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Temps de lecture estimé : 18 mn
17/09/24
Présentation:  Cette histoire, bien qu’elle puisse se lire indépendamment, est susceptible d’apporter quelques réponses aux questions posées dans mon précédent texte, « La Sorcière des Brumes ».
Résumé:  Alyssia, héritière d’une maison mystérieuse, se débat avec des forces occultes qui tentent de la posséder. Mystère, sensualité et lutte intérieure se mêlent pour vous entraîner avec elle dans cette aventure.
Critères:  #aventure #fantastique #sorcellerie f fh forêt cérébral voir fmast pénétratio portrait
Auteur : L'artiste  (L’artiste)      Envoi mini-message

Collection : La Trilogie des Brumes
L'Héritage des Brumes

Cette histoire, bien qu’elle puisse se lire indépendamment, est susceptible d’apporter quelques réponses aux questions posées dans mon précédent texte, « La Sorcière des Brumes ». Je vous souhaite une agréable immersion dans mon univers.



Le Mas des Ombres



Alyssia jeta un coup d’œil à son smartphone posé sur le siège passager. Plus de réseau depuis des kilomètres. La nuit tombait peu à peu, la jeune femme serra plus fort le volant. Bien qu’on lui ait vanté le climat dont bénéficiaient les Pyrénées-Orientales, la pluie battait son plein contre le pare-brise de sa voiture. La petite route sinueuse reliant Estagel à Caramany serpentait le long de l’Agly, dont les eaux tumultueuses dévalaient en contrebas sur sa gauche, et sur sa droite des rangées de vignes s’étendaient en lignes discontinues. Les phares éclairaient à peine les courbes étroites, et les éclairs déchiraient le ciel, se reflétant par intermittence sur le bitume détrempé.


Le souvenir de la lettre qu’elle avait reçue flottait encore dans son esprit. La surprise avait été totale ; une enveloppe au papier jauni, estampillée d’un cachet de cire, l’informait qu’une parente éloignée dont elle ignorait jusqu’alors l’existence lui léguait ses biens dans les Corbières catalanes. Une grande maison sur un vaste domaine, ainsi que tout ce qu’elle contenait. Après avoir finalisé les formalités chez le notaire, elle se rendait désormais sur place pour découvrir ce mystérieux héritage.


L’itinéraire finit par se perdre dans un coin boisé de vieux chênes, et la bâtisse se dévoila enfin à travers les brumes épaisses qui se dégageaient du sol. Perché au sommet d’une colline, le mas semblait patienter, immobile sous l’ondée, ses murs de pierres imposants à la fois majestueux et menaçants. Alyssia coupa le moteur, laissant le silence seulement perturbé par le crépitement de l’averse encore drue envahir l’habitacle. Un frisson courut le long de sa nuque lorsque le tonnerre la fit sursauter. Une angoisse inexplicable la tiraillait. Était-ce dû à l’obscurité, à l’orage qu’elle avait toujours craint, ou simplement à la fatigue engendrée par la longue route qu’elle venait de parcourir ?


Elle s’empara de ses bagages et sortit de son véhicule. La pluie la força à presser le pas pour atteindre le seuil de son héritage, la lourde porte s’ouvrit et, entrant, un souffle glacé la frappa au visage. L’intérieur était plongé dans le noir ; elle tâtonna un instant avant de trouver un interrupteur. Une faible lumière jaillit, vacillante, faisant danser des ombres sur les murs tandis que des courants d’air soulevaient par moments les fines toiles d’araignée qui se balançaient accrochées au plafond. L’odeur des vieilles pierres, rance, chargée d’humidité et de moisissures, mêlée à celle des meubles poussiéreux, l’enveloppa et s’immisça dans ses poumons à chaque respiration, comme si la maison elle-même voulait la posséder. Alyssia se persuada que cette ambiance confirmait seulement que l’endroit était certainement abandonné depuis des lustres.


Elle sortit son téléphone, espérant capter un réseau, mais l’écran restait obstinément vide.


« Pas de chance », marmonna-t-elle, se résignant à devoir passer sa première nuit ici, coupée du monde.


