n° 22701 | Fiche technique | 37182 caractères | 37182 6363 Temps de lecture estimé : 26 mn |
20/10/24 |
Présentation: Où l’on retrouve Cassandre, la braqueuse romantique découverte dans la série « Cavale », publiée ici il y a quelques mois. Il n’est pas indispensable d’avoir lu « Cavale », mais c’est mieux, j’y ferai quelques fois référence. | ||||
Résumé: Décidément, Cassandre a le chic pour se mettre dans des situations compliquées. Ou bien, c’est elle qui attire les ennuis ? | ||||
Critères: #policier | ||||
Auteur : Laetitia Envoi mini-message |
Épisode précédent | Série : Imbroglio Chapitre 03 / 05 | Épisode suivant |
Résumé des épisodes précédents :
Où l’on retrouve Cassandre, la braqueuse romantique découverte dans la série « Cavale », publiée ici il y a quelques mois. Il n’est pas indispensable d’avoir lu « Cavale », mais c’est mieux, j’y ferai quelques fois référence.
À bien y réfléchir, nos ennemis avaient un sacré moyen de pression sur Magnus Von Hasselbach. Et ce moyen de pression, je l’avais sous les yeux. Un fort joli moyen de pression d’ailleurs. Tout à fait à mon goût, le moyen de pression.
Les idiots comparent toujours la guerre à une partie d’échecs. Foutaises. Aux échecs, on voit les coups successifs des adversaires. À la guerre, on ne les voit pas et il faut les deviner. Aux échecs, il n’y a aucun hasard, à la guerre, si. Clausewitz a donc raison de dire que le jeu qui ressemble le plus à la guerre, c’est le jeu de cartes.
Elle me regardait en se demandant quelles balivernes je lui racontais.
Je ne lui ai pas dit qu’il fallait aller beaucoup plus vite que l’ennemi. Plus vite que Shadow qui était le plus dangereux de la meute, à mon avis. Plus vite que le BND, que la CIA, que les clients du Groupe, très certainement russes. Ça faisait du monde. Beaucoup trop de monde tout ça. Et pas que du beau monde.
Renata se mit à réfléchir intensément. Elle semblait complètement crispée. Elle dit enfin :
Puis ajouta :
Au point où j’en étais…
Elle eut un frisson, mais soutint mon regard.
Nous avons convenu qu’elle irait chez moi en Ardèche. Je lui demandais de planquer sa voiture dans la grange, de ne sortir que si elle était obligée et d’utiliser ma Land Rover, si c’était le cas. Et bien sûr de ne téléphoner à personne et surtout pas à son père, et accessoirement, pendant qu’on y était, de ne pas utiliser sa, ou ses cartes de crédit. Ce n’était peut-être pas très futé de l’envoyer chez moi, les gens du groupe connaissaient l’endroit, Shadow aussi peut-être. Certainement, même. Mais là, je n’avais pas d’autre solution réelle. Je pariais sur le fait que l’ennemi ne supposerait jamais que Renata pouvait se trouver là où moi je ne pouvais pas être.
De mon côté, je me rendais à Genève, où j’avais l’intention de me faire remarquer. Beaucoup de choses dans cette histoire tournaient autour de Genève. C’est là qu’habitait et œuvrait Karolina Kürschner, mais aussi Philippe Meir, l’intermédiaire plus que louche dans cette affaire. Ce n’est pas par hasard si j’avais donné rendez-vous à Reinhardt là-bas. Pendant que je me montrerais à Genève, Renata aurait le temps de rejoindre l’Ardèche tranquillement et, a priori, personne n’irait la chercher là-bas.
oooOOOooo
Genève, ville ambiguë, une sorte d’antithèse de la Suisse… De prime abord, la richesse suintait de partout. La Genève des boutiques de luxe, des villas sur le lac, des banques. À y regarder de plus près, on pouvait, avec l’autre grille de lecture, voir l’autre Genève, beaucoup plus baroque. Sous une sorte d’indolence parfaitement suisse, Genève avait un autre visage, une fois le masque tombé. Repère de truands, de barbouzes, de courtiers véreux et j’en passe.
