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Temps de lecture estimé : 42 mn
01/04/18
corrigé 06/06/21
Résumé:  Où un trio explore les plaisirs saphiques. Où les conspirateurs chuchotent autour d'une table dite ronde
Critères:  fh ff fff fmast intermast cunnilingu pénétratio -lesbos
Auteur : Claude Pessac            Envoi mini-message

Série : Les tilleuls des félons

Chapitre 05 / 06
Les Plaisirs du Bourg

Avertissement au lecteur


Ten years after…


Après une absence totale du site pendant dix ans et publication de quelques textes récemment, j’ai ressenti le besoin de conclure (enfin !) cette histoire.

Ce texte est la suite des Tilleuls des Félons, dont quatre épisodes ont été publiés ici même en… 2008 (délai record du monde de Rêvebébé ?). Ici, le cinquième volet, le dernier chapitre, écrit, paraîtra dans la foulée, juste le temps pour vous d’avaler tout ce qui précède…


Résumer les quatre premiers chapitres est absolument impossible ! Si le pavé ci-dessous ne vous rebute pas, il vous faudra en passer par la (re)lecture des précédents sous peine de ne rien comprendre à cette suite. Sachez quand même que dans sa totalité, Les Tilleuls des Félons pèse environ… 260.000 caractères (hors espaces) ! Une lecture au long cours donc !


J’espère que les courageux qui finiront la ballade y trouveront quelques miettes du bonheur que j’ai eu à me promener en 1145, dans l’Alsace du Moyen-Âge, avec le Père Augustus, Sylvette et Arbogast !

1.000 excuses encore aux lecteurs de la première heure !



Les Tilleuls des Félons


Épisode 1 : Quand résonne le bourdon

Où le maître est assassiné, mais personne ne le pleure. Où le révérend commence son enquête


Épisode 2 : … d’Api, d’Api rouge

Où la veuve prend du bon temps. Où les experts analysent la scène de crime


Épisode 3 : Les obsèques joyeuses

Où les obsèques se transforment en bacchanales. Où la Comtesse s’en remet aux doigts experts de sa couturière


Épisode 4 : La couleur des extrêmes

Où Braunstein se dévoile masochiste. Où Sylvette, sans en avoir l’air, résout bien des mystères




Les plaisirs du bourg




Sur son lit, la blonde alanguie sort difficilement d’une douce rêverie. La porte ouverte à la volée, l’intrusion de sa parente, le ton agacé de la question, ne l’ont même pas fait sursauter ni poussé à voiler sa nudité. Étendue dans le mitan du lit en bataille, les mains croisées derrière la nuque, cuisses entrouvertes, la jeune femme sourit benoîtement. Un rai de soleil coquin, infiltré entre les tentures, illumine précisément sa toison intime, la faisant scintiller comme un bijou couronnant la rose toute déployée de son sexe encore épanoui. Un état que la nouvelle arrivante ne manque pas de remarquer :



La diatribe, débitée d’un trait, a fini par amuser la belle alanguie. S’étirant paresseusement, la jeune femme se confesse avec délices à son interlocutrice qui vient de s’asseoir près d’elle :



Soudain sérieuse, Soren implore :



La jeune veuve remarque bien l’embarras de Soren, mais ne veut pas insister : elle ne connaît que trop l’entêtement de sa parente. Tête dure, aussi dure que la sienne.

Mais compagnie si agréable. Kirsten est heureuse de sa présence auprès d’elle depuis quelques mois, cette amie presque sœur, enjouée et maligne, qui l’a réconfortée et distraite, sortie de sa solitude et prodiguée d’ardentes consolations. Et si désormais, un certain chevalier lui fait découvrir d’autres distractions, Kirsten n’en apprécie que davantage sa très coquine parente toujours prête à lui dispenser conseils et précieuses expériences.



Vaincue, Soren fait mine de protéger ses fesses. Riant de leur complicité, les cousines quittent le lit, l’une poursuivant l’autre jusqu’au baquet des ablutions. Les deux jeunes femmes se ressemblent étonnamment : enfants, elles usaient de leur ressemblance pour abuser leurs nurses, précepteurs et même leurs parents. Et en grandissant, ces fausses jumelles ne sont pas déparées. Si Soren ne portait pas les cheveux courts, rares seraient ceux qui aujourd’hui encore pourraient la distinguer de Kirsten.


Laquelle, à cet instant, arrose copieusement sa cousine avec l’eau glacée du broc. Elle la frotte avec ardeur avec un gant de crin qui lui fait rougir la peau. La toilette est joyeuse, mais plutôt expédiée ; rapidement séchée, Soren se glisse prestement dans un bliaud¹⁾ en lin écru qu’elle agrémente d’un surcot grenat. Une tenue sobre somme toute pour ne pas trop contraster avec les atours sombres portés par la Comtesse. Elle enfile prestement ses bottines, fourre quelques vêtures dans un sac en cuir et interroge Kirsten pour savoir si elle doit ou non emporter une pèlerine de cavalière.



Soren fait la moue en récapitulant mentalement l’inventaire de son équipement :



La comtesse joue les indignées.



Affichant un air de parfaite innocence, Kirsten feint de chercher à droite et à gauche et même au plafond qui, dans la pièce, pourrait bien être concerné par cette insinuation… Complices, les deux jeunes femmes rient de ce manège.



