’avérait qu’un salarié de cette entreprise avait commis un tel acte, je le traînerais moi-même en justice et sur-le-champ. Me croyez-vous ?
- — J’ai du mal…
- — La seconde chose que je voulais vous prouver, c’est que tout système, même ceux qu’on croit être les mieux protégés sont vulnérables. Les astuces que Bill a utilisées pour entrer sur votre serveur, des dizaines de personnes, quelques centaines, peut-être, sont capables de les mettre en œuvre. Et ce qui va vous nuire, ce n’est pas le môme de banlieue qui va se faire sauter les deux cents euros de sa feuille d’impôt. C’est celui qui va travailler pour un beaucoup plus gros poisson qui va lui filer mille euros pour éviter d’en payer cent mille.
- — Vous croyez que ça existe ?
- — J’en suis certain. Vous avez vu avec quelle facilité il a opéré.
- — Oui, mais parce qu’il avait mon nom et qu’il savait que j’avais accès à ce serveur.
- — Madame, il suffit de se procurer l’organigramme de Bercy, ou de coucher avec une petite secrétaire qui saisit quotidiennement des informations pour tel ou tel service, et le tour est joué.
- — Oui, bien sûr, des informations, même partielles, qu’on peut trouver sur Internet.
- — La démonstration portait sur votre système, pour que cela vous marque, que ce ne soit pas « du vent » comme vous dites. Mais, et ce n’est pas rassurant du tout, tous les systèmes des grosses entreprises sont dans la même situation, et ces fous d’informatique peuvent s’y promener tranquillement, voir, parfois enregistrer et vendre des informations très sensibles. Ça va d’une liste de personnes, en passant par leurs coordonnées bancaires, à des projets relevant de l’espionnage industriel. Notre rôle, c’est de boucher les trous, les portes d’entrée ; les grandes en général c’est déjà fait, mais les milliers de trous de souris qui subsistent. Et parfois ignorés du commun des mortels qui se croit protégé avec un simple antivirus. Windows par exemple, pour ces mecs-là c’est du gruyère, et si on ne peut pas passer par les portes, on entre par les fenêtres, les « windows », pardon pour cette boutade…
- — Non, elle serait drôle si ce n’était pas aussi dramatique. Alors maintenant, qu’attendez-vous de moi ? Que j’arrête le contrôle, je suppose ? De toute façon, je n’ai pas trouvé grand-chose…
- — Non non non, pas du tout. Je vous assure qu’il n’y avait là aucune intention de chantage. Simplement, vous m’avez doublement choqué en terrorisant cette petite et en disant que nous vendions du vent à prix d’or. Je voulais vous démontrer que c’est faux, que nous rendons un service inestimable à ces entreprises. L’autre partie de notre activité, la plus ancienne, touche aussi aux entreprises, mais cotées en bourse. C’est une autre problématique, plus complexe encore. Par exemple, concernant le numéro un du verre, il a plusieurs filiales également cotées, mais au second marché. Cependant, l’aura de la maison-mère rejaillit sur ces entreprises qui suivent plus ou moins le cours de la principale. Il y a quelques années, pour attirer leur attention, j’ai joué trente mille euros sur l’une de ces filiales. Immédiatement, son cours a monté. Mais est-ce que le cours du groupe a suivi ? Pas du tout. Parce que, si le cours d’une entreprise secondaire fait un bond, c’est qu’il y a une bonne raison : une découverte, un super profit, toute chose susceptible de provoquer cet investissement inattendu. Aussitôt, parce que les ordinateurs sont programmés pour ça et réagissent automatiquement en quelques secondes, des actions sont achetées sans même fournir de raisons. Mais ce n’est que déplacement de fonds. On achète X en vendant Y. Alors que le cours de la filiale s’envolait, le cours de la maison-mère dégringolait. J’ai revendu rapidement, mettant fin à cet emballement. Mais la preuve était faite, pour Saint-Bogain, qu’il fallait remédier rapidement à cette faille qui ouvre la porte à une OPA par un concurrent mal intentionné. Là aussi, nous intervenons pour empêcher ces mouvements trop brusques et incontrôlés. Le résultat n’est pas spectaculaire, les cours de ces entreprises se comportent un peu comme des pétroliers sur la mer, avec beaucoup d’inertie, mais au moins ne tremblent-ils plus à la moindre vaguelette.
- — Bien, je comprends mieux. Votre rôle apparaît soudain comme celui du bon samaritain.
- — N’exagérons rien, mais c’est mieux que « brasseur de vent ». Un autre verre d’eau ?
- — Je veux bien, oui. Je dois avoir l’air d’une cruche, vraiment…
- — Alors il faut plusieurs verres pour vous remplir.
- — Ha ha, elle est bien bonne. Il n’empêche que je suis perdue, vous m’avez complètement déstabilisée. Vous auriez pu prévenir. Je… je ne sais plus ce que je dois penser ou faire…
- — Ce n’est pas difficile, faites votre métier, tout votre métier et rien que votre métier. Vous semblez le faire avec passion et dévouement.
- — Oui, je le pense, en tout cas j’essaie de le faire bien. Mais votre coup de colère tout à l’heure m’a glacée. Je suis navrée que cette petite l’ait pris comme ça… et en plus elle est enceinte. Mon Dieu !
- — Voulez-vous que je l’appelle pour… rectifier le tir ?
- — Oh oui, ce serait bien.
- — Allez dans votre bureau, je vous l’envoie.
- — Euh… ça ne pourrait pas se faire là ? Je voudrais que ce soit en votre présence, en plus elle vous vénère. Et puis je me sens tellement… je dois être défigurée, décoiffée… je vais aller aux toilettes.
- — N’ayez crainte, vous restez superbe. Tenez, dis-je en faisant coulisser la cloison, vous trouverez ce qu’il vous faut ici.
- — Ho ho ! Petit dressing et salle d’eau cachés. Voyez que vous dissimulez plein de choses au fisc.
- — La preuve que non puisque je vous le propose. C’est juste pour pouvoir me rafraîchir si je vais faire un jogging ou un tour à la salle de sport à la pause méridienne, histoire d’être encore présentable l’après-midi.