Renata devait avoir passé Lyon maintenant. Elle m’avait promis qu’elle roulerait sans s’arrêter et serait chez moi, dans la nuit. Une fois de plus, je me dis que ce n’était pas très malin de l’envoyer là-bas, à une adresse que l’ennemi connaissait. Un calcul loin d’être fort. Je me racontais des histoires pour me persuader. J’avais décidé de faire all-in sur Renata, sans forcément beaucoup d’illusions. Petites mises, petits gains. Ce n’était certainement pas avec de telles ruses, qu’on allait s’en sortir sans égratignures. Et en outre, je n’étais sûre en rien des véritables intentions de cette fille.
Je roulais sur les quatre voies qui longeaient le lac, du côté du quartier de Bellevue. Je me dirigeais vers l’Auberge du Lion d’Or, où j’avais rendez-vous avec Reinhardt. C’est là que je repérais une BMW sombre qui me suivait. À presque vingt-et-une heures, la nuit commençait à tomber et j’eus du mal, entre chiens et loups, à me rendre compte s’il s’agissait de la même BMW qui nous avions aux basques avec Karolina, depuis l’Ardèche. Peut-être, peut-être pas… Bien entendu, il fallait que j’en aie le cœur net. Je fis passer le Walther PPK de la boite à gants au siège passager, puis je tournais sèchement à droite dans une petite rue déjà endormie, après avoir mis mon clignotant à gauche, bien sûr. J’éteignis mes phares et me garais au bord du trottoir derrière une camionnette. Le conducteur de la BMW ne s’y laissa pas prendre et je la vis arriver dans mon rétroviseur, roulant vite. Tellement vite, qu’elle me dépassa, freina et se mit en marche arrière. Déjà, ce n’était pas la même BMW. Celle-ci avait des plaques suisses. Et ils étaient deux à bord. Je me saisis de mon pistolet et sortis à toute allure par la portière droite de l’Audi. Ils ouvrirent le feu au moment où je sautais par-dessus un muret et me retrouvais dans le jardin d’une villa, tous volets baissés. Les balles de ce qui me semblait être un fusil d’assaut, hachèrent le portillon de la villa et continuèrent leurs trajectoires de façon variée et anarchique. Aucune ne me toucha. Trente coups, puis le silence. Chargeur vide ? Certainement, je sortis de ma cachette et tirais vers la BMW qui repartit dans un crissement de pneus, alors que tous les habitants de la rue devaient être en train de téléphoner à toutes les polices du secteur. Je repassais par-dessus mon muret si salvateur, non sans le remercier pour la protection efficace qu’il m’avait accordé. Je montais dans l’Audi et disparaissais au plus vite vers les quatre voies. Dans l’autre sens, deux voitures de police passèrent à toute allure.
Qui étaient ces deux types ? Pas Shadow, à peu près certaine. Lui apparemment travaillait toujours en solo et faisait ce qu’il avait à faire lui-même, sans s‘encombrer de truands de seconde zone. Surtout, il n’agissait pas de façon aussi voyante et aussi imbécile. Qui donc m’avait suivie ici à Genève. Qui savait que j’y étais d’ailleurs ? Quelqu’un les avaient renseignés. Le même qui avait pris la photo avec Thierry Morand ? Les fameux clients du groupe ? Peu vraisemblable… Le fait que je sois l’élue pour sortir Shadow du jeu, devait au contraire les arranger. Les Américains ? Va savoir. Ils semblaient être les seuls à souhaiter que je laisse le tueur tranquille. Les services spéciaux américains, ceux que je voulais à tout prix éviter. S’il y avait une chose absolument hors de question, c’était d’être prise pour cible par des services rivaux d’espionnage ou de contre-espionnage, ou des machins comme ça. La police allemande ? Non, pas le genre de flinguer au fusil d’assaut et à partir, même des francs-tireurs agissant en douce. Le BND en voulait au Groupe, mais je ne pense pas qu’ils se doutaient de mon existence. Alors qui ?
