Un peu plus tard, Claire et Louis dînaient pour la première fois en tête-à-tête. Cette intimité nouvelle, presque inattendue, les rendait timides et gauches. Le silence s’installa sans qu’aucun d’eux n’éprouve le besoin de le briser. Savourer ce moment leur suffisait. Ils mangeaient lentement, se souriant de temps à autre avant de prendre une bouchée. Le temps leur semblait suspendu. Lorsque Claire se leva pour débarrasser la table, Louis attira la jeune fille près de lui et lui dit d’une voix rauque :
- — Je n’ai pas envie de vous quitter maintenant. Mais peut-être voulez-vous être seule ? Tout à l’heure, vous n’avez pas répondu à ma déclaration. Je sais qu’elle vous a embarrassée, mais j’ai besoin de savoir, avant de retourner au village, si votre cœur se refusera toujours à moi.
Claire baissa les yeux et répondit doucement :
- — Louis, laissez-moi encore du temps ! Je ne me sens pas prête à affronter les commérages qui ne manqueront pas, dès que l’on vous verra avec moi. Je commence seulement à me faire respecter, à gagner ma vie, et je ne veux pas risquer de perdre le fruit de mes efforts, comprenez-le.
- — Je comprends tout à fait. Je ne veux pas que l’amour que je vous porte soit cause de renoncement professionnel ou d’opprobre social supplémentaire. D’ailleurs, je ne vous propose pas de passer le quatorze juillet au village. J’aurais dû vous le préciser dans ma lettre, mais j’ai fait vite, comme toujours. Je pensais vous emmener à Brioude. Là-bas, personne ne nous connaît ou presque. Vous n’aurez pas à redouter les méchancetés et je pourrai vous courtiser comme je l’entends.
La jeune fille, émue, ne répondit pas. Le luthier caressa doucement la main qu’il tenait entre les siennes et questionna dans un murmure :
- — Dois-je prendre votre silence pour un oui ?
Claire rougit.
- — Je ne sais quoi vous répondre…
Louis se leva et enlaça tendrement ses reins. Puis, avec une infinie douceur, il approcha sa bouche de celle, tremblante, de la jeune fille.
- — Je crois qu’il est temps de nous parler plus intimement, glissa-t-il.
Il posa alors un chaste baiser sur les lèvres de sa compagne et lui ouvrit la bouche de sa langue. La jeune fille gémit à ce contact, tandis que se prolongeait le baiser humide et voluptueux, faisant battre très fort son cœur. Louis resserra son étreinte, attirant le jeune corps contre le sien, lui faisant épouser le désir qui montait en lui avec une intensité qui le faisait trembler. Claire, sous les caresses conjuguées de la bouche et des mains de l’homme, avait fermé les yeux. Quand elle les rouvrit, elle rencontra le regard bleu de Louis, presque dur tant il était passionné et elle comprit l’étendue du désir qu’elle lui inspirait. Instinctivement, elle eut un geste de recul mais le sourire ému du luthier la retint dans les bras de celui-ci.
- — N’ayez crainte, ma chérie, je ne pousserai pas plus loin mon avantage ce soir, même si j’en ai très envie. J’ai cueilli sur vos lèvres une bien jolie réponse et je vous ai fait l’aveu que je m’étais promis. Cela est suffisant. Il est tard et je vais vous laisser dormir. Mais avant, prêtez-moi s’il vous plaît, un mètre ruban. J’aimerais que la robe blanche soit prête jeudi prochain.
Claire alla chercher l’objet dans le tiroir du buffet et le tendit à son invité qui prit ses mesures et les nota sur un carnet qu’il semblait avoir toujours dans sa poche. Ensuite, de nouveau, Louis attira la jeune fille à lui dans un baiser si tendre qu’elle en fut bouleversée. Émue, elle tenta d’y répondre, ce qui eut pour effet d’intensifier la passion de l’homme. Au bout des longues minutes de cette étreinte, ce fut Louis qui la repoussa.
- — Doucement. Ne poussons pas plus loin ce jeu, mademoiselle ! Je ne suis pas de bois et si vous m’encouragez ainsi, je serai contraint de vous mener demain matin devant le maire.
