n° 23077 | Fiche technique | 16383 caractères | 16383 2888 Temps de lecture estimé : 12 mn |
20/05/25 |
Résumé: Le millénaire touche à sa fin. Le monde s’écroule dehors, mais ici, il tourne. Cette nuit, ce monde est un disque rayé... | ||||
Critères: fh ffh jeunes boitenuit cérébral fellation piercing | ||||
Auteur : Samir Erwan Envoi mini-message |
Projet de groupe : Une chanson, une histoire |
Chanson à écouter en lisant le texte : Daft Punk - Around the World
https://www.youtube.com/watch?v=dwDns8x3Jb4
Il s’agit d’un récit poursuivant les tribulations d’un jeune voyageur. Pour connaître le début de ses aventures en Italie, c’est ici, Contrepoint italien , ou en Turquie, c’est ici, Contrepoint turc
Tout peut se lire indépendamment mais…
Around the world, around the world…
Les bras se lèvent, mécaniques, comme des branches de palmier ivres de lumière. Les coudes brisent l’air, les poignets ondulent, traçant dans la sueur des formes qui ne veulent rien dire sauf je suis vivant. Je lève mes bras aussi. Lents d’abord. Puis plus vite. Les doigts écartés comme pour attraper quelque chose dans le vide. Des choses qui n’existent qu’une fraction de seconde, qu’on ne peut pas vraiment tenir. Quelque chose qui glisse entre les phalanges, qui n’a pas de poids et qui laisse une chaleur. Peut-être un bout de lumière, un souffle de basse, un éclat de peau. Peut-être un sein qui s’éloigne, un dos nu dans la foule, une hanche qui s’efface dans le battement. Je ne sais pas. J’attrape des choses qu’on ne peut pas garder. Des instants. Des fragments. Des désirs. Comme si danser, c’était ça : chercher sans jamais vraiment saisir.
Around the world…
Je suis dans un bar miteux, un bar qui pue la sueur et la mauvaise bière, au fond d’un kibboutz qui ressemble à un mirage poussiéreux planté quelque part entre le plateau du Golan et rien du tout, entre les bombes et l’oubli. Elles ne sont pas si loin, les bombes. Le Hezbollah a frappé la veille, deux soldats capturés. La base militaire à côté est en alerte, mais ici ? On est des volunteers. De jour, on cueille des avocats, on s’occupe des oliveraies, on pêche du poisson élevés en piscine. On est aussi des boucliers humains sans le savoir. De nuit, on fait ce qu’on veut. Ici, on boit. On danse. On oublie. Le millénaire touche à sa fin. Le monde s’écroule dehors, mais ici, il tourne. Le monde est un disque rayé, et ce soir, il joue Daft Punk en boucle.
Around the world, around the world…
La piste de danse est un aquarium. Les corps y flottent. Les lumières se brisent sur les peaux, tournent, reflètent, éclatent. J’ai vingt ans, enfin presque, en voyage depuis des mois, j’ai oublié combien, avec la gueule pleine de poussière et de rêves collés au fond du crâne. Mon passeport est froissé, mon cœur encore plus. J’ai plus de pays. J’ai plus de langue. J’ai des filles qui tournent autour de moi comme des planètes. Et moi, j’explose. Ce soir, ce soir je danse.
Around the world…
Ma sueur goûte le sel de la Méditerranée. Mon cœur cogne comme une caisse claire. Mes pensées fondent, se dissolvent. Je ne sais plus d’où je viens, ni où je vais. J’ai plus de parents, plus de passé, plus de futur. Je me souviens même plus si j’ai une copine, là-bas quelque part au loin. J’ai cette chanson, j’ai cette fille, j’ai cette nuit.
Around the world, around the world…
Rachel est contre moi. Rachel, la Sud-Africaine. Plus âgée, plus calme, plus terrible. Elle est comme un vertige. Elle chante les paroles de la chanson dans mon oreille, doucement, comme si c’était un mantra. Elle a l’accent du Cap, une voix grave, des hanches sûres. Son crop top qui moule ses seins fermes est comme un drapeau de pays qui n’existe pas. Elle sent la noix de coco et la nuit chaude. Scintillant, son nombril est barré d’un piercing qui me transperce.
Around the world…
Ma tête bascule en arrière. Je ferme les yeux. Le son entre par la gorge. La nuque se relâche, roule sur mes vertèbres, et je hoche la tête en rythme, petit à petit, comme un animal qui approuve le délire. Mes jambes plient, un peu trop molles, un peu trop souples — genoux déverrouillés, bassin qui suit, qui pousse en avant à chaque battement de basse. Je tourne légèrement sur moi-même, les bras levés. Mes hanches font des cercles lents, puis des saccades. Je glisse sur place, je flotte à ras de sol.
