Résumé des épisodes précédents :
Après avoir tenté de violer Claire Dupuy, le jeune comte Olivier Desgrange s’est caché dans une ancienne mine et, pour qu’on le croie mort, a fait brûler sa voiture dans laquelle il a mis le corps de l’avocat Marc Audebert qu’il venait d’assassiner. Grâce à des rituels de magie noire, il veut toujours posséder Claire, dont il est follement amoureux. Mais elle est protégée par son fiancé le luthier Louis Bergheaud, initié en magie blanche, la bonne magie.
Le policier Pauvert qui examine le cadavre n’est pas absolument convaincu de son identité mais en arrive quand même à presque suspecter Louis et Claire. Louis se justifie et fait publier les bans en vue du mariage. Marthe Rougier, initiée en magie noire, tue Marie Latour, une sorcière blanche qui protégeait Claire et innocente le comte Olivier Desgrange auprès de sa mère qui le croit mort alors que celui-ci renouvelle ses maléfices, toujours dans le même but : que Claire se donne à lui. Il rôde près de sa ferme, enflamme une meule de paille et, parvenu par artifice dans la chambre de la jeune fille, la soumet à se donner du plaisir sous ses yeux. Ni Louis ni les policiers présents dans la cuisine n’ont pu la protéger car ils étaient étrangement endormis.
Claire se rend compte qu’elle a été envoutée et pense que le sorcier n’est peut-être pas mort. Louis la conforte dans cette opinion en lui racontant les évènements de la nuit et veut la convaincre qu’il doit user de magie, lui aussi, pour la protéger. Elle se montre très réticente : la magie, même blanche, est dangereuse !
Le père de Marc Audebert s’inquiète de la disparition de son fils. L’hôtelier lui conseille de prévenir la gendarmerie d’Ambert. Cette dernière apprend en outre la disparition de Marthe Rougier, qui a rendu visite à Olivier dans sa cachette pour lui confier qu’elle est en train de perdre une partie de ses pouvoirs de magie noire et qu’elle craint d’être arrêtée pour le meurtre de Marie Latour. Olivier lui annonce que, par magie, il va initier Claire à de nouveaux plaisirs, si bien qu’elle se donnera à lui très prochainement, sans pouvoir lui opposer la moindre résistance.
Claire veut confier son désarroi à Anita, sa meilleure amie.
ooooOOOOoooo
Claire avait eu du mal à convaincre Louis de la laisser aller seule chez Anita. Aussi, pour rassurer complètement son fiancé, elle lui avait proposé de la déposer en voiture chez son amie et de venir la rechercher en fin d’après-midi. Le luthier avait accepté non sans réticence. Bien que sachant que la jeune fille ne risquait rien chez les Fabre, il n’était pas tranquille. Il sentait chez Claire un mal-être profond depuis son malaise de la veille. Pire, le baiser qu’il avait échangé avec elle lui avait donné l’impression que sa fiancée lui cachait quelque chose. Aussi pria-t-il mentalement pour que cette rencontre avec Anita détende suffisamment Claire pour qu’enfin elle puisse s’ouvrir à lui un peu plus tard de ses inquiétudes.
Pauvert n’avait pas reparu depuis la fin de la matinée. Cabet et Charpin voulaient veiller sur la maison et sur le père Bideau, lui aussi potentiellement menacé par ses révélations et son témoignage dans le meurtre de Marie Latour. Louis prit donc la voiture des deux policiers pour emmener Claire au hameau du Verdier. Voyant que la jeune fille portait la boîte de la mercière de Brioude, il sourit :
- — Vous amenez les tissus à votre amie pour qu’elle vous fasse des robes ?
- — Oui. Ce sera une façon de me constituer un trousseau. Je n’ai pas grand-chose… quelques draps que j’avais commencé à broder, quelques nappes. Mais évidemment, avec la mort de maman puis celle de mon père, je n’ai pas eu le temps de continuer.
- — Si vous croyez que j’attache de l’importance à ces broutilles !
- — Vous préféreriez que j’arrive au mariage encore plus pauvre et démunie ?
- — Je ne vous épouse pas pour l’argent, Claire. Non plus que pour la magie. Je vous épouse simplement par amour. J’ai assez d’argent pour deux, vous n’êtes pas sans ressources non plus. Plus vite nous aurons des éclaircissements sur le meurtre de Marie et la mort du sorcier, plus vite nous pourrons reprendre une vie normale sans magie. Et plus vite nous pourrons nous marier et fonder une famille. Notre famille à nous, qui aura vaincu la tristesse et le malheur de nos ancêtres. Et nous aurons des enfants qui seront heureux de voir leurs parents épanouis dans leur travail respectif et heureux d’être ensemble.
Claire hocha la tête tristement. Vu comme cela, l’avenir semblait si sûr, si apaisé et apaisant… Mais pouvaient-ils encore prétendre à cette vie sereine après tout ce qui s’était passé la nuit dernière ? La jeune femme en doutait. Desgrange n’en resterait pas à une seule nuit de tourments et de sortilèges contre eux. Il tenterait à nouveau quelque chose. Elle en était quasi certaine.
Assise dans la voiture noire des deux policiers, Claire réfléchissait à ce qu’elle allait dire à Anita. Jusqu’à présent, son amie avait toujours été de bon conseil et c’était grâce à elle qu’elle avait pu rencontrer et aimer Louis. Peut-être saurait-elle lui montrer quoi faire pour contrer Desgrange.
Alors que la voiture s’arrêtait devant la cour de la maison des Fabre, Louis se tourna vers sa fiancée et lui dit tendrement :
- — À tout à l’heure, ma chérie. Je repasse vous chercher vers 18 heures. Saluez Anita de ma part et dites-lui que j’aimerais beaucoup qu’elle soit témoin de notre mariage. Pourriez-vous le lui demander ?
- — C’est une bonne idée. De toute façon, je lui aurais proposé d’être ma demoiselle d’honneur. Je lui ferai donc part de votre proposition avec plaisir. Merci de cette délicate attention.
- — De rien. Je pense lui adjoindre un compère qui devrait lui plaire : mon ami Gustave. Je crois que vous n’y verrez pas d’objection.
- — Non bien sûr ! Il est un peu un frère pour vous et nous a protégés après notre agression. Alors je serai ravie qu’il soit témoin à notre mariage.
Après un dernier baiser, Louis repartit. Il comptait passer à Saint-Amant Roche Savine voir si Pauvert avait avancé dans son enquête. Lorsqu’il arriva sur la place du village, une foule s’était rassemblée devant l’annexe de la mairie. Et lorsqu’il s’avança, il fut surpris de voir le curé, ainsi que le maire, faire le forcing auprès des deux gendarmes en faction.
- — Vous devez nous laisser entrer. Nous aussi nous avons des choses à dire à l’inspecteur.
Mais les gendarmes furent inflexibles :
- — L’interrogatoire de madame Rougier n’a pas à avoir de témoins. L’inspecteur y tient expressément. À présent circulez… sinon nous contactons la brigade d’Ambert pour vous emmener au poste.
Cette tirade lapidaire provoqua un remous dans la foule massée devant le bâtiment municipal. Qu’avait donc fait Marthe Rougier pour avoir droit à un interrogatoire sans témoins ? Louis agrippa le bras du menuisier et lui demanda à brûle-pourpoint :
- — Que se passe-t-il ? Pourquoi tant de monde ?