- — On n’a pas ça à Bercy… Dommage…
Elle reçoit Corinne en ma présence et lui fait un acte de contrition fort délicat, la petite est repartie rassérénée. Ensuite, c’est comme si elle ne parvenait pas à quitter mon bureau. Elle tourne en rond, lançant lentement une jambe puis l’autre, m’offrant le spectacle d’une musculature harmonieuse, bien que seulement devinée.
- — Qu’est-ce qui vous tracasse encore ?
- — Je vous l’ai dit, je ne sais plus où j’en suis. Je me suis clairement fourvoyée vous concernant, en plus tout un pan de certitudes s’est effondré par votre démonstration… J’essaie de faire le point avec moi-même et je n’y parviens pas. Ça m’agace, ça me perturbe…
- — Au risque de me répéter, vous êtes confrontée à deux choses simples. D’abord, un contrôle fiscal à terminer le plus normalement du monde. Vous en avez encore pour longtemps ?
- — Non, deux ou trois jours, le temps d’être certaine de n’être pas passée à côté de quelque chose, je le dois à mes collègues. Navrée d’avance pour les remarques que je devrai écrire sur mon rapport pour les quelques argents qui vous seront soutirés.
- — Pas de problème avec ça, vous faites votre métier et c’est parfaitement normal. Libérez-vous de ce point. Ensuite, vous venez de découvrir que votre système est un « moulin », comme dit Bill, où l’on rentre et l’on sort sans vraie difficulté, ce qui est potentiellement très dangereux. Votre ministère n’a pas besoin d’un scandale en plus d’être mal aimé. Maintenant que vous savez, vous ne pouvez plus vous taire.
- — C’est bien ça qui m’inquiète…
- — Mais vous savez également que la parade existe, nous l’avons. Je peux vous faire préparer un contrat si vous le souhaitez, non pas que je veuille profiter de l’occasion pour placer mon produit, mais… Ce serait malgré tout plus que nécessaire.
- — Je sais, j’y pense, mais comment présenter ça, et à qui ? Vous imaginez : « j’ai vu un mec qui rentrait dans le serveur comme il voulait et pouvait y faire tout ce qu’il voulait ». Quoi ? Où ? Qui ? Et tu as fait quoi ? Comment ça, tu ne l’as pas fait coffrer… ?
- — Il faut rencontrer un responsable du service informatique et lui en parler sur le ton de la confidence : « j’ai vu un mec qui… Ça ne peut pas rester comme ça, on est en grand danger, il faut faire quelque chose ». Éventuellement, on pourrait vous faire une vidéo qui prouverait ce que vous avancez, sans voir les personnes bien sûr. Je vous invite à dîner ce soir ?
- — Hou là non, hors de question. Corruption de fonctionnaire durant un contrôle, nous sommes bons tous les deux !
- — Et quand le contrôle sera terminé ?
- — Faut voir, à déjeuner serait peut-être plus raisonnable…
- — Bon, alors, allez vite terminer et on en reparle…
Elle n’avait pas dit oui, mais elle n’avait pas dit non. La porte reste entrouverte, je suis bien décidé à y mettre le pied. Trois jours plus tard, le contrôle est terminé et elle m’annonce que je recevrai son rapport dans une quinzaine. Au revoir j’espère, bon débarras ont commenté les autres, il n’y a plus qu’à ranger des piles de dossiers. Moi aussi je devrais être soulagé, le plus dur est passé, je peux enfin penser à autre chose. Quatre mois, c’est long. En même temps, je ressens comme un vide. L’absence de son imposante silhouette dans les coursives, la disparition de ce bruit crispant du frottement de ses collants, si agaçant au début, mais à nul autre pareil, la fin de nos joutes parfois sévères, mais passionnantes comme une partie d’échecs… Sans aller jusqu’au manque, je dirais que ça ressemble à une rage de dents qui se termine brutalement : ça fait du bien, mais en même temps on a du mal à revenir à la normale parce qu’on s’y est habitué. Je tourne en rond, je vais user la moquette comme Donald dans les anciennes BD. Et puis tout a moins de goût, comme si on m’avait privé du sel et du poivre, au boulot comme à la maison. Pourtant mes deux délices d’orient font tout ce qu’elles peuvent pour me faire oublier cette déprime passagère.
- — Cesse de te tracasser, mon chéri. Le contrôle est terminé maintenant et tu n’as rien à te reprocher…
- — Je sais, mais tant que je n’ai pas le rapport… Et puis cet épisode avec Bill, je ne sais pas si j’ai bien fait. Ils seraient bien capables de poursuites ou du moins de gros ennuis…
J’ai bien tendu l’oreille lorsqu’elles portaient des collants et qu’elles croisaient ou décroisaient leurs cuisses, surtout Yüko, la plus charnue, mais rien à faire, je ne retrouvais pas ce crissement si excitant.
Enfin, au bout d’une dizaine de jours qui m’ont paru une éternité, l’accueil me passe une communication des services fiscaux :
- — Bonjour, cher Monsieur, j’ai terminé la rédaction du procès-verbal du contrôle effectué chez vous. Serait-il possible que nous l’examinions ensemble ? Et puis il y a un ou deux autres points dont j’aimerais que nous discutions.
- — Mais absolument, quand voulez-vous ?
- — Est-ce que cet après-midi ce serait possible ?
- — Tout à fait, le plus tôt sera le mieux. Disons quinze heures ?
- — C’est entendu, à tout à l’heure.
La voix et le ton sont polis, aimables, mais sans plus, elle n’est sûrement pas seule, car on est loin de notre dernier entretien. J’espère qu’elle viendra sans ses deux sbires. C’est bien le cas, elle est seule dans son « uniforme » habituel, la secrétaire qui l’introduit fait la grimace dans son dos.
- — Réglons tout d’abord la question de ce procès-verbal, si vous le voulez bien.
- — Avec plaisir et soulagement. Je peux m’asseoir près de vous, que nous le parcourions ensemble ?
Nous sommes presque l’un contre l’autre, penchés sur ces pages ennuyeuses. Elle évoque la plus-value immobilière, deux ou trois points sur lesquels mes services ont commis des erreurs, notamment à l’export. Mais je suis ailleurs, dans son aura, je perçois sa chaleur corporelle, son parfum très discret qui ne laisse aucun sillage, parfois son souffle me caresse et je capte en direct le moindre bruit de ses vêtements, et notamment ce crissement caractéristique. Je suis bien, presque heureux.