Claire, à ces mots, rougit jusqu’aux yeux. Louis sourit, caressa à deux mains le visage de la jeune fille et continua :
- — Mon plaisir serait grand, certes, mais le vôtre incomplet. Je veux, pour qu’il soit parfait, vous faire partager les délices de l’attente, de la lente montée du désir, je veux prendre le temps de vous initier, et cela nécessite un apprentissage, des leçons charmantes dont je veux profiter le plus longtemps possible. Aussi, jeune dame, je vais prendre congé jusqu’à demain. Réservez-moi votre soirée, nous ferons plus ample connaissance.
Joignant le geste à la parole, il baisa la main de sa compagne, attrapa sa veste et disparut dans le couchant. Claire, encore émue, rassembla les assiettes et les couverts restés épars et, après une courte vaisselle qui lui permit de reprendre pied dans le réel, elle monta à l’étage se coucher. Les baisers de Louis semblaient se prolonger tandis qu’elle se déshabillait. Ses seins dressés lui faisaient presque mal et la douce morsure qu’elle avait ressentie en revenant de sa baignade l’envahissait à nouveau par vagues, la plongeant dans un trouble inconnu et délicieux. Elle s’allongea, brisée par l’émotion, et la fatigue eut bientôt raison d’elle. Cette nuit-là, Claire rêva de sa mère qui souriait, penchée au-dessus d’elle.
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La journée suivante s’écoula sans qu’elle s’en aperçoive, tant le travail l’absorba. Cueillette des légumes et des fruits, soins aux animaux, traite, finalisation du beurre de la semaine, moulage des fromages frais aux herbes, mise en pot de la récolte de miel, cueillette des herbes sauvages, lessive… Ce n’est que vers sept heures qu’elle se souvint de la visite du luthier. Aussi, elle se hâta d’étendre draps et rideaux, prit un seau pour la traite du soir, filtra le lait, le mit à bouillir sur un coin du fourneau et passa un peu d’eau fraîche sur son visage. Quelques minutes plus tard, Louis frappait à sa porte.
- — Bonsoir Claire ! J’espère que je ne vous dérange pas !
- — Bonsoir… J’ai juste à surveiller le lait de la dernière traite. Entrez, je vous en prie.
Et elle le précéda dans la cuisine. Louis lui tendit un bouquet de fleurs des champs cueilli en chemin et posa sur la table un large panier recouvert d’une serviette.
- — J’ai pensé ce matin qu’avec la chaleur nous pourrions dîner dehors, sur l’herbe. Aussi, je me suis permis de vous apporter ces quelques provisions. Ce soir, c’est moi qui vous invite.
Claire sourit, attendrie de cette délicatesse. Elle mit les fleurs dans une vieille carafe ébréchée et sortit du feu la casserole de lait bouillant avant qu’elle déborde.
- — Je filtrerai le lait plus tard, lorsque la crème sera formée. Voulez-vous un verre de vin de groseilles avant le dîner ?
- — Avec plaisir, si vous m’accompagnez !
Ils burent en silence le frais breuvage pétillant. Louis soupira d’aise.
- — Je suis heureux de vous retrouver. J’ai attendu ce moment toute la journée. Le travail à l’atelier est prenant, mais votre douce image était partout autour de moi.
Claire rougit et répondit malicieusement :
- — Moi je ne l’ai pas vue passer. La préparation du marché de demain m’a absorbée au point que j’ai réalisé bien tard votre visite. Pardonnez-moi !
Louis déposa son verre, s’avança vers elle, lui prit la taille, et murmura avec un sourire de loup :
- — Alors je crois qu’il me faudra vous punir. Pour vous être affranchie de mes baisers d’hier, je prolongerai votre leçon jusqu’à la nuit, et j’ose espérer qu’elle vous mettra au supplice jusqu’à dimanche.
- — Dimanche ? Mais…
Louis mit un doigt sur sa bouche.
- — Non, ne dites rien. N’oubliez pas que je suis votre professeur. Après la messe, je passerai vous chercher. Vous nous préparerez des casse-croûte, une musette, vous mettrez votre capeline et de bonnes chaussures. C’est tout ce que je peux vous dire pour le moment.
Claire, à demie vaincue, repoussa gentiment l’étreinte de Louis.
