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Temps de lecture estimé : 62 mn
13/02/18
Résumé:  La vie suit son cours à l'agence À votre Service, les visites sans rendez-vous aussi.
Critères:  fh collègues amour pénétratio policier sf fantastiqu
Auteur : Loaou            Envoi mini-message

Série : Observés

Chapitre 05 / 08
Train train journalier et à-côtés

Résumé des épisodes précédents :


Coup de foudre en montagne inconnue

Camille a rencontré Loaou qui a disparu après une nuit torride en lui laissant un anneau, un papier, beaucoup de souvenirs brûlants, et aussi pas mal de questions…


Deux semaines de surprises

Après quelques découvertes sur Loaou et le peu qu’elle a laissé à Camille, l’affaire se complique : il a été convoqué par la gendarmerie.


Ne vous arrêtez pas aux placards

Ania, Éric et Camille ont commencé à comprendre ce que peut l’anneau. L’arrivée d’Elisa les a un peu bousculés et ils espèrent bien en savoir plus sur elle.


Vous en voulez ? En voilà !

Bien des aveux qui clarifient la situation.




Avertissement


Les épisodes de Observés ne peuvent pas être lus séparés les uns des autres. Ils ne constituent pas des histoires indépendantes autour d’un thème récurrent.

Corollaire : je comprends que revebebe n’est probablement pas le site idéal de publication de cette histoire, mais il reste celui dont je préfère la forme et les outils. :-)




Entraînements



Notes de Camille


La porte du bureau à peine refermée derrière monsieur Defleurs, Elisa nous demande, comme si l’on venait d’entrer dans la pièce :



J’hésite à répondre. Ania me précède avec un aplomb terrible :



Son rire est communicatif, il me met un peu de baume au cœur et j’en ai bien besoin. La plongée dans le passé de Loaou a ravivé son absence. Elle me manque douloureusement, je me sens aussi perdu que lorsque je suis redescendu du refuge.



Juste après ce qu’on vient d’apprendre, « cuisiné » et « grillée » sont plein de sous-entendus. Et Éric qui en ajoute une couche en voulant la mettre « au jus » ! Elle ne relève que ce mot, au sens propre :



Elle essaie de pincer ses poignées d’amour en un geste démonstratif, mais y renonce.



En deux pas, Ania l’attrape et la tire contre elle :



Elles sont trop câlines, toutes les deux dans les bras l’une de l’autre. J’en ai un pincement de jalousie, il me tarde de pouvoir en faire autant.



* * *



Une semaine tranquille s’écoule. Tranquille surtout pour moi, parce qu’Ania et Éric sont très mobilisés par le catalogue en ligne de Verts Jardins. D’après le niveau de leurs râleries qui va croissant, je dirais même qu’ils saturent un peu.

De son côté, avec l’arrivée des frimas Elisa sort moins : elle est quasiment toujours présente avec nous.

L’addition des deux fait que nous n’avons pas pris le temps de reparler de la visite de M. Defleurs. Mais quoi en dire de plus ? Bien sûr, je devrais m’entraîner avec l’anneau. Pourtant le cœur n’y est pas : je n’ai pas trop envie d’expérimenter sur mes amis, maintenant que je sais qu’il n’y a pas de limites, pas de sécurité.


Alors qu’on s’apprête à fermer boutique, Éric nous annonce :



Éric en a la chique coupée, au grand plaisir d’Ania qui intervient :



À notre grande surprise, Ania rougit et hésite à répondre. Elisa lui jette un coup d’œil attendri avant de lancer :



Elle enlace Ania et l’embrasse fougueusement en se serrant contre elle et en frottant ostensiblement sa poitrine contre la sienne, ce à quoi Ania répond avec passion.



J’ai subitement un doute :



Puis, après une intuition :



Nous les regardons d’un nouvel œil, Éric et moi, un peu étonnés tout de même. Elisa rayonne, pétille et a passé un bras autour de la taille d’Ania qui sourit béatement, les yeux brillants.


Éric nous tire de nos rêveries :



Ania lui donne gentiment un coup de coude dans les côtes en riant. J’imagine qu’elle lui a déjà tout raconté.



* * *



La soirée chez nos deux « É » – Éléonore et Éric – est très agréable, moins débridée que la précédente, au moins jusqu’avant mon départ. Pourtant, j’ai bien vu Ania et Elisa échanger quelques caresses plutôt chaudes sous les yeux envieux de Léo. Provocation ou invitation ? J’ai le sentiment qu’elles ne vont pas en rester là.


Après une mousse au chocolat des plus savoureuses, pendant que le clan féminin débat à qui mieux mieux sur les mérites de vidéos qui peuplent YouTube et nourrissent Google, Éric m’attire un peu à l’écart :



Je peux difficilement lui donner tort. Nous convenons de nous voir en catimini après la fermeture de l’agence, malgré mes réticences.


Avec ces séances, je progresse étonnamment vite. Je ne sais pas comment Éric en supporte les désagréments, mais il le fait inlassablement. C’est même lui qui m’aiguillonne :



Cette fois, j’imagine l’anneau envoyant une épingle qui va se planter profondément dans son doigt, pas une écharde.



À toute vitesse, je retire cette épingle qui n’existe pas.



Il me le montre en un joyeux doigt d’honneur, avant de le replier et d’allonger l’index.