- — Avec tout cela, le total du redressement s’élève à douze mille sept cent quatre-vingt-trois euros, j’en suis désolée…
- — Il ne faut pas, si je les dois, je les paye, c’est sans problème. Et mon notaire m’a même promis de prendre en charge la partie dont il est responsable, donc nous n’allons pas faire faillite.
- — J’en suis heureuse, ça ne se passe pas toujours comme ça quand la sanction tombe.
- — Je vous fais un chèque tout de suite ?
- — Certainement pas. Vous recevrez un décompte, ces jours prochains, par la voie habituelle de toute imposition. En revanche, si vous voulez bien me signer un exemplaire attestant que vous avez pris connaissance et reconnu les faits, de ce moment le contrôle proprement dit sera clos.
- — Ah très bien. Je signe… voilà, et donc à partir de ce moment je peux me permettre de vous inviter à déjeuner ?
- — Euh… oui, enfin… il y a un autre point important à régler avant cela.
- — C’est-à-dire ?
- — Eh bien, j’ai évoqué de façon édulcorée les faiblesses que vous avez détectées dans notre système. Dans un premier temps, ce fut plutôt l’incrédulité. Mais, par acquit de conscience et pour ne rien négliger, le directeur du département informatique a fait remonter cette information, haut, très haut. Et vous connaissez les aléas de la communication : c’est arrivé en haut lieu sous forme concentrée, du genre « n’importe qui peut pirater notre serveur ». Ce fut un peu le branle-bas de combat, j’ai été auditionnée par le cabinet du ministre, auquel j’ai dû narrer par le menu ce que j’avais observé. Je me suis portée personnellement garante des bonnes intentions de votre société. Et donc ces messieurs souhaitent une nouvelle démonstration sur place, à Bercy.
- — Hum hum… Qu’est-ce qui me dit que, si nous y allons, nous ne ressortirons pas menottes aux poignets, direction Fresnes ?
- — Moi je vous le dis. Oh là là ! Quelle situation ! Je dois porter tous les chapeaux dans cette histoire. D’un côté, je me porte garante pour vous et de l’autre pour mon service. Au moindre pépin, c’est moi qui saute…
- — Désolé, mais j’avoue qu’il ne s’agit pas d’un client comme un autre, votre ministère, la loi est de son côté, et notre démonstration n’a rien de très légal, vous le savez bien.
- — Écoutez… bien sûr, je ne peux pas savoir ce qui s’est dit quand j’ai eu le dos tourné. Mais je peux vous garantir que c’est l’inquiétude qui prédomine. Et le fait que vous disposiez d’une parade contre ce genre d’intrusion les intéresse fortement aussi. Mais ils veulent être certains de la réalité des faits, certains également de la fiabilité de ce que vous proposez, de sa compatibilité avec le système, d’absence de ralentissement du serveur, etc.
- — Bon… Quand veulent-ils ?
- — Le plus tôt possible, avant la prochaine mise à jour qui a lieu le mois prochain.
- — D’accord, je vous fais confiance. Appelez-les, qu’on fixe le rendez-vous ! lui dis-je en rapprochant le téléphone.
Rendez-vous pris pour la semaine suivante, d’ici là elle doit me communiquer des informations précises sur le matériel concerné, type de serveur, système d’exploitation, nombre de machines connectées sur le réseau, accès externes, etc. Tout ça pour établir une proposition de contrat. Je prépare également un document que je me propose de leur faire signer en préalable, où ils acceptent le principe de la démonstration et s’engagent à renoncer à toutes poursuites nous concernant. Deux précautions valent mieux qu’une.
Le jour arrive, Annie vient nous prendre à l’accueil pour nous piloter, elle est nerveuse, et moi aussi… Il n’y a que Bill qui est dans la découverte :
- — Putain, poteau ! Tu mates à quoi il sert not’ pognon ?
Un quarteron de directeurs, ayant un peu de mal à se rassembler à l’heure, nous attend ou presque. Men in black ! Et sympas comme des portes de cellules. Annie fait les présentations, je fais mon préambule et je demande une signature sur l’engagement écrit préparé. Ils trouvent ça ridicule, mais le directeur de cabinet s’exécute. Merci. Bill entre en scène et demande à l’un d’eux nom et prénom avec l’orthographe précise. On a décidé ça pour éviter de réutiliser celui d’Annie, ça aurait pu sembler préparé. Le petit portable tourne sur le wi-fi du quartier et… bingo ! ça fonctionne aux petits oignons. Le quatuor se prend la tête à poignée, ils viennent de recevoir la claque de leur vie de fonctionnaire. Le directeur de cabinet sort un téléphone mobile qui, vu sa taille, doit être un cellulaire sur ligne sécurisée, et file dans le bureau voisin en référer au big boss. Le directeur du service informatique se rapproche de Bill.
- — Mais, ce que vous faites, là, vous croyez que d’autres peuvent le faire également ?
- — C’est évident. Je dirais même, d’autres le font. Ils se comptent par quelques dizaines, voire quelques centaines, mais ceux qui peuvent le faire le font et s’arrangent pour ne plus avoir d’impôts à payer, soit qu’ils modifient leur taux, soit qu’ils marquent comme payé ce qui ne l’est pas.
- — Un sacré manque à gagner pour nous…
- — Oh, pas forcément, ce sont en général des marginaux qui font du black et des petites magouilles. Non, ce qui est dangereux, ce sont ceux qui vendent leurs capacités à de plus gros : je te file dix mille et je ne paye plus cent mille. C’est là qu’est le trou, s’il y en a un. Mais j’en suis persuadé.
- — Et vous prétendez pouvoir empêcher cela ?
- — Oui. J’ai mis au point une sorte de virus « gentil », comme un vaccin, les toubibs se servent d’un virus désactivé pour transporter le remède à telle maladie. Mon virus agit comme ces produits qu’on met dans les radiateurs de bagnoles qui fuient. Il se porte là où il y a des trous et il les bouche. Le serveur devient alors inviolable.
- — Magnifique !
