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Temps de lecture estimé : 66 mn
05/06/18
corrigé 06/06/21
Résumé:  Après avoir mieux fait connaissance, une chasse est lancée...
Critères:  #policier #sciencefiction #fantastique collègues
Auteur : Loaou            Envoi mini-message

Série : Observés

Chapitre 06 / 08
La recherche du trésor

Résumé des épisodes précédents :


Coup de foudre en montagne inconnue

Camille a rencontré Loaou qui a disparu après une nuit torride en lui laissant un anneau, un papier, beaucoup de souvenirs brûlants, et aussi pas mal de questions…


Deux semaines de surprises

Après quelques découvertes sur Loaou et le peu qu’elle a laissé à Camille, l’affaire se complique : il a été convoqué par la gendarmerie.


Ne vous arrêtez pas aux placards

Ania, Éric et Camille ont commencé à comprendre ce que peut l’anneau. L’arrivée d’Elisa les a un peu bousculés et ils espèrent bien en savoir plus sur elle.


Vous en voulez ? En voilà !

Bien des aveux qui clarifient la situation.


Train train journalier et à-côtés

La vie suit son cours à l’agence « À votre Service », les visites sans rendez-vous aussi. Après un passage d’inspecteurs rondement expédié, le retour prématuré de Loaou perturbe les habitudes.



Avertissement

Les épisodes de « Observés » constituent une histoire continue qui n’aura aucun attrait à être lue sans connaissance ou souvenir du contenu des épisodes précédents.


Corollaire

Je comprends que Revebebe n’est probablement pas le site idéal de publication de cette histoire, mais il reste celui dont je préfère la forme et les outils. :-)




_________________________________




Décisions



Ah, ces tartes ! Je ne regrette pas qu’on les ait achetées : elles sont délicieuses et elles tombent à pic. Le temps de les déguster laisse les esprits se calmer. Ania semble moins nerveuse, mais toujours aussi penaude. Elle me jette sporadiquement un regard en douce, comme pour quêter un pardon. J’accroche le dernier pour lui transmettre, avec l’espoir de lui changer les idées :



Surprise, elle en laisse tomber sa cuillère qui tinte sur la table.



Les autres se taisent. Ils ont bien compris qu’elle ne parle pas toute seule, mais se méprennent certainement sur le sujet. Le rythme chaotique des cuillers ponctue un moment le silence.


Son assiette à peine vide, Elisa relance la discussion :



Il avale et reprend :



Il s’arrête, incapable de continuer.



Cette dernière a déjà compris, comme à son habitude, et lui rend la pareille :



Elisa est stupéfaite :



Il me jette subitement un regard gêné et complète d’une voix nettement moins assurée, en laissant mourir le nom :



Il me faut une seconde pour comprendre. Defleurs : une traduction assez imagée de Maloaneya-Oparaohoiu, mon nom de famille que je n’utilise que rarement. Une poigne me serre le cœur, j’ai l’impression d’avoir reçu un coup. J’écrase inconsciemment le bras de Camille qui sursaute et me regarde anxieusement.



Je tremble comme une feuille, j’ai du mal à parler :



Je réalise que je suis en larmes et qu’il me serre contre lui malgré l’espace entre nos chaises. Je m’y abandonne.



Je me cramponne à son épaule comme à une bouée. Ses lèvres cueillent une goutte salée sur ma joue humide. Je me serre contre lui. J’entends Ania et Léo chuchoter entre elles sans que je ne les comprenne. Petit à petit, je me ressaisis, en un effort qui me coûte terriblement. Je ne peux pas continuer en privé avec seulement Camille, en ignorant ses amis. Je dois parler :



Ania me regarde, sidérée :



Comme je lui serre la main, il me tire vers lui. Je viens m’asseoir sur ses genoux, lovée dans ses bras comme une petite fille pour un câlin réparateur. Sauf que je suis aussi grande que lui, alors je déborde un peu de partout. Le froid me quitte, remplacé par une douce chaleur qui me remplit et se transforme petit à petit en envie d’un vrai câlin, pas de petite fille. Je me secoue :



Il me résume le passage de cet homme que j’ai banni de ma vie, et termine en disant :



Camille acquiesce et prend le relais en parlant doucement, un peu comme s’il s’adressait seulement à moi.



Il se tait. Un silence respectueux, un peu gêné, plane autour des assiettes vides. Personne ne dit mot. Je sens tout l’amour de Camille par ses bras, par son corps contre moi, ses lèvres sur ma joue. Il m’empêche de geler à nouveau. Je me revois, adolescente tardive et hypersensible, me serrer dans les bras de cet homme qui me tenait déjà lieu de père, de mère, de sœur et de confident, et à qui je réclamais une folie impossible. Mon premier amour qui m’avait brisée, détruite. Par amour. Le mur que j’avais entretenu depuis douze ans se fissure, s’écroule et je m’effondre sur l’épaule de Camille, puis je ne sais plus.

Ce sont eux qui m’ont raconté. La peur de Camille qui m’a sentie glisser contre lui, inerte, et a refusé de me lâcher. Léo qui a mouillé une serviette et l’a posée sur mon front. Je ne suis restée absente que quelques secondes. Quand j’ai repris conscience, elle parlait dans du coton, disant :



Camille m’appelait dans ma tête, avec des mots tellement pleins de douceur que mon premier geste a été de tendre les lèvres. Il m’a embrassée et je l’ai serré contre moi à nous casser les côtes, encore tremblante. J’ai entendu Ania rire :



Mais ils m’ont laissée un moment pour me remettre, en parlant doucement. Camille pense très fort :



Il me regarde en souriant.



J’ai un blanc avant de raccrocher les morceaux. Ils sont là parce que je les ai invités. Avec Camille, bien sûr. J’explique :



Éric, Ania et Camille se mettent à parler tous en même temps. Ils finissent par s’entendre et m’expliquent à tour de rôle qu’elle vient de la gendarmerie, ils me racontent son histoire. Je grimace :



Je souris :



Comme il me regarde avec les yeux ronds, je précise, toujours dans mon idée :



Ania se précipite :



Je repense à mon chef avec un plaisir cynique :



Je continue mes explications, presque en riant au souvenir de l’évènement :



Je retourne sur ma chaise, que je tire quand même tout contre la sienne, et me serre contre lui, avant de répondre :



Je lui souris :



Je cherche dans mes souvenirs.