* * *



Vendredi, en milieu d’après-midi, je barre avec plaisir (et un peu d’avance) une nouvelle semaine. Il m’en reste encore vingt à attendre, et une seule avant Noël. Caché derrière ses écrans, Éric nous lance, tout excité :




* * *



Noël est là. C’est aussi le moment de rencontres familiales assez artificielles que j’aimerais parfois fuir, sans arriver à m’y résoudre. Éric et Éléonore aiment bien ces retrouvailles. Léo a même remarqué que c’est un moment qui permet de faire connaissance avec plein de cousins. Je me demande si je dois y inclure un sous-entendu et où elle place la limite de « faire connaissance ». Ania a annoncé qu’Elisa l’accompagnera. Elle ne nous parle jamais de sa famille, je la croyais vaguement brouillée. Il faut croire que non, à moins que la présence d’Elisa ne soit un motif plus fort que les chicaneries ?


Bien entendu, à peine arrivé dans la mienne, j’ai encore droit à la sempiternelle jérémiade :



Je lève les yeux au ciel :



Ils se regardent et sourient, attendant la suite.



Plus personne ne sourit, sauf moi qui me retiens difficilement d’éclater de rire. Histoire d’enfoncer le clou, j’insiste :



Un silence glacial et gêné passe. Je les laisse mariner un peu.



Ils n’ont pas osé demander si, par hasard, je n’aurais pas en vue quelqu’un qui n’entre pas dans ces critères. Et même si j’en crève d’envie, je ne leur parlerai certainement pas de Loaou avant qu’elle ne soit revenue. En cas de pépin, je ne supporterais pas d’en entendre parler pendant des années. Et comme ça, je leur ferai la surprise, quitte à ce qu’ils en fassent une attaque !


Heureusement, l’arrivée de ma sœur cadette, Nadine, permet de changer de conversation. Surtout qu’elle a un type convenable en vue, elle, qui arrive pendue à son bras. Le seul problème, d’après nos parents, est qu’elle en change bien trop souvent. Elle n’a jamais de mal à choisir un nouvel élu : il lui en tourne toujours quelques-uns autour. Il faut dire qu’elle s’évertue à bien mettre en valeur les rondeurs aguicheuses qui la précèdent, comme celles qui la suivent, sur lesquelles la nature a été généreuse, mais pas outrancière. Autant d’aimants qui attirent les regards et leurs propriétaires.

Aux remarques maternelles, elle avait répondu, acide :



Ce à quoi elle avait répliqué vertement :



Maman avait été horrifiée, scandalisée. Pire que la fois où Nadine avait annoncé ne pas vouloir d’enfant « avant d’avoir au moins trente berges, histoire de pouvoir essayer un maximum de mecs ».


L’essai du moment s’appelle Étienne. Beau gosse, il a l’air de l’aimer, au moins pour grignoter : tout juste s’il ne la bécote pas sur place. Sauf qu’après la question de maman sur leur durée de vie commune, il est pivoine et il ne sait plus quoi faire de la main qui tripotait assez largement l’épaule nue de Nadine. Parce que même en décembre, ma sœur est capable de porter un top épaules nues avec un sous-tif sans bretelles qui soulève ses seins rondouillets suffisamment haut pour frôler la limite de l’indécence.

C’est finalement notre père qui sauve la situation en nous poussant tous dans la salle à manger :




* * *



Le 27 au matin, toute la troupe d’« À votre service », étendue à Elisa et Léo, embarque joyeusement dans ma voiture pour sept heures de route et une petite semaine insouciante. Monsieur Barteen, notre commanditaire chez Verts Jardins, a tout organisé pour nous : hébergement, planning des visites, réservations. Nous n’emportons qu’un minimum de bagages, quelques vêtements de rechange et une tenue un peu plus chic pour la soirée du 31.


Évidemment, à trois à l’arrière, ils sont un peu serrés. Mais j’ai l’impression qu’ils aiment assez, au point qu’il n’y a pas de bousculade pour la place avant à laquelle se dévoue Elisa plus souvent qu’à son tour. Elle en profite pour photographier le paysage à tout-va, sans oublier les multiples ponts ouvrants et les deux écluses que nous traversons.


Au fil des kilomètres, le décor évolue, avec des zones plus fraîches couvertes de givre et d’autres où le sol est encore jonché des couleurs flamboyantes d’automne. Tout comme l’ambiance à l’arrière, qui alterne entre des phases tranquilles de somnolence et des périodes d’excitation où les grands enfants délaissent l’extérieur pour des moments de bavardages effrénés ou des jeux de mains qui ne laissent pas sans envie les occupants isolés à l’avant.


Peu avant d’arriver, entre chien et loup, seul le GPS parle encore. Il écorche lamentablement les noms hollandais qui en sont parfois méconnaissables. L’ombre gomme le plat pays dans lequel les maisons commencent à flamboyer, parées de décorations lumineuses. Éléonore et Éric somnolent, tendrement blottis l’un contre l’autre, quelques mains perdues sous leurs pulls. Elisa a étendu son siège en couchette aussi loin que la place le lui permet sans écraser Ania. Je vois du coin de l’œil des mains qui lui massent les épaules, le visage et le cou jusque sur ses seins. Je ne distingue pas ce que fait le bras qu’Élisa a tendu derrière sa tête, mais l’autre s’affaire lascivement entre ses jambes, de temps en temps.


Je réveille tout le monde et chacun ajuste sa tenue avant d’arriver. Monsieur Barteen, nous accueille dans le hall de l’hôtel. Il propose d’utiliser nos prénoms, le sien est Stefaan. Pendant les présentations, il capture d’un œil complice quelques relents de somnolence ou de désir et nous donne rendez-vous dans une paire d’heures pour le repas du soir et une petite visite nocturne. Une mise en bouche avant d’attaquer plus sérieusement la tournée professionnelle du lendemain, tôt.