J’avais le sentiment, fort déplaisant, d’être dans l’arène au milieu des loups et d’en être la proie unique et très disputée. Et qui s’était amusé à me suivre de chez moi à Stuttgart ? Là, je misais une pièce sur l’ami Shadow.
Je me mis à songer à mon ennemi présumé, Shadow. Il me semblait que c’était un ennemi fabriqué de toutes pièces, que cet homme était autant que moi utilisé comme un leurre pour autre chose. Quoi ? Quand je le saurai, j’aurai en main toutes les clés de cette histoire. Ça me paraissait fou cette histoire de tueur qui suicidait ses victimes et que personne n’avait jamais vu. Il pouvait tout aussi bien ne pas exister, après tout.
J’arrivais sans avoir avancé d’un centimètre dans ma tête. Mon surmoi l’avait mis en veilleuse, toujours ça de gagné. J’étais largement en avance, mon rendez-vous n’était que dans une heure. Attendre ce gros porc de Mathias Reinhardt, quelle plaie. Dîner avec lui en face-à-face, déjà… La corvée. Je repartis du parking. J’allais rendre une petite visite à Mademoiselle Karolina Kürschner, voir ce qu’elle avait dans le ventre. Peut-être qu’en insistant, elle éclairerait ma lanterne. Et puis, elle m’avait invitée, n’est-ce pas ? Nous étions presque copines sur la fin.
Elle habitait à seulement quelques centaines de mètres à vol d’oiseau, de l’autre côté du lac. Par la route, c’était un peu plus loin et long. J’avais tout de même largement le temps d’y aller. Et puis si j’étais en retard, le gros porc m’attendrait. La ponctualité est la politesse des rois, paraît-il. Mais je ne suis pas reine, ni même royaliste. Et de toute manière, j’emmerde les rois !
Les fenêtres de Karolina donnaient directement sur le lac. Elle habitait au dernier étage apparemment. Arrivée sur le palier, je me rendis compte qu’il serait inutile de sonner. La porte entrouverte portait les marques d’un pied-de-biche. Les gonds complètement tordus, le bois arraché montraient combien le nom de cet outil pouvait paraître incongru. L’appartement avait été visité, manifestement. Et sans les patins, façon bûcheron plutôt.
J’avançais dans l’entrée, mon Walther PPK à la main, puis entrais dans le salon, désert, mais sans dessus-dessous. Les chambres et la cuisine étaient dans le même état. Je trouvais Karolina dans la salle de bain. Elle était dans sa baignoire. Apparemment, elle avait fait avec l’électricité et un rasoir électrique une manœuvre un peu stupide. Ou plutôt, on l’avait très certainement aidée à la faire, cette manœuvre stupide.
La jolie menteuse qui était venue me voir chez moi pour m’emmener en Allemagne était morte et plus que morte. Et une impasse de plus.
Je sortis de l’appartement de Karolina et repris la direction du Lion d’Or de l’autre côté du lac.
Reinhardt était déjà là quand je suis arrivée. Il buvait de la bière et eu le toupet d’avoir l’air ravi en me voyant. Il me fit signe de venir m’asseoir à côté de lui. Est-ce qu’il avait l’intention de me caresser les genoux ? Au moins de ce côté, j’avais vue sur la salle et l’entrée.
Bon, je n’allais pas attaquer bille en tête en lui disant « Votre maîtresse a été suicidée par Shadow certainement, ou assassinée par un service secret quelconque, ou par des petits truands à la solde d’on ne sait qui ». Ça me semblait tout de même délicat.
A défaut de me peloter, il se contenta de me tendre une enveloppe kraft en me faisant signe de l’ouvrir discrètement. Cette enveloppe contenant des francs suisses. Je fis une sorte de oui de la tête et lui, se donna un air de grand-père gâteau. On sombrait dans le ridicule.