- — Tout de même, si Anita passait me voir…
- — Rien de plus simple, vous lui laissez un mot sur votre boîte aux lettres, comme quoi vous êtes partie à la cueillette de plantes aromatiques. Ce ne sera pas un mensonge… Mais je vous en dis déjà trop ! Allons manger. Ce vin de groseille m’a ouvert l’appétit.
Claire le suivit sous les châtaigniers en fleurs. L’air était tiède et la terre, encore humide de la veille, révélait des parfums d’herbe chaude. Louis sortit du panier un plaid doublé de cuir qu’il étendit sur l’herbe. Invitant la jeune fille à s’asseoir, il sortit les provisions, disposa assiettes, gobelets et couverts en fer blanc. Puis, prenant la miche de gros pain de ménage et en coupant de larges tranches, il demanda :
- — Que préférez-vous ? Pâté de porc au genièvre ou de canard ?
- — Canard, s’il vous plaît.
- — Je me disais aussi que les plumes vous iraient mieux, plaisanta le luthier en ouvrant un bocal odorant et en lui tendant le couteau pour qu’elle se serve. Vous verrez, il est excellent. C’est ma concierge de Paris qui m’en donne tous les ans. Je ne sais pas ce qu’elle y met, mais c’est un bonheur en bouche.
Claire posa une fine tranche du pâté moelleux sur son morceau de pain et attendit que son compagnon se soit servi. Puis, sur un signe de celui-ci, elle mordit à belles dents dans cette tartine improvisée. L’onctuosité légèrement épicée et fruitée du pâté la charma aussitôt, et Louis sourit largement, heureux de partager sa gourmandise. À la cinquième bouchée, Claire lâcha sa tartine et s’exclama :
- — Je crois que je sais ce que met votre concierge en plus du canard ! C’est du porto d’orange. Si, ne vous moquez pas ! Je n’en ai pas fait depuis la mort de papa mais je me souviens de cette saveur, légèrement acidulée, caramélisée. Maman m’avait appris à confire les écorces des oranges de Noël et à les mettre ensuite à macérer dans du vin doux et de l’eau de vie avec un bâton de cannelle, une étoile de badiane et quelques grains de poivre. Au bout de quelques mois, vous obtenez du porto d’orange que vous pouvez vous servir en apéritif ou pour parfumer un plat.
Louis se mit à rire à gorge déployée.
- — Vous êtes étonnante ! Cela fait des années que j’en mange et vous, en une seule dégustation, vous pouvez me citer tous les ingrédients qui composent le secret de sa recette ! Je crois que je vais lui écrire pour lui révéler votre découverte… Depuis le temps qu’elle me nargue avec son tour de main, je vais pouvoir enfin lui clouer le bec !
- — Oooooh, vous lui feriez cet affront ? Son secret fait partie du plaisir qu’elle éprouve à vous offrir ses pâtés, ne croyez-vous pas ?
- — Peut-être, mais rien que de penser à sa fureur, je me régale d’avance ! Je suis persuadé qu’elle serait capable de m’envoyer une lettre de dix pages de reproches, accompagnée d’un énorme colis de ses spécialités des grands jours, vous interdisant expressément de les goûter.
- — Parce que vous lui diriez que c’est moi qui ai tout découvert ?
- — Bien sûr, répondit malicieusement le luthier. Comme ça, je suis assuré que le colis sera deux fois plus important !
Claire éclata de rire :
- — Vous êtes vraiment impossible !
- — Oui, il parait même que je suis insupportable, mais cela fait partie de mon charme !
Et riant lui aussi, il tendit à la jeune fille une tomate bien mûre et une assiette.
- — Pour vous rafraîchir la bouche. Je les ai prises au marché de Brioude. Elles sont succulentes.
- — Merci !
Elle termina sa tartine avant de mordre dans le fruit juteux qui ne tarda pas à couler le long de son menton et à se répandre dans l’assiette qu’elle tenait juste au-dessous. Louis la regardait faire avec amusement et avant qu’elle finisse il s’empara de l’assiette et du fruit, et prenant un air faussement fâché :
- — Allons, allons mademoiselle, est-ce bien raisonnable de déguster une pomodore ainsi ? Ne savez-vous pas manger proprement ?