- — Oui, sauf qu’il est connecté à un réseau de plusieurs centaines de postes autorisés qui eux sont faillibles… Ne serait-ce que par Windows qui est un gruyère. Et comme ces postes ont en général également un accès Internet, ce sont autant de portes d’entrée possibles.
- — D’accord, mais on a un frontal avec pare-feu, multiples antivirus, très bien protégé.
- — Vous plaisantez, je suppose. Tous ceux du commerce ont été conçus par de gentils ingénieurs, très compétents, mais qui n’ont aucune idée du piratage. Ce sont tous des passoires. Quand vous en mettez plusieurs, vous diminuez le nombre de trous, c’est sûr, mais il en reste toujours. Et il y a des tout petits programmes qui se chargent de les détecter. Le mien en contient, c’est comme ça qu’il les bouche.
- — Et donc vous affirmez que votre protection est fiable à cent pour cent ?
- — Non ! Faut être honnête, c’est non. Il y a sûrement un type qui réussira un jour à la craquer. Mais pour le moment, il n’y en a pas, et je bosse à longueur d’année pour faire évoluer mon produit, pour avoir toujours une longueur d’avance. Voyez, on a renversé la vapeur : avant, les hackers avaient toujours une longueur d’avance et on fabriquait un antivirus quand des centaines de milliers de postes étaient infectés. Maintenant, les mêmes hackers cherchent désespérément à craquer ma protection.
Le guignol au mobile revient et fait un hochement de tête à ses acolytes. On s’assied autour d’une table, je sors le contrat préparé. Là, c’est le directeur financier qui fait des bonds. Il n’a rien lu sauf la dernière page, le prix.
- — Attendez, Monsieur, imaginez un seul instant que les Russes – au hasard, parce qu’ils sont parmi les meilleurs dans ce domaine – vous balancent une routine qui met trente millions de comptes à zéro. Vous faites quoi ? Je suis à peu près certain qu’ils sont prêts, mais qu’ils attendent seulement le feu vert de Poutine pour déstabiliser le gouvernement français. Ça aura quel prix, il faudra combien de temps pour tout remettre en ordre ? Vous isolerez votre serveur et rééditerez des feuilles papier ? À quel coût ? Pensez-y…
- — Bien sûr, mais tout de même… On n’a jamais payé un logiciel à ce prix-là, c’est excessif.
- — Il ne s’agit pas d’un logiciel antivirus, ce serait trop simple et inefficace, vous n’avez pas tout lu. Il s’agit de protéger le serveur, donc de l’arrêter et le redémarrer, ce qui ne peut se faire qu’au moment d’une maintenance vers trois heures du matin. Ensuite, il va falloir passer tous les postes, j’ai bien dit TOUS les postes du réseau un par un quand les gens ne seront pas là. Pourquoi ? Parce que, sans mettre en doute leur probité, ils peuvent avoir des conjoints, des parents, des amis susceptibles d’attaquer le réseau. Si personne n’est au courant de la modification apportée, c’est une précaution supplémentaire. Nous allons choisir un long week-end avec un pont et je vais mobiliser un maximum de personnels pour faire ce travail en soixante-douze heures, jour et nuit. Je devrai les payer triple et leur donner le reste de la semaine en repos compensateur. Tout ceci a un coût, et c’est bien au client de l’assumer. Maintenant, parce que ce client s’appelle l’État et que je suis patriote, je veux bien faire un effort sur le coût des logiciels et du SAV, sachant qu’il y aura plusieurs mises à jour par an. Mais pour les mises à jour, on ne fera pas le même cirque, le serveur les diffusera quand les postes se connecteront. Les logiciels sont prévus pour cela.
- — Bon, tranche le directeur de cabinet, l’affaire est trop sérieuse pour que nous ayons le choix. Nous prenons sans faire les marchands de tapis. Quand ? Toussaint, ça vous va ?
- — D’accord.
- — Parfait. Marché conclu. Vous nous ferez une facture « service fait », c’est la règle, correspondante au devis.
La séance est levée, je repars avec un contrat mirobolant en poche, mais un boulot du diable à organiser. Bill et le dirlo info continuent de voir ensemble les modalités de mise en œuvre, je me retrouve dans l’ascenseur avec Annie.
- — Alors, rassuré ? demande-t-elle.
- — Attendez, nous ne sommes pas encore sortis.
- — Ha ha ! Mais vous sortez avec un joli pactole dans la mallette. Et grâce à qui ?
- — Justement, l’invitation à déjeuner tient toujours.
- — Ça ne reste pas simple. Je vous explique : j’ai fait pas mal de contrôles fiscaux dans les établissements sinon de luxe, du moins ayant un gros chiffre d’affaires. Et je ne souhaiterais pas y remettre les pieds en tant que cliente…
- — Je comprends. Je vais vous faire une liste de propositions et vous choisirez. Ça vous va ?
- — Très bien. Je prends une journée de récupération mercredi prochain. Vous pouvez ?
- — Mercredi, c’est parfait. Je passe vous prendre, si vous le souhaitez.
- — Volontiers, je vous griffonne mon adresse, je vous attendrai dans la rue, s’il fait beau.
Et il fait beau. Une sorte d’été indien en ce mois d’octobre. La Jaguar approche de l’adresse donnée, je scrute les trottoirs à la recherche d’un austère tailleur sombre et je ne vois rien. On me klaxonne, je prends une contre-allée en essayant de me faire un torticolis. On tape au carreau. Je descends pour lui ouvrir courtoisement la portière. Je ne risquais pas de la reconnaître : cheveux détachés avec un brushing qui forment une touffe volumineuse autour du visage, lunettes de soleil, maquillage discret, petite robe d’été vivement colorée surtout en rouge, escarpins à hauts talons noir brillant, large ceinture et pochette assortie.
- — Compliments, Madame, vous me bluffez et je ne vous avais pas reconnue.
- — Contente que ça vous plaise. Il fallait bien cela pour aller dans l’endroit choisi, je pense.
Le cuir du siège n’en revient pas. Quel dommage d’être obligé de regarder la route ! Ses longues jambes se croisent et se décroisent sans le moindre bruit, pas de collants aujourd’hui. C’est vrai qu’il fait presque trente.