En posant ses affaires, elle crut entendre un léger murmure prononçant son prénom. Elle s’immobilisa. Le silence qui suivit fut pesant. Presque étouffant. Elle se demanda si ce n’était pas le vent, mais une étrange impression la dérangeait.


Puis elle entreprit de visiter les lieux et entra dans un grand salon aux rideaux lourds et épais, plongé dans une semi-pénombre. Chacun de ses pas claqua sur le plancher de bois usé. Tout semblait figé dans le temps. Sur un petit guéridon, elle remarqua un vieux gramophone, prêt à l’emploi. Elle posa avec précaution l’aiguille sur la surface poussiéreuse du disque s’y trouvant et une mélodie lente et crépitante emplit l’atmosphère. Les notes se répandirent, froides et distantes, s’insinuant dans chaque recoin. Se retournant, son attention fut captée par une peinture ancienne, accrochée au mur. Elle s’approcha, fascinée. Une femme d’une beauté envoûtante y était représentée, vêtue d’une robe noire d’un autre temps aux broderies délicates. Ses cheveux, couleur de jais, cascadaient en boucles sur ses épaules. Son regard était troublant et sa poitrine paraissait se gonfler imperceptiblement à un rythme régulier. Le portrait semblant vivant, Alyssia sentit son souffle se couper une fraction de seconde.


Était-ce le reflet d’une ancêtre inconnue ? La ressemblance était frappante. Cette personne mystérieuse partageait avec elle des traits communs. Elle inspecta le cadre, mais n’y trouva aucune indication, seuls des serpents et des visages grimaçants y étaient gravés.


Mal à l’aise, elle quitta la pièce et se dirigea vers l’escalier menant à l’étage. À peine eut-elle posé la main sur la rambarde qu’une violente décharge la traversa. Une image éclata dans son esprit : la même femme que sur le tableau. Toujours debout, mais cette fois, totalement nue. Superbe. Un homme agrippé à ses hanches gisait à ses pieds, le regard tourné vers le ciel, ses yeux vides et son expression figée par une terreur absolue. La vision s’estompa aussi rapidement qu’elle était apparue, et Alyssia, encore haletante, prit une grande inspiration et gravit les marches restantes, le cœur battant.


« C’est la fatigue, rien de plus », se dit-elle.


Elle ne pouvait pourtant pas ignorer la sensation persistante d’avoir entrevu quelque chose de profondément enfoui, de malveillant.


Dans le couloir l’accueillant au premier, les murmures résonnèrent à nouveau. C’était comme si plusieurs voix se superposaient, une multitude de chuchotements qui semblaient provenir de partout. Elle tourna sur elle-même, cherchant la source du bruit, mais il n’y avait rien ni personne.


Fébrile, elle redescendit au rez-de-chaussée, récupéra un sandwich dans son sac pour se ravitailler, puis décida qu’il était temps d’aller se reposer. Demain, elle pourrait mieux explorer la maison, peut-être même la quitter si cette ambiance oppressante persistait.


Elle trouva une chambre où s’installer sur un lit aux draps poussiéreux, puis elle ferma les yeux pour se détendre, tentant de se raisonner et de chasser ce sentiment angoissant qui la gagnait. Elle sombra dans un demi-sommeil, vite interrompu lorsque des pas, lourds, irréguliers, comme si quelqu’un ou quelque chose déambulait sans but précis, résonnèrent dans le couloir. Elle se redressa et n’osa plus bouger. Très lentement, la poignée de la porte s’abaissa dans un grincement prolongé.




Des Murmures Incessants



Son corps tout entier était en alerte, tremblant sous l’effet d’une terreur qu’elle n’avait jamais ressentie auparavant. Alyssia alluma la lampe de chevet et une faible lueur réchauffa légèrement l’atmosphère. Rien ne bougeait. Elle jeta un coup d’œil à la porte. Fermée. Comme si tout ce qu’elle venait de vivre n’était qu’illusion.


« Suis-je en train de devenir folle ? », se demanda-t-elle, perplexe.


Mais il y avait cette présence… Elle la sentait dans chacun de ses os. Quelque chose ou quelqu’un l’observait, elle en était convaincue.