Claire, médusée par le ton, interrompit son geste et le fixa, incrédule.
- — Je ne vois pas comment, le couteau et la fourchette seraient bien inutiles.
- — Je ne vous parle pas de manger selon le protocole de Charles-Quint, non, mais approchez que je vous montre.
Et il mordit dans la tomate entamée par Claire. Lorsque la jeune fille fut près de lui, il la prit dans ses bras sans tenir compte de ses protestations, pour lui donner le fruit à manger de sa bouche à la sienne, se délectant de sa surprise et du trouble qu’il engendrait en elle. Puis, relâchant son étreinte, il demanda :
- — Eh bien, comprenez-vous comment l’on doit manger une tomate en galante compagnie ? Ceci est le début de votre leçon et pour vous la bien apprendre, je vais vous l’enseigner pas à pas. Il lui tendit le fruit à mordre, l’encourageant du regard. Puis il approcha sa bouche de la sienne pour saisir la chair parfumée de la tomate. Profitant de l’embarras de la jeune fille, il prolongea sa dégustation par un baiser langoureux. Claire se dégagea vivement.
- — Vous trichez, monsieur !
- — Ma douce, je ne fais que prendre ce que je n’ai pas eu tout à l’heure.
Et, caressant sa taille qu’il retenait encore, il ajouta avec malice :
- — Ne prenez pas cet air de vivandière offensée, je sais pertinemment que vous aimez mes baisers.
Claire, un peu vexée, détournant son regard de celui du luthier lança :
- — Et si je me rebellais ? Vous savez, je n’aime pas être une élève docile. Je ne suis pas de celles que vous avez courtisées à Paris dans votre atelier.
Un sourire illumina le visage de Louis. Il répliqua en l’attirant de nouveau à lui :
- — Disons que vous tenteriez de me résister et rien que cette idée me met le cœur en joie, ma chérie. J’ai toujours préféré les petites chèvres coriaces aux brebis bêlantes. Mon caractère de loup, sans doute ! Mais nous nous égarons. Reprenons la leçon, mademoiselle.
Claire se défendit et prit le fruit des mains du luthier :
- — Laissez-moi manger ma tomate à ma guise. Votre manière n’est vraiment pas pratique du tout. Je préfère encore ma technique de paysanne !
Louis se mit à rire :
- — À votre guise, mais pour chaque bouchée, vous me devrez un baiser.
- — Eh bien, soit. Faites donc vos comptes d’apothicaire, je ferai les miens pour abus d’autorité. Cela fera je pense un juste équilibre !
Et lui lançant un regard de défi, Claire termina sa tomate. Le luthier, amusé, entra dans le jeu :
- — Abus d’autorité ? Mais quel témoin avez-vous pour plaider ?
- — Mon ami le châtaignier sous lequel nous sommes assis.
- — Parfait, alors je prends le ciel à témoin pour moi.
Claire sourit malicieusement :
- — Non, vous ne pouvez pas !
- — Et pourquoi, s’il vous plaît ?
- — Parce que c’est mon coin de ciel. Vous êtes sur mes terres, ne l’oubliez pas !
- — Certes, mais pourriez-vous l’attraper et tracer une délimitation au ciel ? Non, bien sûr. Alors je prends le ciel comme avocat. Et comme une petite brise agite les branches de votre châtaignier, je crois que vous aurez perdu bientôt votre plaidoirie. J’ai compté huit baisers, plus deux pour votre insolence… Vous me les devrez tout à l’heure.
Et il se mit à rire, voyant la jeune fille décontenancée.
- — Allons, ne boudez pas ! Regardez plutôt dans mon panier ce que je vous ai apporté pour le dessert.
- — Des cerises et… des framboises ? Mais la saison est à peine commencée ! Où les avez-vous trouvées ?
- — C’est un petit secret, que je vous révélerai en temps et en heure. Donnez-moi votre verre, j’aimerais que nous trinquions à cette première soirée ensemble. J’ai apporté de Paris une bouteille que je n’ai jamais ouverte. C’est un ami chinois qui fabrique ce breuvage avec des fruits exotiques appelés litchis. Il l’appelle la liqueur de mai et cela se boit avec des framboises justement.