L’ami tchèque débarque. Marek, je crois. Ou peut-être que c’est pas son vrai prénom. Il parle anglais avec l’accent des tanks. Il me glisse une bière dans la main, grande gueule, chemise ouverte, odeur de tabac froid et de shampooing bon marché. Il rit, me dit : « C’est toujours la même chanson, hein ? » et retourne vers les Hollandaises comme un chien en mission.
Around the world, around the world…
Je lève les yeux. Les Hollandaises rient. Grandes, blondes ou brunes, des jambes qui montent jusqu’à demain, elles dansent entre elles, libres. Celle au cul d’acier me dévisage. Elle croit que je la mate. Ce cul-là danse pour personne et pour tout le monde. Rond, ferme, parfait, il se soulève à chaque pas comme une offrande. Dans mon fantasme, je la retourne d’un geste, face contre une vitre d’auberge, jambes écartées, fesses offertes. Je lui retire son short comme on déchire une enveloppe. Je la pénètre sans parole, à sec, à fond. Elle crie. Elle s’arque. Elle prend. Elle me dit dans son étrange anglais inversé que je suis à elle pour la nuit, pour la semaine, pour toute ma jeunesse. Moi, je tiens ses hanches comme si je me mouchais dans les étoiles. Elle recule sur moi à chaque coup de reins. Elle me supplie de continuer. Elle s’abandonne. Je gicle en elle, puis je recommence. Je suis la cadence. Elle, l’écho.
Around the world…
Je regarde autour. Rachel danse devant moi. Elle avance d’un pas, recule d’un demi, ses jambes longues, gainées de lumière, le genou qui se lève puis retombe avec une précision instinctive. Elle ouvre les bras, puis les ramène lentement, comme si elle me cueillait. Son torse tourne, ses épaules roulent, ses seins balancent, sa tête suit le rythme comme un métronome ivre.
Around the world, around the world…
Les jumelles colombiennes. Impossible de dire qui est qui. Elles sont là, face à face, puis dos à dos, se touchant les bras, se passant les mains dans les cheveux. Deux versions du même rêve. Peau chaude, brune, lumineuse, seins hauts sous les débardeurs, nombrils brillants de sueur. Et moi, au milieu. Dans ma tête, je suis allongé sur un lit à Medellin, les draps collés à la peau par la chaleur, un ventilo qui tourne, et elles sont toutes les deux là, nues, à genoux de chaque côté, rient doucement en espagnol, me passent les doigts sur le torse. L’une s’abaisse, m’embrasse lentement, profondément, l’autre me chevauche, me glisse en elle en me tenant les poignets. Elles alternent. Elles jouent. Elles partagent. Leur plaisir est un jeu, un rituel, une fusion. Je perds la tête. J’en peux plus. Je crie leur prénom sans savoir lequel est le bon. Elles s’embrassent au-dessus de moi, puis me regardent ensemble.
Around the world…
Rachel lève un bras haut au-dessus d’elle, puis le laisse redescendre le long de sa propre hanche, effleurant sa peau, juste là, sous le crop top. Elle pousse son bassin contre le mien. Le choc est doux, répété, rythmique. Je suis une ombre collée à son ombre. Nos corps s’emboîtent sans se parler mais je regarde à gauche.
Around the world, around the world…
La Française. Rien qu’à la regarder danser, je sais qu’elle veut. Son jean taille haute, son débardeur blanc qui laisse deviner le bout des seins. Ce petit sourire qui flotte sur ses lèvres comme une promesse qu’elle n’a pas besoin de tenir. Dans mon fantasme, on est à Paris. Sixième étage, sans ascenseur, une chambre de bonne de 9m² sous les toits. Elle me fait entrer, referme la porte derrière moi sans un mot. Pas de musique, pas de discussion, juste cette tension moite qui nous déshabille sans qu’on ait besoin de bouger. Puis s’agenouille devant moi. Ouvre mon pantalon d’un geste calme, assuré. Elle me suce comme si c’était une mission d’État, un devoir national. Elle garde les yeux levés vers moi. Droit dans les miens. Je la prends par les cheveux. Elle ne bronche pas. Elle s’enfonce plus. Gorge profonde. Elle bave. Elle respire mal. Elle continue. Je la tire vers moi, la relève, la plaque contre le mur, la retourne, baisse son jean, ses sous-vêtements avec. Je la prends debout, sans douceur, la pénètre d’un coup sec. Elle gémit, surprise, puis cambre le dos. Elle en veut plus. Je vais plus vite. Je la prends jusqu’à ce que mes jambes faiblissent. Je viens en elle, profondément, brutalement. Elle pose sa tête contre le mur, souffle, essoufflée. Puis elle se retourne. Elle reprend sa clope. Elle tire une latte. Elle dit enfin quelque chose : « C’était pas mal. » Et elle sourit.