Cette nuit-là, son sommeil fut trouble et agité. Des cauchemars la hantèrent, des visions d’ombres mouvantes, des visages féminins magnifiques et inquiétants, des murmures s’infiltrant dans son esprit. À l’aube, elle se réveilla en sursaut. Le soleil peinait à traverser les jointures des lourds volets de bois, mais la lumière rassurait malgré tout. Elle décida de sortir, histoire de prendre l’air et de voir la bâtisse sous un jour plus… apaisant, si cela était possible.


Dehors, la pluie avait cessé et le paysage était enveloppé d’une brume légère. L’odeur de la terre qui se réchauffait mêlée à celle de l’herbe détrempée la tranquillisa. Alyssia inspira profondément pour s’en imprégner. Le mas, en plein jour, n’avait rien perdu de son côté menaçant, mais paraissait moins oppressant qu’à la nuit tombée. Elle s’aventura sur le terrain, prenant le temps d’observer les vieilles pierres rongées par les années et les arbres noueux qui encerclaient la maison. Un peu en retrait, un puits à la margelle effritée se dressait, envahi par la végétation. Au loin, la montagne restait couverte de nuages.


Lorsqu’elle retourna à l’intérieur, Alyssia ouvrit les volets et laissa les fenêtres entrebâillées pour aérer et permettre à la lumière d’entrer, puis elle entreprit d’explorer plus en détail la bâtisse. Chaque pièce semblait regorger d’objets anciens, des meubles sculptés aux détails aussi minutieux que mystérieux, des bibelots oubliés, des livres à la reliure abîmée.


À l’étage, derrière une lourde tapisserie dans un recoin reculé de la maison, la jeune femme tomba sur une petite salle dissimulée. L’air y était plus pesant, comme si cet endroit avait été scellé depuis des décennies. Sur un vieux bureau en bois reposaient des carnets, des pots d’encre séchée, et au centre, un miroir à main recouvert de poussière. Elle s’en approcha, fascinée, et s’en empara. Lorsque ses doigts effleurèrent la surface froide, une autre vision la traversa, bien plus précise que la veille.


Une femme d’une beauté envoûtante, nue, se tenait à califourchon sur un homme allongé sur le dos. Ses cheveux cascadaient sur ses épaules alors qu’elle le chevauchait, son bassin ondulant sur le sexe qui la pénétrait, ses hanches se balançant avec une sensualité déconcertante. Les yeux incandescents, elle murmurait des paroles mystérieuses dans une langue inconnue, des incantations qui résonnaient comme une mélodie interdite. Cette femme en transe, aussi fascinante qu’effrayante, prenait un intense plaisir et semblait se nourrir de l’énergie de sa victime totalement pétrifiée par la peur et dont le corps commençait lentement à se désagréger. Ses chairs se craquelaient, se fragmentaient, comme si son être tout entier se consumait.


Alors même qu’Alyssia tentait de repousser ces images dérangeantes, elle brûlait de désir. Une part sombre, certainement enfouie en elle depuis toujours, s’éveilla peu à peu, et une douce chaleur l’envahit. Ses seins devinrent douloureux, tendus sous le tissu, et un frisson naquit entre ses cuisses qu’elle resserra. Une main glissa pourtant le long de son ventre pour s’infiltrer sous la ceinture, et ses doigts frémissants la caressèrent, puis s’insérèrent et dansèrent en elle avec passion. L’intensité de ce plaisir interdit la galvanisait, mêlant excitation et horreur dans une étreinte suffocante.


Un long gémissement s’échappa des lèvres d’Alyssia alors qu’une vive jouissance l’emportait. Reprenant ses esprits, elle recula précipitamment et le miroir tomba au sol avec fracas. Déboussolée, elle resta pantelante quelques instants. Puis elle chercha à comprendre. Qui était cette femme ? Et surtout, quel lien pouvait bien les unir ?


Elle se pencha sur l’un des carnets posés sur le bureau, encore tremblante d’émotions. Il était écrit dans une langue ancienne que ses yeux ne pouvaient déchiffrer. Pourtant, elle reconnut des symboles, des motifs qu’elle avait déjà vus dans ses visions. À mesure qu’elle le feuilletait, une force invisible semblait guider ses doigts, l’obligeant à tourner les pages à une vitesse effrénée… et les mots qu’elle lisait se gravaient dans son esprit.


Dans ce carnet, un nom apparut à plusieurs reprises : Mara.


