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18/05/25
Résumé:  Sept femmes, à travers les âges, lèvent les yeux vers deux colombes. Elles y voient un trouble, un désir, une vérité, un combat. De la peur à la fierté, cette fresque explore les étapes de l’acceptation de soi pour celles qui aiment des femmes. Une lutte.
Critères:  #article #psychologie #société #initiatique ff
Auteur : Maryse      Envoi mini-message

Projet de groupe : Une chanson, une histoire
Aile contre aile

La chanson Mujer contra mujer, interprétée en 1988 par le groupe espagnol Mecano, a marqué un tournant. En 1990, sa version française, Une femme avec une femme, fait connaître au public francophone une histoire d’amour entre deux femmes, un thème encore tabou à l’époque. Loin des clichés érotiques ou des fantasmes voyeuristes, elle évoque les colombes, les pierres, la morale, le secret… et la peur aussi. Une chanson douce et subversive, intime et politique, qui parle d’amour sans jamais hausser le ton. Une chanson qui m’a sensibilisée au droit à la différence, et au cheminement parfois douloureux de l’acceptation de soi.


Prise de conscience 1


Elle a douze ans. Elle ne connaît encore rien de l’amour, ni même du désir. Fille du châtelain, elle grandit dans un domaine clos, entre pierres et prières, où chaque jour commence par l’angélus. Elle ne sort que pour se rendre à l’église ou visiter d’autres familles de son rang, accompagnée de ses parents et de leurs domestiques, toujours sous le regard vigilant de sa chaperonne. On lui a appris à baisser les yeux, à répondre poliment à voix basse, à croiser les mains, son esprit s’ouvrant uniquement à l’étude des saintes écritures et des arts de la maison. Elle a compris que le monde est un chemin étroit, bordé d’interdits, sur lequel il vaut mieux ne pas s’égarer, sous peine de pécher contre la volonté divine.


Un matin, alors que le soleil d’automne perce à peine la brume, elle aperçoit deux colombes. Elles volent si proches qu’on croirait qu’elles partagent une seule paire d’ailes. L’enfant lève les yeux, fascinée. Quelque chose se serre dans sa poitrine. C’est doux et c’est fort à la fois. Ce n’est pas encore un mot, c’est une sensation. Une chaleur nouvelle qui la fait respirer autrement. Elle ne comprend pas pourquoi elle pense à Aude, la demoiselle de compagnie de sa mère, douce et si gentille, avec ses longs cheveux noirs tressés et son visage lumineux. Aussi gracieuse qu’une colombe.


Pourquoi, en voyant ces deux oiseaux dans le ciel, pense-t-elle à elle ? Ce n’est pas une pensée claire, encore moins une image interdite. C’est une dissonance discrète, une lumière rasante, un frisson d’avant les mots. Comme les deux colombes qu’elle contemple. Qui semblent vouloir voler ensemble sans vraiment oser le faire. Comme si une retenue invisible, absurde, les empêchait de s’élancer pleinement dans le ciel, comme si une loi sacrée le leur interdisait.


Confusion


Elle a seize ans. On l’a envoyée ici « pour la sauver ». Les mots sont tombés comme un couperet, sans appel. Elle ne sait pas de quel tort elle doit se faire pardonner, quelle faute elle doit expier. D’un regard trop long ? D’un rire trop longuement partagé ? D’une amitié trop tendre ? D’une émotion inconnue ? Elle ne comprend vraiment pas…


Les murs du couvent sont hauts, épais, gris et froids, comme la pierre des églises où l’on vient se repentir. Ici, on parle peu. On prie beaucoup. On refuse ce que l’on n’explique pas, et on punit ce que l’on soupçonne. Tout est silence, surveillance, suspicion. La vertu s’enseigne à coups de repentance et de solitude.