Le ton était irrésistible, tout le monde a éclaté de rire. Ils m’ont expliqué que Camille est intarissable au retour de ses randonnées. La discussion a dérivé sur leurs loisirs, leurs activités, puis sur ce que je compte faire :



Un silence suit, chacun réfléchit de son côté. Éléonore trouve l’idée excellente :



Camille propose que je vienne à l’agence avec lui jusqu’à mercredi pour essayer. Ania persifle qu’on serait probablement plus efficaces en restant tous les deux ici :



Elisa aussi fait semblant d’être piquée au vif, mais ne peut résister plus de quelques secondes avant de tirer Ania vers elle le temps de lui voler un baiser en riant. Elle annonce, subitement redevenue grave :



On se regarde et s’esclaffe ensemble. Je demande :



Je fais le geste de couper ma main droite. J’explique aussi qu’ils trouveront forcément une autre surface plane à proximité, un autre mur, ou même un sol. Ça ne retardera que de quelques heures, le temps de sonder.



Il s’ensuit un certain brouhaha. Ania demande si je suis sérieuse, les larmes aux yeux. Elisa essaye d’expliquer qu’elle ne mérite pas cet échange. Camille ne veut pas en entendre parler. Éric et Éléonore causent vivement entre eux, puis avec Ania. Éric finit par hausser la voix :



Tous les regards se tournent vers Camille. Il me prend la main et annonce, un brin crânement, en me regardant :



Pendant que les autres sont trop stupéfaits pour réagir, je lui offre mon plus beau sourire, accompagné en privé de :



Il nous faut encore négocier un moment, avant qu’ils finissent par céder. Je réponds à d’autres questions, je leur raconte ma vie de ces mois à fouiner un peu partout, là où m’envoyait mon travail. Puis la découverte de Camille, le choc, l’émotion, la surveillance discrète, la collecte d’informations, quelques anecdotes. Mais l’ambiance reste tendue. Éric lance sporadiquement des bêtises qui nous amusent sans réussir à nous réjouir.


Ils nous quittent à la fin de l’après-midi. Camille referme la porte et se tourne vers moi :



Il reste soucieux. Alors je me presse contre lui, je laisse mes mains courir dans son dos, puis sous son pull. Les siennes ne tardent pas à en faire autant. Nos lèvres s’entre-caressent et nous dérivons lentement vers la chambre en laissant derrière nous une ligne pointillée de vêtements et d’inquiétudes. Arrivés au lit, il ne me reste qu’une chaussette dont je me débarrasse avec ses dernières appréhensions. Nus, peau contre peau, ne subsiste que le bonheur présent et l’envie d’en profiter aussi fort et longtemps que possible. Dont acte.




* * *




Effacement



Lundi matin nous retrouve tous dans le bureau de l’agence, sauf Léo. Je roule d’un poste à l’autre sur une chaise neuve et confortable, curieuse de découvrir ce qu’ils font. Je passe plus de temps auprès de Camille, j’ai besoin de son contact, mais je m’efforce de ne pas trop le gêner. En tout cas, il ne se plaint pas quand j’enroule mon bras autour du sien, il participe même un peu. Chacun m’explique un peu son travail, ses outils. J’ai bien conscience de leur faire perdre du temps, alors j’apprécie d’autant plus.


Éric m’a indiqué la photo. Elle est un peu en contre-jour, près de la fenêtre. Je suis surprise de m’y reconnaître : elle me met plus en valeur que je ne suis, et je ne me souviens pas du tout du moment où elle a pu être prise.


Vers onze heures et demie, Elisa sort faire quelques courses. Elle suggère de ramener des pizzas et des fruits, pour pique-niquer sur place. Elle se sauve avec l’approbation des trois autres. J’ai proposé de l’accompagner, mais elle m’en a dissuadé :



Je commence par réviser un peu de grammaire, l’emploi des pronoms personnels en complément d’objet. J’ai pris conscience d’oublier souvent ces « le, la, les, en » facétieux, et j’avais demandé hier soir à Camille de m’expliquer.


Subitement, Ania nous fait tous sursauter. Elle s’exclame, les bras tendus en l’air :



Les têtes de Camille et Éric apparaissent au-dessus des écrans, souriantes. Elle appuie solennellement du bout de l’index sur une touche de son clavier tout en m’attrapant par l’épaule, puis me dépose un baiser sonnant au coin des lèvres avant de réaliser, toute gênée et rougissante :



Évidemment, nous éclatons tous de rire, mais je le lui rends sa bise de bonne grâce. Éric demande, l’air de rien :



Ania se lève et va l’embrasser aussi, exactement pareil.



Elisa entre juste à ce moment, toute frigorifiée, avec des cartons plats qui sentent bon et un grand sac en papier autour du bras. Nous lui expliquons cette subite hilarité et elle réclame le baiser qui lui était initialement destiné. Nous déjeunons dans une très bonne humeur, près de la machine à café qui va être mise à contribution.




* * *





Nous sommes au coin de la bijouterie où il a eu la mauvaise idée de faire expertiser son AP, par ma faute. La rue est parsemée d’îlots scintillants, mi-neige mi-givre. Quelques rares voitures circulent prudemment. De loin en loin, un flocon volette au gré des courants d’air. Le ciel est d’un gris plat et uniforme, mais j’aime bien cet environnement différent. Camille me souffle un petit nuage de condensation sur le nez pour chasser quelques cheveux rebelles. Mais pourquoi est-ce qu’au moindre geste, au moindre regard, j’ai cette envie folle de me serrer tout contre lui ?


J’ôte ma capuche, je lisse mes cheveux chargés d’électricité statique et pousse fermement la porte. Un grésillement désagréable signale mon entrée. On dirait l’agonie d’un criquet mourant dans une boîte de conserve. L’homme qui somnole derrière le comptoir en attendant le chaland lève lascivement la tête, m’examine un quart de seconde puis se précipite à ma rencontre. Il esquisse un petit salut, l’œil brillant et le parler précieux :



Je sens Camille pouffer derrière moi. Il me rejoint, me prend par la taille et dépose ostensiblement un petit baiser sur ma joue. Le sourire du bijoutier devient nettement moins chaleureux, mais reste bien au-dessus du minimum commercial. Brusquement, il se fige.