Il n’eut pas l’air de comprendre. Je dis :
Il eut l’air encore plus ahuri.
Je m’obstinais à fixer une splendide blonde, enfin plutôt ses jambes croisées, qui buvait paisiblement son cocktail, pour oublier l’imbécile en face d’elle qui essayait de lui faire la cour. Je me gardais bien de lui parler des deux tueurs qui m’avaient tiré dessus.
J’en avais marre de ce nom. J’avais dans ma planque à Chaville un passeport au nom de Sophie Leclerc qui me rajeunissait de quatre ans en plus… Quitter tout ce merdier, pourquoi pas ?
De mieux en mieux…
La dizaine de types dézingués depuis le début, le tueur nommé Shadow que personne ne connaissait, tout ça, on oubliait ? Oui, je sais, je suis trop romantique. Mais non, tout ça n’était que bricoles fâcheuses qu’on allait oublier. On allait mettre la poussière sous le tapis, d’un claquement de doigts. On annulait l’opération. Et j’allais oublier Karolina électrocutée dans son bain et ce pauvre Félix aussi. Je dis tout de même :
Tout ça pour rien, mais au moins, je tenais ma porte de sortie. Enfin je l’espérais. À moins qu’il n’y eut une nouvelle entourloupe et qu’ils allaient chercher la façon de se débarrasser de moi de la manière la plus efficace possible. Puis l’idée me vint.
Je commandais un nouveau Tokay et je commençais à avoir faim.
Eh oui deux litres de bière ça fait pisser mon gros. Pendant quelques minutes, j’observais la blonde. Elle avait une très jolie poitrine en sus de ses belles jambes. Elle continuait à s’ennuyer royalement.
Reinhardt mettait un temps infini à uriner ses deux litres de bière. Je me dirigeais vers les toilettes à mon tour, non sans avoir gratifié la blonde d’un sourire grivois en passant. Les toilettes du Lion d’Or sont parées de marbre du sol au plafond. Elles étaient pour le moment désertes. J’ouvris la première cabine. Reinhardt s’y trouvait, le nez dans la porcelaine blanche, perdant son sang. Mort et plus que mort. Je refermais la porte et y collais une pancarte marquée « Porte condamnée », que j’ai trouvée dans le placard à balais. Il était temps de partir.
Je retournais dans la salle de restaurant pour y récupérer mes affaires. À la place de Reinhardt était assise… la Hollandaise du cercle de jeu à Paris.
Shadow ? Très certainement. Elle me fit signe de m’asseoir en face d’elle. Ainsi, Shadow n’était pas un tueur, mais une tueuse.
Tiens, je l’avais oublié lui. Philippe Meier. L’intermédiaire ripou entre le Groupe et les fameux clients. Celui qui m’avait mise dans cette merde. Pourquoi pas. Il devait jouer double-jeu et être en train de trahir Von Hasselbach. Elle confirma mon intuition :
Il s’avérait donc que Meier avait mené contre ses anciens associés une petite opération d’intox. Pendant que le Groupe s’excitait à l’encontre de Shadow, lui (Meier) organisait tranquillement son petit trafic, à l’abri des regards. Il a même envoyé deux tueurs après moi, pour encore plus brouiller les pistes. Karolina a certainement été dans le coup, d’où le fait qu’elle ait été supprimée, pour rendre les choses encore plus théâtrales. Le gros porc avait lui aussi été effacé pour confirmer le danger imminent dans la tête de Magnus Von Hasselbach. Je commençais à plaindre le père de Renata qui était dans un sacré foutoir.
Je regardais la blonde se lever. Elle avait un cul magnifique en plus du reste. Je n’avais pas l’intention de demander à Shadow pourquoi elle voulait tuer tout ce petit monde. Je n’en avais absolument rien à foutre. Elle continua :
Elle prit un air vaguement surpris et n’eut pas l’air de me croire.