Around the world…
Mes pieds frappent le sol. Je monte sur la pointe, je pivote. J’imite, j’improvise, je perds le contrôle. Mon dos s’arrondit, mes bras plongent, mes doigts dessinent des cercles dans l’air poisseux. Les stroboscopes éclatent, blanc / noir / blanc / noir — tout devient gifle visuelle. On danse dans des arrêts sur image. Une image : Rachel les bras levés, cambrée. Une autre : moi penché vers l’avant, mains sur mes genoux, soufflant fort. Puis elle, en profil, qui claque sa cuisse contre la mienne.
La chanson tourne. Encore. Encore. Elle ne s’arrête jamais. Elle m’enroule, elle me roule, elle me mâche. J’ai chaud. J’ai trop bu. Je suis plus tout à fait moi. Je suis un morceau de corps perdu dans une boucle.
Around the world, around the world…
La Danoise danse comme une guerrière viking. Petite, trapue, solaire. Elle frappe le sol avec ses pieds, lève les bras, rit avec la gorge. Elle me regarde, me pousse, m’éclabousse de sa joie. J’ai l’impression qu’elle pourrait me casser les côtes en riant. Je la vois dans un sauna en bois, quelque part dans une forêt, nue et rouge, sur moi, quelque part dans un hiver qui n’existe que dans mes fantasmes, ses cuisses qui m’écrasent, sa bouche qui grogne mon prénom avec un accent que je veux avaler. Elle me pilonne. Elle crie en danois, je comprends que dalle mais je bande plus fort. Alors je la retourne, je la tiens à genoux, sa tête entre ses bras, ses fesses hautes, offertes, tendues. Elle jouit. Je continue. Je l’emplis. Je l’épuise. Elle me regarde à la fin, soumise, conquise, le regard défoncé d’avoir trop aimé.
Around the world…
Le bar est toujours sale. Lumières crues, néons cassés, sol collant, murs qui suintent la bière chaude et les cris d’avant. Au fond de ce kibboutz, quelque part au nord, quelque part où les missiles tombent pas trop loin, les soldats meurent pour des raisons que j’ai oubliées. Deux parachutistes israéliens capturés hier. Ou ce matin. Ou demain. Le monde dehors est un champ de mines. Dedans, c’est autre chose. Dedans, c’est around the world.
Around the world, around the world…
Je suis là, au centre du monde, au centre de la chanson. Plus de nom, plus d’attache. Je suis un battement, un souffle, une vibration de basse. Rachel colle son corps au mien, ses fesses se fondent à mon bassin, et le monde entier se dilate dans la pulsation. Elle chante la chanson. Around the world. Dans mon oreille, avec sa voix rauque, grave, douce. Elle me l’injecte dans le sang. Et moi, je suis fini. Je ne suis plus un voyageur. Je suis son putain de continent.
Around the world…
Rachel m’attrape. Elle me tire hors de la piste. Elle n’a pas besoin de parler. Sa main sur la mienne suffit. Je la suis à travers la chaleur, les cris, les corps, les flashs, le chaos. Marek me recroise, me file une autre bière sans un mot, juste un clin d’œil. Il sait.
On entre dans une pièce vide. Une lumière verte clignote, malade. Le sol est sale. Les murs tremblent. Rachel ferme la porte d’un coup de hanche. Elle me pousse. Me regarde. Me défait. Son short tombe. Elle est nue. Simple. Précise. Magnifique. Elle me tire contre elle. Je n’ai plus de souffle. Je bande. Je bande comme si j’allais mourir. Et peut-être que je meurs. Je bande comme si le monde allait crever en tout cas. Rachel grimpe sur moi. Elle me chevauche, j’entre en elle en la soulevant. Ses jambes autour de ma taille. Ses ongles plantés dans mes épaules. Elle me baise en rythme. Elle contrôle. Quand elle se cambre vers l’arrière, juste au-dessus du creux de son ventre, son piercing au nombril — un petit éclat métallique, une étoile suspendue — capte la lumière crue du néon comme un joyau planté dans la chair. Il rayonne. Ses seins balancent comme deux fruits gorgés de sueur, prêts à cogner contre son propre souffle. Elle monte, descend, m’écrase. Ses cheveux lui tombent sur la joue. Ses yeux me fixent, mi-lourds, mi-conscients, sa bouche entrouverte. Je la saisis par la taille. Je la fais rebondir plus fort, plus vite. Ses cheveux collent à son visage. Elle sue. Je sue. On crisse. Elle penche la tête en arrière, hurle. Elle se prend. Elle se donne. Elle se brûle. Nos souffles sont sales, rapides, collés. Et ses seins frappent mon torse. Ma langue dans sa bouche. Son front contre le mien. On gicle ensemble. Elle tremble contre moi. Je viens fort, profondément. Je reste en elle. On gémit. On rit. On reste là. Collés. Collés à l’instant.