Le bijoutier a un bref regard derrière nous en direction du plafond, probablement vers une caméra de surveillance, et esquisse un pas en arrière.



Je sens qu’il utilise son anneau. L’homme s’arrête net, l’air effaré. Il lève les bras devant lui en un réflexe de protection puis, ne sachant plus qu’en faire, les croise sommairement.



Le bijoutier devient blafard.



J’ai à peine besoin d’effleurer ses idées, que j’exprime à haute voix :



Le type ouvre grand la bouche et oublie de la refermer. Les yeux lui sortent de la tête, ils oscillent alternativement entre Camille et moi, comme s’il regardait un match de tennis. Il finit par articuler :



Le bijoutier hésite quelques secondes avant de lâcher :



Je le coupe :



Pendant que ses yeux roulent en tous sens, horrifiés, le type annone lentement, le front plissé d’une vaine résistance, les bras crispés :



Camille enregistre soigneusement l’intégralité de sa déclaration avec son téléphone mobile.



Le gars est plus rouge qu’une tomate trop mûre.



Camille lui montre son anneau avec un petit sourire en coin et un clignement des yeux. Le bijoutier le regarde comme s’il voyait le Père Noël, incrédule.



Il lui ordonne d’effacer toutes les traces de son premier passage et du nôtre, de débrancher la caméra de surveillance encore une heure ou deux et de détruire tous les enregistrements effectués depuis ce matin vers dix heures : « Elle a eu une petite panne, un faux contact de rien du tout, vous avez juste secoué le fil ». Puis d’oublier complètement tout ce qui touche l’anneau : nous, les visites, et même ce qu’il pourrait en entendre ultérieurement. Il passe en revue des possibilités improbables avec une méticulosité qui m’amuse, avec des redondances, mais sans oubli qui me vienne à l’idée. Pour finir, il le libère de l’ordre « restez ici » qu’il avait imposé en arrivant. Après un dernier regard circulaire, il ajoute :



L’homme confirme et s’en va vers l’arrière-boutique d’une démarche un peu ankylosée. Nous sortons, accompagnés des derniers crissements de l’atroce insecte virtuel. Je ne retiens plus mon rire :



Nous nous congratulons d’une longue embrassade. Sans prévenir, un gros flocon me tombe sur la joue, subitement accompagné par une infinité d’autres en une ronde magique. Nous regagnons l’agence main dans la main, l’esprit guilleret, aussi léger qu’eux. Je ne remets pas ma capuche pour mieux en profiter et nous réussissons même à en croquer quelques-uns !




* * *





Camille me regarde, amusé. Il m’envoie :



Un silence s’étire, ils réfléchissent à ce que je viens d’énoncer. Camille me demande silencieusement, un peu gêné :



Je me sens irrésistiblement attirée vers lui, et je ne cherche pas à résister. Je me jette dans ses bras et nous restons enlacés, joue contre joue. C’est délicieux, inutile de parler, ni même de penser.



Elle nous secoue avec Elisa en riant. Nous émergeons, presque surpris de nous retrouver au milieu du bureau. Je m’attendais à voir tomber de la neige chaude autour de nous, dans une ambiance plus propice à un déshabillage. Je sais que Camille partage cette sensation. Tant pis, on se rattrapera plus tard.


Ania a une autre idée : elle propose de contacter son ami chimiste pour tenter d’apprendre d’où venait son dossier. Sans attendre notre réponse, elle attrape son téléphone et en fouille l’annuaire à la recherche du numéro, tout en filant vers le coin toilettes pour s’isoler un peu. Camille l’interrompt :



Elle réfléchit un instant en regardant son mobile, puis nous fait non de la tête. Elle le colle à son oreille en disant « Allô ? Michel ? » et referme la porte sur elle. Elisa demande qui est ce Michel. Lorsque Éric lui raconte les déceptions du bavard, elle conclut pensivement :



Pendant qu’Ania téléphone, nous cherchons l’adresse de l’inspecteur Jacques Cayou sur Mappy, après avoir réécouté l’enregistrement et transcrit son contenu dans un petit fichier. Il n’habite pas très loin, une demi-heure en auto. Il travaillerait dans Paris, mais c’est tout ce que savait « ce con de bijoutier », comme le qualifie Éric. La visite avec Google Street nous montre un pavillon cossu dont l’entrée donne sur une rue bordée d’un long parking. Il sera facile de s’y garer.


Nous tergiversons sur la meilleure conduite à tenir. Téléphoner pour prendre rendez-vous ? Cela risque d’éveiller son attention. Si on a sa femme, ce ne sera pas mieux. Je leur confirme qu’un AP est sans effet par téléphone, seulement à proximité.



Nous sommes encore en train d’en rire lorsque Ania sort des toilettes, soucieuse, les sourcils froncés, le téléphone pendant au bout du bras.



Mais sa plaisanterie tombe à plat.



Ania détaille à Elisa les fiascos culinaires et sentimentaux de Michel, Éric est plié de rire. Je l’entends murmurer « elle va se surpasser ! ». Camille m’explique brièvement les pratiques du duo Ania-Elisa qui commence à se tailler une solide réputation dans les boîtes de nuit aux alentours, envié par certains, redouté par d’autres, tous genres confondus.


J’essaye de tirer des conclusions plus pratiques pour ce qui nous concerne :



Nous lui racontons notre idée d’aller sonner demain par surprise chez le Jacques. Elle nous remballe :



Elle explore la carte restée affichée sur l’écran de Camille.



Camille appelle, je le sens un peu tendu. Non, monsieur Jacques Cayou n’est pas là, c’est Lilian, sa femme, qui répond. Elle nous attendra demain à dix-huit heures. Elle est désolée, mais ne peut arriver plus tôt et son mari rentre rarement avant. Camille raccroche et laisse échapper un grand soupir :



Je laisse échapper un rire discret. Camille me regarde d’un œil réprobateur, mais avec une pensée qui le dément et qui me fait fondre.