Était-ce celui de son ancêtre ? Elle n’en avait jamais entendu parler auparavant.


Alyssia comprit que cette maison et ces objets lui dévoilaient peu à peu une histoire terrible. Son ascendante, une sorcière, avait usé de sa beauté et de son pouvoir pour séduire, manipuler et détruire. Elle vivait recluse, loin des hommes qu’elles méprisaient, ne les utilisant que pour assouvir sa soif de plaisir et se nourrir de leur âme.


Une vague de dégoût la prit, mêlée d’une étrange fascination. Était-elle destinée à suivre le même chemin ? À céder à cette force qui semblait s’immiscer de plus en plus en elle, et qui, elle le sentait, la possédait peu à peu ?


Alors qu’elle refermait le document, une brise glacée traversa la pièce. Les murmures revinrent, plus distincts que jamais. Cette fois, ils ne laissaient plus de place au doute : ils l’appelaient.


« Alyssia… Alyssia… »


La voix était douce, hypnotique, presque apaisante. Contre son gré, elle se dirigea vers la fenêtre. Dehors, au milieu des arbres, elle aperçut une silhouette. Son cœur s’arrêta de battre, son souffle se coupa, et la panique monta. Elle était là. Oui, c’était bien elle, la même que sur le tableau au salon, une femme d’une beauté éblouissante, celle de ses visions : Mara.




Le Frisson du Désir



Les murmures devinrent plus lointains, et finalement se turent. Alyssia, debout devant la fenêtre, sentit sa respiration reprendre un rythme plus normal, la silhouette de Mara disparaissait peu à peu dans la brume. L’attraction mystérieuse de la maison semblait faiblir, mais une angoisse sourde persistait. Elle fit un pas en arrière, troublée. Il fallait fuir. Maintenant. L’idée s’imposait comme une évidence.


Elle dévala les escaliers, regardant droit devant elle, comme si elle craignait que le simple fait de poser à nouveau les yeux sur les murs de cette bâtisse la retienne à jamais. Après s’être emparée de ses affaires dans un geste précipité, sur le point de sortir, la main sur la poignée, elle hésita un instant, puis dans un élan désespéré elle franchit le seuil, claquant la porte derrière elle.


Le mas semblait l’observer alors qu’elle se retournait une dernière fois. Alyssia serra les clés dans sa poche. Loin de cette demeure, elle pourrait enfin respirer, retrouver une clarté mentale. Pourtant, en descendant le sentier caillouteux qui menait là où sa voiture l’attendait, elle ne put s’empêcher de ressentir le lien invisible qui la reliait encore à ces murs.


La brume s’était dissipée, elle démarra le moteur et partie en trombes. Elle roula à toute vitesse sur les routes étroites et sinueuses des Corbières, déterminée à se libérer de cette emprise, et atteignit finalement le petit village de Caramany, surplombant une étendue d’eau retenue par un barrage, niché entre les montagnes. Les ruelles pavées étaient désertes. Alyssia passa devant quelques maisons aux volets fermés, leur silence pesant comme un présage. Elle s’arrêta à la seule épicerie du bourg, espérant y trouver la preuve qu’elle pourrait encore mener une vie normale.


À peine avait-elle franchi le seuil que le tintement d’une clochette annonça son entrée. Le propriétaire, un homme trapu aux cheveux gris, l’accueillit sans un mot. Une méfiance évidente transparaissait sur ses traits. Il fit un pas en arrière, comme s’il sentait la nécessité de se protéger, mais ses yeux, eux, restaient baissés.


Alyssia avança vers le comptoir, son cœur battant d’une manière étrange, irrégulière, presque trop rapide, et la peur du commerçant l’atteignit comme un parfum entêtant, envahissant, terriblement excitant. Un frisson, bien plus intense que tous ceux qu’elle avait pu connaître, la parcourut. Quelque chose avait changé. Elle n’avait jamais ressenti une telle… faim. Une force incontrôlable, primitive, la poussait à s’approcher, à savourer la crainte dans les yeux de celui qui, en cet instant, lui apparaissait être une proie facile.



