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Temps de lecture estimé : 28 mn
01/11/07
Résumé:  Marthe Rougier est invitée à dîner par la comtesse Desgranges. Un moyen de resserrer son emprise maléfique sur Saint-Amant et d'influencer le destin. Louis se rend chez Claire et lui confie un lourd secret.
Critères:  fh fagée extracon bizarre campagne amour humilié(e) vengeance nonéro mélo sorcelleri -fantastiq -amourdram
Auteur : Musea      Envoi mini-message

Série : Les sorcières de Saint Amant

Chapitre 05
Complot et secrets

Décidément, la magie a du bon, pensa Marthe Rougier en soulevant le rideau de la fenêtre de sa cuisine et en apercevant la longue voiture noire du château se garer devant sa porte. La vieille femme venait de terminer un rituel pour contacter son filleul et voilà que le chauffeur de la mère de ce dernier venait la chercher. Elle ouvrit la porte avant même qu’il frappe et sourit en l’écoutant :



L’homme s’inclina et attendit près du véhicule. Il n’aimait pas cette vieille femme dont il soupçonnait la méchanceté et la haine depuis longtemps. Mais sa patronne, depuis son veuvage, semblait la tenir en haute estime. Alors, aussi souvent qu’elle l’exigeait, Germain venait chercher Marthe Rougier pour la conduire au château.


Il lui ouvrit la porte arrière de l’automobile, attendit qu’elle soit installée confortablement et referma la porte sur elle. Puis il démarra. Madame la comtesse avait précisé que le dîner serait servi à vingt heures. Il s’agissait de ne pas être en retard. Le château des Desgranges n’était qu’à deux kilomètres de Saint-Amant. Château était un bien grand mot car en fait, plus que d’une noble demeure, il s’agissait d’une maison bourgeoise construite à la fin du siècle précédent par le grand-père de l’actuel héritier. Mais la plupart des gens du pays, au regard de ceux qui y vivaient l’appelaient « le château ». Et Marthe n’était pas peu fière d’y être régulièrement admise.


Tout avait commencé à la mort du comte Desgranges. Il laissait une veuve encore jeune et belle, mère d’un fils de sept ans à la santé délicate, Olivier, pourvu d’un caractère emporté, à la fois capricieux et taciturne. La jeune femme, ayant perdu son mari de la grippe espagnole, craignait pour son fils. Elle le garda près d’elle, le fit instruire par un précepteur et l’entoura de tous les soins possibles. Particulièrement attentive à sa santé, elle faisait venir régulièrement le médecin pour examiner l’enfant. Un beau jour, au retour de l’office du dimanche, Olivier contracta la rougeole. Le médecin n’étant pas disponible immédiatement, la cuisinière suggéra à la comtesse d’appeler une sorcière de Saint-Amant, Marthe Rougier. Celle-ci accourut au chevet de l’enfant, réussit à calmer sa fièvre et lui donna les meilleurs soins en attendant l’arrivée du médecin. La comtesse, bien que réticente eu début, fut conquise.

Dès lors, elle eut recours à Marthe aussi souvent qu’elle ou son fils furent malades. En échange, Marthe demanda qu’Olivier lui rende visite. C’est ainsi qu’elle l’initia à la sorcellerie. L’enfant était doué, il apprenait facilement. Très vite, non seulement il s’intéressa à la magie blanche, mais surtout à la noire pour laquelle il se passionna. À l’âge de douze ans, il jetait ses premiers sorts contre deux enfants du village qui s’étaient moqués de lui. Les frères Montfort eurent quelques jours plus tard un accident en ramenant la charrette des fenaisons. Le cheval s’emballa brusquement et les projeta dans un fossé. L’un d’eux eut une grave fracture qui le laissa boiteux, l’autre un traumatisme crânien avec un œdème cérébral qui l’emporta quelques jours plus tard.


Pour Marthe ce fut un signe du destin. Elle décida en grand secret de l’élever comme son disciple. Elle fit jurer le silence au jeune garçon et lui apprit la quasi totalité de ce qu’elle savait. Elle s’émerveillait de sa docilité, de sa patience et de la rapidité de son apprentissage. Non seulement il était brillant, mais il allait pouvoir lui succéder au village. Sa position sociale lui assurerait un pouvoir plus grand que jamais elle n’aurait pu rêver.