Je me suis aussi levée pour partir, mais je fis demi-tour :
oooOOOooo
Arrivée sur le parking, mon téléphone sonna dans ma poche : Renata.
Oui, mon coin d’Ardèche est sauvage. Je m’abstins de lui dire que la sauvagerie n’était pas là où elle croyait.
Je ne savais pas mes voisins si perspicaces. Ils m’avaient vue quelques fois avec Mathilde, c’est vrai, mais bon…
Je raccrochais et j’allais beaucoup mieux d’un seul coup.
Par acquit de conscience, juste pour vérifier, j’appelais ensuite Samir. Si Philippe Meier, grand metteur en scène devant l’éternel, était en accord avec lui-même, Samir ne devait plus être en vie. Je tombais directement sur la messagerie, confirmant qu’il y avait peu de chances qu’il soit encore des nôtres.
J’étais rassurée. Renata, quant à elle, était arrivée et en sécurité, du moins pour le moment.
Il était vingt-deux heures. Il ne me restait plus qu’à trouver une chambre d’hôtel à Genève. J’eus une autre idée, qui m’éviterait de courir les hôtels. Après une rapide recherche sur le net, je notais l’adresse d’un établissement dans la région, uniquement fréquenté par les femmes. Peut-être l’occasion d’y faire une rencontre et de trouver un point de chute pour la nuit ! Et puis une soirée de détente me ferait le plus grand bien. Enfin, si Shadow était toujours à mes basques, ce qui était fort possible même si je ne la repérais pas, ça allait bien l’amuser.
Je garais donc ma voiture sur le parking du Pussy-Pussy à une vingtaine de kilomètres en dehors de Genève. Le Pussy-Pussy, nom Ô combien évocateur, amusant… Le néon rose au-dessus de l’entrée éclairait les quelques clientes sorties fumer. La faune habituelle de ce genre d’endroit. Cinq ou six filles aux cheveux très courts, très masculines, le genre dont on a l’impression qu’elles font la gueule tout le temps et sont fâchées avec le monde entier. Pas du tout mon genre, moi, j’aime la féminité. Si je veux un mec, j’en choisis un vrai, pas quelque chose qui y ressemble, pas un ersatz.
Je suis donc entrée au Pussy-Pussy, sous le regard insistant des fumeuses qui devaient lorgner mes fesses et soupeser la marchandise. Grand bien leur fasse. Deux videurs se trouvaient près de la porte, plutôt décontractés, mais vigilants. Le danger et les ennuis dans ce genre d’établissement viennent rarement de l’intérieur et de la clientèle, plutôt d’âmes mal intentionnées venant de l’extérieur. L’homophobie a encore de jolis jours devant elle, même dans le calme canton genevois, un peu calviniste sur les bords tout de même. Je fus surprise de l’affluence. Je me suis dirigée vers un bar bondé, derrière lequel s’activait trois barmaids. Au fond et à l’écart, se trouvait un petit dancefloor, où se déhanchaient quelques danseuses sur de la techno. Heureusement, la musique n’était pas assourdissante, on pouvait s’entendre dans le reste de la salle. Et puis, j’ai horreur de la techno. Je me suis approchée du bar et j’ai commandé un Bourbon, puis mon verre à la main, je me suis dirigée vers une des rares tables libres.
Du regard, j’ai fait le tour. Mon regard glissait sur les couples et les groupes, recherchant et se focalisant sur les clientes seules. Elles étaient finalement peu nombreuses, une fois éliminées les profils pas forcément à mon goût. J’observais danser une jeune fille, les bras tatoués. Elle portait une jupe très courte qui permettait de profiter de ses jolies jambes, tatouées aussi à plusieurs endroits. Avait-elle des tatouages sur tout le corps ? Certainement. Je me dis, qu’il serait certainement amusant de faire le décompte de ses tatouages et piercings, une fois dénudée. Mon regard se figea sur une jolie rouquine appuyée contre un pilier qui regardait aussi les danseuses. Pourquoi pas ? Enfin, trois tables après la mienne, je fus attirée par une femme un plus âgée que moi, proche de la quarantaine sûrement. En fait, elle m’observait de son côté, c‘est ce qui a attiré mon attention. Je semblais à son goût, elle ne détourna pas les yeux quand nos regards se sont croisés. Moi non plus. Une brune plutôt jolie, non très jolie, pas plutôt, le genre cadre sup en tailleur et chignon, venue se dévergonder ici, ou tout simplement se détendre après une longue journée de travail. Nous étions en Suisse, peut-être une banquière. Je me suis levée et l’ai rejointe à sa table.