- — La gendarmerie vient d’arrêter madame Rougier.
- — Pour quel motif ?
- — Meurtre…
- — Mais de qui ?
- — De madame Latour, à ce qu’il paraît…
Au son de la voix de Louis, le maire Bernard Legrand s’était retourné et considéra le luthier avec colère :
- — C’est vous qui êtes cause de cette arrestation, n’est-ce pas ?
- — Moi ? Et pourquoi s’il vous plaît ?
- — Allons allons, monsieur Lafargue, ou devrais-je dire monsieur Bergheaud, ne me dites pas que vous venez prendre la défense de madame Rougier puisque le policier qui a ordonné son arrestation est hébergé avec vous chez la petite Dupuy. Vous aviez envie de vous venger d’elle, n’est-ce pas ?
- — Et pourquoi donc ?
- — À cause de la publication sur l’immoralité qu’elle a fait imprimer et distribuer aux Savinois par le biais du patronage…
Le luthier éclata de rire.
- — Vous croyez sincèrement que cette recommandation municipale et paroissiale m’a froissé ? Cette note ne m’a même pas étonné… comme votre réaction d’ailleurs. Si véritablement j’avais été atteint moralement par cet arrêté, je vous l’aurais fait savoir immédiatement. Et si vraiment cet arrêté reflétait la réalité de mon comportement social, je ne m’apprêterais pas à convoler en justes noces.
- — Parlons-en justement de ce mariage. Je crains que vous n’alliez vite en besogne.
- — Et pourquoi donc ?
- — La petite Dupuy connaît-elle votre véritable identité ?
- — Oui, elle la connaît.
- — Et elle ne vous a pas refusé ?
- — Non. Pour quelle raison l’aurait-elle fait ?
- — Vous êtes le fils de l’assassin de sa mère…
- — Mon père n’a pas tué la mère de Claire. Il est mort avec elle.
- — Dans d’étranges circonstances…
- — Effectivement. Mais ces circonstances devraient-elles pour autant m’interdire d’aimer Claire, d’être aimé d’elle et de l’épouser ?
- — Je le pense. Un tel mariage braverait la morale publique comme la morale chrétienne. De plus, vous avez menti à tout le monde ici, depuis votre arrivée. Pourquoi ne pas divulguer votre véritable identité ?
- — Pour une raison toute simple, Monsieur le Maire. Je n’aurais jamais pu racheter la maison de mon père ni m’installer à Saint-Amant si vous aviez su.
- — Pour quelle véritable raison êtes-vous revenu ici ?
- — Pour faire la paix… pour vivre là où je suis né et où je me sens à ma place. J’ai fait fortune, j’ai remonté un petit atelier ici qui commence à bien marcher dans l’ancienne forge de mon père. Je peux compter sur mon associé à Paris pour assurer l’essentiel. Je peux donc vivre où je veux et comme il me plaît, en me sentant libre.
- — Et pourquoi épouser la petite Claire ?
- — Claire n’était pas prévue à mon programme. En quinze ans d’absence, je l’avais sinon oubliée, du moins passablement effacée de mes préoccupations.
- — Alors pour quelle raison vous intéresser à elle ?
- — L’amour, Monsieur le Maire. Je suis tombé sous le charme de Claire Dupuy très peu de temps après mon arrivée. Je la voyais chaque semaine au marché et j’ai su très vite qui elle était. Sa beauté, sa solitude, sa douceur m’ont séduit. J’ai eu l’occasion de me déclarer à elle à la Saint-Jean et de lui faire ma cour les semaines suivantes. Je n’ai pas été repoussé formellement, même quand elle a su la vérité sur mon identité. Nous avons appris à nous connaître et depuis peu elle est devenue ma fiancée. Voilà pourquoi j’ai publié les bans hier et voilà pourquoi je vous demande de nous unir.
- — Vous croyez que je le ferai ?
- — Oui. Parce que malgré tout ce que vous me dites, je sais que vous êtes un maire consciencieux, même si vous accordez hélas beaucoup trop souvent votre confiance et votre estime à des personnes dont vous devriez vous méfier.
- — Vous parlez de madame Rougier ?
- — Entre autres…
- — Vous ne la connaissez pas.
- — Oh que si ! Je l’ai côtoyée durant mon enfance suffisamment pour savoir qu’elle fait depuis longtemps de la magie noire tout en se proclamant gardienne de la morale chrétienne du canton.
- — La mère de votre fiancée faisait aussi de la magie.
- — Oui, mais pas de la même façon. Et vous le savez pertinemment. Jamais Rose n’aurait fait de mal à qui que ce soit ni activé des rituels qui pouvaient atteindre un but malfaisant ou constituer une manipulation. Elle avait à ce titre une grande morale, même si elle se faisait plutôt rare à l’église. Et cette éthique concernait également Marie Latour qui a été assassinée. Cette vieille dame n’a jamais pratiqué la magie pour en tirer avantage ou faire du mal à autrui. La seule sorcière qui fait de la magie noire à Saint-Amant, la seule qui se sert de la magie pour dominer les autres et leur faire peur, c’est Marthe Rougier.
- — Et vous croyez que c’est la magie noire qui a tué Marie Latour ?
- — Non.
- — Alors pourquoi donc votre inspecteur a arrêté madame Rougier ?
- — Parce qu’elle a assassiné Marie Latour de ses propres mains.
- — Vous êtes fou ! Comment osez-vous l’accuser d’un crime aussi odieux qu’improbable ?
- — Je n’ose rien, Monsieur le Maire. Je ne fais que constater. Croyez-vous sincèrement qu’un inspecteur de police l’aurait fait arrêter sans preuve à charge ?
ooooOOOOoooo
Pendant que Louis était en train de discourir au-dehors, à l’annexe de la mairie, Marthe Rougier vivait un premier interrogatoire extrêmement pointilleux. Marius Pauvert, qui l’avait fait arrêter quelques heures plus tôt par les gendarmes d’Ambert partis à sa recherche, avait vite perçu le côté fourbe et manipulateur de la vieille dame. Aussi, chaque fois qu’elle tentait de détourner le sujet de conversation, la ramenait-il à la nuit du 14 juillet où elle avait été vue à l’hospice, quelques minutes avant le meurtre de Marie Latour.
- — Vous y étiez, allons, reconnaissez-le !
- — Inspecteur, puisque je vous dis que j’étais profondément endormie dans mon lit. Qu’aurais-je été faire à l’hospice à trois heures du matin ?
- — Vous enquérir de la santé de votre vieille adversaire.
Marthe sourit.
- — Inspecteur, si j’avais vraiment eu des problèmes relationnels graves avec Marie, que je connais depuis l’enfance, vous ne croyez tout de même pas que j’aurais attendu aussi longtemps que notre vieillesse pour lui porter un coup fatal. Nous n’avions pas toujours les mêmes avis sur différentes questions, qu’elles soient morales, religieuses ou politiques, mais je n’ai jamais eu pour autant des intentions criminelles contre elle.
- — Ce qui veut dire que vous avez eu des intentions criminelles envers d’autres personnes avec lesquelles vous n’étiez pas d’accord ? Rose Dupuy par exemple ?