Sa voix parut à Alyssia lointaine, déformée, presque étouffée. Elle se sentait différente et le monde autour d’elle semblait vaciller. Le son de sa propre respiration, plus profond, résonnait dans ses oreilles. Elle tentait de lutter, mais au fond d’elle-même, elle savait qu’il était certainement déjà trop tard.



Le commerçant ne relevait pas les yeux, persuadé qu’une confrontation directe lui serait fatale. Avant même qu’elle n’eût le temps de réagir, des mots jaillirent de sa bouche, dans une langue inconnue, instinctivement.



Elle ne comprit pas comment ni pourquoi, encore moins ce qu’elle venait de dire, mais à cette incantation elle sentit l’air autour d’elle se densifier, se charger de quelque chose de dangereux. La porte de la boutique se referma brutalement, le verrou se tournant seul dans la serrure. Les rideaux, épais et poussiéreux, se tirèrent sèchement avec un grincement sinistre, plongeant la pièce dans une pénombre oppressante.


Le commerçant tressaillit, puis se figea, terrorisé. Ses mains tremblaient, agrippant le comptoir comme s’il cherchait à se raccrocher à quelque chose de tangible. Pourtant, malgré la lutte évidente qui se jouait en lui, ses yeux se levèrent enfin vers Alyssia. À cet instant, elle sentit ce moment délicieux où leurs âmes se frôlèrent. Cette peur, cette fascination interdite… cela la nourrissait, la comblait. Une vague d’excitation plus violente que jamais la submergea, la brûlant de l’intérieur.


Un besoin viscéral d’étreindre sa future victime monta en elle, de plus en plus puissant, irrépressible. Elle le voulait désormais. Non seulement pour apaiser cette pulsion étrange, envahissante, mais aussi pour ressentir son corps sous ses doigts, pour que la panique se transforme en dévotion aveugle. Ses mains se levèrent doucement vers le col de sa chemise. D’un geste lent, presque solennel, elle dégrafa le premier bouton, puis un second, et encore un autre, dévoilant la peau nue de son décolleté. Sa poitrine se révéla peu à peu, parfaite, presque irréelle sous la lumière tamisée de la boutique. Le commerçant, fasciné, semblait comme hypnotisé. Sa respiration s’accéléra, ses yeux fixés sur les courbes enivrantes d’Alyssia, écarquillés par un mélange de désir et de pure terreur.


Elle était belle, terriblement belle.


Le besoin d’un coït grandissait en elle, tel un feu incontrôlable. Une chaleur envahissante se répandait dans tout son corps, l’irradiait. Chaque fibre de son être semblait tendre vers une seule et unique chose : le posséder, sentir son souffle dans son cou, son sexe entre ses cuisses, sa jouissance dans son ventre. Elle voulait qu’il la prenne, ici, maintenant.


Le regard du commerçant vacillait entre horreur et fascination. Il ne pouvait plus lutter. Quelque chose de plus grand le poussait vers elle, vers cette femme dont la beauté surnaturelle l’envoûtait. Pourtant, Alyssia se débattait intérieurement. Une part d’elle hurlait, tentait de réprimer cette force qui l’attirait vers cet homme effrayé, mais devenait de plus en plus faible, noyée dans le tumulte de ses nouveaux instincts.


Elle fit encore un pas et se trouva toute proche.


Leurs souffles se mêlèrent, lourds, irréguliers, dans un baiser sulfureux. L’atmosphère était étouffante, presque irrespirable. Le commerçant, comme possédé, leva des mains fébriles pour toucher cette peau qui lui était offerte. Il posa à plat chacune d’elles sur un sein, avec un désir infini et une douceur divine, et les enveloppa tendrement de ses paumes, avide de goûter à cette beauté froide et incandescente à la fois.


Alyssia ferma les yeux un instant à ce contact, ses tétons se raidirent, et elle sentit chaque pulsation de sa propre envie battre dans ses tempes, dans ses veines, dans son ventre. Elle se perdait dans cette montée, cette faim viscérale que ses nouveaux instincts lui imposaient.


Pourtant, quelque chose la tira en arrière, une bribe de lucidité. Le désir pulsait encore, sauvagement, mais au fond de son esprit, une autre émotion surgissait : la panique. Si elle cédait, son sort serait scellé à jamais. Cette pensée la frappa de plein fouet, la faisant chanceler. Elle devait fuir avant que l’emprise ne soit totale.