Leurs serres sont gigantesques, chaudes et humides, presque étouffantes malgré le froid extérieur. Ils obtiennent des fleurs magnifiques et colorées, même en cette saison, grâce à la mise en chambre froide des plants en fin d’été et des techniques de pointe. C’est presque magique. Je ne peux me retenir de penser aux miracles que pourrait faire ici Monsieur Amanao ! Éric mitraille de tous côtés, au grand-angle, en macro, quand il ne confie pas l’appareil photo à Elisa. À la fin de cette journée, la partie professionnelle est épuisée, les deux batteries de l’appareil et nous, aussi. On refera quelques photos d’extérieur le lendemain, mais les jours qui suivent seront consacrés au tourisme, guidés par un Stefaan connaisseur et intarissable.


À l’hôtel, je suis le seul célibataire du groupe, mais je n’ai pas le temps de m’en plaindre. Stefaan nous a préparé un programme de ministre, que nous prolongeons ensemble jusqu’à des heures dites indues. Les nuits sont trop courtes. Ania lance les deux sauvegardes des photos de la journée, puis nous les visionnons rapidement, ce qui entraîne commentaires, discussions, rires et chipotages. Parfois des mains baladent. Alors je passe en mode « souvenirs » et elle est presque avec moi. Encore dix-neuf semaines. Plus que dix-neuf semaines !


Nous passons la Saint-Sylvestre avec plus d’une centaine de convives dans un restaurant chic. Malgré les attentions de notre hôte, nous restons un peu entre nous, en grande partie à cause de la langue. Au douzième coup de minuit, Ania et Elisa me sautent au cou ensemble et me gratifient en même temps d’un double baiser au coin des lèvres, chacune de son côté, avant de s’étreindre en chuchotant et en gloussant comme des gamines. Je souhaite la bonne année à Léo et Éric, puis vais saluer Stefaan, madame Barteen et leurs collègues. Ensuite, tout le monde sort pour admirer le feu d’artifice. Nous nous serrons tous les cinq ensemble à cause de l’air vif, et aussi un peu à cause des bulles qui nous font tourner la tête.

Ils m’ont tous souhaité une bonne année : je sais qu’elle va l’être, surtout dans quatre mois et demi ! J’ai essayé, très fort, d’envoyer un « bonne année » à Loaou, sans trop y croire, même avec l’anneau.


Puis il est temps de rentrer. Nous arrivons chez nous de nuit, le deux janvier, fatigués par les kilomètres et le manque de sommeil, mais avec les yeux brillants d’images, de rires et de souvenirs.

Et aussi avec un millier de photos, dont plusieurs centaines à trier, renommer, recadrer, retoucher pour leur mise en ligne ! On s’y mettra dès demain.



* * *



Une autre visite inattendue


La sauvegarde des photos à peine transférée sur notre réseau, nous nous attelons tous au traitement des images, même Elisa. Éric nous supervise et nous conseille, tout en abattant plus du double que chacun de nous. Ania nous abandonne rapidement pour commencer leur intégration sur le site et dans le catalogue, j’en fais autant pour préparer les textes reçus par internet que je mets en forme.


Trois coups fermes sont frappés à la porte. Éric se lève par réflexe. Ania demande vivement, mais à voix basse :



On se regarde tous.



Éric ouvre la porte au moment exact où un nouveau coup est frappé. Un couple étrange est présent, la femme a encore la main levée pour toquer. Ils sont tous deux en costume strict d’un gris passe-partout. Cheveux courts, très courts pour l’homme qui arbore une brosse rigoureuse. Traits secs, faciès rigide, ils ne doivent pas rire souvent. Le gars est large d’épaules, une carrure d’athlète, la femme aussi est musclée, sportive. En dehors des pinces de sa veste et d’une poitrine difficile à cacher, rien ne souligne sa féminité, pas le moindre bijou ou maquillage.


Ils entrent ensemble, presque au pas, avant même d’y être invités. Ania fronce les sourcils et pose une main sur le bras d’Elisa.

La femme se désigne puis montre son collègue :



Je me lève et les rejoints pendant qu’Ania note à toute vitesse quelque chose sur un post-it.



Je leur tends la main. Ils la serrent à tour de rôle après une hésitation, brève, mais visible. J’ai dû louper quelque chose. Peut-être leurs grades ? Je ne suis pas militaire, moi. Je ne sais même pas qui est le plus gradé des deux. Je suppose que c’est la femme puisque c’est elle qui parle. Elle fait un rapide tour de la pièce des yeux et demande sèchement :



J’indique la porte, j’entends Éric pouffer. Je poursuis, imperturbable :



La femme est outrée :



Ania me rejoint et me chuchote quelques mots à l’oreille. J’explique :



Ils sortent tous les deux un rectangle plastifié de leur poche intérieure dans un mouvement presque synchrone. Je réalise que je suis un peu ridicule, je n’ai aucune idée d’à quoi ressemble une carte d’un employé de la DGSE. Il y a bien leur photo, une barre tricolore, un logo compliqué.



C’est ce qu’Ania m’a suggéré. Ils se consultent d’un coup d’œil.



Ils nous conduisent à la gendarmerie où j’avais été convoqué. Cette fois, nous entrons par une porte de service munie d’un digicode. Elle claque dans notre dos comme un couperet. Ils nous dirigent vers une petite pièce. Un bureau, un écran, quelques chaises, un placard, beaucoup de paperasseries. Le même décor aride et impersonnel que lors de ma convocation précédente. L’homme tire une seconde chaise contre celle déjà présente. La femme nous les désigne et s’installe de l’autre côté du bureau. Il reste debout, entre la porte et nous, les mains appuyées sur le bord de la table. Je note qu’il n’a toujours pas dit un seul mot.

C’est encore elle qui ouvre l’interrogatoire :



Je saisis bien le sous-entendu : attendez et ce sera désagréable.