Marthe tenta d’ébaucher un sourire mais ce dernier était presque grimaçant. Voyant qu’elle ne pourrait pas cacher l’inimitié qu’elle éprouvait envers la mère de Claire, elle avoua :
- — Ce n’est un secret pour personne que Rose et moi avions des relations tendues et orageuses. Je n’aimais pas sa façon désinvolte de vivre et j’ai toujours trouvé que sa grand-mère ne l’avait pas assez éduquée sérieusement… une enfant naturelle de je ne sais qui, pas de mère, pas de père évidemment. Et c’est devenu une jeune fille puis une jeune femme beaucoup trop libre. Elle faisait ce qu’elle voulait quand elle voulait chez elle et elle n’a pas tardé à créer le scandale au village. Mais tout le monde a dû vous le dire.
- — Vous voulez parler de sa beauté qui rendait jalouses les autres jeunes filles, mais aussi les femmes et les prétendants qui lui ont tourné autour ? Allons, Madame, rien de scandaleux dans ce petit épisode. Chaque village a ses jeunes beautés et les vieilles gens un peu bigotes s’en offusquent. Rien que de très habituel. Certes, vous étiez encore jeune, vous auriez pu être sa mère, la conduite libre de Rose Valleyrand vous déplaisait… Mais, semble-t-il, ce qui vous irritait c’était surtout que sa grand-mère Louise, qui vous avait initiée à la sorcellerie, la choisisse comme successeur, alors que quelques années auparavant, vous étiez sûre d’être désignée comme telle.
La vieille femme parut agacée. Elle opposa à Marius Pauvert un regard glacé et s’empressa de répondre :
- — Si guérir et soulager par les plantes, c’est de la sorcellerie pour vous, inspecteur, alors que serais-je si j’avais été jeteuse de sorts !
- — Mais qui me prouve que vous n’en êtes pas une ?
Marthe éclata de rire :
- — Si j’en étais une, le village aurait cessé d’exister et je ne serais pas devant vous à devoir me disculper d’un crime que je n’ai pas commis.
- — Un pensionnaire de l’hospice vous a vue.
- — Un pensionnaire qui avait sans doute abusé d’alcool de gentiane a cru me voir… Ciel, quel effroyable cauchemar ! Comment une vieille femme de mon âge aurait-elle pu s’introduire dans un hospice soigneusement fermé à clé la nuit ? L’imagination troublée d’alcool de ce pensionnaire aurait-elle aboli votre sens des réalités ?
- — Madame, un hospice de campagne a toujours une porte ouverte.
- — Un hospice n’est pas un moulin. Croyez-vous les sœurs assez naïves pour laisser un portillon ouvert alors que certains messieurs pensionnaires ont des problèmes d’alcoolisme et de sénilité avancée qu’elles n’arrivent ni à soigner ni à endiguer ?
- — Pourtant, les religieuses avaient bien laissé une porte ouverte. Celle qui donne à la fois sur la chapelle et le jardin. Vous pouviez donc très bien vous introduire à l’hospice l’autre nuit.
- — Sauf que je n’y étais pas.
- — Que vous nous dites ! Mais je vous répète qu’on vous a vue. Et ce pensionnaire vous a décrite très précisément. Vous seriez allée directement à l’étage des dames et à la chambre de madame Latour.
- — Alors pourquoi ce pensionnaire ne m’en aurait-il pas empêchée ? C’est pour le moins étrange que ce mystérieux inconnu qui m’accuse n’ait rien fait pour me contrer.
- — Il avait peur de vous, nous a-t-il dit.
- — Peur de quoi ? Je suis plutôt frêle, un homme de mon âge a plus de forces que je n’en ai jamais eues.
- — Il craignait peut-être un mauvais coup et des maléfices ?
- — Inspecteur, voyons… que peut faire de mal selon vous une femme de mon âge avec des difficultés pour marcher, une santé fragile et une maladresse naturelle ?
- — Si cette femme fait de la sorcellerie, elle peut compenser ses faiblesses physiques par des ruses, des sortilèges et plus simplement, elle peut exercer une emprise psychologique importante sur les personnes qu’elle souhaite terroriser.
Marthe Rougier sourit.
- — Pour cela, il faudrait que je sois très intelligente et particulièrement instruite en sorcellerie. Or mon éducation scolaire et familiale ne m’a pas permis d’obtenir la première qualité. Je suis fille d’ouvrier, Monsieur l’Inspecteur. Pas fille de notable. Et pour ce qui est de la sorcellerie, cela concernait bien plus les compétences de Louise Valleyrand et de Marie Latour que les miennes. Savez-vous que je n’ai jamais utilisé de grimoire ?
- — La sorcellerie peut se pratiquer sans cet accessoire. Ne dit-on pas que même le rituel a moins de force que l’intention ?
La vieille femme sursauta en entendant ces paroles :
- — Mais d’où tenez-vous cela, inspecteur ? À vous entendre, on pourrait croire que vous avez baigné dans la magie et les sortilèges depuis votre plus tendre enfance… à moins que vous ayez fait une thèse sur le sujet à l’école de police.
- — C’est un mélange des deux. Mais je vous rassure tout de suite, je ne pratique pas. Par contre, je connais très bien ce qui sous-tend ce genre d’activité pour la plupart de ses adeptes : le besoin de pouvoir sur les autres, afin de compenser des complexes, mais aussi un manque de reconnaissance sociale, identitaire…
- — Monsieur l’Inspecteur, je crains que les ouvrages de cette nouvelle science à la mode qu’est la psychanalyse vous aient égaré l’esprit.
- — Désolé de vous décevoir, Madame, mais j’abhorre ce genre de lecture et je n’ai ni la formation ni la culture pour en comprendre le premier mot. Par contre, je dispose d’une capacité d’observation et d’analyse assez développée. Cela aide à comprendre les tenants et aboutissants de certains comportements et cela m’est très utile dans mon métier pour démêler différentes affaires criminelles.
- — Dois-je en déduire que vous pensez que j’exerce la sorcellerie ? Et dans un but de conquête, de pouvoir ? Cela prêterait à rire… Je n’ai jamais souscrit à une quelconque idéologie. Je n’ai pour projet que la préservation de la morale, de la religion et des traditions.
Pauvert se mit à rire.
- — C’est pour cela que vous avez enseigné la sorcellerie au jeune comte Desgrange ?
Surprise par cette attaque, Marthe fixa l’inspecteur d’un air hagard avant de bredouiller :
- — Mais… qui vous a conté une telle… bêtise ?
- — Personne. Il se trouve que j’ai rencontré le comte hier et qu’il était en possession de fioles, d’objets rituels. C’est avec cet attirail fort peu orthodoxe qu’il a tenté de tuer un citoyen de Saint-Amant et surtout de violer la fiancée de celui-ci.
- — Par la magie ?
- — Avec le concours de rituels noirs. Mais son plan a échoué ; puis il est venu ici. Et que se passe-t-il peu de temps après ? Une vieille femme est retrouvée assassinée. Mais pas n’importe quelle vieille femme, une vieille sorcière, une sorcière qui œuvrait aux côtés de la mère de la jeune victime du comte. Coïncidence étrange, ne trouvez-vous pas ? Et autre coïncidence surprenante, cette vieille femme assassinée est précisément celle qui a été initiée avec vous à la magie par l’arrière-grand-mère de cette jeune fille. Alors face à ces coïncidences, sachant que dorénavant Rose Valleyrand, Louise Valleyrand et Marie Latour sont mortes, et que vous seule restez active au plan de la pratique magique, comment dois-je interpréter l’assassinat de Marie Latour et la tentative de viol de la petite Dupuy ? Comme une prise de pouvoir absolu ?