Expéditive, la belle Livia. De mon côté, je n’avais rien contre. Nous avons trinqué et nous nous sommes embrassées deux minutes après.
Finalement, nous n’avons pas bu un verre de plus, pressée que nous étions de quitter le Pussy-Pussy et de rejoindre son domicile. Notre deuxième baiser, sur le parking contre la portière de sa voiture fut plus chaud. Nous laissions nos mains s’égarer.
En chemin, j’essayais de repérer une BMW conduite par une blonde néerlandaise, mais n’en vis aucune. Shadow était-elle toujours sur mes traces ? Si c’était le cas, je lui avais donné l’opportunité de jouer les voyeuses sur le parking. Cette idée m’amusa.
Livia habitait un immeuble donnant sur le lac. Ça devenait une habitude chez mes amantes genevoises. Après Karolina, Livia. Nous fîmes l’amour sur son canapé avec la vue nocturne sur le lac éclairé par un joli clair de lune. Puis dans sa chambre, avant de nous endormir.
Le lendemain matin, je fus réveillée par la paume de Livia qui me caressait la poitrine. Le soleil était levé sur le lac.
L’intermède Livia avait été plus qu’agréable. Ce fut cent fois mieux qu’une nuit seule dans une chambre d’hôtel impersonnelle. Cette histoire, si elle était tordue, m’apportait au moins quelques satisfactions, Karolina, Livia, bientôt Renata, vraisemblablement.
Avant de prendre la route, je m’accordais un dernier café dans un bar au bord du lac. L’occasion aussi de consulter les journaux sur internet. J’appris qu’un haut fonctionnaire allemand avait trouvé la mort lors d’une randonnée en Autriche. Le protecteur de Von Hasselbach, évidemment. Le grand ménage continuait.
J’avais envie d’être de nouveau en Ardèche. Pour quoi faire au juste ? Je n’en avais pas la moindre idée. Il allait falloir que je me mette hors-circuit. Cette histoire devenait de plus en plus puante.
J’appelais Renata :
Je lui expliquais toute l’affaire.
Je mis un temps et ajoutais :
Et je raccrochais.
La veille au soir, j’ai ouvert l’enveloppe que m’avait donné Reinhardt avant de mourir. Elle contenait cinquante mille francs suisses. À peine le dixième de ce qui était prévu à l’origine. Mais cette origine était bien loin dorénavant. Ça devait être pour me remercier du déplacement.
Peu importe, l’essentiel était maintenant de se mettre à l’abri et de laisser cette bande de tarés s’entre-tuer. Pendant ce temps-là, Renata Von Hasselbach m’accompagnerait dans de longues promenades ardéchoises. Peut-être qu’on se baignerait dans la rivière à nouveau. D’ici quelque temps, cette affaire serait réglée, avec un peu de chance. Vraisemblablement par les bons soins des services secrets américains. Il fallait être aussi fou et avide que Von Hasselbach pour croire qu’une combine aussi pourrie pouvait marcher. Et aussi con que Philippe Meier aussi. De toute manière, depuis le début, j’étais la spectatrice quasi passive de trop de choses qui se passaient autour de moi et qui me dépassaient. J’aurais pu téléphoner à l’ambassade des Etats-Unis, pour leur raconter des choses sur Meier. Mais c’était aussi signer l’arrêt de mort de Von Hasselbach. Et je ne voulais pas gâcher ses toutes dernières chances de s’en sortir. Pourquoi ? C’était bien lui qui m’avait mise de force dans ce foutoir. Lui et Meier, mais à l’époque Von Hasselbach et Meier, ce devait être la même chose. Sa fille ? Peut-être que je voulais le protéger à cause de sa fille ? Ça se pourrait bien…
Voilà grosso modo l’état de mes pensées en roulant vers chez moi. Je regardais régulièrement mon rétroviseur pour essayer de repérer un éventuel suiveur, ou une éventuelle suiveuse. Mais, non, rien… Je m’arrêtais dans deux aires de repos successives pour bien vérifier que je n’étais pas suivie. Toujours pas.