Un matin, en pliant le linge sec dans la cour, elle aperçoit deux colombes. Elles ne volent pas. Elles avancent à petits pas hésitants, sautillant peureusement sur le sol comme si le ciel leur était interdit. L’une d’elles s’éloigne un instant, mais l’autre la suit aussitôt, comme incapable de rester seule. Elle les observe, troublée. Une chaleur inquiète lui monte au visage. Elle se sent fautive de ressentir quelque chose – mais quoi, exactement ? Ce n’est pas clair.


Le souvenir de Clara revient sans qu’elle l’appelle. Sa voix douce, ses doigts fins lorsqu’ils effleuraient les siens pour corriger une couture. Et cette fois où leurs mains s’étaient frôlées trop longtemps. Tout en elle avait chaviré, sans comprendre pourquoi. Depuis, Clara a été châtiée. Elle, envoyée ici. La mère supérieure a parlé d’impureté, de danger pour son salut. On a prié pour ses errements.


Est-ce un péché ? Une erreur ? Une maladie ? Elle n’en sait rien. Cela la tourmente. Elle prie, elle désespère, elle se tait. On lui a dit que Dieu aime toutes ses créatures, mais elle ne sait plus si c’est toujours valable pour elle. On lui a dit qu’elle doit résister à la tentation, au Diable, qu’elle doit aussi implorer le pardon pour sauver son âme. Les confessions s’enchaînent, les pénitences s’allongent.


Les colombes s’éloignent dans la poussière du cloître. Elles ne s’envolent pas comme condamnées au sol par le ciel implacable. Mais elles ne s’éloignent pas, restant proches l’une de l’autre, obstinément. Comme si elles ne pouvaient rien faire d’autre. Elle détourne le regard. Son cœur bat trop fort. Une étrange douleur lui serre la poitrine, fait monter des larmes à ses yeux. Elle lutte pour ne pas pleurer. Elle ne doit pas flancher. Ici, ça aussi est suspect.


Comparaison


Elle a dix-huit ans. Fille de notaire, on l’a inscrite dans un pensionnat réputé pour sa rigueur, sa piété et son bon goût. Les jeunes filles y apprennent le piano, l’aquarelle, la diction, l’art de se tenir en société. On y lit Racine, on recopie des maximes de moralistes, on récite des poèmes sur l’amour vertueux, des chants d’église, des prières pour les âmes pures. Le mariage y est présenté comme l’aboutissement naturel d’une vie bien conduite.


Elle fait tout ce qu’on attend d’elle. Elle sourit, elle s’incline, elle lit les bons livres. Elle tient son journal, soigne sa calligraphie, veille à la justesse de ses révérences. Mais quelque chose grince à l’intérieur.


Un après-midi d’automne, dans le parc emmuré du pensionnat, elle s’installe sous un marronnier pour dessiner. Elle redresse le col amidonné de sa robe de pensionnaire, retire ses gants blancs avant d’ouvrir son carnet à croquis. Deux colombes traversent le ciel. Elles planent ensemble avec une lenteur étrange, comme si chacune cherchait dans l’autre la force de continuer. Ce vol à deux, cet accord fragile, est différent de celui des autres oiseaux. Elle le perçoit, elle le ressent en elle. Elle cherche à effacer cette sensation, à la repousser. Mais plus elle lutte, plus elle s’ancre en elle, tenace, insistante. Elle a honte de comprendre. Comme si percer leur secret faisait d’elle une traîtresse au monde qu’on lui a appris à honorer.


Ses doigts, comme mus par une inspiration étrangère, crayonnent à petits traits nerveux. Leurs silhouettes éthérées, presque fautives, surgissent dans l’enchevêtrement de lignes hachées. Entre ombre et lumière. Plus symbolique que figuratif. Une esquisse équivoque. Comme le vol des deux colombes. Ses pensées dérivent en contemplant son dessin.