- — S’il s’était agi de cela, le comte ne serait pas mort !
Devant cette tentative de défense, Pauvert eut un petit rire :
- — Sauf que le pouvoir ne se partage pas, en sorcellerie. Alors la mort de votre protégé, qui a servi vos intérêts, devient tout à fait opportune !
- — C’est ridicule. Vous croyez sérieusement que j’ai demandé à Olivier de tuer Marie Latour et de violer la petite Dupuy ? Mais je me fiche de ces femmes comme de ma première chemise. Marie, ces dernières années, était devenue tout à fait dérangée mentalement, tout le monde vous le dira à l’hospice. Elle ne sortait quasiment plus de sa chambre. Et la fille de Rose est totalement insignifiante. Je ne vois pas en quoi ces femmes pouvaient me faire de l’ombre.
Pauvert sourit :
- — Vous reconnaissez donc par là même pratiquer la magie.
- — Mais non !
- — Pourtant vous avez dit que vous ne voyiez pas en quoi ces femmes pouvaient vous faire ombrage. Si véritablement vous n’aviez pratiqué aucune forme de sorcellerie, vous auriez rejeté l’idée même de magie. Or vous ne l’avez pas fait. Vous n’avez même pas contesté la volonté de prise de pouvoir. Vous avez juste tenté de la minorer. Alors, Madame Rougier, je m’interroge de plus en plus quant à votre rôle dans cette pénible affaire.
Et s’adressant à un gendarme :
- — Veuillez noter que Madame Rougier reconnaît pratiquer la magie et avoir initié le comte Desgrange avec lequel elle semble partager une certaine intimité puisqu’elle le nomme par son prénom. Vous voyez, Madame, peu à peu nous avançons. Et je sens que la suite de cet interrogatoire va être on ne peut plus passionnante.
Marthe Rougier était furieuse. Elle se sentait prise au piège de sa propre parole. Pauvert, c’était sûr, en savait plus long sur elle qu’elle ne l’avait pensé et il avait trop de culture sur la magie pour croire ce qu’elle pourrait lui dire désormais. Intérieurement, elle se maudit de n’avoir pas identifié plus tôt cette menace. À présent qu’elle était arrêtée pour le meurtre de Marie, il n’était plus temps de jeter un sort sur cet homme… d’autant qu’il semblait sinon être protégé, du moins suffisamment initié pour savoir comment renvoyer un maléfice. Il fallait qu’elle trouve un moyen de se sortir de ce guêpier… Il lui fallait prévenir Olivier. Marthe voulait bien payer pour son crime, mais pas que son œuvre soit détruite par un inspecteur de police. Elle blêmit et d’une voix hachée par l’émotion et la colère, elle s’exclama :
- — Je veux un avocat. Faites prévenir Maître Blüm. Je ne vous dirai plus rien s’il n’est pas présent à mes côtés.
ooooOOOOoooo
Claire trouva Anita dans sa chambre en train de lire un roman de Dyvonne qu’elle avait emprunté à la bibliothèque : Les Fiancés d’Angkor. Émue par les aventures de Lien et de Sihn, Anita fut à peine troublée par l’arrivée de Claire. Les yeux sur son livre, elle demanda :
- — Tu permets que je termine mon chapitre ? Je ne voudrais pas abandonner mes héros en si fâcheuse posture.
- — Évidemment.
Un instant après, Anita émergea de sa lecture soulagée et visiblement heureuse de cette visite impromptue de Claire.
- — Alors ? Raconte-moi ! supplia-t-elle avec emphase.
- — Eh bien… Louis m’a demandée en mariage et j’ai dit oui.
À cette nouvelle, Anita se leva d’un bond, poussa un cri joyeux et sauta au cou de son amie en l’embrassant sur les deux joues, puis elle lui dit avec émotion :
- — Mon Dieu, Claire, comme je suis heureuse pour toi ! J’étais sûre qu’il te ferait sa demande au bal du 14 Juillet, c’est si romantique ! Tout à fait conte de fées. Ah, je bénis cet homme ! Il va t’apporter le bonheur, toute la tendresse et le soutien qui t’ont manqué durant tant d’années… Je suis sûre que vous avez passé une soirée délicieuse !
Claire fit la grimace :
Alors, face à l’étonnement d’Anita, Claire lui raconta, les larmes aux yeux, le drame qui s’était déroulé. Au fur et à mesure qu’elle parlait, le visage d’Anita perdait de sa couleur rosée et lorsque Claire eut terminé son récit, elle se mit à trembler.
- — C’est donc pour cela que j’ai vu le comte si agité l’autre nuit !
- — Quoi ? Que dis-tu ?
- — J’ai vu Desgrange à Saint-Amant, il activait le heurtoir de l’entrée de la maison de Marthe Rougier. Il avait l’air angoissé. Il m’a fait penser à un animal traqué.
- — Oh mon Dieu ! C’était quand ?
- — Dans la nuit de jeudi à vendredi.
- — Vers quelle heure ?
- — Je ne sais pas. Mais il était très tard. Plus de minuit en tout cas. Comme j’étais censée être avec Mélanie, nous avions eu l’autorisation, comme chaque 14 juillet, de rester jusqu’à la fin du bal à Ambert, ce dernier se terminant vers deux heures du matin. Si je me rappelle bien je suis partie bien avant la dernière valse. Juju a ramené Mélanie chez elle, ce qui n’était pas pour lui déplaire.
- — Ne me dis pas que tu es repartie seule à pied ?
- — Non. En réalité, je suis revenue à Saint-Amant dans la superbe voiture d’un charmant jeune avocat. Tu te rappelles ? Je t’en avais parlé il y a quelques jours. Nous avons dansé toute la soirée ensemble et nous avons plus que sympathisé.
- — Et vous n’êtes pas revenus immédiatement chez tes parents au Verdier.
- — Non, je n’en avais pas envie. Et lui non plus. Nous nous sommes donc arrêtés un moment et promenés dans Saint-Amant avant qu’il me ramène à la maison et reparte à Ambert à son hôtel. C’est durant cette promenade nocturne que nous avons aperçu Desgrange, et le plus curieux, c’est que mon danseur le connaît.
- — Mais comment est-ce possible ?
- — Ils ont fait ensemble leur droit à Clermont. Ils se détestent, m’a dit Marc. Et cela ne m’a pas étonnée. Marc est si courtois, si gentil… rien à voir avec l’affreux comte.
- — Et alors ?
- — Eh bien, nous avons vu Desgrange entrer chez la vieille Rougier et Marc a voulu que je lui parle d’elle et de ses activités de sorcière. Il avait l’air très intéressé par tout ce que je lui racontais. Et puis… il m’a raccompagnée à la maison et il est reparti à Ambert.
- — Tu sais quelle heure il était ?
- — Oui, parce que ma mère m’a fait une scène terrible quand je suis arrivée chez nous. Elle était restée à veiller sur une chaise dans le cantou. Quand je suis rentrée, il était trois heures. Elle était folle ! Du coup, mis à part pour la messe et le travail, j’ai interdiction de sortir durant deux mois. C’est trop injuste !
- — C’est pour cela sans doute que ton père a hésité avant de m’autoriser à monter te voir.