Dans la voiture, Marthe se remémorait les dernières années et les victoires qu’Olivier lui avait apportées depuis qu’elle l’avait pris comme élève. À croire que tous ses efforts pour régner sur le village étaient, grâce à sa présence, couronnés de succès. Seul point noir dans leur association, le jeune garçon s’était entiché de la petite Dupuy, la fille unique de sa rivale. Mais elle avait rapidement compris quels avantages elle pourrait tirer de cette toquade. Et ce soir, plus que jamais, elle saurait utiliser la passion du jeune homme pour servir sa cause.


Elle sourit, tandis que la voiture franchissait le portail. La comtesse l’attendait sur le perron, triturant avec impatience son sautoir en perles. Ses grands yeux bleus semblaient fiévreux et ses traits tirés, accentués par un chignon blond remonté haut sur le crâne, trahissaient une vive inquiétude.



Madame Desgranges s’avança, prit la main de la vieille dame et l’aida à sortir de la voiture avant de glisser son bras sous le sien et de l’entraîner à l’intérieur de la grande maison.



La comtesse se troubla, comme une pensionnaire de couvent prise en défaut d’indiscipline.



Lucie Desgranges sursauta, choquée.



Marthe soupira.



Lucie Desgranges pinça ses lèvres en un rictus fâché, et ses yeux bleus prirent une teinte sombre. L’impertinence de Marthe Rougier lui déplaisait souverainement. Elle avait l’impression en sa compagnie de redevenir une enfant qu’un adulte se plait à sermonner. Mais elle restait fascinée par cette femme qui possédait un pouvoir particulier de vision des évènements et de sorcellerie. Grâce à elle, son fils n’avait jamais eu à craindre pour sa santé, et il avait trouvé en Marthe une grand-mère plus affectueuse que celles qui l’étaient officiellement. Et pour elle, la sorcière était une confidente discrète et une aide précieuse dans ses amours secrètes. Marthe ne la jugeait pas mais la conseillait avec une sollicitude presque maternelle, lui évitant les blessures, les regrets, l’aidant par quelques philtres magiques. Et de tout cela, Lucie lui en était reconnaissante. Elle ne pouvait pas oublier tout ce que la vieille femme avait fait pour elle et pour Olivier. Alors elle remisa sa colère, coupa court la conversation en se dirigeant vers la salle à manger, invita la vieille dame à s’installer et fit servir le potage. La sorcière sourit, comprit qu’elle avait été un peu loin mais ne voulut pas s’avouer vaincue. Elle attendit le service des hors d’œuvres et comme si de rien n’était continua la conversation :



La comtesse soupira.



Marthe sourit.



La comtesse considéra un moment la sorcière avec mépris et répondit sèchement :



Marthe serra les lèvres. La contre-attaque de la comtesse était rude, à la hauteur de la blessure qu’elle lui avait infligée. Aussi, elle répliqua d’un ton agressif :



Une fois de plus, la comtesse avait visé juste. Marthe eut un rictus nerveux mais réussit à se dominer. Elle répliqua :



Marthe sourit. Elle connaissait depuis longtemps la passion du jeune homme. Et voici quelques années, elle l’avait même encouragée par quelques conseils avisés. Une revanche prise sur l’orgueil de Lucie Desgranges mais aussi et surtout sur les revers passés que lui avaient fait subir Rose, la mère de la jeune Claire. Malicieuse, elle répondit avec aplomb :



Lucie Desgranges ne répondit pas et se concentra sur la crème caramel que Gilberte, la servante, venait de déposer devant elle. Elle ne voulait pas se couper l’appétit devant son dessert favori. Et surtout elle refusait l’idée de Marthe, même si elle reconnaissait les avantages d’une telle union. Elle soupira, perdue dans ses réflexions. Elle voulait le bonheur de son fils, certes, mais un bonheur qui correspondrait à l’idée qu’elle s’en faisait : celui d’un jeune noble moderne, pourvu d’une profession avantageuse et dont la vie privée respecterait la tradition, à savoir se marier selon son rang, assurer la perpétuité du nom, garder, enrichir et transmettre le domaine familial.