* * *




Au suivant !



Mardi midi, la neige qui blanchissait les rues au petit matin a complètement disparu sous le vent tiède qui annonce la pluie. Le contraste avec les températures de la veille est sidérant. Nous quittons l’agence en même temps qu’Ania et Elisa qui prétendent avoir besoin de se préparer pour aller chez Michel. Éric demande très lubriquement si elles veulent bien lui envoyer un selfie, une fois prêtes :



Elisa chuchote quelques mots à l’oreille d’Ania qui éclate de rire avant de s’adresser à Éric :



La porte de l’immeuble à peine franchie, un tourbillon s’empare de mes cheveux et les enroule autour de ma tête. Je recule de deux pas dans l’entrée, le temps d’enlever ceux que j’ai dans la bouche et les yeux, puis de les attacher en queue de cheval. Camille m’aide en riant. Il range une mèche du bout des doigts, comme au refuge, et en profite pour glisser avec tendresse une caresse sur ma joue :



Les bourrasques précurseures d’orage nous accompagnent tout au long du trajet pendant que le ciel s’assombrit. Alors que nous remontons la rue Champollion, elles cèdent brusquement la place à un orage torrentiel. Camille se gare laborieusement en face du portail de la maison Cayou en tentant d’apercevoir la rue entre deux passages des essuie-glaces.


Les vitres ruissellent de flots qui masquent toute visibilité et le toit crépite. Il est hors de question de sortir sous une douche pareille qui ne saurait durer. On s’entend à peine. Il se penche vers moi pour dire quelque chose, j’attrape ses lèvres d’un baiser qu’il me rend en riant. Le suivant est plus tendre, ils deviennent rapidement torrides. Nos mains furètent un peu partout, au risque de mettre à mal notre tenue.


Le silence subit nous interrompt, à regret. La pluie s’est arrêtée aussi brusquement qu’elle avait commencé. Les vitres redeviennent transparentes, un rideau gris, presque opaque, s’éloigne à toute vitesse et disparaît au bout de la rue. Nous sortons précautionneusement de l’auto en regardant le ciel incertain et la rue ruisselante, avant de traverser et de sonner au 92.

La porte s’entrouvre immédiatement, retenue par une chaînette de sécurité.



Camille prend des couleurs, j’adore. Elle ouvre la porte et nous dirige vers un salon cossu. Il fait très chaud, peut-être par contraste avec l’extérieur. La pièce est vaste, claire et respire une aisance certaine. Une table basse et un immense canapé en forme de L délimitent un carré presque parfait qui se prolonge le long du mur par un piano droit, laqué noir, suivi d’une porte vitrée. À leur gauche trône une grande table en bois foncé entourée de chaises, puis un comptoir qui nous sépare de la cuisine « à l’américaine ». Lilian passe derrière en demandant :



Elle lève le bras par-dessus le comptoir, orné d’un pistolet automatique qu’elle pointe vers nous.



Je pose délibérément la main droite sur mon genou et la gauche… sur celui de Camille que je presse un peu. Il fait de même en retenant difficilement un petit rire. Elle regarde nos bras croisés, sourcils froncés, en hésitant sur la conduite à tenir. J’en profite pour caresser ostensiblement la jambe de Camille.



Les yeux ronds, elle s’exécute lentement, à regret. Elle quitte la cuisine comme poussée par une personne invisible et tend le pistolet.



En un clin d’œil, elle ôte le chargeur. Puis elle tire la glissière et récupère la cartouche éjectée. Après un clic qui indique le désarmement du percuteur, le pistolet vide atterrit promptement sur la table et la balle rejoint ses collègues dans le chargeur, à côté de lui. Elle ne mentait pas : elle sait s’en servir, avec dextérité. Elle se laisse tomber sur l’autre côté du canapé, l’air épouvanté, et se passe une main sur le front :



Elle a l’air vraiment désemparée. Malgré ses traits crispés et les petites rides qui trahissent la cinquantaine passée, elle garde l’allure d’une belle femme, preste et soignée, sûre d’elle. Ses cheveux courts, teintés bruns et soigneusement ébouriffés encadrent des yeux noisette vifs dans un brin de maquillage trop propre qu’elle a dû retoucher avant notre arrivée. Son pull en mohair moule une poitrine moins abondante que l’image que m’avait servie le bijoutier, probablement rehaussée par un soutien-gorge pigeonnant qui la met en valeur dans son large col en vé. Elle remarque mon regard qui s’attarde sur ses formes et m’apostrophe avec un éclair de vengeance :



Je manque m’étrangler de surprise et rétorque, revancharde :



Devant Camille complètement ébahi, je soulève d’un seul geste mon pull et mon chemisier que je laisse tomber à ma droite, sur le canapé, et pointe fièrement les seins vers notre hôte.



Cette fois, c’est elle qui me surprend. Elle retire son pull-over et, après une infime hésitation, dégrafe son soutien-gorge qu’elle laisse choir négligemment sur le pull. Tout comme je l’ai fait, elle se cambre exagérément, l’œil goguenard :



N’empêche qu’il se rince l’œil, un coup d’un côté, un coup de l’autre. Il soulève la main, je le devine sur le point de me caresser involontairement. Et je dois avouer être étonnée : la poitrine de Lilian s’affaisse un brin, mais moins que ne l’évoquait le bijoutier. Elle a même fière allure, surtout qu’elle triche en étirant les bras derrière sa tête, ce qui la remonte quelque peu.



Plongée dans la recherche des flashes de souvenirs que j’avais captés chez ce Vivien, j’ai tout déballé sans y réfléchir. Le résultat ne se fait pas attendre, en premier chez moi. Repenser à ces brèves images fait sourdre une onde de chaleur dans mon ventre, amplifiée par les frétillements des doigts de Camille que j’emprisonne toujours sur mon sein.