- — Hum… C’est le jour des premières : première fois que je monte dans une si belle et confortable voiture, première fois que je vais en tant que cliente dans un restaurant de cette catégorie. Nous n’avons qu’un « panier » lors de nos déplacements, une indemnité forfaitaire de repas d’environ dix euros…
- — Mais rien ne vous empêche d’y aller à titre privé, juste pour essayer ?
- — Rien, sinon le porte-monnaie. Quand j’ai payé loyer et charges dans Paris intra-muros, sans me plaindre, je ne peux pas me permettre ce genre de folies.
- — Alors, inaugurons.
Il fallait bien une Jaguar au milieu des Porsches et autres Ferraris. A priori, cette gentilhommière perdue en pleine nature est un repaire de couples illégitimes, dont une bonne douzaine occupent les tables. On parle bas, les sourires sont entendus, des mains se cherchent sur les tables… Pile-poil la bonne ambiance. Évidemment et heureusement, ce qui est dans les assiettes et dans les verres est à la hauteur de nos attentes. Mon invitée est ravie.
- — J’ai vu sur Google Earth qu’il y a un plan d’eau là, juste à côté. Une promenade digestive vous dirait ?
- — Oh, bonne idée, sinon je vais devoir dégrafer ma ceinture.
Elle va « se repoudrer » comme on dit lorsqu’une femme va simplement pisser, pendant que je règle la « douloureuse ». Elle l’est ! Mais bon… Nous marchons sur une allée de petits pavés, des canards nous suivent, elle respire à grandes bouffées, gonflant sa poitrine déjà bien agressive. Je la regarde à la dérobée. Ses talons l’allongent, bien sûr, mais provoquent également une légère bascule du bassin vers l’avant, renforçant sa cambrure et son postérieur repousse loin la jupe à godets qui oscille à chacun de ses pas. De profil, avec sa taille fine, elle me fait penser à un Sagittaire. Pas le signe, mais cette figure mythologique d’homme à corps de cheval. Oui, c’est bien cela, une croupe, de longues jambes très puissantes qui se posent avec un bruit de sabot, et ce très léger décalage entre le mouvement du bassin et celui des épaules. Il y a quelque chose d’animal en elle de follement excitant. C’est simple, je bande.
- — Je vous remercie pour tout, pour cette délicieuse promenade, pour ce repas somptueux…
- — Je suis le premier à en profiter. Et moi je vous remercie pour votre éclatante beauté qu’il est regrettable de dissimuler sous votre uniforme fiscal.
- — Honnêtement, dit-elle en se tournant vers moi les mains sur les hanches, auriez-vous eu une quelconque appréhension si j’étais arrivée chez vous ainsi vêtue pour un contrôle ?
- — Non, mais c’est moi qui aurais perdu le contrôle.
- — Haha ! Savez-vous que je vous dois également une promotion ?
- — Ah bon ?
- — Oui, le directeur de cabinet a soufflé un mot au directeur du personnel, et me voilà nommée à la tête d’un nouveau service qui sera chargé d’évaluer l’impact de votre protection, de détecter les écarts significatifs entre avant et après, et de déclencher les contrôles fiscaux adéquats.
- — Mes félicitations, Madame… la Directrice ?
- — Tout à fait. Me voilà dans le sérail des huiles. Mais, dites-moi, fait-elle en s’approchant de moi, comment ça fait quand vous perdez le contrôle ?
Appel ou provocation, peu importe, inutile de résister. Je passe un bras sur sa cambrure et la plaque contre mon érection pour l’embrasser goulûment. Puis c’est à elle de me rendre mon baiser avec une fougue qui nous fait heurter les dents. Mes mains s’égarent, je presse ses seins et je soulève sa jupe pour palper ses fesses puissantes.
- — Eh ! Pas en public ! Y a des canards qui matent. Si nous allions chez moi ?
- — Si vous voulez. Mais je suis clair avec vous : je suis marié, bien marié, sans la moindre envie de divorcer.
- — Comme la plupart de nos voisins de table. Tenez, regardez : le restaurant est vide et les voitures sont toujours là.
- — Donc l’hôtel est plein ! Et si on y allait, c’est pour une urgence.
- — Une urgence absolue, sinon il me faut une serviette…
Je n’ai rien à demander à l’accueil de l’hôtel, je donne ma carte, ils m’en donnent une qui ouvre le 126, ils sont habitués, discrets et efficaces. À peine la porte est-elle refermée que nous nous jetons l’un sur l’autre comme des morts de faim. « Je t’effeuille, tu m’effeuilles, entre deux baisers, le premier qui sera nu aura une main au cul ! » Et elle est trempée, déjà, l’intérieur de ses cuisses brille de coulures de cyprine.
- — Affreux, s’excuse-t-elle, ce que j’ai du mal à cacher mon désir… !
- — Euh… Moi aussi, dis-je en désignant mon pénis au garde-à-vous.
- — Oh ! La belle queue !
- — Oh ! La belle femme !
C’est vrai qu’elle est belle, merveilleusement belle, avec une plastique qui inspire le respect par sa puissance, sa musculature qui n’apparaît que dans ses mouvements puis se dissout instantanément dans ces courbes harmonieuses, ces fuseaux successifs et cette peau sublime. Mahoko a également une peau magnifique, d’un blanc pur, sans la moindre marque ; elle évite toute exposition au soleil. Au contraire, Annie possède une peau mate et uniformément bronzée, sans la moindre marque de maillot.
- — Vous pratiquez le bronzage intégral ?
- — Le naturisme précisément, et donc tout le corps profite du soleil. Hélas, ça disparaît vite…
- — Vous devez être l’attraction de la plage !
- — Ha ha ! Il n’y a pas de plage où je vais. J’ai trouvé un petit endroit perdu au fond de la campagne berrichonne où l’on peut vivre un mois à la fois nue et tranquille. C’est joli, c’est calme, c’est reposant et c’est discret.