Je m’attendais à ce qu’ils sortent, mais elle ne bouge pas d’un centimètre. Je me penche vers Ania et lui chuchote doucement dans le creux de l’oreille :



Elle me tend un post-it et me murmure :



Je regarde le post-it. Il contient les grades, noms et prénoms de nos deux interlocuteurs. Je les avais oubliés. Merci Ania ! Pour un peu je l’embrasserais ! Il me faut quelques secondes pour me remettre en tête tout ce qu’Amanao m’a appris. Je les occupe brièvement :



La major a un geste d’agacement et un regard vers son collègue debout. Il lui retourne une mimique qui indique que je suis un crétin ou un fou.

Je me concentre sur mon anneau comme me l’a montré Amanao Defleurs, comme je le pratique avec Éric.



Toujours flanquée de son collègue, elle nous fait signe de passer devant et nous reconduit dehors. Puis ils se dirigent vers une voiture banalisée et s’en vont.

Ania s’appuie sur mon épaule et respire un grand coup.



Je lui fais deux bises sonnantes sur les joues qui la laissent toute chose. Elle s’appuie contre moi.



Alors nous rentrons en bus tout en discutant. Au bout d’un moment je réalise :



Elle m’envoie une bourrade et nous rions ensemble.



* * *



Encore une visite



Le traitement des photos rapportées des Pays-Bas n’en finit pas à cause d’une bêtise des plus improbables. Assez tardivement, Ania remarque en assemblant une image et son texte :



Nous nous apercevons qu’après une cinquantaine de plantes, la visite n’a manifestement plus suivi l’ordre du listing qui nous a été expédié, ni même un cheminement systématique dans les serres.

Il nous reste près de cinq cents photos à faire correspondre avec les textes d’une centaine de variétés. Malgré l’aide de Stefaan, qui se désole de cette bévue et vérifie les pages déjà préparées, on passe beaucoup trop de temps à rechercher, à corriger. Et nous devons aussi traiter les demandes arrivées en notre absence, qui interrompent ce travail fastidieux qui s’éternise.


Ce vendredi après-midi, la journée terminera deux semaines de galère photos. Pour essayer d’en finir au plus vite, on a raccourci les pauses, réduit le café, supprimé bêtises et défoulement. Un énervement certain nous gagne.


Éric jure contre une photo récalcitrante dont le rendu ne lui convient pas, Ania me réclame les textes de la Marsipula Miami qui semblent avoir été oubliés des traductions du hollandais. Elisa farfouille le net pour identifier les différences entre deux corolles. Tout le monde est sous tension, l’ambiance est électrique, la moindre contrariété provoque jurons et soupirs.


Une longue sonnerie retentit à la porte d’entrée.



Une seconde sonnerie, plus courte, un peu hésitante, nous rappelle que la porte est toujours fermée.



Elle va ouvrir la porte pendant qu’Éric continue de grommeler et qu’Ania et moi poursuivons notre concerto à quatre mains pour clics de souris et touches de clavier sur fond de pixels.



La voix féminine s’est arrêtée en plein milieu de sa phrase, surprise. Elle ne devait pas s’attendre à ce qu’elle découvre. Je jette un rapide regard à l’intruse avec l’appréhension d’un costume gris. Elle est en partie masquée par Elisa, mais regarde par-dessus sa tête pour scruter les occupants de la pièce, le visage perplexe.


Mon cœur s’arrête brusquement, j’en lâche ma souris qui tombe de la table, suspendue par son fil. C’est Loaou. Elle vient de m’apercevoir, son visage s’éclaire, rayonne de bonheur. Elle contourne Elisa, avance d’un pas et s’arrête. Je n’arrive pas à bouger, paralysé. J’ai l’impression d’être un gamin face à son premier rendez-vous, mort de trac. Elle aussi, on dirait. Sans me quitter des yeux, elle plie les genoux, pose au sol la valise qu’elle tient à la main, se relève.


Aussi figé qu’une statue, je la détaille. Pantalon abricot, presque de la même couleur que sa jupe sur la photo, pull moulant à col roulé à peine plus foncé qui laisse deviner ses courbes ravissantes. Elle a les joues rosies par la fraîcheur du dehors, à moins que ce ne soit par l’émotion. Malgré son air un peu fatigué et un brin amaigri, qu’elle est belle ! Je me lève sans même en avoir conscience et fais un pas vers elle. Ses cheveux semblent plus longs, ils cascadent sur ses épaules, à peine retenus par une épingle. L’ovale de son visage aux pommettes hautes, ce sourire qui m’appelle, ses yeux inoubliables avec leur ciel d’étoiles qui brillent à pleins feux. Ils me fixent, j’entends :



Pendant une fraction de seconde, je suis à nouveau au refuge. L’émotion me submerge, je me précipite vers elle. Elle en fait autant et nous terminons notre course en une étreinte mutuelle. Je l’entoure de mes bras, elle m’écrase contre sa poitrine, je sens son cœur battre à toute allure, à moins que ce ne soit le mien. Le nez dans ses cheveux, je retrouve son odeur qui m’enivre. Des larmes de bonheur coulent sur nos joues qui se frôlent. On tourne la tête, nos lèvres se retrouvent en caresses, en baisers. Le temps n’a plus cours. Je ne sais même pas comment on tient debout, mes jambes ne me portent plus, je vole. Nous volons, ensemble, en un seul nuage.


Venu de loin, un bruit de voix m’atteint. Il répète :



J’ouvre les yeux et rencontre ceux de Loaou. Ses lèvres sont sur les miennes, elle me transmet :



On pivote ensemble vers la source de la voix. C’est celle d’Éric, penché en arrière dans son fauteuil. Je réalise qu’Elisa a refermé la porte. Elle s’appuie maintenant contre l’épaule d’Ania qui s’est levée pour nous regarder par-dessus les écrans.