Ce n’était pas Claire Dupuy, paysanne, fille de pendu et de sorcière qu’elle imaginait pour cette destinée, mais une jeune femme fortunée et cultivée de la bonne bourgeoisie auvergnate. Et si Adélaïde Chambon n’était pas le parti idéal, elle se sentait prête à écumer Issoire ou Brioude pour trouver celle qui conviendrait à Olivier. Elle imaginait déjà une jolie jeune fille, pas trop citadine mais aimant la bonne compagnie et les jolies choses, souriante et élégante dans la robe de mariée avec le long voile de dentelle qu’elle-même avait porté…


Le téléphone sonna pour la distraire de ses visions et bientôt Mariette, la femme de charge vint prévenir la comtesse que son fils la demandait. Lucie sourit, s’excusa auprès de son invitée et s’empressa de rejoindre le petit salon pour prendre la communication.



Lucie Desgranges hésita. Elle ne voulait pas donner ce plaisir à la vieille femme qui l’avait rabaissée un peu plus tôt. Mais ne voulant pas contrarier son fils, elle répondit :



Marthe sourit en voyant la comtesse venir à elle. Elle savait déjà ce que Lucie allait lui proposer. Elle se leva, prit sa canne, se dirigea vers le petit salon dont elle referma la porte, s’empara du combiné rapidement et c’est avec entrain et émotion qu’elle s’écria :



Lorsqu’elle raccrocha, Marthe sourit. Dès son retour chez elle, elle pratiquerait un rituel qui aviverait le désir de Lafargue et entamerait la résistance de Claire. Il fallait que la jeune fille ne soit pas en mesure de résister le soir où elle reverrait Olivier Desgranges. Il lui fallait un initiateur en matière de sensualité et même si Marthe n’aimait pas les manières du luthier Lafargue et le jugeait dangereux, elle estimait que son tempérament libertin ferait l’affaire sur cette enfant peureuse. Elle le manipulerait à distance, à son insu. Elle n’aurait qu’à reprendre la formule qui avait fonctionné autrefois sur Bertrand Bergheaud et tout se déroulerait selon ses plans.


Avant de retrouver la comtesse, elle fixa avec cruauté la lampe Tiffany posée sur le guéridon, avant de murmurer :



oooo00000oooo



Le lendemain après-midi, alors que l’orage grondait sur la colline et qu’un déluge inondait la cour, clouant la jeune fille à l’intérieur, Claire entendit frapper à sa porte. Pensant qu’Anita venait la voir, elle ouvrit le loquet et se retrouva face à Louis, trempé et grelottant, ses cheveux ruisselants inondant sa veste.



Sans lui laisser le temps de répondre, il pénétra dans la petite maison. Dehors, le tonnerre claquait les désordres du ciel et une pluie lourde frappait contre les tuiles du toit. Claire, figée par la surprise, fixait le luthier d’un air hagard. L’homme semblait triste, et il regardait la jeune fille d’un air douloureux :



Louis l’arrêta :



Le luthier sourit.



Claire lui rendit son sourire. Elle prit la cafetière qu’elle laissait toujours sur un coin de la cuisinière et versa le moka brûlant dans un mazagran, avant d’y ajouter un peu de cannelle. Croisant le regard étonné de Louis, elle crut bon de préciser :



Claire le regarda sans comprendre.



Claire, blême, l’écoutait sans l’interrompre. Son cœur battait très fort.

Louis avala une gorgée de café, soupira et se racla la gorge.



Claire porta la main à son cœur, submergée par l’émotion :



Louis hocha la tête.



Claire, pâle comme un linge, s’appuya à la table avant de s’écrouler sur une chaise de paille.



Des larmes montèrent aux yeux de Claire :



La jeune fille, atterrée par cette révélation, fondit en larmes, cachant son visage dans ses mains. Louis, bouleversé, se leva pour la consoler et, l’attirant à lui, la prit tendrement dans ses bras.