Elle pense à Élise, la nouvelle. Au rire espiègle, à la voix enjouée. Elle a ce même éclat libre, un peu sauvage, qu’ont les deux oiseaux dans le ciel. Elle aussi semble voler à contre-courant. Elle revoit la façon dont elle s’est laissée tomber sur le lit en l’appelant « mon étoile », comme pour rire… mais pas tout à fait. Et cette drôle de chaleur qui a suivi. Cette comparaison involontaire qui revient sans cesse : pourquoi son cœur bat-il ainsi quand Élise lui sourit ? Pourquoi pas avec Pierre, le garçon si poli à qui ses parents la destinent ? Un bon parti, lui ont-ils assuré. L’amour viendra après le mariage, répètent les dames de l’institution avec une conviction paisible. Elle devrait penser à son promis. S’efforcer de le chérir. Comme une fille de son rang doit le faire. Tout le monde le dit. Il est bien sous tous rapports, il fera un bon mari.


Mais ce n’est pas lui qu’elle voit quand elle ferme les yeux.


Elle pense qu’elle exagère. Que cela va passer. Que ce n’est qu’un trouble d’adolescente, un manque d’affection, une admiration un peu vive. Une phase. Une faiblesse. Une exagération. Elle essaie de s’en convaincre. Mais malgré ses efforts, cela ne s’estompe pas. Au contraire.


Pourtant, dans le ciel, les colombes tournent encore. Elles volent ensemble comme si cela allait de soi.


Elle baisse les yeux. Elle a honte de les comprendre. Elle a mal.


Tolérance


Elle a vingt-quatre ans. La capitale est grise, tendue, surveillée. Les pavés résonnent sous les bottes allemandes, les tramways grincent au pied des immeubles haussmanniens, certaines personnes affichent des étoiles jaunes. Les vitrines des magasins sont recouvertes d’affiches de propagande. Il y a les alertes, les tickets de rationnement, les papiers à vérifier. Et les silences. Les dénonciations. Il faut se méfier, passer inaperçue. Ne jamais attirer l’attention.


Elle fait partie de celles qui se fondent dans la masse. Qui ne posent pas de questions. Qui sourient avec mesure, qui saluent d’un signe de tête. Elle tape à la machine dans un bureau administratif, elle donne ce qu’on attend, ni plus ni moins. Elle fait son travail. Elle est invisible.


Mais certains soirs, elle rejoint un petit appartement au sixième étage, sans ascenseur, derrière une porte aux peintures écaillées. Là, elle retrouve Jeanne. Elles ne nomment rien, n’en parlent à personne. Mais elles se retrouvent clandestinement chaque fois qu’elles le peuvent. Elles boivent un peu de vin rouge, elles rient à voix basse, elles écoutent des disques sur un vieux tourne-disque à manivelle qui crachote, pour oublier un moment le monde oppressant qui les étouffe. Parfois, elles s’endorment face à face, se tenant amoureusement la main, leurs pieds nus gainés de bas se cherchant tendrement.


Un jour, alors qu’elles prennent le risque d’une promenade sur les quais, malgré les patrouilles, elles lèvent les yeux en même temps. Deux colombes volent en arc au-dessus de la Seine. Le ciel est bas, mais elles volent haut. Ensemble. Visibles.


Elle sent sa gorge se serrer. Ce n’est pas encore de la fierté, mais ce n’est plus tout à fait de la peur. C’est quelque chose d’intermédiaire. De fragile. Une trêve. Elle se dit que peut-être, ce qu’elle ressent n’est pas une faute. Que peut-être ce qu’elle vit a le droit d’exister, même s’il faut se cacher pour le préserver. Même si dehors, tout hurle le contraire.


Elle ne le dira pas. Pas encore. Mais elle se laisse aller contre Jeanne, discrètement, et celle-ci entremêle les doigts aux siens sous le manteau.


Les colombes tournent dans le ciel. Et elle n’a plus honte de les contempler, ni de les comprendre.