Sans même lui répondre, je regarde à nouveau Loaou qui pose son front contre le mien et m’envoie :



Alors, on retombe sur terre et on rit ensemble. Enfin ensemble ! Elle me presse encore plus fort dans ses bras en m’annonçant silencieusement :



J’ai du mal à desserrer les bras. Je laisse le droit autour de sa taille, elle aussi me tient serré contre elle. Nous faisons les trois pas qui nous séparent d’Éric.



Elle a une voix que je ne lui connais pas, moins grave et traînante, avec un petit accent exotique un peu chantant, absolument craquant. Elle lui tend la main, il la serre en répondant :



Puis je lui désigne Ania et Elisa qui lui font la bise. Ania laisse tout de suite sa curiosité prendre le pas :



Elle oublie sa phrase en suspens. Loaou me regarde et me demande silencieusement :



Alors elle regarde Ania qui ouvre des yeux grands comme des soucoupes avant de dire :



Elisa la regarde, inquiète :



Loaou reste immobile, son sourire s’étire juste un peu plus. Elisa la scrute. Subitement, elle ouvre la bouche, les yeux exorbités, jusqu’à ce qu’Ania lui secoue l’épaule en riant :



Elisa examine à nouveau Loaou, avec curiosité cette fois, la tête un peu tendue en avant. Elle écarquille les yeux et devient toute rose en mettant la main devant sa bouche.



Et sans lui laisser le temps de répondre, elle lui fait une grosse bise sur la tempe. Elisa vire au rouge avec un sourire béat. Elle attrape la figure d’Ania à deux mains, la tire vers elle et y plaque un baiser sur les lèvres avant de se pelotonner contre elle en riant, nous oubliant complètement.


Le bonheur est communicatif. Loaou me serre à nouveau dans ses bras « Juste pour le plaisir, on a des mois à rattraper ! », ce que j’approuve sans restriction. Jusqu’à ce qu’Éric manifeste :



Éric s’étrangle à moitié, entre rire et indignation. Elle claque des mains et regagne sa chaise en ajoutant :



Il nous jette un regard vaguement jaloux avant de continuer :



Les ordinateurs rapidement éteints, nous roulons nos chaises vers le coin café. Je pousse la mienne d’une seule main, car l’autre se refuse à lâcher la taille de Loaou. Ignorant le fauteuil neuf qui attend en vain un visiteur, elle s’assoit sur mes genoux, tout contre moi. Le vérin de notre assise descend jusqu’en butée dans un gargouillement hydraulique douloureux.



Nous rions tous, et aussi parce que je suis assis très bas. Mais je ne changerais de place pour rien au monde. Loaou appuie sa joue contre mon front, je lève la tête pour échanger un baiser.

Éric fouille un instant dans l’armoire à archives dont une partie des dossiers sont particulièrement liquides, pétillants et alcoolisés. Il en extrait triomphalement une bouteille, sous le regard surpris d’Elisa et de Loaou.



Après quelques gorgées savourées en silence, les bulles explosent en même temps que la conversation.



Je ne la laisse pas finir :



Un peu désemparée par ces échanges, Loaou me regarde avec tendresse et interrogation pendant qu’Elisa s’esclaffe. Je lui explique :



Elle indique sa valise du menton.



De temps en temps elle cherche un mot, une expression. Elle rit :



Elle se serre contre moi, un peu confuse, avec une moue irrésistible et m’embrasse sur le nez. Elisa éclate de rire.



S’ensuit un moment de conversation à bâtons rompus où Éric et Ania se mettent en boîte pour leur diplomatie respective, les verres sont vides, la bouteille aussi. Ania nous désigne tous les deux, Loaou et moi, et propose avec malice :




Installation



Raconté par Loaou.


Je pars avec Camille, en laissant ses collègues à leur local. Ils sont gentils, mais j’ai un peu de mal à les cerner. En tout cas, j’ai l’impression de vivre un rêve depuis que je l’ai vu, assis devant son bureau, qui me regardait.


Tout le long du trajet, il a du mal à conserver ses deux mains et son attention à la conduite et je dois me forcer pour ne pas me laisser glisser contre son épaule. Il me tient quand même la main une bonne partie du trajet et à chaque fois mon cœur fait des bonds.


Arrivés chez lui, je ne tiens plus. À peine sortis de la voiture, je cours dans ses bras et on s’étreint avec bonheur. Sans me lâcher, il récupère ma valise et nous entrons dans son immeuble, serrés l’un contre l’autre.


Une dame âgée vient d’entrer dans l’ascenseur, elle en retient les portes ouvertes pour nous. Nous la rejoignons, toujours enlacés. Elle appuie sur les boutons deux et cinq.



Elle me jauge avec curiosité, en levant la tête. Elle semble étonnée et nous interroge du regard.



Elle ouvre la bouche et hésite une seconde avant de sourire de toutes ses rides :



Elle me toise des pieds à la tête, comme si j’étais dans une devanture de magasin, puis ajoute en guise de rapport :



Camille sourit et approuve d’une pression des doigts sur ma hanche. Ce simple geste me fait fondre de bonheur. Je résiste difficilement à l’envie de l’embrasser.



L’ascenseur s’arrête avec un tintement, les portes s’ouvrent.



Je souffle à Camille :




* * *



Nous entrons et faisons le tour de son appartement. Il prétend qu’il n’est pas bien grand; mais il est nettement plus spacieux que mes studios de ces derniers mois. Et pas en désordre du tout, ses amis sont plutôt farceurs. On y sent sa présence partout, je suis ravie.