Anita soupira et prit un air triste avant de répondre :
- — Que veux-tu, je l’ai déçu. Il m’a dit que j’avais trahi sa confiance et celle de maman. Sur le moment, il a cru que j’étais avec toi… Mais je lui ai dit que non. Que tu avais reçu une invitation et que tu n’étais même pas au bal d’Ambert. Et tu sais quoi ? Ça l’a presque rassuré… Comme si tu avais une mauvaise influence sur moi ! C’est incroyable ! Pourtant tu as toujours été sage comme une image et tu m’aurais plutôt incitée à la sagesse qu’au flirt. Je ne sais pas pourquoi mes parents sont toujours aussi soupçonneux vis-à-vis de toi. Ça me sidère !
- — Les racontars de Marthe Rougier, mon père pendu, maman trouvée morte dans un accident de voiture avec Bertrand Bergheaud. Ça doit encore leur faire peur, comme à bien d’autres Savinois.
- — Peut-être. Sauf que maintenant, du fait de mon escapade nocturne, ils me font les gros yeux à la moindre occasion. Tiens par exemple, hier que j’allais à la blanchisserie à bicyclette, ça a encore été le drame ! Tout ça parce que je suis arrivée avec une roue voilée à mon vélo et les genoux emportés, et qu’en plus madame Ledoux qui venait chercher son linge m’a vue arriver dans une voiture et avec un étranger… Du coup, j’ai pris une gifle par ma tante, puis une autre de ma mère qui a tout raconté à mon paternel. Et donc, je suis maintenant obligée de partir avec mes parents chaque matin et de revenir avec eux chaque soir. Je suis surveillée pire qu’une enfant de trois ans. Mais est-ce ma faute si un imbécile me renverse en voiture quand je vais travailler ? Je t’assure, Claire, tu ne sais pas combien tu as de la chance d’être émancipée…
La jeune fermière sourit tristement.
- — Toi au moins, tu as encore tes parents… Les miens ne sont même plus là pour bénir mon mariage. Et je ne sais même pas qui me conduira à l’autel. Enfin, si jamais Louis et moi sortons de cet affreux cauchemar et arrivons à nous marier, ce dont je doute depuis que nous sommes rentrés à la ferme…
- — Tu crois vraiment que Desgrange est encore vivant ?
- — Oui, je le pense… Même si officiellement il a été retrouvé mort dans sa voiture, il y a trop d’événements troublants qui se sont produits depuis notre retour de Brioude pour qu’ils soient pure coïncidence. Déjà, il y a eu la mort de Marie Latour, tu sais la vieille dame qui aidait maman autrefois pour accoucher les femmes et qui soignait beaucoup par les plantes et par les pierres.
- — Oui, je me souviens d’elle. Je ne pensais pas qu’elle était encore vivante. Quand j’ai appris vendredi qu’elle avait été assassinée à l’hospice dans son lit, le choc que j’ai eu ! Sans compter les remous que ça a fait dans tout le village. C’est vraiment un crime atroce, abject.
- — S’il n’y avait eu que ce meurtre, Anita… À la ferme hier soir, j’ai eu un malaise terrible. Et cette nuit a été encore plus horrible. Je ne devrais peut-être pas dire cela, peut-être est-ce tout simplement dû au choc de l’agression que j’ai subie à Brioude mais j’ai vraiment eu l’impression d’être abusée par le comte la nuit dernière. Depuis, je me sens mal, je me sens sale et j’ai perpétuellement mal au ventre.
- — Mon Dieu, Claire. Mais c’est affreux ! En as-tu parlé à ton fiancé ?
- — Tu penses bien que non ! Louis est déjà tellement remonté contre Desgrange… Il s’est mis en tête de faire de la magie pour le retrouver. Mais j’ai peur que s’il y parvient Desgrange le tue ou que Louis nous mette encore plus en danger. Et il y a eu autre chose : pendant que je dormais à l’étage la nuit dernière, l’eau du café a été empoisonnée. Louis et l’inspecteur qui s’est installé chez nous avec deux policiers ont vu une espèce de fantôme dans la cour, une ombre qui courait. Et Louis m’a dit qu’il y a eu aussi un incendie à proximité de la maison… Anita, tous ces événements semblent avoir été orchestrés pour nous terroriser. Dans quel but, je ne sais pas… mais… j’ai très peur. Et je crains plus que jamais que le comte s’en prenne à moi.
En disant cela, Claire avait pris les mains d’Anita, qui la serra contre elle comme si elle pouvait la protéger.
- — Eh bien, quelle histoire ! On se croirait dans un conte horrifique comme en racontent les grands-mères aux veillées. Je te plains de vivre un tel calvaire, alors que tout semblait s’arranger. Et je comprends la colère de ton fiancé. Comment peut-on laisser cet affreux comte te gâcher l’existence ?
- — Desgrange fait sans doute de la magie contre nous et tente de nous faire peur… c’est plus que probable. Mais Louis ne connaît rien à tout ça. Si jamais le peu qu’il tente provoque encore plus d’actions malveillantes de la part du comte, comment ferons-nous ? L’inspecteur est là pour l’instant avec deux de ses hommes, mais il ne pourra pas toujours nous protéger. Et même sa présence ne change finalement pas grand-chose au problème, puisque les forces qui nous terrorisent relèvent de la magie.
- — L’inspecteur dont tu parles, c’est l’inspecteur Pauvert ?
- — Oui ! Mais comment le connais-tu ?
- — C’est l’imbécile qui m’a renversée en vélo hier matin quand je me suis engagée sur la route qui mène à Saint-Amant.
- — Eh bien, décidément…
- — Mais revenons à tes soucis. Je me pose une question. Si c’était plutôt Marthe Rougier qui faisait tout cela contre vous deux ? Ça pourrait expliquer bien des choses ; elle fait de la magie noire, elle détestait ta mère, elle te déteste toi aussi et elle a tout fait pour te mener une vie impossible au village… Si ça se trouve, elle agit ainsi pour se venger de la mort de Desgrange et empêcher ton mariage avec monsieur Lafargue. Tu m’as bien dit que Desgrange t’avait avoué son amour avant d’essayer de te violer à Brioude…
- — Oui… mais…
- — Mais quoi ?
- — Comment Marthe Rougier pourrait-elle venir jusqu’à la ferme et faire tant de choses différentes en même temps ? Elle n’a plus l’âge pour déployer autant d’énergie.
- — Claire, tu oublies qu’elle fait de la magie noire !
- — Quand même… elle ne pourrait pas provoquer un incendie à distance ni empoisonner l’eau de la source. Et je n’aurais pas eu ce malaise soudain hier soir ni cette horrible sensation d’abus sexuel la nuit dernière. Je suis sûre qu’il s’agit de Desgrange. Même si ça paraît impossible. Même si officiellement il est mort. Oh ! Anita, je ne sais plus quoi faire. Je me sens sale, incapable d’en parler à Louis et j’ai peur. Je n’ai pas envie de retourner chez moi ce soir, même si nous sommes sous protection policière.
- — Claire, j’aimerais bien te garder ici mais je crains que Papa me l’interdise après ma sortie nocturne. Ce n’est pas de la mauvaise volonté ni que je ne veux pas t’aider… mais je crois vraiment que tu devrais en parler à Lafargue.
- — Lafargue comme tu dis, s’appelle en réalité Louis Bergheaud. C’est le fils du maréchal-ferrant.
Anita sursauta de surprise à cette nouvelle.
- — Quoi ? Tu veux dire que ton futur mari est le fils de…ouhlala… ça va faire un scandale de plus en ville !