« Non… Il ne faut pas. »


Elle se rajusta brusquement et s’éloigna de sa proie, déboussolée, qui n’attendait pourtant plus que ça : consommer cette beauté entêtante.


Alyssia jeta un dernier regard à sa victime. Une part d’elle était furieusement frustrée, mais l’autre, celle qui résistait toujours, savait qu’elle devait partir, maintenant, avant qu’il ne soit trop tard. La porte se rouvrit seule dans son dos et les rideaux s’écartèrent d’eux-mêmes pour laisser entrer à nouveau la lumière. Elle sortit dans l’air frais du village, le souffle court. Ses pensées étaient confuses, mais ce n’était certainement que le début, son nouvel instinct brûlait d’envie de découvrir jusqu’où cela irait. Le mas était peut-être derrière elle, mais quelque chose continuait de s’éveiller et elle ne savait plus si elle devait lutter ou s’y abandonner.


Ses mains tremblaient encore d’excitation en agrippant le volant. L’image du commerçant, l’expression de son visage terrorisé, l’odeur de son désir hantait son esprit, les papillons dans son ventre ne s’étaient pas tus. Comme pour fuir cette pensée obsédante, elle détourna les yeux et croisa son propre reflet dans le rétroviseur. Ce qu’elle y vit la frappa… ses cheveux châtains s’étaient assombris, sa peau s’était éclaircie, les légères rides qui commençaient à se creuser sous ses paupières s’étaient estompées pour presque totalement disparaître. Il y avait désormais cette force en elle, c’était indéniable, elle gagnait peu à peu. Et cette faim… irrépressible, née de cette noirceur, la consumait lentement. Comment pourrait-elle affronter ses amis, son entourage ? Que diraient-ils, et surtout, que ferait-elle si ses démons se réveillaient à nouveau ? Elle ne pouvait plus rentrer chez elle, ce serait trop risqué.


Accélérant brusquement, elle quitta le village. La route se déroulait devant elle comme une promesse d’évasion. Le soleil déclinait déjà à l’horizon, teintant le ciel d’un rouge vif, alors qu’elle approchait de Villefranche-de-Conflent. La vieille forteresse médiévale se dressait à flanc de montagne, une silhouette austère dans la pénombre naissante. Alyssia ne s’y attarda pas. Elle bifurqua vers un sentier forestier, un chemin sinueux de plus en plus étroit. La lumière s’éteignait rapidement sous le couvert des arbres immenses. Les branches se tordaient au-dessus de la route, telles des griffes cherchant à l’agripper. La piste se compliqua, et devint impraticable. Sa voiture s’embourba, la forçant à s’arrêter.


Elle poursuivit à pied. Après une marche interminable, elle la vit enfin. Une petite maison isolée au milieu de cette mer végétale, éclairée par une lune pleine et brillante, apparut comme un mirage. Elle paraissait à l’abandon, mais pas totalement en ruine. Les volets pendaient de travers, la porte grinçait légèrement sous l’effet du vent, mais l’édifice tenait encore debout.


Alyssia hésita, mais entra. Elle testa un interrupteur, et à sa grande surprise, l’électricité fonctionnait. Les ampoules vacillèrent, projetant une lueur faiblarde sur le mobilier délabré. Tout était vieux, mais la maison dégageait une certaine chaleur. Elle referma derrière elle ; cet endroit ferait l’affaire pour se couper du monde. Elle pensait avoir trouvé là un refuge qui lui laisserait le loisir de comprendre les changements qui s’opéraient en elle, et peut-être de les dompter, voire – elle l’espérait – de les refouler.




Épilogue



Le temps s’était étiré, indéfini, depuis qu’elle avait trouvé refuge dans cette demeure oubliée. Le silence profond et dense de la forêt l’enveloppait comme une présence protectrice. Par moments, seuls les bruissements légers du vent dans les feuillages ou le craquement d’une branche rompaient cette tranquillité oppressante. Le chant des oiseaux était rare, comme si même la faune avait appris à se méfier de cet endroit reculé.