Je le sens ému, comme moi. J’ai du mal à réaliser que nous allons enfin vivre ensemble, ici, alors que j’en ai tellement envie. Mon rêve devient réalité, une nouvelle vie commence.



Il commente sa disposition, il m’explique ce qui est rangé ici, ou là. La petite entrée est bordée à gauche par un placard large, mais peu profond. Il y suspend sa veste. Elle débouche dans une grande pièce avec une table presque au centre. À gauche d’une large baie vitrée, un coin bureau et télévision avec un grand écran en face d’un canapé. La cuisine occupe le côté droit, elle est dotée d’un petit îlot rectangulaire bardé de tiroirs. De l’autre côté, presque en face de l’entrée, s’ouvre un couloir avec quatre portes. À droite, les w.c. puis la salle de bain. Au fond, une petite pièce de rangement presque vide. À gauche se trouve l’unique chambre, vaste, avec elle aussi une baie vitrée.



Je l’embrasse. Le bonheur qui me tient se transforme en une envie terrible. Je le tire jusqu’à ce qu’on tombe ensemble sur le lit en riant. Il se serre contre moi, nous nous embrassons, nous nous câlinons, c’est délicieux. Je m’assieds, le temps d’ôter mon pull, mon chemisier. Il me regarde, un peu gêné, un brin rougissant. C’est amusant : je ne me sens pas gênée, moi.



Je tire sur son pull, je l’aide à se déshabiller. On est nus tous les deux. Je l’admire un instant avant de basculer sur lui avec tendresse. Je le caresse partout, il me le rend bien. Je frémis. Il retrouve chaque endroit qui me transporte de plaisir, j’essaie de lui en donner autant. Une caresse du dessus de la main sur mes seins m’arrache un gémissement. Avec l’émotion, j’ai un peu du mal à trouver les mots, alors je lui transmets :



Je roule sur le dos, je le tire sur moi, je l’emprisonne entre mes jambes et mes bras, telle une cage. Je l’aide à se positionner et je sens la petite tension de mon sexe qui s’ouvre pour accueillir le sien. Il glisse tout au fond de moi, à la fois trop vite et trop lentement. C’est tellement bon que je voudrais que ça dure très longtemps, mais en même temps, je voudrais plus vite, plus fort, plus… je ne sais pas quoi.


Quelques mouvements et une vague de plaisir encore plus grande soulève mon ventre, gonfle mes seins, dévaste ma tête. Je perds tout contrôle. J’ai l’impression de l’accompagner en rythme sur une musique de sensations. Mon bassin suit sa partition, sans chef. Au milieu du mouvement allegro, j’explose en un nuage de notes de feu, indescriptiblement violent, doux et agréable. Je crois même que j’ai perdu connaissance quelques secondes, déconnectée par l’intensité de cette musique.


Il repose sur moi, m’écrase un peu, pourtant pas assez. Je le serre sur moi des bras et des jambes. Je lui caresse le dos. Il m’embrasse le cou, la figure, j’en fais autant. Nos lèvres promènent et se retrouvent, encore et encore. Je flotte dans une mare de bonheur pur, à la folie. Je le lui dis, avec des mots :



Subitement, il devient inquiet :



Il me regarde avec un drôle d’air :



Il cligne des yeux. Je complète en parlant, tout doucement :



Il me regarde avec les yeux brillants de bonheur :



Il me caresse doucement le bord d’un sein, des frissons descendent de ma nuque et vont se perdre entre mes jambes.




* * *



De caresses en câlins, nos étreintes durent longtemps. Jusqu’à ce qu’on commence à avoir faim. Camille remarque :



Il se soulève sur un coude, tend le bras au-dessus de moi et tente de faire pivoter son réveil. J’en profite pour le chatouiller et on joue comme des enfants, ivres de bonheur. Puis il s’excuse et s’éclipse le temps de mettre un plat à chauffer. Il revient, me tend les deux mains pour m’aider à me lever. Une impulsion et je me retrouve pendue à son cou, le temps d’un câlin, joue contre joue, poitrine contre poitrine. On est un peu collants. Il me propose :



De lavage en caresses, il s’en faut de peu qu’on s’aime de nouveau sous la douche chaude. Alors qu’on s’amuse sous la pluie, entre câlins et baisers, la sonnerie du four et la bonne odeur qui s’infiltre dans la salle de bain réveillent subitement nos estomacs qui gargouillent.


Nous gagnons le côté cuisine, chacun enroulé très approximativement dans une serviette de bain, et découpons aux ciseaux des parts dans une immense pizza à la pâte moelleuse et au bord croustillant.



Je lui tends ma part, il mord dedans.



Il tend l’index vers moi. Le pan qui passe par-dessus mon épaule a glissé, j’ai un sein entièrement découvert, l’autre n’en est pas loin. Lui non plus n’est pas trop couvert, surtout au niveau de l’entrejambe. En riant, je remue les épaules pour la faire tomber et je tire le bord de la sienne qui glisse aussi au sol.




* * *



Je crois que cette première nuit chez Camille – chez nous, comme il dit –, on a encore moins dormi qu’au refuge. On s’est aimé jusqu’à tomber de sommeil. Le matin, très tard en fait, j’ai eu le bonheur de m’éveiller pelotonnée contre lui et de pouvoir y rester, sans devoir partir. Il n’a pas tardé à ouvrir les yeux aussi. Nous avons à nouveau fait l’amour avec la douceur de fin d’un rêve et pourtant une intensité incroyable. Puis on s’est précipités à la cuisine comme si on avait rien mangé depuis deux jours, après un petit passage dans la salle de bain.