Elle me regarde bizarrement un moment, avant de demander calmement, mais avec une rage volcanique proche de l’éruption :



Je fulmine. La chaleur qui baignait mon ventre s’est transformée en une boule de rage qui ne demande qu’à exploser. Je suis tendue, prête à lui sauter dessus. Heureusement, elle se tait. Camille me chuchote dans le creux de l’oreille :



Je réalise qu’effectivement je la presse et la serre contre moi au point d’en avoir mal, moi aussi. Je relâche la pression, la soulève un peu. La trace de ses doigts reste imprimée sur mon sein vaguement douloureux. Je la repose délicatement en une caresse et me détends de tout mon poids contre le dossier et contre mon chéri.



J’ai un petit hoquet de stupeur avant de réaliser qu’il se moque.



Je prends sur moi de tenter une conciliation, alors que Lilian nous regarde attentivement d’un air narquois :



J’ai exposé le tout en la regardant fixement. Après un instant de stupeur, elle pose sa main sur sa bouche et commence à pouffer nerveusement, avant de basculer dans un fou rire qui la secoue tout entière. Je me tourne vers Camille qui est rouge comme une pivoine et dont le pantalon arbore effectivement une belle bosse. Le fou rire nous gagne aussi, irrésistiblement, jusqu’aux larmes. Alors qu’on essaye laborieusement de reprendre notre souffle, Camille a le malheur de hoqueter :



Et nous retombons irrémédiablement dans des rires endiablés, amplifiés par Lilian qui ajoute :



Je glisse sur Camille qui peine à se retenir en s’accrochant au dossier, quand une voix annonce :



Et elle repart en vrille de plus belle, nous avec. Un vrai fou rire comme on en a peu : stupide et irrésistible, relancé par le moindre détail incongru. Même Jacques finit par rire de bon cœur avec nous, sans savoir pourquoi.


Heureusement, ce rire dément commence à passer. J’en ai des crampes sous les côtes et les joues qui tirent, je suis épuisée. J’essaye de respirer lentement en pensant à autre chose, avec la sensation d’être sur un fil, de risquer la rechute au moindre geste déplacé, à la moindre parole sibylline. Les autres se calment aussi. Lilian constate, essoufflée :



Il nous regarde alternativement tous les trois, puis la table basse vers laquelle il tend le doigt, perplexe :



Elle se tourne vers moi :



Il me scrute comme s’il cherchait à lire des inscriptions tracées sur ma peau. Surtout sur mon torse. Je n’ai aucune difficulté à explorer ses pensées. Il se demande ce que je peux bien cacher. Il me trouve plutôt bien foutue – c’est gentil – et il regrette qu’on ait enlevé que le haut. Il trouve que c’est même surprenant vu les habitudes nudistes de sa femme : elle n’a pas dû se forcer beaucoup ! Il ne serait pas étonné qu’elle ait délibérément provoqué notre déshabillage.


Ses yeux remontent se fixer aux miens après un arrêt au creux de mes jambes. J’en profite pour lui transmettre, sans bouger d’un poil :



Elle me fixe avec curiosité, elle aussi. J’en profite pour leur envoyer à l’un puis à l’autre :



Ils m’examinent un moment en silence, suspicieux et étonnés. J’en profite pour résumer à Camille, en privé. Il commence à rire doucement. C’est vrai qu’ils sont comiques, tous les deux, aussi perplexes qu’ébahis. Je romps le silence :



S’ensuit une avalanche de questions auxquelles Camille tourne court :



Il me regarde suspicieusement puis ajoute :



Il tend la main par-dessus le coin de la table pour le montrer.



Il s’interrompt et tend le bras. Sa femme aussi se penche en avant pour mieux voir. Camille intervient vivement :



Ils retombent sur l’assise et se tortillent un peu avant de comprendre qu’ils y sont confinés.



Jacques cogite à toute vitesse et réagit promptement. Il n’est pas inspecteur pour rien :



Il se tortille un peu pour vérifier s’il ne peut pas se lever, avant d’annoncer :



Il nous explique que l’homme se faisait passer pour un SDF, c’est pratique pour zoner, la nuit. Mais il était suspecté d’être un agent de renseignements étranger (ce qui est assez vrai, mais que je ne commente pas !). Une enquête avait été ouverte sur lui, sur son entourage, ses contacts, puis classée sans suite et archivée.


Il l’a découverte après l’appel de Vivien, en interrogeant les dossiers informatiques à propos d’une bague étrange. Alors il a rouvert le dossier et diligenté une petite investigation sur ce second anneau. Elle a été inexplicablement sabotée par trois inspecteurs plus ou moins frappés d’amnésie partielle, ce qui commençait à vraiment le turlupiner. Il avait pensé à des drogues, pas à l’hypnose.


Il se tait un moment, et repense aux diverses pages du dossier. Subitement, il m’examine avec acuité et a un mouvement de recul :



Il s’agite furieusement et Camille intervient pour le calmer. En quelques mots, nous comprenons pourquoi ils m’avaient surveillée : j’avais plusieurs contacts en commun avec le SDF, une grossière erreur de Globalency !


Après une longue discussion où il se montre finalement plus qu’intéressé, presque entreprenant, il finit par avouer que d’après le dossier, l’AP devrait être aux archives, mais qu’il ne s’y trouve pas : il l’avait cherché en octobre, pour avoir l’avis de Vivien. Il a dû se perdre entre des bureaux ou lors d’analyses externes, à moins que quelqu’un ne l’ait récupéré sans savoir ce que c’est, en le prenant pour une babiole sans valeur. Et il dit la vérité.



Comme pour le bijoutier, il leur ordonne d’effacer toute trace de notre passage, de faire disparaître tout ce qu’il est possible du dossier, des archives et d’oublier ce qu’a raconté le bijoutier, les AP et même nous dès qu’on sera sortis. Pris d’un doute, il me demande silencieusement :



Le temps qu’il finisse d’expliquer les derniers détails, Lilian a frénétiquement ôté le bas. Nue et sans plus de pudeur que s’ils étaient seuls, elle s’empare de son mari qui ne tarde pas à se trouver dans le même état. Et c’est parti pour un ballet de caresses à quatre mains, assez peu exotique, mais très efficace.