Je parcours ce chef-d’œuvre de mes doigts et de mes lèvres jusqu’aux siennes, les verticales. Son mont de Vénus est extraordinairement proéminent, coiffé par une petite touffe soigneusement taillée en V, genre « suivez la flèche ». Et la flèche indique un fin sillon aux bords humides séparant deux grandes lèvres très épaisses et très dilatées. Une vraie paire de fesses en miniature. Elles méritent aussi un baiser profond qui aussitôt ouvre grand ses cuisses charnues. Il faut bien cela pour atteindre le fond du sillon et dégager les petites lèvres, papillon fripé que je déploie délicatement. Étonnant, une si grosse vulve pour une si petite chatte. Car l’ouverture est courte et étroite, juste l’opposé de ce que je m’attendais à trouver. Peu importe ses dimensions, son activité est en revanche intense et la source abondante. Le fumet est capiteux, le goût acidulé et la production généreuse. Je me régale, débusque avec difficulté le petit bouton bien protégé par ces bourrelets de chair tendre, mais je l’ai à peine gratifié de quelques coups de langue que sa propriétaire supplie d’une voix rauque :
- — Viens, prends-moi, mets ta grosse queue dans ma petite chatte, vite, j’t’en supplie, viiiite !
Ah bon, elle s’exprime comme une poissonnière, la directrice, au lit… J’obéis, il faut toujours écouter sa poissonnière. Pour une chatte étroite, c’est une chatte étroite, mais tellement humide qu’elle vous aspire le gland comme une pompe à vide, ou avide c’est selon. Je comprends rapidement que si elle est aussi étroite, c’est parce qu’elle est extrêmement musclée. Cette bacchante serait fort capable de me faire éjaculer sans le moindre mouvement, juste avec les contractions invisibles de son vagin. Mais ce n’est pas son désir présent, elle réclame :
- — Oh oui, défonce-moi, bourre-moi, explose-moi la chatte ! Vas-y, bordel, vas-y…
Ça ne s’améliore pas question langage. Tellement loin de la terreur de nos bureaux que j’ai du mal à en revenir et à faire le lien. Pas possible, elle m’a envoyé sa sœur jumelle ! J’œuvre à son plaisir avec enthousiasme, me laisse basculer pour qu’elle prenne le dessus, et quand elle commence à râler comme une lionne en chaleur en écrasant ses seins sur ma poitrine, je l’assaisonne de coups de bassin rapides et me permets l’intrusion d’un majeur humide dans sa rosette.
- — Oh le cochon, le salaud. T’aurais envie de m’enculer, hein, mon vicieux. T’inquiète pas, le tour viendra.
Bon, nous sommes bien dans une auberge et nous n’en sommes pas sortis. Ça promet. Ça a promis et ça a tenu. Quand nous eûmes révisé toutes les têtes de chapitre du Kamasutra, que par deux fois le meilleur de moi-même eût inondé son minou, insister de ce côté relèverait de la cuisine, car la mayonnaise commence à monter. Elle m’offre donc son cul magnifique et son « entrée des artistes » pour conclure un après-midi éreintant. J’avais supposé que le sexe avec cette fille risquait d’être un combat, je n’imaginais pas à quel point. Et elle en sort vainqueur avec les acclamations de la foule. C’est incroyable comme les femmes peuvent faire l’amour comme des folles pendant quatre heures et en sortent fraîches et disposes avec ce petit air « Ah ! Ça fait du bien ! » qui laisse penser qu’elles seraient prêtes à recommencer. Alors que moi, j’ai les couilles vides, la bite douloureuse, les jambes en coton et je n’ai qu’une envie : dormir ! C’est d’ailleurs ce que je fais en rentrant, disant :
- — Je ne sais pas ce que j’ai, j’ai dû prendre froid, je vais me coucher…
J’ignore si Mahoko est dupe, fine comme elle est. Mais elle ne fait aucun commentaire et me laisse me reposer. Les deux aspirines que je prends au réveil ne sont pas superflues pour retrouver un semblant d’énergie. Quelle furie, cette Annie ! J’organise notre intervention à Bercy, et le lien qui s’est établi entre Bill et le directeur du secteur informatique m’est précieux. C’est la première fois que nous organisons une opération « commando » d’une telle ampleur. Toute l’équipe est mobilisée, Bill a la responsabilité technique, moi la responsabilité opérationnelle. Même certaines secrétaires acceptent de participer et d’assurer la logistique : ouvrir les portes des bureaux, mettre en route les ordinateurs avant que les collègues installent les logiciels, et puis aussi assurer le ravitaillement de la troupe en boissons et pizzas.
Enfin, le jour fatidique arrive, nous sommes chauds comme des braises. D’abord, c’est Bill et un de ses assistants qui s’y collent dès le vendredi soir, sur le serveur. Week-end de Toussaint, tout le monde est sur la route, faire tomber le serveur n’est pas un énorme problème, il y a très peu de connexions. Ils y passent la nuit ou presque, juste le temps de dormir trois heures, et dès huit heures le samedi nous débarquons. Nous procédons étage par étage. Un directeur muni d’un passe ouvre toutes les portes, les secrétaires allument les ordis puis les techniciens arrivent avec leurs clés USB. Deux types de l’équipe fiscale passent ensuite tester les machines pour qu’il n’y ait pas de problèmes mardi. Au début, ça a l’air rapide. Mais en fait, on s’aperçoit que c’est lent et fastidieux. Je fais le chef d’orchestre avec une mesure d’avance. Quand la dernière porte de l’étage est ouverte, j’envoie le maître des clés à l’étage suivant pour ouvrir également et, dès qu’il a terminé, je le fais redescendre fermer les bureaux contrôlés. Les testeurs laissent un post-it sur chaque bureau contrôlé, le responsable des clés le retire avant fermeture. Annie et moi contrôlons qu’il n’y a pas d’oubli, de porte restée ouverte, d’ordinateur resté allumé, d’objets oubliés. Car elle est là aussi, bien sûr, en uniforme de travail. Nous évitons de croiser nos regards, voire de nous croiser tout court. Mais il faut bien se retrouver à un moment ou un autre. C’est à midi, autour du pique-nique organisé dans une salle de conférences. Pizzas, Coca, café, d’autres ont apporté des tartes et des gâteaux préparés chez eux, c’est sympa, mais les groupes constitués restent plus ou moins ensemble. Ils repartent vite au boulot, si bien que nous nous retrouvons tous les deux à siroter notre second café. Très vite, le silence de la salle s’emplit du crissement caractéristique des collants de ma voisine.