- — Je sais.
- — Et ça ne t’inquiète pas ?
- — J’ai plus peur de ce qui pourrait encore se produire la nuit prochaine que du désaveu de Louis par tout le village. Je suis tellement habituée à être vue comme un paria… Et Louis saura se défendre.
- — Attends… Mais là c’est… LE SCANDALE de Saint-Amant en perspective ! Tu sais quand même que Louis Bergheaud avait été renié par son père et que ce dernier a été retrouvé mort avec ta mère !
- — Oui, inutile de me le rappeler. Mais au point où nous en sommes, cela importe peu. Et puis de toute façon, j’ai de plus en plus la conviction que ce mariage ne pourra pas avoir lieu.
- — Tu crois que la vieille Rougier pourrait vous tuer ?
- — Je pense plutôt à Desgrange. Anita, c’était lui hier soir, j’en suis sûre ! C’est lui qui a provoqué mon malaise et tout le reste à la ferme. Je suis persuadée qu’il n’est pas mort et qu’il rôde dans les environs. Louis également le croit coupable. Même l’inspecteur Pauvert commence à douter… Il devait interroger aujourd’hui Marthe Rougier sur le meurtre de Marie Latour, la confronter au cadavre de Desgrange pour voir sa réaction, fouiller chez elle pour voir si elle avait de quoi empoisonner la source.
- — Donc vous en saurez plus ce soir.
- — Peut-être ou peut-être pas… Je ne sais plus à quoi m’attendre. Tout ce que je sais, c’est que je n’ai pas envie de retourner à la ferme tout à l’heure. J’ai trop peur de revivre les mêmes horreurs que la nuit dernière.
- — Tu devrais peut-être demander à ton fiancé de t’emmener chez lui au village.
- — Ce serait pire. Si c’est Marthe Rougier l’auteur de tous les tourments que nous subissons, elle serait à pied d’œuvre pour nous tuer…
- — Et tu n’as nulle part où aller avec ton fiancé pour vous cacher ?
- — Non… si… peut-être la cabane…
- — La cabane ?
- — Louis m’a emmenée dans la montagne l’autre dimanche et m’a fait découvrir un vieux buron qu’il avait aménagé avec un ami à lui.
- — Alors tu devrais lui demander de t’y amener et y rester avec lui la nuit prochaine. Si personne ne connaît cet endroit que lui et toi, vous y serez en sécurité.
- — Peut-être… Mais je doute que l’inspecteur Pauvert nous accorde le droit d’y aller.
- — Essaie toujours. Si ton fiancé est d’accord, il pourra solliciter la présence d’un des policiers pour vous accompagner. Et toi, tu seras rassurée.
Un bruit de pas grimpant l’escalier vint interrompre les jeunes filles. La porte de la chambre s’ouvrit et le visage de M. Fabre, grave et fermé, apparut :
- — Anita, un inspecteur est en bas et demande à te voir.
- — Ça doit être monsieur Pauvert. Je vais vous laisser.
- — Non, restez, Claire. De toute façon, vous devez attendre monsieur Lafargue ici, non ?
- — Oui.
- — Alors ne bougez pas. Je vous ramène Anita dans quelques minutes.
Cette dernière se leva et suivit son père au rez-de-chaussée de la maison. En bas, Marius l’attendait devant un café. Il semblait soucieux. Il sourit vaguement à la jeune fille lorsqu’elle s’avança, lui désigna une chaise de paille et démarra son interrogatoire :
- — Vous êtes bien Anita Fabre, née à Saint-Amant le 13 octobre 1915, de Justine Fabre née Maillard et d’Edmond Robert Fabre résidant au hameau du Verdier ?
- — Oui.
- — Alors il faut me dire ce que vous faisiez dans la nuit du 14 au 15 juillet dernier aux environs de deux heures du matin et où vous étiez et avec qui.
La jeune fille rougit. Avouer devant ses parents son escapade avec un avocat clermontois risquait d’alourdir son cas…
- — J’étais au bal du 14 Juillet avec ma cousine Mélanie à Ambert.
- — Ce n’est pas ce qui m’a été rapporté.
- — Ah bon ?
- — Non. L’hôtelier du pont d’Ambert prétend que vous étiez avec un de ses clients, monsieur Marc Audebert, jeune avocat en visite chez Maître Blüm.
- — Je… en effet ce monsieur m’a invitée à danser et j’ai été sa cavalière pour la soirée. Mais je ne vois pas ce qu’il y a de mal à cela.
- — Mademoiselle, il ne s’agit pas de mal ou de danse, il s’agit de disparition. Marc Audebert a disparu depuis le bal du 14 Juillet à Ambert où vous étiez avec lui. Pouvez-vous me dire ce qui s’est passé ? S’est-il montré un peu trop empressé avec vous ? Vous a-t-il menacée ?
- — Vous voulez rire ? Il a été charmant. Il m’a même…
- — Oui ?
- — Il m’a même raccompagnée ici chez moi en voiture.
- — Il était quelle heure ?
- — Près de trois heures du matin.
- — Le bal se terminait pourtant à deux heures et d’après mon enquête, vous n’étiez déjà plus au bal à une heure quinze. Vous vous étiez éclipsée sans doute avec ce jeune homme.
- — En effet. Nous voulions discuter ensemble loin du bruit de la fête.
- — Et aussi échapper à la surveillance de votre jeune cousine ?
Anita fronça les sourcils. Marius Pauvert avait haussé le ton et la jeune fille perçut une jalousie qui ne disait pas son nom.
- — J’étais en effet contente d’être un peu seule avec mon cavalier, sans Mélanie pour me surveiller ou venir nous interrompre pendant une danse. C’est pourquoi nous sommes remontés à Saint-Amant pour discuter à l’aise. De toute façon, le feu d’artifice était terminé et puis après une heure du matin, les hommes ont déjà trop bu, ils deviennent pressants et désagréables. Mélanie était avec Juju et ma tante discutait avec madame Delplan lorsque monsieur Audebert m’a proposé un tour en voiture. J’ai accepté. Voilà, c’est tout. Ce n’est tout de même pas un drame, d’autant qu’il a été tout ce qu’il y a de plus correct. Nous n’avons fait que bavarder.
L’inspecteur sourit. Il tapotait doucement sur le bois de la table en signe d’agacement puis, tout de go, il ironisa :
- — Bien sûr, tout le monde sait qu’un bavardage tout ce qu’il y a de plus innocent a eu lieu entre vous. La plus jolie jeune fille de Saint-Amant ne fait que discuter avec ses cavaliers, c’est bien connu. Ce n’était semble-t-il pas l’avis d’un certain Frédéric.
- — Frédéric ? Frédéric a prétendu que je flirtais, c’est ça ? Évidemment, il est jaloux dès qu’un autre garçon m’invite à danser. Et justement, il faisait partie des hommes qui avaient trop bu et que je voulais éviter. Dieu merci, monsieur Audebert sait beaucoup mieux se tenir en société.
- — Et en plus, Monsieur Audebert est joli garçon, promis à une belle carrière et il possède en plus une très jolie voiture. Tout pour vous plaire !
Piquée au vif, Anita fixa Pauvert dans les yeux et répondit d’un ton rageur :
- — Et alors ? Sachez tout de même que s’il avait été un mufle et un ivrogne, malgré tous ses attraits et sa belle voiture, je l’aurais ignoré et méprisé. C’est uniquement parce qu’il s’est toujours montré parfaitement respectueux de ma personne que je l’ai choisi pour seul cavalier.