Camille ne profite pas longtemps du spectacle, il succombe tout aussi vite dès que je le tire contre moi. J’ai vaguement eu l’idée de l’aider par quelques pensées coquines, mais il n’en a pas besoin non plus ! Nous atteignons rapidement l’extase, presque trop vite, alors que Lilian et Jaques s’en donnent à cœur joie. Je ne sais pas ce que mon chéri leur a suggéré, mais c’est diablement efficace !


Quelques minutes d’apaisement plus tard, tendrement blottis l’un dans l’autre, nous nous rhabillons après une rapide recherche des toilettes et quittons discrètement les Cayou qui continuent sans faiblir à passer en revue les positions du kâmasûtra. Bien qu’agréable, cette partie de jambes en l’air à la sauvette me laisse sur ma faim, tout comme Camille qui me serre contre lui par la taille jusqu’à l’auto où il me lâche manifestement à regret, après quelques baisers.


Nous étions un peu déçus, mais après quelques kilomètres, une fois l’excitation du moment retombée, nous le sommes doublement : l’anneau semble bien perdu et, en plus, nous avons faim. En guise de consolation, nous dînons sur le chemin du retour dans un petit bistro bondé, à la vitrine sans apparat dans une façade bleue, mais au menu délicieux et au service jovial. L’intérieur est décoré de dessins au crayon qui ne m’attirent pas trop, mais qui, surprise, sont signés « Camille ». Le jeune chef et patron, Franck, à qui je présente avec amusement mon Camille un peu gêné, appelle en riant sa compagne, l’autre Camille. Nous prenons une photo de Camille et Camille trinquant autour d’un verre offert par la maison et promettons de revenir.




* * *




Rencontre de couloir






* * *




Absences



Sur la petite table de l’agence, trois tasses sont pleines de café fumant et odorant, deux restent vides : celles d’Ania et Elisa qui ne sont pas encore arrivées. Elles ont dû se déchaîner sur ce pauvre Michel ! Tout en sirotant nos cafés, on se dit qu’on aimerait bien les voir arriver, pour enfin savoir ce qu’elles ont trouvé. Ou pas. Éric demande ce qu’on a pensé de leur selfie. Devant nos mines interrogatives, il précise :



Camille réalise qu’il avait éteint son portable et oublié de le remettre en marche ! Quant au mien, je n’ai pas encore donné son numéro. Effectivement, une photo attend d’être vue. Camille l’affiche d’un glissement du doigt, éclate de rire et me tend son téléphone. Ania et Elisa posent en pied, elles se tiennent par la taille. Ania tient son portable de l’autre main. En arrière-plan, on reconnaît l’appartement d’Elisa : elles ont pris la photo dans la grande porte en miroir du placard. Elles sont très légèrement maquillées, mais… entièrement nues et elles semblent bien s’amuser. Ania se dresse sur la pointe des pieds, ce qui accentue leur différence de taille et la rend encore plus longiligne, mettant en valeur Elisa et ses formes délicieuses, plus arrondies.



Camille bredouille une vague négation en rougissant alors que je réponds « Pourquoi pas ? » et qu’Éric nous regarde comme si on était déjà imprimés sur du papier. Je rends son téléphone à Camille, qui fait machinalement glisser l’image sur le côté pour voir s’il y a une suite, avant de le glisser dans sa poche.


À onze heures et demie, elles ne sont toujours pas arrivées. Éric a tenté par trois fois de joindre Ania sur son mobile et n’a obtenu que son répondeur. Il a laissé deux messages, sans effet.

Il se lève, se rassoit, se relève et tourne comme un fauve en cage, en faisant des allers-retours fébriles entre sa chaise et la table aux cafés, sur laquelle les deux tasses vides attendent toujours.



Éric fouille dans un tiroir de son bureau et tend une clé plate dotée d’une étiquette jaune simplement marquée « Ania » :



Il hausse les épaules :



Nous roulons en silence les quelques minutes du trajet, un peu contaminés par l’inquiétude d’Éric. À peine arrivé, Camille remarque :



Camille tente tout de même de sonner, puis d’ouvrir la porte. Elle est fermée à clé. Je le tire par la main vers l’étroit passage qui permet de contourner la maison, entre la haie de charmilles et le mur sud. Derrière, un petit jardin est soigneusement préparé, malgré la saison. Une brouette est appuyée contre la façade, la roue posée sur quelques sacs de terreau vides qu’elle immobilise. Ania entretient visiblement un coin potager qui attend les beaux jours pour recevoir des semis ou des plants.



La porte donne directement dans la cuisine. Le silence nous accueille. Le jardin est impeccable, mais l’intérieur est un peu négligé. Des tasses attendent dans l’évier, alors qu’à l’agence la sienne est la seule qui soit toujours propre ! Un couteau est planté verticalement dans une demi-baguette assassinée. Un panty bordé de dentelle et une culotte assez transparente traînent au bord du canapé, visiblement jetés à la hâte, témoins d’un départ précipité, mais probablement pas malheureux.


Camille me guide et je visite sommairement. La maison est petite, presque une maison de poupée, au décor un peu vieillot, mais intime et chaleureux. L’unique chambre est vide, il n’y a personne dans le lit défait. Au moment de descendre l’escalier de la cave, Camille hésite. Mais la porte blanche qu’il m’a décrite est là, grande ouverte sur l’appartement d’Elisa. Son intérieur luxueux, moderne et éclairé, jure avec le reste de la maison. Il est aussi plus froid, impersonnel et me rappelle irrémédiablement mes logements précédents. Le lit est fait, mais encombré de tenues disparates. Il ne doit pas servir souvent. Un rapide coup d’œil dans les multiples placards confirme qu’ils ne cachent personne. Avant de regagner l’auto, nous laissons sur la table de la cuisine un mot griffonné sur un post-it pour les informer de notre passage et demander de rappeler au plus tôt.




* * *





Il me tend son mobile avec un rire faussement indigné et démarre. Je raconte notre visite plus en détail, bien qu’il n’y ait pas grand-chose à en dire, finalement. La communication devient hachée, nous convenons de nous rappeler dès qu’on a des nouvelles.