- — Je trouve le bruit que font vos collants hyper excitant, murmuré-je, et ce depuis longtemps.
- — Ce ne sont pas des collants, mais des bas, avec une bande de dentelle en haut. C’est ça qui fait du bruit, je suis désolée…
- — Ne le soyez pas, au début, ça m’a un peu agacé, et puis après, l’imagination…
- — Mais vous n’imaginez pas le pourquoi ?
- — Non ?
- — Pourtant vous savez bien que je suis… expansive de ce côté-là. C’est juste pour comprimer et ne pas avoir trop de fuites que je suis obligée de croiser mes cuisses.
- — Ah oui ! Mais donc vous… « comprimez » depuis longtemps, si je comprends bien.
- — Depuis le début, notre premier entretien. Je n’y peux rien, c’est comme ça, ça ne se commande pas. Ensuite, j’ai juste le temps de courir aux toilettes, comme maintenant…
Et elle disparaît dans le couloir. Un instant, j’ai envie de la suivre et de lui en mettre une bonne tournée, mais non, pas dans les toilettes tout de même. Nous reprenons nos postes, activant la manœuvre à différents niveaux. Car c’est long, très long, et vraiment fastidieux. C’est que ce « vaisseau » représente vingt et un hectares et demi de bureaux, pas loin de cinq mille postes. À raison de cinq minutes par poste, c’est quatre cent seize heures de travail à réaliser en seulement soixante-douze heures. Heureusement qu’ils sont dix techniciens, mais les mecs auront bien mérité leur semaine de repos. J’ai prévu de mettre leur boîte en veilleuse avec juste un personnel d’accueil. Le dimanche soir arrive et, vers vingt heures, il ne nous reste plus qu’un étage à faire, les postes d’accueil et deux petites tours. Je décide d’une pause générale en voyant les yeux rougis et les mines blafardes. Tout le monde rentre chez soi, rendez-vous demain matin vers cinq heures. Au passage, j’attrape Annie.
- — Venez, lui dis-je, il faut que je vous montre quelque chose d’important…
Je la pilote jusqu’à ma boîte, lève l’alarme et l’entraîne dans mon bureau. Par ultime précaution, je ferme à clé. Elle est intriguée, interrogative. Je la pousse jusqu’au bureau où elle s’appuie, je lève son horrible jupe de lainage et baisse sa culotte. J’adore baisser la culotte d’une femme, cette légère difficulté à passer les hanches, puis la ceinture qui glisse aisément le long des cuisses alors que l’entre-jambes reste un instant collé sur la vulve avant de se détacher enfin. Détacher, c’est plutôt culotte tachée et un fil de cyprine qui la relie encore à ce qu’elle cachait. Ça va, elle est à point ! Sans autre forme de procès, bien qu’appréciant à leur juste valeur les bourrelets de chair tendre qui surmontent les bas, je sors mon engin et je l’embroche d’une seule puissante et longue poussée. Elle a un long soupir libérateur.
- — Putain, ce que ça fait du bien ! J’ai déjà changé trois fois de culotte aujourd’hui.
- — Voilà ce que je voulais te montrer, le fantasme que j’entretiens depuis des semaines… te baiser, là, dans ce bureau où je t’ai vue pour la première fois et dans ton « uniforme » de contrôleuse…
- — Ah oui… je te comprends et je partage… je rêvais de ta queue jaillissant de ton pantalon pour me bourrer la chatte sauvagement… dans l’urgence de l’interdit.
Je la pilonne avec brutalité, ses talons plats décollent de la moquette à chaque coup de reins. Et puis je m’amuse avec nos désirs, sortant complètement d’elle pour mieux la pénétrer à nouveau, une fois, deux fois, dix fois. Son sexe trempé émet à chaque fois une série de pets humides, diffusant ses fragrances de femelle en chaleur et certainement des bordées de phéromones. Puis le désir contenu est trop fort, je lance la cavalerie à fond les manettes, agrippé à ses hanches. Elle râle, jappe, chevrote des gémissements de pâmoison troublés par les coups de boutoir que je lui inflige. Je n’arrête pas jusqu’à ce que le plaisir me foudroie. Mes jets de sperme me paraissent monstrueux tant le désir était monté en trente-six heures. Elle hoquette en sursautant de spasmes. Quand je me retire d’elle, c’est le déluge que je colmate tant bien que mal avec des kleenex. Je lui présente ma queue encore gonflée et dégoulinante de nos sucs, elle la gobe sans hésitation. Malgré tout, mon pantalon est cartonné, heureusement que j’ai du change dans mon petit cagibi où elle se précipite. Je me lave la queue pendant qu’elle s’égoutte sur les toilettes, étrange intimité d’after sexe.
- — Tu as de quoi te changer, mais pas moi. Emmène-moi chez moi, je ne peux pas rester comme ça…
C’est coquet chez elle, un mélange habile d’ancien et de moderne. Elle me dit aimer chiner des meubles sur des brocantes, les retaper, éventuellement les repeindre. Elle nous prépare un dîner rapide, mais chaud, une blanquette sortie du congélateur, comme le pain. Et son pinard est bien meilleur que du Coca. Ainsi restaurés, nous allons dormir, j’indique à mon portable de nous réveiller à quatre heures. On s’en souviendra du contrat des impôts.
Cinq heures moins le quart, retour à Bercy. Les gens arrivent doucement avec les mêmes têtes de décavés que nous. Le café coule à flots des cafetières, des thermos et des distributeurs. Nous nous activons comme des malades pour remotiver les troupes malgré la fatigue. Dès l’ouverture des boulangeries, j’envoie les filles nous préparer un buffet de viennoiseries avec plein de jus d’orange. Pour midi, j’ai fait venir sur le parvis un petit camion-restauration qui propose des menus à base de pâtes. Je lui ai commandé spaghettis bolognaise pour tout le monde : assiette de pâtes et l’équivalent d’un steak haché, sucres lents et protéines, de quoi tenir jusqu’au soir. Il n’y a que Bill qui se porte comme un poisson dans l’eau. La folie informatique, ça le connaît, il a passé des nuits et des nuits vissé devant ses écrans. Moins maintenant grâce à Corinne, mais il n’a pas perdu l’entraînement. À dix-neuf heures, nous avons terminé le « paquebot ». Restent les deux petites tours, on fait deux groupes, l’un avec Annie, l’autre avec moi. Sandwiches pour tout le monde avant de grimper les étages. Il est vingt-trois heures trente quand les testeurs sortent enfin les derniers, attendus avec impatience. Dans le hall, j’ai fait dresser un bar provisoire avec deux caisses de champagne. Nous arrosons généreusement cet exploit en observant Bill et son portable magique. Il utilise tous les coups tordus dont il dispose, mais rien à faire pour rentrer dans le système. Re champagne ! Puis direction une brasserie proche qui accepte de nous servir un bon dîner. L’excitation de la réussite nous maintient encore debout, puis un à un nous rentrons dans nos pénates, épuisés. Le marathon de Bercy est terminé.