Acceptation


Elle a vingt-huit ans. La vie est en ébullition, entre révoltes et espoirs, malgré la récession économique et le choc pétrolier. Le MLF prend de l’ampleur. C’est l’année internationale de la femme, un moment de luttes et de bouleversements. Les rues vibrent des voix des manifestants de tout sexe, des slogans scandés contre le patriarcat, contre l’ordre ancien. On y crie « À bas le fascisme », « Franco assassin », et mille autres cris de colère. Parfois, les manifestations dégénèrent : on casse des vitrines, les forces de l’ordre répriment brutalement. La loi sur l’IVG vient d’être promulguée, et pourtant, il reste tant à faire. On parle de liberté, d’égalité, mais derrière les portes closes, à l’abri des regards, il reste tant de tabous, tant d’inégalités imposées au soit-disant « sexe faible ».


Elle milite pour les droits des femmes. Elle n’a plus peur. Elle revendique son droit d’aimer. Il lui a fallu du temps. Elle a aimé en secret, douté, pleuré, fui. Elle s’est menti, elle a prétendu, elle s’est détestée parfois. Mais maintenant, elle sait. Elle est lesbienne. C’est un mot qu’elle prononce en entier, sans baisser les yeux. Un mot comme un poing levé. Mais un mot aussi doux et brûlant que les baisers qu’elle échange avec celle dont elle est amoureuse. Elles se battent pour leurs droits.


Ce jour-là, elle marche sur les quais. La Seine bruisse lentement à ses pieds. Il y a peu de monde. Une femme l’attend, assise en terrasse, la guettant avec impatience, un café à la main. Mais elle prend une seconde. Elle lève les yeux vers le ciel.


Deux colombes. Hautes, libres, rapides. Leur vol est sûr, précis. Elles ne rasent plus le sol. Elles n’hésitent plus. On dirait qu’elles savent où elles vont, et qu’elles y vont ensemble.


Elle sourit. Elle ne les envie pas. Elle leur ressemble. Ce qu’elle ressent n’est plus un trouble. C’est un feu clair, qui brûle juste.


Elle avance. Son regard se lie à celui de celle qu’elle aime. Elle prend sa main, sans rien cacher. À la vue de tous. Elles marchent ensemble, dans le jour.


Et derrière elles, les colombes filent, virevoltent, portées par le vent.


Fierté


Elles marchent. Pas à pas, épaule contre épaule, elles avancent au cœur de la foule. Le bitume résonne sous les pas, les tambours, les cris de joie. Le 28 juin 1997, Paris est arc-en-ciel. La marche des fiertés de l’Europride a commencé.


Il y a quinze ans à peine, elles risquaient encore l’outrage à la pudeur pour un baiser volé. Quinze ans à peine que l’homosexualité a cessé d’être un délit. Les fiches de police ont été détruites, mais les regards, eux, mettent plus de temps à changer. Pourtant aujourd’hui, elles ne se cachent plus.


Elles brandissent des pancartes, des drapeaux, des slogans écrits à la main. Sur certaines, les noms de celles et ceux qu’on n’a pas pu sauver. Sur d’autres, les mots qu’on leur a crachés au visage et qu’elles ont retournés comme des armes : « gouine », « pédale », « honte ». Aujourd’hui, ce sont des cris de fierté.


Elle a trente-deux ans. Elle a mis ses bottes rouges, un débardeur noir qui dit « Mes désirs font désordre », et un bandeau arc-en-ciel autour du poignet. Elle marche, danse presque. Entourée. Portée. Elle a longtemps eu peur d’être trop, maintenant elle refuse d’être moins.


À ses côtés, sa compagne tient une pancarte faite à la main : « Les sorcières sont toujours là et nous nous aimons au grand jour ». Elles s’embrassent sans se cacher. Et autour d’elles, les bras se lèvent, en écho, en offrande. Quelques larmes brillent, mêlées aux paillettes. Leurs mains entrelacées sont un manifeste. Elles n’excusent plus ce qu’elles sont. Elles célèbrent.