Cette absence d’Ania et Elisa nous tracasse plus que l’on veut bien le reconnaître. Pendant le reste du trajet, nous proposons à tour de rôle des hypothèses qui deviennent complètement extravagantes. Elles nous occupent et nous évitent de poser des questions plus terre-à-terre, qu’on n’a pas envie d’envisager.


Heureusement que Camille se souvient du trajet : l’université s’étale sur des hectares en bâtiments épars. Il se gare sur un parking presque vide indiqué par un panneau blanc : « Chimie Minérale ». Le hall d’entrée est désert. En dehors de sifflements, chuintements et bourdonnements de machines, le bâtiment est silencieux, studieux. Nous arpentons quelques couloirs aux murs tapissés de planches extraites d’exposés avant d’arriver devant un bureau à la porte, ornée d’une étiquette indiquant « 134 » suivie de « Luc Armand, Michel Dantiou ».



Camille frappe, personne ne répond. Il réitère. Au moment où je m’apprête à tourner la poignée, une jeune femme, qui remonte le couloir d’un pas rapide, nous croise. Sans même s’arrêter, elle lance : « Vous avez vu l’heure ? Ils sont tous au restau. Revenez dans un moment. Bon app’ ! » et elle s’éclipse vers l’entrée.


Non, on n’avait pas vu qu’il est midi et demi bien tassé. Camille jure à voix basse. Pour compléter notre contrariété, il ne se rappelle pas comment rejoindre le restaurant où ils avaient mangé, quelques mois plus tôt. Il avait suivi Michel en conversant, sans repérer les lieux. Nous partons vivement à la poursuite de notre informatrice potentielle, mais elle a déjà filé.


Retour au parking. Nous errons un peu entre les pâtés de bâtiments à la recherche d’un coin restauration, avant d’être aiguillés par un étudiant au crâne rasé qui nous conseille de nous dépêcher, vu l’heure.




* * *




Un repas léger et un appel téléphonique à Éric plus tard, qui ne nous apprend rien, nous voilà de nouveau devant la porte du bureau 134, à presque une heure et demie. Elle est entrouverte, nous allons enfin en savoir plus. Camille frappe.



La pièce, tout en longueur, a le mur gauche couvert d’étagères surchargées. Deux tables sont appuyées contre celui de droite, dont la plus proche est vide. L’occupant de l’autre nous inspecte rapidement avant de manifester une certaine curiosité :



Il me déshabille d’un regard envieux, l’esprit tout bouillant d’hormones et d’envies de plaire qui m’agressent presque et que je capte malgré moi. J’en déduis qu’il n’est pas celui que nous cherchons : Camille l’aurait reconnu. Il nous voit regarder le siège vide :



L’espèce de coq prétentieux pense qu’il aimerait bien me mettre dans son lit. Il veut me retenir pour tâter le terrain, et moi avec. Il s’imagine déjà avec une main sous mon pull et l’autre dans ma culotte, mais il doit se débarrasser de mon « collègue ». Il a le culot de chercher une idée pour l’envoyer promener dans un autre bureau, il espère même que le café lui donnera envie d’aller pisser.


J’hésite à embrasser vigoureusement Camille sous ses yeux, mais ce serait lui dévoiler inconsidérément que je sais ce qu’il pense, même si on peut ensuite le lui faire oublier. Et assez peu compatible avec l’endroit. Basse vengeance, je tente de lui insuffler une envie pressante, sans succès. Pourtant, je suis sûre que je devrais pouvoir y arriver ! J’en réfère silencieusement à Camille :



Camille manque de s’étrangler avec son café. Il tousse un peu :



Il continue en pensée à ma seule intention :



Quelques secondes plus tard, Luc Armand, d’après l’étiquette sur la porte, se tortille d’un pied sur l’autre, la tasse à la main, et en boit le contenu précipitamment en se brûlant. Au moment où il s’excuse de devoir s’absenter, je lui demande s’il a du sucre. Pris entre deux pulsions, il choisit délibérément la mauvaise : celle du courtisan. Il me tend la boîte en carton en se trémoussant sur place, avec un sourire enjôleur crispé. Je le fais sournoisement patienter quelques secondes en souriant avant de me servir, lentement. Il jette presque la boîte sur la table et sort en courant.


Dès que nous l’estimons assez loin, nous éclatons de rire. Je raconte à Camille ce que j’ai capté, il me confirme qu’il ne me lâchera sous aucun prétexte. Nous profitons de l’absence des propriétaires pour inspecter rapidement la table de Michel. Outre l’informatique habituelle, elle est encombrée de boîtes, d’échantillons, d’appareils et de câbles, de documents, mais aucun dossier visible qui semble un brin ancien ou confidentiel. Pas mieux sur les étagères qui lui font face.


Camille remarque la seule chaise destinée aux visiteurs, adossée au mur contre le bureau, et nous improvisons une petite mise en scène. À son retour, Luc nous découvre assis. Je suis tendrement installée sur les genoux de Camille, un bras autour de son cou, sans équivoque possible. Surtout que la main de Camille s’attarde sur ma cuisse. Je perçois immédiatement un flot épais de jalousie et de dépit. Il regrette le café offert !


Nous nous levons et reprenons la discussion debout. Comme il a un grand pan mouillé sur l’avant de son pantalon, je demande très innocemment : « Ici aussi, vous avez un lavabo qui arrose partout ? », ce qui me permet de capter qu’il n’a pas pu se retenir complètement jusqu’au bout du couloir. Alors il s’est largement aspergé en rinçant, avec un bon prétexte :



En tout cas, son humeur a bien changé : il veut se débarrasser de nous, tous les deux cette fois. Il pivote son fauteuil, s’y assoit et annonce sans détour :



Subitement, Luc devient méfiant. Il nous examine en plissant les yeux.



Camille rit tellement qu’il doit exiger deux fois l’adresse et le téléphone de Michel : la première n’a pas marché. On s’en va en laissant ce coquin dans l’oubli de notre visite, avec seulement le souvenir un brin honteux de son pantalon mouillé, et pas seulement d’eau.




* * *




Je sonne à l’appartement de Michel Dantiou. Il y avait bien un interphone en bas du petit immeuble, mais par chance un habitant sortait et nous sommes entrés directement. En arrivant, Camille cherchait la voiture d’Ania, mais il ne l’a pas vue. Et maintenant, personne n’ouvre.