* * *



J’ai sommairement inventorié le maigre contenu de ma valise, et nous sommes allés faire les emplettes. La vendeuse du magasin va se souvenir de nous ! J’ai expliqué qu’il me fallait tout, des épingles à cheveux jusqu’aux chaussures, chemise de nuit et veste chaude. Elle m’a demandé si ma valise s’était perdue à l’aéroport !


On a vite eu les bras bien chargés et elle m’a regardée avec un brin de gourmandise quand j’ai proposé à Camille de venir avec moi dans la plus grande cabine d’essayage :



Il a été assez sage. Juste quelques caresses avec les deux mains pour vérifier si la belle robe beige ne me serre pas trop sur les hanches et sur la poitrine, après avoir remonté la fermeture dans le dos. Je n’ai pas pu résister, je me suis retournée pour le serrer contre moi et l’embrasser. Et j’ai acheté la robe : elle est parfaite !


La vendeuse a été très étonnée aussi quand elle a demandé quels produits de maquillage je préfère :



Elle m’examine, les yeux suspicieux et le front plissé, pendant que Camille se retient de rire.



Il repousse mes cheveux vers l’arrière pour dégager mon visage et me fait un baiser sur la tempe. Je lui glisse :



On éclate de rire ensemble pendant que l’employée reste perplexe.


Au moment de régler mes achats, Camille veut payer. Je me défends :



Il a l’air surpris :



Avant d’aller au magasin Ikea acheter une grande armoire, avec un côté en penderie et l’autre plein de tiroirs et d’étagères, nous avons fait un saut au supermarché pour toutes ces petites bricoles indispensables : brosse à cheveux, à dents, shampoing démêlant, tampons et autres babioles dont nous, les filles, avons le secret. Même des lunettes de soleil. Il s’est moqué :



Ainsi vont les choses, il découvre petit à petit ce que je sais déjà : que nous avons vraiment beaucoup à partager, de quoi être heureux ensemble, sans s’ennuyer.


Nous terminons dans la galerie par un sac à main et un smartphone. Il s’étonne :



Alors que nous nous dirigeons vers la sortie de la galerie, il rouspète avec humour :



Il s’arrête subitement, les yeux pétillants, et me tire par la main :



Pour vérifier que je ne regarde pas, il dépose un baiser surprise sur mes lèvres puis me prend par la taille pour me guider. J’en fais autant et je me serre contre lui avec plaisir. On marche quelques minutes dans le brouhaha des gens qui circulent autour de nous. J’entends une porte automatique qui se referme derrière nous, puis un calme feutré. On avance encore quelques pas :



Nous sommes dans une bijouterie. Il me montre sa main.



Nous explorons les vitrines ensemble, puis avec l’aide d’une vendeuse. Elle n’a heureusement jeté qu’un rapide coup d’œil sur la main de Camille et nous propose quelques bagues, dont une qui ressemble assez, ornée d’un petit diamant qui dépasse à peine. Elle est fine et me plaît beaucoup. Je serre Camille contre moi et je l’embrasse avec émotion, sous le regard envieux de la vendeuse qui fait semblant de se tourner pudiquement, mais qui ne nous quitte pas des yeux, la fripouille !


Au restaurant, en attendant le « Canard en feuilleté, avec sa gelée au Xérès, pistaches et pickles de champignons », elle scintille entre nos doigts emmêlés.



Une idée lui vient en tête. Il s’exclame :



Il me raconte à mi-voix sa visite à propos de l’anneau, les démarches qu’il avait entreprises avec ses amis, et les conséquences imprévues qui ont suivi. Troublée, je lui transmets :



Malgré les portions qui semblaient petites dans leurs grandes assiettes, nous sortons rassasiés du restaurant, avec des saveurs raffinées qui traînent encore sur nos papilles. Ils nous ont fait goûter trois vins différents, plus une coupe de champagne « offert par la maison ». Je suis un peu gaie. Je lui tire la main.



On s’embrasse langoureusement. Je le serre fort contre moi.



Il sort son téléphone de sa poche, le remet en marche :



Il demande le rappel du numéro, échange brièvement quelques phrases et me résume :



En parlant, il penche la tête sur son téléphone. J’en profite pour lui faire des bisous dans le cou, de l’autre côté. Je glisse la main sous son pull. Il rit tout en expliquant :



Il raccroche et me tire contre lui :



Il a fait un peu plus que m’embrasser, malgré les passants et l’absence de la robe beige. Puis on est rentrés rapidement et on a décidé que vider la voiture pouvait attendre un peu…



* * *



Nous sommes allongés, bras et jambes mélangés. On respire vite, pas encore remis de nos folies. Le mouvement de sa poitrine qui presse doucement la mienne est délicieux. Je le sens moins câlin, hésitant. Je sais pourquoi.



Il me regarde, mi-sourire, mi-ennuyé, avant de me conter leur soirée un peu arrosée chez Éric et Éléonore, notre histoire racontée, les caresses, la nuit dans leur chambre d’amis, le réveil avec Ania, ce câlin impassible, la fuyant en rêvant à moi. Je soupire :



Il a un blanc, avant de comprendre :



Je hausse les épaules :



Il se serre contre moi, m’embrasse :



Il me regarde avec des yeux interrogateurs. Ils sont beaux. Je transmets :



Je continue sans parler :



Il sursaute et, après un instant de surprise, il se jette sur moi. On roule sur le lit comme des chiens fous avant de retrouver un moment d’immense douceur et d’étreintes.