- — Et donc vous étiez à Saint-Amant avec monsieur Audebert pour discuter en tête à tête. Où êtes-vous allés ? Dans une grange, je suppose ? Vous n’avez pas erré sans but dans les rues du village ?
- — Pour tout vous dire, si. À cette heure, les gens étaient rentrés de la retraite aux flambeaux et du petit bal de la place. Nous n’avons d’ailleurs rencontré personne.
- — En êtes-vous sûre ?
Anita hésita. Elle était partagée entre dire à Pauvert qu’elle et Marc avaient vu Desgrange, mais aussi ne rien dire parce que l’inspecteur avait évoqué Frédéric et qu’elle avait peur pour Claire. Ce fut peut-être la colère qui la décida à répondre ainsi :
- — Mais pourquoi êtes-vous d’un seul coup aussi désagréable et soupçonneux ? Que vous ai-je fait ? Ou plutôt que n’ai-je fait pour encourir un pareil interrogatoire ? Vous étiez plus aimable lorsque vous m’avez renversée à vélo hier.
- — Parce que c’est ce monsieur qui a abîmé ta bicyclette ? S’enquit Edmond Fabre, les sourcils froncés.
- — Eh bien oui, papa, c’est lui.
Furieux, l’homme se tourna vers Pauvert et le fixa méchamment :
- — En ce cas, j’aimerais assez que cet inspecteur paie les dégâts qu’il a causés. Et qu’il m’explique pourquoi il roulait aussi vite sans regarder où il allait.
- — Monsieur Fabre, je réparerai volontiers le vélo de votre fille et vous expliquerai en détail pourquoi je me pressais d’arriver à Saint-Amant. Mais pour le moment, c’est moi qui pose les questions, pas vous.
Mais Edmond Fabre ne l’entendait pas de cette oreille. Furieux, il frappa du poing sur la longue table de chêne, faisant tressaillir tout le monde :
- — Vous oubliez que vous êtes ici chez moi, inspecteur. Et que vous me devez respect ainsi qu’à ma fille.
- — Je n’oublie rien, cher Monsieur. Ni le respect que je vous dois, ni mon enquête. Mais un père de famille recherche son fils disparu depuis deux jours. Et votre fille Anita est la dernière personne à l’avoir vu vivant, je dois donc tout faire pour savoir ce qui s’est passé. Il me semble que c’est là une affaire plus urgente que la roue voilée d’un vélo, que je pourrai vous faire réparer dès demain.
L’inquiétude qui perçait dans la voix de Pauvert bouleversa madame Fabre :
- — Dieu du ciel, mais c’est affreux ! Anita… si tu sais quelque chose, je t’en prie, dis-le à l’inspecteur.
La jeune fille rougit puis pâlit, manifestement mal à l’aise, soupira, avala sa salive plusieurs fois avant de fixer Marius avec gravité :
- — Puis-je avoir auparavant l’assurance que ce que je dis ici restera une déposition anonyme ? Je ne veux pas d’ennuis…
- — Vous avez ma parole, Mademoiselle Fabre.
- — Bon. Alors, je dois d’abord vous dire que j’ignorais totalement la disparition de monsieur Audebert. Pour moi, il était rentré à son hôtel à Ambert, rien de plus. Mais, avec ce que vous m’apprenez, j’ai peur… peur qu’il ait voulu en découdre.
- — En découdre ? Mais avec qui ?
- — Avec le comte Desgrange. En fait, nous l’avons aperçu l’autre soir à Saint-Amant. Il avait l’air affolé et il frappait très fort à la porte de madame Rougier. Je ne sais plus quelle heure il était mais il était visiblement pressé d’entrer chez elle.
L’étonnement et la stupeur s’emparèrent de Pauvert. Et c’est presque avec la voix chevrotante qu’il pria Anita de continuer :
- — Et pourquoi monsieur Audebert aurait-il voulu en découdre avec Desgrange ?
- — Parce que tous deux sont en concurrence depuis l’université, d’après ce qu’il m’a dit. Y compris pour un poste de suppléant et de successeur auprès de Maître Blüm à Ambert. Marc m’a appris que la comtesse Desgrange était intervenue pour appuyer la candidature de son fils, de façon très démonstrative et déloyale. Et cela a choqué monsieur Audebert.
- — Intéressant… et vous sentiez de la haine dans ses propos sur le comte ?
- — De la haine, non, mais de la colère, oui.
- — Vous pensez que Desgrange a eu le poste ?
- — Je ne sais pas… Mais si c’est le cas, ça pourrait expliquer la colère de monsieur Audebert contre lui.
- — Et donc son envie d’en découdre… Savez-vous quelle voiture avait monsieur Audebert pour vous raccompagner ?
- — Il me semble que c’est une Citroën… mais vous dire exactement quel modèle, je ne sais pas du tout. Par contre elle est noire et très confortable.
L’inspecteur sourit. Les petites précisions d’Anita lui confirmaient que la deuxième voiture dont les traces étaient visibles près de la Delage carbonisée du comte était celle de Marc Audebert. Les deux hommes s’étaient donc probablement rencontrés puis affrontés près du rocher de la Vierge au Monestier.
- — Vous avez peur du comte Desgrange ?
- — Je ne dirais pas cela. Mais je n’aime pas le croiser, je n’aime pas son regard, ses manières, sa façon d’agir. Il est toujours sournois, toujours hautain, toujours méprisant. Et puis, je sens une méchanceté, une haine, un vide immense chez lui qui me glacent.
Marius Pauvert hocha la tête. Ce néant, il l’avait lui aussi ressenti chez Desgrange. Et il se demandait comment cela était possible alors que le jeune homme était sans doute matériellement, culturellement et moralement parlant, le plus chanceux des Savinois. Était-il, derrière des apparences de richesse matérielle et de plénitude affective, plus démuni que le plus indigent des citoyens du Livradois ? « La profusion d’argent et de biens ne remplit jamais le fond de l’âme. C’est ce que tu ne dois jamais oublier, Marius, si tu penses à faire fortune. » Cette phrase de son père revenait avec force à la mémoire de Pauvert, avec tout le poids que peut prendre une telle sentence dans un contexte criminel. L’inspecteur se souvint de sa visite au château du sorcier, de cette espèce de luxe froid, sans âme, de cette solitude âpre qu’il avait ressentie entre ces murs. Était-ce le deuil sans fin de la comtesse qui avait donné cette coloration au lieu ou bien l’inspecteur était-il déjà mal disposé vis-à-vis du château, de par les agissements criminels constatés de Desgrange ? Troublé par ses propres ressentis, Pauvert passa la main sur son front comme pour chasser de funestes pensées et, reportant ses regards et son attention sur Anita, il demanda :
- — Avez-vous constaté ou eu à déplorer des comportements chez Desgrange qui pourraient donner raison à la rumeur publique et à vos ressentis négatifs à son encontre ?
- — Me concernant, non. Mais concernant Claire… il s’est très mal conduit par le passé. Il l’épiait, tentait de lui parler alors qu’elle ne le souhaitait pas, il l’a même embrassée contre son gré. Son père a failli écorcher vif Desgrange à cette occasion. Il ne pouvait pas supporter que l’on touche à sa fille.