Claire secoua la tête et se dégageant à demi de l’étreinte du luthier elle écrasa ses larmes et répondit :



En fait si je comprends bien ce que vous me dites, tout ce que je croyais était faux, et je n’ai rien su ! Et pourtant, j’ai dû vivre avec cette histoire… J’ai dû affronter toute la méchanceté et la haine, toutes les difficultés. Quel gâchis, mon Dieu ! Je n’ai pas voulu d’une telle jeunesse ! Ah non, je n’ai pas voulu tout ça. J’avais rêvé d’une vie simple, studieuse mais aussi aimante auprès de mes parents. Et ensuite pouvoir choisir vraiment ce que je voulais faire. Me sentir exister… Au lieu de ça, tout s’est effondré autour de moi. Et j’ai dû serrer les dents, les poings, ravaler mes larmes et garder la tête haute. Pour la famille, pour l’honneur. Pour tout ce qu’ils avaient construit et qu’il ne fallait pas perdre, pour prouver que je pouvais le faire…



Claire sourit à travers ses larmes.



Louis regarda la jeune fille avec émotion. Cette simple remarque le touchait au delà de toute expression. Il resserra son étreinte et murmura, le nez dans ses cheveux :



Ma mère à l’inverse était plus renfermée, tout chez elle était mûrement réfléchi, pesé avant d’être formulé. Votre mère, tellement spontanée, était un rayon de soleil. Et j’étais heureux quand elle venait chez nous, car mon père n’était plus aigri : il souriait. Il se laissait enfin vivre. Ce que je n’ai pas admis pendant longtemps, c’est d’avoir été chassé comme un malpropre, dépossédé de mon héritage sur de fausses rumeurs. C’est pour cela que j’ai attendu si longtemps avant de revenir. Il fallait que je fasse le deuil de ma famille, que je construise ma vie sur d’autres bases, que je prenne le temps de pardonner à mon père, de me vider de ma colère contre lui, de me prouver que je pouvais exister sans lui et revenir sans rien lui devoir. J’ai réussi. Quand je vous ai revue sur la place du marché, j’ai été frappé par votre ressemblance avec votre mère. Malgré vos vêtements vieillots, votre visage fermé, c’était elle qui était là devant moi et d’un seul coup j’ai compris ce que mon père avait ressenti pour elle. J’ai compris qu’il n’avait pu résister à des yeux comme les vôtres, à cette sensualité que vous avez dans le moindre de vos gestes, à cette douceur, à cette féminité…

Claire, je sais que je vous ai paru abrupt la première fois que je vous ai parlé, mais j’ai rarement désiré une femme comme je vous désire. Non, je vous en prie, ne dites rien, laissez-moi terminer ! Ce qui me trouble le plus quand je vous vois, c’est que je ne vous veux pas seulement pour le plaisir de quelques étreintes, je vous veux entièrement, complètement, définitivement. Je veux que vous soyez ma femme, la mère de mes enfants. Vous êtes celle avec qui j’ai envie de vieillir. Et je sais, je sens depuis le début que je ne vous déplais pas, vous avez seulement peur de vous laisser aller et du qu’en-dira-t-on. Mais vous ne devez pas céder à cette peur, Claire ! Parce que jamais je ne permettrai qu’on vous salisse comme vos parents ont été salis, comme je l’ai moi-même été injustement. Vous n’êtes ni une sorcière ni une maudite condamnée à la solitude parce que votre père s’est pendu, vous êtes seulement la femme que j’aime et que je veux rendre heureuse. Vous avez droit au bonheur, Claire… Ne le laissez pas passer à cause d’un évènement dont vous êtes innocente !


La jeune fille soupira. Elle tremblait dans les bras de Lafargue, anéantie par tout ce qu’il lui avait dit. Il l’avait si bien devinée qu’elle n’osait pas répondre. Elle essuya les quelques larmes qui s’attardaient encore sur ses joues et repoussa doucement l’homme qui l’enlaçait. Puis elle se dirigea vers la fenêtre et, constatant que l’orage s’était éloigné, elle l’ouvrit pour faire rentrer une bouffée d’air frais. La tête lui tournait un peu, comme au sortir d’un manège de chevaux de bois. Louis vint la rejoindre, posa un châle sur ses épaules et murmura :



Louis entoura ses épaules de son bras et répondit :



Claire sourit et prit la main que l’homme lui tendait. C’était touchant de voir le luthier tenter de la dérider. Elle le suivit jusqu’au bord du pré en serrant le châle contre elle. L’arc irisé était d’une forme parfaite, et ses couleurs éclatantes sous les rayons de soleil.



Louis sourit et baisa la main de sa compagne :



Et, malicieux, il ajouta :



Claire pouffa :