Un instant, elle pense à celle qu’elle était. Celle qui écrivait en secret des lettres jamais envoyées. Qui taisait ses désirs dans des carnets cachés sous l’oreiller. Celle qui avait cru, un temps, devoir choisir entre être vraie ou être conforme. Elle lui sourit, doucement, mentalement : « Regarde où on est, maintenant. »


Au-dessus du cortège, le ciel est vaste et bleu. Et là-haut, deux colombes. Blanches, éclatantes, ivres de ciel. Elles ne fuient plus, elles ne se camouflent pas. Elles dansent à pleine hauteur. Elles tournent autour du soleil. Elles s’élèvent.


Elle les voit. Elle rit. Elle lève les bras. Et crie, sans retenue :



Et la foule répond. Chaleureuse. Inarrêtable.


Les colombes tournoient encore, au rythme du tambour et des slogans. Ce n’est plus un combat, c’est une fête. Ce n’est plus un secret, c’est une célébration. Celle de la liberté d’aimer.


Synthèse


Elle a quarante ans. Elle vit au bord d’une rivière, dans une maison blanche aux volets bleus. Elle enseigne l’histoire dans un petit lycée de province. Les élèves l’aiment bien. Elle est patiente. Et précise. Elle a cette douceur calme qu’on acquiert à force d’avoir traversé des tempêtes.


Elle vit avec sa compagne depuis quinze ans. Elles se sont mariées en 2013, non seulement parce qu’elles s’aiment, mais aussi pour célébrer un droit enfin accordé, une promesse au grand jour. Faire la fête pour partager leur bonheur, aussi. Leurs photos sont là, sur les étagères, à côté des livres. Elles ont une fille, aussi. Une enfant de onze ans, précoce, qui s’acharne à lire Virginia Woolf sans tout comprendre, mais avec la volonté farouche d’être aussi à la page que ses deux mères. Elle lève les yeux au ciel quand on lui raconte, encore une fois, comment elles se sont embrassées sous la pluie. Ce n’est plus un secret, ce n’est plus un sujet. C’est une histoire, une parmi tant d’autres qui a forgé le présent. Mais demain, l’avenir appartient aux suivantes.


Un matin, en ouvrant les volets, elle les aperçoit.


Deux colombes. Posées, non plus fuyantes ni tremblantes, mais tranquilles. Sur le rebord du toit. Elles ne volent pas. Elles marchent. Ensemble. Dans la lumière du jour. Ailes repliées. Inséparables.


Elle sourit.


Elle pense aux autres. À celles d’avant. Celles qui ont fui, celles qui ont aimé dans le silence, dans la honte, dans l’ombre, mais qui ont forgé l’espoir et rendu possible ce moment. Celles qui ont porté leurs désirs comme on porte un fardeau ou un flambeau. Elle les remercie en silence.


Et elle dit doucement, pour elle-même : « Elles n’ont plus besoin de voler au ras du sol. »


Elle referme les volets, mais le jour est déjà là. Un jour de liberté. Dedans. Partout.


Épilogue


Deux colombes fendent le ciel, aile contre aile. Elles planent à l’unisson, ne laissant aucun souffle d’air se glisser entre elles.


Maintenant, elles sont libres de s’aimer… enfin, presque.


Il n’en a pas toujours été ainsi, elles le savent. Leur vol ne date pas d’hier. Avant, elles ne pouvaient se montrer, ni s’élever, clouées au sol — parfois même au pilori — pour avoir aimé. Pour s’être regardées trop longtemps. Pour avoir refusé la norme. Pour avoir espéré être heureuses, tout simplement.


Elles ont fui tant de villes, traversé tant de siècles, bravé tant d’interdits, essuyé tant de condamnations.


Elles ont d’abord aimé sans nom, sans voix, sans droits. Et pourtant, elles ont vraiment aimé contre vents et marées. Aimé à s’en brûler, à en dépérir, à en perdre la foi, la raison… et parfois, à en mourir.


Mais toujours, d’autres après elles ont pris la relève, fortes de la détermination, du courage, des sacrifices de leurs sœurs. Femme après femme, elles ont résisté. Elles ont continué leur marche en avant, se relevant sans cesse, affirmant leur amour sincère et légitime.


