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Temps de lecture estimé : 14 mn
23/08/24
Résumé:  Tout revient à la surface. Les rancœurs, et les souvenirs... jamais rien ne s’efface.
Critères:  fh
Auteur : Jane Does      Envoi mini-message

Série : Michel et les autres

Chapitre 02 / 04
Le Retour

Résumé de l’épisode précédent :

Une tranche de vie… quelques souvenirs aussi ! Le passé qui refait surface.




Les murs de la longue bâtisse ne semblent plus tout à fait identiques à ceux des souvenirs de la femme qui s’attarde dans une contemplation étrange. Combien d’années se sont écoulées depuis son départ de ce qui auparavant était une école ? Et là, même le nom de celle-ci, sur le fronton de la façade a disparu. Elle perd son regard dans ce lieu qui lui rappelle tellement de choses. Un coup de klaxon la fait sursauter et un jeune type la surprend dans sa méditation.



Les yeux clairs se posent sur le garçon et elle blêmit. Les traits de celui-ci, ses yeux, même la voix, tout la ramène à une période lointaine. Une copie presque parfaite de… comment est-ce possible ?



Il scrute la nana. La femme, petite cinquantaine, moins peut-être, bien nippée, une fille de la ville, ça se voit. Qu’est-ce qu’elle peut bien faire devant la salle des fêtes du bled ? Les gens sont bizarres parfois. Enfin, ce n’est pas son problème. Elle vient de grimper dans sa chignole et elle fait dix ou quinze mètres, histoire de se ranger proprement sur le bitume de l’allée qui mène au bâtiment. Puis elle redescend de son véhicule pour se planter de nouveau, comme fascinée par le local repeint de neuf.



L’engin agricole passe devant elle. La brune suit des yeux le tracteur et ses souvenirs affluent. Ce gamin… il ressemble vraiment à son père. Et… là, dans la direction prise par le véhicule… il n’y a que la ferme de la mère Mathilde. Alors ? Pourquoi ce jeune homme dit-il que c’est chez lui ? À moins que… ce ne soit un autre Alain… Après tout il doit en exister des tas, des hommes qui portent ce prénom. Oui ? Mais comment expliquer cette ressemblance si frappante ? À tel point qu’elle s’est sentie comme rattrapée par le passé devant la bouille si parfaitement semblable d’un garçon qui jadis… Les pensées s’entrechoquent sous la tignasse brune de la quinquagénaire.


L’école ! Celle de son fichu brevet, morte comme c’est souvent le cas dans les petits villages des campagnes françaises. Plus assez de gosses pour remplir les classes, et l’éducation nationale qui veut tout rentabiliser, comme partout. Là, elle revoit madame Gallia… et « Touche-Prose » … le préau qui est intact. Les images inondent son cerveau et elle a comme un frisson. Le passé… presque vingt-cinq piges plus tôt. De quoi flipper en retrouvant cet endroit. Les bons moments, les mauvais surtout, qui resurgissent dans sa caboche. Une sorte de vague à l’âme qui envahit le corps frêle de cette femme qui n’arrive plus à détacher ses quinquets de cette cour où… c’est si loin déjà tout cela.


Il est temps de reprendre la route. Mais une halte au cœur même du village s’impose. La grande fontaine et un peu plus sur la droite, la bijouterie. Mon Dieu… de la devanture où les montres, des bracelets, des chaînes et autres gourmettes qui s’étalaient, plus rien n’en subsiste. Même la vitrine a disparu. Là encore plus de mauvais souvenirs que de bons. La mort de son père, la misère morale de sa mère et l’impossibilité de garder le fonds de commerce. L’exil forcé loin de ce village qui lui a tellement manqué. Dans sa tête une silhouette danse. Un étang aussi, les bestioles qui enlacées deux par deux finissaient dans un bas de laine que chacun des membres d’une folle équipée portait à la ceinture.


Le plus complexe de cette affaire, c’est bien que les moindres fumets, les plus petites odeurs sont ancrés dans son crâne. Le beurre qui fondait dans la poêle et les cuisses qui rôtissaient dans la casserole, une fragrance inoubliable pour un vrai festin. Mais… il lui remonte bien autre chose aussi. Le sourire de Michel. Pourquoi celui-là ne l’a-t-il plus jamais quitté depuis cet instant magique ? La femme pose sa main sur sa joue, comme si après tout ce temps, la marque d’un baiser volé pouvait encore lui faire ressentir une certaine chaleur. Bon sang ! Alain, Michel, Marc, trois garçons et une seule fille. De quoi les faire se bagarrer et ça n’avait pas manqué. Une fâcherie qui avait perduré tout au long des mois avant son départ pour un ailleurs triste.


Un coup de fatigue magistral qui fait trembler la femme dont les souvenirs se bousculent au portillon. Le chant de l’eau ! Identique à celui de ce matin-là, avec en bruit de fond les flocs-flocs de bottes bien trop grandes pour ses petits pieds. Un instant gravé dans sa mémoire, le temps de l’insouciance qui fait des sauts de cabri dans sa cervelle. Et la voiture qui passe ralentit pour stopper sa course quelques mètres plus loin, elle ne se rend pas seulement compte de la présence de celle-ci. La menotte de la femme qui vient cueillir quelques gouttes d’une eau toujours aussi fraîche. Étalée sur son front, remède efficace pour se ressaisir ?


Dans son dos, une voix qui la fait sursauter. Rocailleuse à souhait, mais si promptement identifiée. Comment est-ce possible ? Il lui semble qu’elle va défaillir.