- — Et Claire Dupuy, que pense-t-elle de Desgrange ?
- — Pas grand-chose. Elle n’aime pas plus que moi cet homme. Toutefois, elle lui trouvera toujours des excuses… Claire pense que les gens violents le sont toujours parce qu’il leur est arrivé quelque chose de grave.
- — Votre amie a sans doute raison mais ça n’excuse pas les crimes de cet homme.
- — Les crimes ? s’exclama Justine Fabre.
- — Hélas oui, Madame. J’enquête sur le comte Desgrange depuis que celui-ci s’est attaqué à Claire Dupuy et à monsieur Lafargue, son fiancé qu’il a tenté d’assassiner.
- — Dieu du ciel, ce n’est pas possible, pas le comte, pas le fils d’une si bonne famille !
- — Malheureusement, je l’ai pris sur le fait ou quasiment mais il a réussi à m’échapper avant que j’aie pu l’arrêter. Comme j’avais lancé des télégrammes sur différentes communes pour le retrouver et que j’ai su que le comte était originaire de la région d’Ambert, j’ai filé ici aussi vite que j’ai pu avec deux de mes hommes qui ont raccompagné et veillé sur mademoiselle Dupuy et monsieur Lafargue.
- — Mais le comte est mort. Il est mort brûlé vif dans sa voiture, intervint Edmond Fabre.
- — C’est ce dont je suis moins sûr, objecta l’inspecteur. Des faits troublants ont eu lieu à la ferme Dupuy depuis que j’y réside, des faits qui me font penser que le comte est toujours en vie et cherche à terroriser le jeune couple qu’il n’a pu tuer.
- — Mais alors qui est le cadavre ?
- — C’est ce que j’aimerais savoir. Il est vêtu, du peu que j’ai pu prélever, avec les vêtements du comte. Il avait au doigt la chevalière du comte. Mais ses chaussures ne sont pas les siennes et sa morphologie sur la partie du cadavre qui n’a pas brûlé me paraît un peu plus trapue, un peu moins élancée que celle du comte. Le peu de cheveux qui n’ont pas brûlé sont bruns et pas blonds… Tout cela me fait penser que ce cadavre n’est pas le comte mais une autre de ses victimes, destinée à faire croire que Desgrange est mort.
À cette description, Anita se leva toute pâle et très agitée, porta les mains à son cœur puis frotta son visage avant de s’écrier :
- — Non… ce n’est pas possible. Desgrange n’aurait pas tué Marc !
Pauvert, voyant la jeune fille aussi bouleversée, se leva, lui prit les mains pour la forcer à se rasseoir et lui parlant très doucement il questionna :
- — Par quel chemin est reparti monsieur Audebert ? Par la route du Monestier, non ?
- — Oui.
- — Alors je crains qu’il ait croisé la route de Desgrange qui l’a assassiné.
- — Non… non… non… nooooooooooooooooon !
La jeune fille prit sa tête entre ses mains et se mit à trembler. Pauvert, ému, se pencha vers elle et posant ses deux mains sur ses épaules, il proposa :
- — Anita, je sais que ce que je vais vous demander est très difficile mais il faudrait que vous veniez demain à Saint-Amant pour identifier le cadavre. Vous êtes la seule avec l’hôtelier d’Ambert qui a accueilli monsieur Audebert à pouvoir confirmer ou infirmer que l’homme mort dans la voiture de Desgrange…
- — Non… non… je ne peux pas… Je ne veux pas…
- — Anita, j’ai vraiment besoin d’aide sur cette enquête et sans votre identification, sans votre témoignage, je ne pourrai pas arrêter le ou les coupables. Tout à l’heure j’ai laissé Marthe Rougier en garde à vue à la mairie. Mais je ne peux pas encore l’arrêter et la faire juger pour l’assassinat de Marie Latour, bien que j’aie déjà un témoignage qui prouve qu’elle était bien sur les lieux du crime à l’heure où a été assassinée la vieille dame…
- — Je suis désolée, mais aller voir un cadavre qui serait peut-être mon cavalier du bal de jeudi est au-dessus de mes forces. Je voudrais bien mais…
Et bouleversée, ne pouvant retenir ses larmes, Anita se dégagea et sortit précipitamment de la maison. Avant que Pauvert ait pu la suivre, Edmond Fabre l’arrêta et lui intima l’ordre de l’écouter.
- — Monsieur l’Inspecteur, je sais que la réaction d’Anita vous déconcerte mais ce que vous demandez à notre fille est affreux pour une enfant de cet âge. Côtoyer la mort, je connais ça, moi son père. La dernière guerre ne m’a pas épargné et mes deux fils y sont restés. Le plus jeune n’avait pas 16 ans en 17 lorsqu’il tomba. Si Anita n’était pas née deux ans auparavant, je ne sais pas ce que je serais devenu. Alors vous comprenez, je ne peux pas imposer à ma fille qui nous a redonné le goût de vivre à ma Justine et à moi, de contempler un cadavre… si utile que ce soit pour votre enquête.
Pauvert, gêné par l’aveu de monsieur Fabre, détourna les yeux. Lui qui était aussi revenu de la Grande Guerre en ayant perdu la plupart de ses camarades se sentait soudainement privilégié et presque honteux de n’avoir pas plus souffert. Et avec un profond soupir, il conclut :
- — Alors, je suppose que cet entretien est terminé et que je devrai me contenter de l’avis de l’hôtelier d’Ambert. Dites-moi combien je vous dois pour la roue de bicyclette que j’ai abîmée.
Edmond Fabre posa sa main sur le bras de Pauvert et protesta :
- — Vous n’y pensez pas… Vous rendez service à la commune. Alors, ce serait bien le diable si je vous demandais quelque chose pour la roue de vélo de notre fille. Trouvez et arrêtez le criminel qui sévit dans notre canton et nous serons quittes.
- — Très bien, alors je crois que je ferais mieux de repartir à la mairie pour téléphoner à l’hôtelier… en espérant qu’il pourra reconnaître le cadavre.
Edmond Fabre soupira, hocha la tête puis raccompagna Pauvert sur le seuil de la ferme. L’inspecteur démarra en trombe et fut bientôt hors de vue du chemin. Assise sous un frêne près du belvédère qui offrait une belle vue sur le Livradois, montrant Saint-Amant et son église perchés sur la montagne, Anita semblait prostrée et lorsqu’Edmond s’approcha, la jeune fille tressaillit :
- — Papa, je suis désolée… J’espère que monsieur Pauvert ne m’en veut pas trop.
- — Il peut demander à l’hôtelier. Ce n’est pas comme si tu avais été la seule à connaître cet avocat. Anita, tu vois où mène la désobéissance, à présent ?
Mais la jeune fille ne répondit pas. Elle continuait à voir défiler devant ses yeux le moment passé avec Marc Audebert et se remémorait si exactement son visage, son allure qu’elle s’écria :
- — J’aurais dû accepter et partir avec l’inspecteur, Papa. Si monsieur Audebert est mort, il faut retrouver son assassin et que ce dernier paye pour tout le mal qu’il a commis. Et moi, je dois aider à faire éclater la vérité, et aider Claire. Mon Dieu, elle est restée seule là-haut… Pourvu que…
- — Pourvu que quoi ?
Mais à nouveau, Edmond Fabre n’eut pas de réponse de sa fille, qui se leva précipitamment et courut à perdre haleine vers la maison.
(à suivre)