J’insiste une seconde fois sur le bouton. On entend une sonnerie discrète à deux tons, à travers la porte. S’ils dorment, ce n’est pas elle qui les réveillera. Mais il est quand même plus de quatorze heures !



Il appuie longuement sur le bouton. Miracle, un raclement se fait entendre à l’intérieur.



La porte s’ouvre sur un visage bouffi de sommeil, les yeux soulignés de valises gonflées qui nous regardent, presque sans nous voir. Ils accrochent Camille, un neurone s’active.



Il s’efface pour nous laisser entrer, referme la porte d’entrée et s’engouffre dans celle de la salle de bain qu’il claque derrière lui.


C’est un studio assez vaste où la kitchenette occupe pourtant la part congrue, presque un placard. L’ameublement y est complètement dépareillé. Quatre chaises différentes entourent la table sur laquelle se trouvent encore les couverts, trois bouteilles et des cartons de pizza. Ania avait vu juste ! Un antique bureau à cylindre, bloqué ouvert par un écran informatique, jouxte une large commode au look Ikea qui supporte un écran TV 4k impressionnant, encadré de hautes et fines enceintes. Il fait face au lit convertible qui est vide et dans un état insensé : une tornade semble l’avoir ravagé. La couette dépasse largement de sa housse chiffonnée et se mélange au drap qui laisse découvert un grand triangle de matelas rayé. Un oreiller a basculé derrière le lit, l’autre est sous une chaise.


Michel nous rejoint presque aussitôt. Il a passé un peignoir aussi démodé que son bureau et a les cheveux mouillés. Il a dû tremper la tête dans le lavabo !



Une série de flashes lui revient en mémoire que je perçois comme des images très brèves, mais explicites. À ce niveau, « bousculée » ne convient pas, « débridée » est un euphémisme ! L’une est sous lui, il ne sait même plus laquelle. Il la prend vigoureusement, pendant que l’autre lui fait toutes sortes de papouilles, y compris dans des coins très sensibles, et qu’il la caresse en même temps. Ses souvenirs lubriques sont interrompus par Camille qui demande :



Je vois passer des éclairs du petit déjeuner. Il étale de la confiture sur un sein qu’il lèche ensuite goulûment pendant qu’un torrent de sensations monte de son bas-ventre. Puis d’une douche, tous les trois serrés dans la petite cabine avec des mains absolument partout. Subitement, en même temps qu’un regret, je vois un uniforme militaire, devant le coin cuisine. Je sursaute et demande :



Il me regarde en silence, blanc comme un linge. Il se demande comment je le sais.



Il se tait et examine ses orteils en repensant à toute l’histoire.



J’aurais dû me méfier. Il avance brusquement en me balançant un coup de poing terrible, au jugé. Je l’esquive maladroitement en m’écartant. Au lieu de me frapper au plexus, il m’atteint sur le haut du sein. J’ai à peine le temps de voir mille chandelles dans une douleur épouvantable avant de m’effondrer, pliée en deux, le souffle coupé, un voile noir sur les yeux. J’entends Camille hurler « Stop ! Plus un seul mouvement ». Il m’attrape au vol et me dépose sur le lit.



Il m’embrasse, me caresse le front. Je lui fais un sourire qui doit ressembler à une grimace. Chaque inspiration me scie le côté, je respire à petits coups rapides, je halète. Au bout d’un moment, la douleur devient moins aiguë, mais s’étale, sourde, tapie jusque sous l’épaule. Je prends une respiration un peu plus grande pour lui dire :



J’ai juste le temps de l’attraper par le bras avant qu’il n’applique sa sentence.



En maugréant, il m’aide à m’asseoir au bord du lit. Je reprends mon souffle et découvre Michel recroquevillé au sol, en chien de fusil. Il respire encore plus difficilement que moi, tétanisé, avec un souffle rauque. Il a dû s’écrouler alors qu’il voulait s’enfuir, brutalement immobilisé par l’ordre impétueux de Camille.



Une minute plus tard, Michel est assis sur une chaise d’un côté de la table, moi de l’autre. Il a promis de se tenir à carreau et il attend, la tête basse. Camille est entre nous, installé sur le petit côté.



Michel nous explique qu’en octobre, le directeur de recherche lui avait demandé des comptes sur l’utilisation non enregistrée du microscope numérique. Il avait avoué l’existence du second anneau et Bernard avait transmis l’information au propriétaire du dossier, qui avait en retour imposé de retenir toute personne posant des questions. Le couteau sous la gorge, il avait cédé. Ils tiennent sa carrière et lui ont promis des mois de prison, sinon. C’est pour ça qu’il a demandé un délai pour répondre à Ania : il devait prendre leurs ordres, avant. Ils lui ont imposé d’emporter le dossier et de s’en servir pour la faire venir chez lui entre sept et huit heures ce matin, et de ne surtout pas verrouiller sa porte.



Camille le coupe sèchement :



Il se tait. J’échange en privé avec Camille et nous arrivons à la même conclusion, qu’il expose à Michel :



Un ordre de Camille et il nous suit sagement, bien qu’en reniflant exagérément. Dans la voiture, l’ambiance n’est pas à la rigolade. Nous attendons le bon vouloir du feu tricolore pour quitter le parking quand le téléphone de Camille sonne. Il me le tend sans même le regarder. C’est Éric ! Il est tout excité et inquiet en même temps.



La discussion se poursuit pendant le court trajet et nous arrivons tous les trois ensemble à la décision de ne pas bouger avant demain : elles ne semblent pas en danger. On verra alors s’il faut intervenir, par exemple pour aller effacer des traces.


En conséquence, nous lâchons devant son bâtiment un Michel terrifié, mais délivré de toute contrainte et allégé de quelques souvenirs gênants, puis nous rentrons à l’agence. Au moment de raccrocher, Éric nous mentionne que Léo aussi avait appelé : il se fait tard pour aller en ville. Il lui a expliqué, elle m’accompagnera à l’institut un autre jour.



* * *



À suivre…