C’est Naomi qui me réveille. Ayant échappé à la surveillance de Yüko, elle voulait absolument faire un bisou à papa avant de partir à l’école. Eh oui, c’est la rentrée, finies les deux semaines de vacances. Mahoko est déjà partie au boulot, je décide de rester à la maison. Je suis bien. Je joue avec Nina, puis avec Yüko pendant que Nina dort et enfin avec Mahoko quand elle rentre du bureau.
- — Dis donc, me dit-elle, vous avez fait fort, paraît-il. Toute la boîte, enfin ceux qui étaient là, ne parle que de ça…
- — Ouais, pari gagné, je dirais haut la main puisque nous avons terminé lundi, tard, mais encore lundi. Et puis on s’est fait une pause dimanche soir jusqu’à cinq heures du mat’…
- — Ah ? Et tu as dormi où ?
- — Sur place, sur un canapé de directeur.
Je n’aime pas lui mentir, j’ai horreur de ça, même. Mais je sais qu’avec Annie ça ne va pas durer, je le sens. C’est trop violent pour être durable, c’est comme un orage, un orage dans mes couilles plus que dans ma tête. Donc inutile de l’inquiéter pour rien.
C’est elle qui me relance environ une semaine plus tard. Elle a un jour de RTT et une grosse envie de me voir. Rendez-vous « là où nous avons dormi », donc chez elle. Je suis attendu, ô combien. J’en tombe presque à la renverse. Petits souliers noirs vernis, chaussettes blanches, jupette de tartan rouge, chemisier col Claudine avec un petit nœud rouge autour du cou, des couettes et une grosse sucette à la main ! N’importe quoi, elle est dingue… Et de sautiller, et de jouer les petites filles pas sages, et de parler avec une voix suraiguë :
- — Dis Monsieur, t’as pas une grosse sucette pour moi ?
Elle se met à genoux, déboutonne mon pantalon et se met à téter ma zigounette avec une dextérité telle que toute résistance est vaine. Je bande, elle pompe, je lui caresse la tête, les seins au travers du chemisier et sans rien d’autre en dessous.
- — Aïe ! Eh dis donc, fais attention avec tes dents… !
- — Oh pardon Monsieur… J’ai pas été mignonne, je mérite une bonne fessée…
Elle se relève et vient se mettre en travers de mes genoux, cul dressé, jupette relevée.
- — Allez-y, Monsieur, donnez-moi une bonne fessée et tapez fort…
Je caresse la prodigieuse rotondité qui s’offre à moi et donne quelques claques, histoire d’entrer dans son jeu.
- — Oh oui ! Plus fort, je le mérite…
J’ai horreur de frapper les femmes. Ça m’est arrivé, je le reconnais, avec Yüko parce que je voulais la dégoûter de moi, quelques petites tapes parfois avec Mahoko, mais pour jouer, dans le feu de l’action, mais je sens bien qu’elle n’apprécie guère. Mais là, comme ça à froid, jamais. Je dois me faire violence, mais ça semble bigrement plaire à cette folasse d’Annie. Alors je continue et, comme l’appétit vient en mangeant, je commence à y prendre un certain plaisir. Je tape de plus en plus fort en la traitant de tous les noms, de petite pute ou de petite salope. Et elle en redemande, la vicieuse. Dans ce délire soudain, j’en viens à lui prendre sa sucette, gros boudin de sucre sur un bâtonnet de bois, à la sucer puis à lui enfoncer dans le sexe ruisselant de cyprine et à goûter ce mélange extraordinaire. J’avoue que tout cela me fait furieusement bander, surtout lorsque je lui enfonce le bâton de sucre dans le cul. Je n’ai pas d’autre alternative que de la propulser sur la table et de la fourrer comme un dément.
Je rentre à la maison avec une drôle d’impression, les testicules vides, mais la tête pleine de contradictions. La paix et l’harmonie de mon foyer me rassurent et me rassérènent. Elles sont belles toutes les quatre, mes filles et mes femmes, simples et saines dans leurs sentiments et leurs comportements, malgré l’incongruité de cette situation à trois et les délires sexuels que cela engendre. Mais il n’y a aucune perversion dans les relations de ce trio.
Annie ne s’est pas arrêtée là. Je ne sais pas si elle m’a cru fétichiste, mais après l’écolière, c’est la soubrette, juste un petit tablier blanc, une petite coiffe, des bas résille soutenus par un porte-jarretelles. Très mignon. Puis l’infirmière, nue sous sa blouse blanche qui veut se faire prendre la température avec mon gros thermomètre. Ben voyons. Il y a encore la nonne, à genoux en permanence dans des vapeurs d’encens. Et pour finir, elle révèle sa vraie nature qui est d’être soumise. Elle s’offre nue, colliers de cuir autour du cou, des poignets et des chevilles, me tendant une laisse et une cravache dont je ne veux pas. Elle me supplie à genoux de la fouetter, de l’attacher, de la battre, de lui faire mal… Hors de question d’entrer dans ce jeu sado-maso qui ne me branche absolument pas ! Fort de l’expérience erratique de la fessée, je n’ai absolument pas envie d’y prendre goût. Je refuse tout net malgré ses pleurs, je lui conseille vivement d’aller voir un psy et de se faire soigner, et je mets fin à nos relations amoureuses. Je l’avais bien senti que ça ne pouvait pas durer, mais je ne savais pas encore pourquoi.