Around the world, around the world…
La guerre, dehors ? Aucune idée. Les bombes ? C’est peut-être ça la basse. Peut-être que les explosions se mélangent aux basses. Peut-être que la guerre, c’est juste une autre chanson. Mais là, ici, maintenant, la seule guerre que je comprends, c’est celle de nos corps.
Puis elle rit. Puis elle se relève. Elle remet son short. Elle m’attrape la main. Et elle dit rien. On retourne sur la piste.
Le bar est toujours en feu. Les gens dansent. La chanson recommence. Marek est là, il surgit de la fumée, sourire tordu, le regard vague, fidèle comme un fantôme, le front en sueur, il me tend une bière, il rit, me donne une tape sur l’épaule, me dit : « C’est toujours la même, hein ? »
Et je ris.
Around the world…
Rachel la Sud-Af est là. Ses yeux brillent. Ses lèvres bougent, mais je n’entends rien. Il y a trop de basses.
Trop de monde. Trop de lumière. Son visage est encore rouge, ses cheveux collés à ses tempes, la lumière verte glisse sur son piercing au nombril. Elle sourit. Et ce sourire me coupe le souffle.
Puis elle disparaît. Elle glisse dans la foule. Comme si elle n’avait jamais été là. Comme une comète qui laisse une traînée chaude dans l’air. Je la cherche des yeux. Rien. Que des corps. Des bras levés. Des bassins qui roulent. Des visages flous. Des lumières rouges, bleus, jaunes qui dansent aussi.
Around the world, around the world…
Les Hollandaises se trémoussent ensemble, en cercle. L’une me regarde — celle au cul de rêve — et me sourit. Elle sait. Elle se souvient. Ou elle ne sait rien, et c’est moi qui projette. Elle se retourne. Son jean descend un peu. Et je repense à sa bouche. À ses hanches. À ce que j’ai fait d’elle dans ma tête.
La Danoise sautille plus loin, seule, une bière à la main. Elle tape du pied comme une furie, éclate de rire, fait tournoyer un T-shirt au-dessus de sa tête. Elle me voit, me lance un clin d’œil. Un regard de guerrière. Comme si elle m’avait déjà eu. Ou qu’elle m’aurait, plus tard.
La Française est là. Accoudée au bar. Elle fume. Elle regarde la foule comme si elle y cherchait un mot de passe. Elle croise mon regard. Un sourire. Léger. Ironique. Elle lève son verre. Je revois ses lèvres autour de ma queue. Ses yeux levés vers moi. Son cul contre le mur de sa chambre sous les toits. Elle n’a rien oublié. Moi non plus.
Et les Colombiennes ? Toujours ensemble. Toujours en miroir. Elles dansent dos à dos, seins qui pointent sous leurs débardeurs, cheveux noirs collés à leur dos trempé. Elles se frottent l’une à l’autre. Leur sueur est une langue commune. Elles m’ignorent. Elles m’habitent.
Et moi ?
Je suis là. Je suis nulle part. Je suis partout. Une bière à la main. J’ai plus de patrie. Plus de copine. Plus de parents. Plus de plan. Plus d’âge. Plus de peau.
Je suis une chanson.
Je suis Around the world, around the world, around the world, around the world, around the world, around the world, around the world, around the world, around the world, around the world…
Around the world, around the world, around the world, around the world, around the world, around the world, around the world, around the world, around the world, around the world…
Récit inspiré de la chanson « Around the world » de Daft Punk. Ce n’est pas francophone, certes, mais c’est français. La traduction des paroles est celle-ci : « Autour du monde, autour du monde, autour du monde, autour du monde, autour du monde, autour du monde, autour du monde, autour du monde, autour du monde, autour du monde, autour du monde, autour du monde, autour du monde, autour du monde, autour du monde, autour du monde, autour du monde, autour du monde… »