oooOOOooo
Renata, qui s’était lâchée au téléphone hier, manifestement face à face ne savait pas trop comment agir avec moi, quand je suis arrivée. Elle me regardait avec un sourire timide, les yeux fuyants. N’assumait-elle pas ses paroles de la veille et le rentre-dedans qu’elle m’avait fait ? Plutôt, elle ne savait pas comment aborder la situation. Se trouver face à moi devait l’inhiber.
Elle fut sauvée par le chien, qui me voyant me fit la fête. Satisfait, après que je lui ai caressé la tête, il retourna se coucher sur le tapis.
Renata eut un mouvement gauche vers moi quand je me suis approchée, voulant poser sa main sur mon bras ou mon épaule, puis se reprit et retourna dans sa réserve. Je ne lui laissais pas le temps de cogiter. Je passais une main autour de sa taille, l’autre tenait toujours ma valise, puis je posais un baiser sur sa joue d’abord, puis ses lèvres. Je la pris ensuite par la main, abandonnant la valise au milieu du salon et l’entraîna vers la chambre et le lit. Affaire réglée, glace brisée.
Le corps de Renata était parfait. J’aimais tout particulièrement ses petits seins et ses fesses magnifiques, mais aussi le léger duvet tout blond sur son pubis. Je crois que j’aimais tout finalement.
À un moment, ses jolis yeux chavirèrent et elle se mordit doucement la lèvre. Je voyais son ventre se durcir et les inspirations et expirations qui la secouaient firent se redresser sa poitrine. Elle se raidit. Le bruit de sa respiration était celle d’un animal, un félin bien sûr. Enfin, elle poussa un cri, puis un autre plus long et son corps se relâcha. Elle conserva les yeux fermés un bon moment, puis les ouvrit et me sourit. Nous sommes restées ainsi jusqu’à ce qu’elle ait un frisson léger. Je tirais le drap sur nous.
Elle fit « oui » de la tête contre mon épaule.
Nous étions toujours allongées l’une à côté de l’autre et je racontais à Renata les derniers rebondissements de notre affaire.
Avec son accent allemand, ça donnait quelque chose d’assez joli. Je me dis qu’elle n’était peut-être pas sans une certaine ressemblance avec Romy Schneider. Moins belle, mais tout aussi solaire. Elle me demanda :
Que dire de plus à ce sujet ? Je haussais les épaules. Mon portable sonna dans le salon. Je me levais pour voir qui m’appelait. Un numéro masqué. Je décrochais.
J’étais légèrement décontenancée. Que me voulait-elle ? Me tuer moi aussi ?
Elle raccrocha. Renata entra dans le salon, elle avait passé un peignoir qui lui arrivait à mi-cuisse, largement ouvert sur sa poitrine. Elle marchait pieds nus sur le carrelage du salon. Je me rendis compte de ma nudité, assise sur mon canapé. Peu importe, j’avais la flemme de bouger.
Renata hocha la tête. Je lui résumais l’appel de Shadow, et conclus par :
Nous avons débattu sur les intentions de Nelle. Renata ne lui faisait pas vraiment confiance. Moi plutôt. Si elle avait voulu nous supprimer, ce serait fait depuis longtemps. Ses objectifs rejoignaient les nôtres, elle le savait, je le savais aussi. Nous allier était une bonne chose. Je me reversais un verre, puis un autre. Renata refusa. Il allait falloir que je dorme une dizaine d’heures et surtout que je cesse de boire. Le dîner fut expédié et je m’endormis comme une souche. Les événements de ces derniers jours, les trajets en voitures, la tension nerveuse eurent raison de moi.