Alyssia avait pris ses marques, lentement. Elle avait aménagé la petite maison, la rendant plus confortable, redonnant vie à chaque pièce comme pour s’y ancrer, pour ne plus fuir. Le village voisin, elle ne le visitait pas, se contentant de brèves apparitions à Perpignan, plus anonyme, juste assez pour ne pas éveiller les soupçons. Dans le Conflent, tous savaient. Mara était revenue, mais personne n’osait en parler, pas à voix haute en tout cas.


Alyssia ne se battait pas seulement contre des superstitions, mais surtout contre elle-même. Les visions la hantaient toujours, des ombres, des murmures… des chuchotements incessants qui glissaient dans ses pensées, insinuant le doute et l’envie. Elle avait tenté de les ignorer, mais rien n’y faisait, sa nature noire persistait, la rappelant à son héritage. Elle s’était donc résignée à rester loin des hommes, au sens large du terme. Ici, dans les bois, elle ne risquait de blesser personne.


Pourtant, un soir, tout bascula.


On frappa à sa porte. Un coup, puis un autre, timide, presque hésitant. Alyssia, la gorge nouée, ne bougea d’abord pas, espérant que l’intrus rebrousserait chemin. Mais le martèlement persista. Finalement, elle se leva, les jambes tremblantes, ses sens affûtés, les battements de son cœur se mêlant aux échos des voix qui dansaient dans son esprit.


Lorsqu’elle ouvrit, elle découvrit un homme debout sur le seuil. Un randonneur égaré. Le temps sembla s’arrêter. Ses yeux s’écarquillèrent en croisant ceux d’Alyssia qui sentit immédiatement l’envoûtement agir, comme une force irrépressible. Autour d’eux, la lumière s’assombrit, le soleil lui-même déclina, étouffé par une brume opaque. Un souffle glacé passa entre eux, soulevant imperceptiblement les mèches de cheveux d’Alyssia. Ses seins se durcirent, une vague de chaleur incontrôlable la submergeant. Les papillons dans son ventre, qu’elle pensait apaisés, se remirent à battre des ailes avec vigueur, envahissant de plaisir tout son être. L’homme, lui, ne bougeait pas, incapable de détourner les yeux, pris dans l’étau qui commençait à les lier. Ça ne pouvait pas être une rencontre fortuite. Quelque chose l’avait forcément guidé jusqu’ici.



Alyssia esquissa un sourire. Le désir montait, insidieux, irrésistible, inondant ses veines. Son souffle s’accéléra légèrement, imperceptiblement, et brûlait de l’intérieur. C’était plus qu’une attirance. Il s’agissait d’une pulsion animale, brutale, émanant du tréfonds de son être. Un feu couvait, prêt à éclater à la moindre étincelle.


Une part d’elle voulait l’envoyer loin, très loin d’ici, lui ordonner de se sauver, mais une autre, plus profonde, la retint. Elle l’invita à entrer, sa voix à la fois douce et tranchante, comme si les mots eux-mêmes contenaient une menace implicite.



À cet instant précis, le vent se leva, soufflant avec une force inattendue. Des nuages, denses et sombres, se concentrèrent soudain au-dessus de la maison. Un éclair déchira le ciel.


L’homme, sous le charme, semblait hypnotisé et fixait Alyssia avec un désir évident. Sur le seuil, il s’essuya machinalement les pieds sur le paillasson et un éclat argenté scintilla à son poignet : une gourmette, simple, mais élégante. Un prénom était gravé dans le métal : « Stéphane ».


Alyssia referma la porte derrière lui, un sourire en coin. Elle dégrafa un bouton à son décolleté et lui emboîta le pas.




— Fin –




Ayant en tête quelques remarques constructives reçues à l’occasion de « La Sorcière des Brumes », j’ai hésité dans ce texte à employer les formulations ci-dessous. Bon, j’me suis défilé… Il m’a semblé que ça cassait trop l’ambiance que je m’efforçais à dépeindre.



1. — C’est ben toi qu’a rrr’prris le mas, non ? demanda-t-il fébrilement.


2. — Alorrs… c’te histoirrre qu’on rrraconte… c’était ben vrrrai, hein ? bredouilla-t-il, tremblant.



Note : Ces dialogues sont purement caricaturaux et n’engagent en rien l’authenticité linguistique des Pyrénées-Orientales.