Il déboucha la bouteille avec précaution et versa un liquide légèrement laiteux dans les verres. Puis, approchant la barquette de framboises :
Claire prit un des verres, en huma le contenu qui embaumait la rose confite et, grappillant quelques framboises, elle choqua son verre contre celui de Louis.
- — Merci pour ce pique-nique. Cela faisait très longtemps que je n’avais pas mangé ainsi avec quelqu’un.
- — De rien… Je n’ai qu’un vœu à formuler : que cette soirée soit le prélude d’innombrables soirées ensemble… Santé !
- — Santé !
Ils burent silencieusement l’élixir étrange et alternèrent avec une dégustation de framboises. Le goût sucré de rose confite et de litchis allait parfaitement avec les petits fruits.
- — C’est vraiment très bon et très rafraîchissant, dit Claire en reposant son verre. Ce breuvage doit plaire aussi aux parisiens, non ?
- — Pas vraiment, sauf peut-être dans certains cabarets. C’est là que mon ami fait le plus de recettes. Les parisiens préfèrent se saouler au whisky, au champagne, plutôt qu’avec une liqueur exotique.
- — Cela enivre sans doute plus vite ?
- — Hum, pas si sûr. Cette liqueur est traîtresse ! Mais après notre dîner, je crois pouvoir dire que nous n’avons rien à craindre. Je vous ressers ?
- — Non, pas tout de suite. Je vais vous chiper quelques cerises.
- — Faites. Se sont les burlats de mon père. Je n’ai pu sauver que cet arbre-là. Les autres sont morts sous le coup des gelées tardives.
Claire savoura les fruits en se remémorant le jardin du maréchal-ferrant. Elle se souvenait d’une balançoire sous un cerisier en fleurs et de sa mère qui la poussait en riant. Un voile de mélancolie passa sur son visage et un soupir lourd monta, empreint de ces chagrins d’enfant dont on ne se console jamais.
- — Ça ne va pas ? Les cerises ne sont pas assez mûres ?
Claire secoua la tête :
- — Non, ce n’est rien. Un peu de vague à l’âme en fin de soirée, cela m’arrive souvent. La fatigue, probablement !
Louis lui tendit les bras.
- — Alors, venez près de moi ! Je vais m’appuyer le dos au tronc de votre châtaignier et nous pourrons regarder ainsi plus confortablement le coucher de soleil… Je n’ai pas envie de vous voir triste.
Claire sourit et s’exécuta. Une fois au creux des bras du luthier, elle se sentit apaisée. Lui savourait ce moment où elle était si proche qu’il respirait l’odeur de ses cheveux, de son cou. Il berçait doucement la jeune fille, mêlant ses doigts aux siens. Tout en regardant le soleil descendre lentement derrière la colline, il poussa un profond soupir et murmura :
- — Voyez-vous, c’est le genre de moment magique dont j’ai toujours rêvé… Et ce soir, vous êtes là, dans mes bras. Je suis heureux !
Claire ne répondit pas. Elle avait fermé les yeux et écoutait le doux murmure du vent, les derniers chants d’oiseaux, dans cette chaleur troublante et bienfaisante. Sa tête glissa doucement contre la chemise de l’homme. Elle huma son odeur, mélange d’eau de Cologne et de sueur. Louis caressait son visage puis vint poser ses lèvres sur ses cheveux. Le désir, un moment assoupi pendant le dîner, se réveillait dans cette étreinte langoureuse. Louis s’affaissa doucement sur la couverture, entraînant sa compagne avec lui, puis il ramena un coin du plaid sur eux. Ils étaient maintenant couchés l’un contre l’autre, émus et tremblants. Le soleil avait disparu et les étoiles s’allumaient peu à peu dans le ciel.
Louis resserra tendrement son emprise sur la jeune fille et baisa chastement sa bouche. Un parfum de liqueur de mai mêlé de cerise y restait accroché, appelant caresses et morsures. Mais, soucieux de ne surtout pas brusquer Claire, le luthier attendit qu’elle se blottisse plus complètement dans ses bras avant de goûter la saveur douce des lèvres qu’elle lui tendait. Entre deux baisers, il lui murmurait des mots tendres qui la bouleversaient et la faisaient frissonner. La fraîcheur descendait sur eux sans qu’ils s’en aperçoivent, tout à leur étreinte… Mais quand enfin le clair de lune tomba sur la couverture, Claire s’arracha des bras de Louis :
- — Il est temps d’aller se coucher. Louis, demain je dois me lever tôt et vous aussi. Et je n’ai même pas écumé la crème sur le lait de ce soir !