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Tea time



Éléonore et Éric viennent d’arriver. En attendant Ania et Elisa, nous pavanons devant l’armoire blanche qu’on a assemblée hier à grand renfort de rires et de lancers de vis. On a eu de la chance de ne pas en perdre ! Elle n’est occupée qu’à moitié avec mes habits neufs et quelques affaires de Camille. Éléonore examine mes achats en connaisseuse. Elle tend un jean à bout de bras :



Elle raccroche le jean, sort la fameuse robe beige et la tient devant moi, suspendue à son cintre.



Éléonore lui donne un coup de coude et le fusille d’un œil noir pendant que Camille répond, goguenard :



Il ne manque pas de culot, Éric. Je me retiens difficilement de rire en demandant silencieusement à Camille :



Je fais juste semblant de soulever le bas de mon pull. Camille me regarde, incrédule, déjà rosissant. J’éclate de rire et le serre contre moi, avec un baiser pour lui remettre les idées à l’endroit.



Je lui explique, tout de go :



Elle me regarde, surprise, puis éclate de rire à son tour, rejointe par Éric. Camille est un peu rouge, mais ses yeux rient aussi.



La sonnette nous interrompt.



Pendant qu’il traverse la grande pièce, Éléonore me souffle rapidement à mi-voix :




* * *




Tout le monde s’est réparti autour de la table, attiré par les deux tartes qu’elle expose. Avant qu’on nous pose la question, nous avouons qu’elles viennent de la pâtisserie du coin, même si nous avions un moment pensé les cuire nous-mêmes. Mais on s’est laissé aller à d’autres activités trop agréables, après un réveil encore plus tardif que la veille, résultat d’une seconde nuit très câline.


Ania et Elisa semblent avoir du mal à rester réveillées, elles aussi. Elles se sont assises l’une contre l’autre et ne parlent pas beaucoup, contrairement à leur habitude.



C’est Elisa qui répond, un peu abruptement :



Subitement, Ania la coupe avec une rage qu’elle a du mal à contenir :



Camille monte au créneau sur-le-champ :



Elle me jette un regard noir avant de s’effondrer en pleurs, le visage appuyé dans ses bras croisés au bord de la table. Elisa lui passe la main dans les cheveux, la tire contre elle :



Je sens Camille sur le point de répliquer quelque chose de cinglant. Je me précipite, silencieusement :



Les autres ne se doutent pas de notre échange. J’essaye d’atteindre Ania, d’atténuer sa fatigue, son chagrin et de lui insuffler l’envie de trouver des solutions, alors qu’Elisa insiste :



Effectivement, Ania se reprend un peu, même si je sens encore en elle une colère sourde contre moi. Elle se redresse, les poings serrés.



Ania réalise qu’elle a choqué tout le monde. Éléonore secoue la tête tristement, Éric la regarde, muet. Camille a pris ma main et a posé ostensiblement nos doigts entrelacés sur la table, bien visibles, pour indiquer son camp. Elisa est sur le point de pleurer, elle aussi. Un silence pesant se prolonge. Ania finit par dire d’une toute petite voix, en fixant la table devant elle :



Elle me regarde piteusement, toute colère disparue :



L’ambiance s’allège d’un seul coup. Éléonore se propose de servir et demande qui veut quoi, la pelle à dessert déjà à la main. Camille récupère une assiette bien garnie, la dépose solennellement devant moi, puis m’embrasse longuement. J’en ai des picotements partout, jusqu’au bas du ventre. Il me susurre, en privé :



Il m’étreint, je le lui rends. Un moment de tendresse dans la tempête. Quand on se sépare, un peu essoufflés, j’annonce :



Je laisse passer une seconde.




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Réunion




D’après un compte-rendu daté de l’avant-veille, vendredi.



Naoro, sous-directrice adjointe, arrive très en retard, décoiffée, essoufflée. Elle se jette dans le fauteuil de la petite salle de réunion.



Elle fait un tour de table du regard – ils sont là tous les cinq – pendant qu’elle reprend son souffle. Besoin qui lui rappelle cruellement qu’elle a passé la soixantaine. Elle a toujours autant d’énergie que lorsqu’elle avait vingt ans, mais son corps ne suit pas. Elle jette un regard un peu envieux sur la grassouillette Tiki, avachie en face d’elle, qui a la moitié de son âge et qui ne les fait même pas. Pourtant, elle ne prend aucun soin d’elle-même en dehors des tatouages qui ornent ses membres (ainsi que des endroits plus intimes, d’après les ragots). Elle est la plus jeune des six, de très loin, mais une tête qui a déjà grimpé haut dans le service de communication et cryptographie.



Des remuements apparaissent subitement.



Elle sort de sa poche une petite boîte qu’elle pose sur la table avec un claquement métallique et se tourne vers Noelani, assis à sa gauche.



Une seule main se lève, celle de Zahia, du service logistique, une cinquantenaire brune au regard perçant et à la tête bien remplie, trois places plus loin :



D’un geste savamment onctueux, Naoro ouvre la boîte et leur montre son contenu, quatre anneaux soigneusement disposés dans un support velouté comportant plusieurs fentes vides.



Elle frissonne en reprenant :



Il se tasse dans son fauteuil et se passe la main sur le visage :



Un ange passe, certains se regardent avec curiosité. Le ministre Noelani prend l’initiative :



Elle se tourne vers lui, juste à gauche de Noelani. C’est un homme bien mis de cinquante-cinq ans. Malgré ses cheveux un peu grisonnants et qui commencent à s’éparpiller, il a gardé l’œil vif et brillant, surtout quand il observe aussi discrètement que maladroitement Tiki, en face de lui. Il se présente d’une voix grave et un peu râpeuse :



Elle se tourne vers sa voisine pour lui donner la parole.



Elle se tourne vers le dernier participant, à sa droite.



Ayant remballé un peu sèchement Tiki qui pique un fard, il poursuit :




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