Quand je me suis réveillée, le soleil était déjà haut. Renata regardait un film avec Louis de Funès à la télé. Pas certaine qu’elle saisisse les subtilités de l’humour franchouillard, mais les mimiques de l’acteur avaient l’air de l’amuser.
Je me suis approchée d’elle et ai déposé un baiser sur son front. Puis je flattais le dos du chien, qui montra sa satisfaction en remuant la queue.
Pour confirmer cette affirmation, le chien se remit à remuer la queue. J’avais envie d’un café et d’une douche. J’entrais dans la salle de bain et fis tomber sur le sol la courte nuisette que je portais. Renata arriva derrière moi et me dit :
Voilà qu’elle était espiègle maintenant. Je n’avais pas été lavée par quelqu’un d’autre que moi depuis ma plus tendre enfance. Aujourd’hui, à l’âge adulte, cela ne pouvait que produire sur mon organisme les effets prévus. Pour accentuer le trouble qui m’envahissait, elle ajouta :
Elle faisait ça d’une manière extrêmement détachée. Cela augmenta évidemment la dose d’érotisme qui flottait déjà dans la pièce. On avait été rarement été aussi préoccupé de la propreté de mon anatomie, et de toute mon anatomie. Au savon succéda les caresses les plus précises.
La caresse devenait plus énergique. Mon anatomie plus que lavée et récurée eut des soubresauts de délice.
La matinée était bien avancée. Nous avons décidé d’aller déjeuner dans un restaurant à quelques kilomètres de chez moi. Renata avait décidé de s’empiffrer d’écrevisses avec de la mayonnaise. Pourquoi pas après tout. Je la regardais décortiquer ses crustacés et les avaler. Je me dis qu’elle était superbe en toutes circonstances. Même dans cette activité qui ne la mettait pas forcément en valeur.
Elle eut un petit rire, puis attrapa l’écrevisse suivante. Elle continua à manger pendant que le serveur la mangeait des yeux.
Je me dis que j’allais absolument devoir apprendre à Renata à se servir d’un pistolet automatique. Dans combien de temps allions-nous avoir les autres, tous les autres, sur le dos ? Quand Shadow, alias Nelle sera là, ça sera différent, ça équilibrera un peu les forces et augmentera notre puissance de tir.
Restait aussi le problème de son père. Il ne répondait plus au téléphone. Était-il mort, tué par Shadow ? Non, apparemment, Nelle avait saisi mon lien avec Renata. Cela avait dû lui faire épargner Von Hasselbach, même si elle voulait se faire toute la petite équipe. Les Russes, mécontents de voir l’affaire capoter ? La CIA décidée à faire un exemple pour tous les petits trafiquants de technologie ? Meier qui était en train de trahir tout le monde ? Dernière solution, il s’était mis à l’abri, comme j’avais tenté de le faire momentanément avec sa fille.
Helmut ? Ah oui, super-larbin certainement.
De temps en temps, même si elle parlait parfaitement le français, elle omettait un pronom relatif. C’était amusant et en ajoutait encore à son charme. Marre de ce romantisme à la noix ! Voilà que mon cœur en mousse me faisait à nouveau des siennes. J’étais manifestement en train de tomber amoureuse…
Elle inspira et expira. Sa poitrine fit un mouvement qui déprima un peu plus notre ami le serveur.
Je pressentais que nous allions avoir tout ce petit monde aussi sur le râble très prochainement, d’où mon intention d’apprendre à tirer à Renata. Meier, en particulier, qui avait déjà essayé de me tuer à Genève. Il avait compris que j’avais compris toute sa petite affaire.
Qui vivra verra… ou mourra…
FIN DE LA PARTIE 3