- — Que vous importe ! Savourons ce moment encore quelques minutes, ma chérie ! Je veux me repaître de vous d’ici dimanche. Écoutez la chouette ! Elle annonce une nuit parfaite. J’ai tout le temps de retourner à l’atelier.
Mais, sourde à ses paroles, la jeune fille se dégagea et se relevant, elle rassembla les reliefs du pique-nique dans le panier, puis déposa ce dernier à côté du plaid. Louis, quelque peu désappointé, lança :
- — C’est vous qui êtes insupportable, ma chère ! Vous ne pensez qu’au travail !
Claire sourit.
- — Et vous ne pensez qu’au plaisir ! Il faut donc une personne raisonnable et ce soir c’est moi. Ne faites pas cette tête, puisque nous nous reverrons dimanche.
Le luthier fixa la jeune fille d’un air moqueur :
- — Vous parlez de plaisir… mais nous n’avons fait que le premier pas qui y mène.
Claire rougit et Louis se mit à rire :
- — J’adore votre embarras ! Ça me donne encore plus l’envie de vous câliner. Et vous savez pourquoi ? Parce que j’aime sentir qu’aucun homme avant moi ne s’est aventuré à vous montrer les chemins où je souhaite vous mener.
- — Vous êtes bien présomptueux.
- — Non, simplement bien renseigné !
La jeune fille soupira :
- — Vous qui me disiez ne pas vous intéresser aux ragots…
- — Ceux-là m’intéressent puisqu’ils éloignent d’éventuels rivaux.
- — Vous n’aimez pas en avoir ?
- — Aucun homme amoureux n’aime cela.
Il avait dit cela naturellement, l’adjectif lui était monté aux lèvres comme une évidence. Il en était presque surpris. De cette facilité, de cette aisance, de cet abandon. Claire le regardait douloureusement, presque avec frayeur :
- — Ne dites pas ça, je vous en prie. Je ne veux pas que vous regrettiez un jour de m’avoir dit des choses que vous ne pensiez pas vraiment.
- — Croyez-vous que ces mots monteraient de mon cœur sans que je les pense ?
Claire haussa les épaules.
- — Le désir fait parfois dire des choses qu’on regrette.
- — Je n’ai pas pour habitude de renier ni mes mots ni mes actes. Et encore moins vis à vis de la femme que j’aime.
Et, la prenant dans ses bras, le luthier ajouta :
- — Claire, je vous désire très fort mais j’attendrai aussi longtemps qu’il faudra pour que vous compreniez que je veux autre chose que simplement vous culbuter.
La jeune fille baissa les yeux.
- — J’ai peur, Louis. Je… j’ai besoin de temps.
- — Je sais. Moi aussi, j’ai peur !
Claire regarda le luthier d’un air incrédule.
- — Vous ?
- — Moi. J’ai peur de ne pas savoir vous aimer ! C’est la première fois que cela m’arrive. Auparavant, je courtisais les dames sans aucune appréhension. Avec vous, c’est différent parce que j’ai envie de vivre avec vous, alors que je ne voulais aucun avenir avec les autres. Et cette situation inédite me déstabilise, je dois vous l’avouer. Alors rassurez-vous, nous prendrons le temps qui sera nécessaire pour nous tranquilliser tous les deux.
- — Et le village ?
- — Nous avons bien le temps d’y penser. Pour le moment, je veux savourer tous les moments que je passe avec vous, sans le poids du passé, sans la pression des habitants. Plus tard, si vous voulez m’épouser, je ferai la lumière sur ma famille publiquement. Et le premier qui osera nous critiquer, je vous promets qu’il passera un mauvais quart d’heure.
- — Vous avez réponse à tout.
- — Non. Je ne peux pas décider à votre place ! répondit Louis malicieusement.
- — Vous êtes vraiment…
- — Oui, je sais, insupportable ! Mais je crois que j’adore cela.