Chaque battement d’ailes porte le souvenir poignant des amours niés, des désirs interdits, des vies brisées.


Grâce à toutes celles qui ont regardé sans pouvoir dire. À toutes celles qui ont dit sans être entendues. À toutes celles qui ont aimé, malgré tout, contre tout.


Leur plumage n’a pas toujours été blanc, mais longtemps couvert de cendre. Celle des lettres interceptées, brûlées avant d’être lues. Celle des caresses arrêtées net, avant d’être châtiées. Celle des vies rayées d’un trait de plume administrative.


Et aujourd’hui, les colombes volent dans la lumière. Elles n’ont plus besoin de fuir. Elles n’ont plus besoin de se faire toutes petites pour passer inaperçues. Elles avancent, côte à côte, suivant, consolidant la voie tracée par l’abnégation de tant de femmes.


Chaque amour visible est un hommage. Chaque main tenue est une victoire. Chaque baiser donné sans peur est un accomplissement. Un hommage à la vie.


Et parfois, dans la rue, dans une voiture, dans une chambre, une chanson surgit… Et dans sa mélodie, dans ses mots simples et vrais, le monde entier retient son souffle :


« Une femme avec une femme »


Comme un cri devenu murmure, puis chant, puis élan porté par des milliers.


Chaque chanson, une exhortation.


Chaque refrain, une promesse : plus jamais elles ne voleront effrayées, pourchassées, ou seules.


Et si ce n’est pas encore vrai partout… Rien, ni personne les empêcheront de continuer. De s’aimer. De voler. Ensemble. Par le monde.



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1. Note sur les six phases de l’autonomisation lesbienne


Ce récit s’inspire du modèle de Vivienne Cass, chercheuse en psychologie, qui a proposé en 1979 un schéma en six étapes pour décrire le processus d’acceptation de l’identité homosexuelle. Ce modèle, bien que perfectible et ancré dans son époque, reste fondateur pour penser le cheminement intérieur de nombreuses personnes LGBTQIA+. Je me suis permis d’en rajouter une préalable au six initiales.


Le texte « Aile contre aile » transpose ces sept phases à travers sept femmes, sept époques, sept regards posés sur un même vol de colombes. Chaque tableau incarne une étape :


1. Prise de conscience (ajoutée en amont du modèle de Cass) : quelque chose vibre pour la première fois, sans nom, sans forme.

2. Confusion : ce ressenti trouble l’ordre établi ; il n’a pas sa place.

3. Comparaison : la sensation persiste, s’intensifie ; l’esprit cherche des repères pour comprendre ce qui diffère.

4. Tolérance : on commence à accueillir ce sentiment, tout en l’enfermant encore dans le secret.

5. Acceptation : l’amour devient réel, assumé, malgré les risques.

6. Fierté : l’identité s’affirme, ouverte, forte, visible.

7. Synthèse : l’orientation sexuelle n’est plus un fardeau ni un combat, mais une part fluide de soi, en paix.


Chacune de ces femmes regarde le ciel, mais aussi son propre reflet à travers ce vol fragile et courageux. Leurs histoires ne sont pas isolées : elles font écho à des millions d’autres, silencieuses ou bruyantes, discrètes ou flamboyantes. À travers les siècles, elles tissent un même fil, une même quête.


Car aimer librement, pour une femme qui aime une femme, n’a jamais été un simple fait. Cela a été, et reste même aujourd’hui un acte de courage. Une résistance intime. Une victoire difficile, progressive, bout par bout. Une rébellion contre les normes. Un hymne à la vie, aussi.


À l’image de la chanson de Mecano qui a inspiré ce texte, chaque chanson est un nouvel élan. Chaque histoire, une aile qui se déploie. Et chaque amour vécu, une liberté conquise.




Mecano - Une femme avec une femme

https://www.youtube.com/watch?v=nG1fWSxSqBI