Moins jeune que devant l’école, mais si calqué sur celui du chauffeur du tracteur, le ton qui est donné est si particulier. Pas de doute possible. Elle fait une volte-face brutale. Il est là ! Inchangé ou si peu. Quelques kilos en plus, des tempes grisonnantes, mais tellement lui. Alain ! Ses yeux bleus se focalisent sur la silhouette féminine. Il se tait, mais elle sait que de son côté, il fouille sûrement dans sa mémoire. Peut-être l’a-t-il reconnue instantanément. Pas sûr finalement, puisqu’il plisse les paupières, cherchant sans doute à deviner qui elle est.



Son doigt pointé vers un endroit dont la femme connaît bien le chemin. Elle sent un froid singulier lui glacer les os. Ses yeux s’embuent instantanément…




— xXx —



Et voilà comme la quinqua brune se retrouve embringuée dans une aventure qui la dépasse. Chez Alain, la petite femme prénommée Yolande la reçoit à bras ouverts. Quant à Clément, le fiston du couple, il a du mal de détacher ses prunelles du corsage de l’invitée de son père. Quelque part, les chats ne font pas des chiens et jamais adage n’a été si vrai. Et immanquablement la conversation lors du repas revient sur le passé, l’école devenue un nouvel endroit de partage. Mais comme Agnès le redoute, ils finissent par ramener sur le tapis, ce Michel si taciturne, paraît-il. Lorsque Yolande en parle, Alain ferme un instant les paupières. Un geste qui peut passer inaperçu pour tous, mais qui éveille la curiosité de l’hôte de la maison.


Michel… elle s’en souvient, comme si c’était hier. Toujours prêt à la défendre, toujours à donner de la voix lorsque l’on touchait à elle. Et l’attitude de son ami Alain lui laisse à penser que peut-être Yolande non plus n’était ou n’est pas insensible au charme envoûtant de ce gaillard costaud. Mais surtout si beau dans son souvenir. Oh ! Rien entre eux deux n’avait jamais dépassé le stade du bisou sur la joue, celui-là même qui de temps à autre, après si longtemps lui brûle encore le visage. Comme ils étaient tous jeunes, comme elle aurait aimé tellement plus ce soir-là ! Mais difficile de partager un peu d’amour entre trois garçons qui s’entendaient si bien. Alors évidemment qu’elle n’avait pas voulu montrer son attachement à Michel.


Mais là, dans la maison qu’eux et elle, dans leur jeunesse évitaient comme la peste, les bribes de souvenirs qui s’égrènent sont là qui défilent sous sa chevelure abondante. Au moment du café, c’est l’épouse qui assène le coup de grâce à la brune dont l’esprit est parti là-haut, à la lisière d’une forêt qui doit être si différente aujourd’hui.



Drôle comme la femme d’Alain vient d’appuyer sur le « mon chéri ». De quoi a-t-elle peur ? Que son invitée lui vole son amour ? Bien entendu que si Agnès a flairé dans l’intonation une marque d’appartenance, elle n’a jamais au grand jamais ressenti le moindre sentiment autre que de l’amitié pour ce grand dadais qui sourit béatement au bout de la table. Mais la peur à peine voilée de son épouse est un signe. C’est donc avec une sorte de crainte qu’Agnès attend la suite de la phrase qui va sortir de la bouche de Yolande.



Plus personne ne parle. Et Clément sent bien que l’atmosphère risque de se charger de gros nuages. Il s’empresse en garçon intelligent de se lever.



Sauvée par le plus jeune de la tablée. Mais l’invitée a d’un coup la bizarre impression que remontent à la surface des moments difficiles, instants qu’elle a sûrement involontairement provoqués sans s’en rendre compte. Elle prend conscience que des années plus tard, le simple fait de songer à ces jours compliqués ravive une certaine jalousie. Il est plus prudent de ne pas trop s’attarder sur un sujet qui fâche. Et elle se garde bien de ranimer la flamme de la discorde.



Le café fume dans les verres. L’esprit paysan reprend le dessus. Puis les deux hommes quittent leur siège au même moment. Ils filent sans trop se retourner vers les labours qui les attendent. Sur le pas de la porte cependant, Alain s’arrête et se tourne vers les femmes.



C’est lancé sur un ton qui n’admet aucun doute. Ces paroles sorties de la bouche d’un grand gaillard comme lui ne peuvent qu’être destinées à calmer sa compagne. À moins qu’il ne cherche qu’à se rassurer lui-même ? La brune ne sait plus trop quoi penser et le face-à-face des deux dames qui ensemble desservent la table est du coup oppressant. Le bruit des assiettes sur l’évier, celui de l’eau qui coule du robinet, tout concourt à rendre encore plus pesante l’atmosphère laissée par les mots d’Alain. Mal à l’aise soudain, Agnès ne sait plus sur quel pied danser. Fort heureusement Yolande reprend le crachoir et sans trop se préoccuper de sa visiteuse, se met à parler.



Elle a un sourire un peu jaune et ses yeux détaillent sans fausse pudeur celle qui achève de sécher la dernière assiette du déjeuner. Nonchalamment, elle ajoute pour faire bonne mesure, pince-sans-rire au possible…



Agnès est soulagée de mettre le nez à l’extérieur. Yolande est charmante, mais… l’animosité dont elle fait preuve à son encontre est patente. Palpable jusque dans les mots. Alors… mieux vaut éviter le conflit ouvert, bien inutile puisque jamais, au grand jamais, elle n’a eu ni n’aura de vues sur Alain ! Et c’est à deux pas l’une de l’autre que débute un long parcours piétonnier qui les mène vers le sommet de la montagne. Ce n’est que pratiquement deux heures plus tard que de loin, elles entraperçoivent la cheminée et le toit pointu de la maison de la mère de Michel. Et le point rouge grossit au rythme des enjambées féminines qui s’approchent lentement de la demeure.



À suivre…