Montées comme il se doit en amazone sur leurs chevaux, les belles dames traversent dignement la cour du château, suivies par leur escorte. Au village, elles saluent aimablement les manants rencontrés, mais sitôt hors de vue, les donzelles, avec un bel ensemble, troussent leurs robes, passent à califourchon et piquent leurs pur-sang. Leurs puissants destriers ont tôt fait de distancer les haridelles poussives de leur escorte et les deux femmes galopent en tête dans la campagne, se grisant de vitesse et s’enivrant des multiples parfums d’herbe tendre et de fleurs nouvellement écloses. Libres, elles retrouvent l’insouciance de leur enfance, quand échappant à la surveillance de leurs nourrices, les deux gamines couraient dans la lande en hurlant toutes les injures, tous les gros mots qu’elles avaient glanés en furetant dans les couloirs de leurs manoirs. Des mots interdits et donc savoureux, dont elles ne connaissaient pour la plupart qu’un sens très édulcoré ou approximatif. Le concours n’en est que plus drôle maintenant qu’elles en connaissent les significations réelles.


Le petit jeu dure jusqu’aux abords de Colmar. Les cavalières stoppent alors leurs montures, repassent en amazone en attendant que l’escorte ne les rejoigne. Parfaitement dignes et altières, elles passeront le Koïfhus²⁾ en saluant sobrement marchands, voyageurs et fonctionnaires-percepteurs.


L’équipage remonte la rue des Marchands avant d’atteindre le Corps de Garde. Là, tout le monde met pied à terre, deux hommes resteront sur place avec les montures.


Kirsten et Soren musardent dans la foule bigarrée des chalands. La Comtesse aime cette bourgade cosmopolite où se croisent des marchands et colporteurs de toutes nationalités : des Suisses, réservés, des Italiens, volubiles, de sombres Souabes, des Francs, débrouillards, de fiers Nordiques, des Alamans de tous poils ; ce petit monde s’apostrophe avec bonne humeur, les langues se mélangent en sabirs universels, les mimiques les plus expressives rendent compréhensibles les plus obscurs dialectes.

Ainsi, ce marchand occitan, qui derrière son éventaire, mime le diable épouvanté par ses superbes chapelets d’ail rose d’Avignon qu’il compte bien vendre à trois braves matrones du cru qui rient de sa pantomime. Kirsten s’amuse elle aussi de la scène et sourit à l’accent ensoleillé du bonhomme qui, immanquablement, lui fait penser à une certaine couturière…


Les passants saluent respectueusement le duo des nobles dames, certains bourgeois, intimidés et mal à l’aise, présentent des condoléances embarrassées, d’autres, plus au fait de la situation, en arrivent presque à féliciter la jeune veuve pour sa liberté retrouvée. La rumeur a fait son chemin et tous approuvent la Comtesse.


Kirsten et Soren passent d’échoppe en échoppe, d’étals en éventaires. À chaque fois, les artisans et leurs apprentis se pressent autour d’elles, présentent leurs plus belles réalisations, leurs plus fins ouvrages, leurs plus précieuses marchandises. Les jeunes femmes palpent, comparent, admirent et achètent, les pièces de bronze et d’argent quittent prestement leurs escarcelles pour tomber dans les mains des boutiquiers ravis.


En fin de matinée, la faim se faisant sentir, Kirsten entraîne sa cousine dans une minuscule ruelle, derrière la chapelle Saint-Martin : l’auberge de Maître Haberkorn est réputée. L’établissement est bondé en ce jour de marché. L’entrée des hôtes prestigieuses interrompt un instant les rires des convives, le temps des salutations. Mais la bonne humeur reprend vite le dessus : au centre de l’établissement, autour du Stammtisch³⁾, quelques personnalités hétéroclites, notables, édiles et philosophes soûlographes patentés s’affrontent en joutes oratoires ironiques, assurent le spectacle, commentent avec humour l’actualité du moment et provoquent les rires.


Lorsque Maître Haberkorn, suivi de sa brigade de marmitons, vient en personne accueillir ses hôtes, Dame Kirsten en profite :



L’aubergiste accède avec empressement à la demande et dépêche sur-le-champ deux servantes à l’étage.



La jeune femme, embarrassée, ne termine pas sa phrase, se mord les lèvres, puis enchaîne précipitamment :



Kirsten s’amuse : elle savait parfaitement que Soren refuserait de l’accompagner à cette réception, mais n’est pas dupe ! Soren s’est trahie !



Kirsten n’insiste pas et consent à la proposition.




oooOOOooo




Les pieds dans l’eau, Sylvette se repose. Et si elle a plongé les pieds dans la Lauch, c’est bel et bien parce qu’ils étaient échauffés ! C’est qu’elle n’est pas venue à cheval depuis le château comme la Comtesse et sa cousine qu’elle a aperçues pendant qu’elle patientait dans la file d’attente de l’octroi. Si elle a parcouru avec plaisir et sans mal les quatre lieux, pieds nus dans l’herbe inondée de rosée, ses allées et venues en ville, galoches aux pieds, lui ont endolori les plantes et l’onde tiède lui est bienfaisante. Assise sur le quai des halles, Sylvette a déjeuné à son aise : deux raves avec un peu de raifort, un morceau de lard, une galette d’épeautre et comme dessert, deux des tout derniers abricots séchés de sa réserve.


Nostalgique, la jeune femme s’est demandé en les dégustant s’il lui sera donné un jour de cueillir à nouveau l’un de ces fruits, doux et juteux, directement sur un arbre de sa chère Provence. En fait, elle n’y croit plus guère, le pays d’oc est loin, trop loin, et elle doit bien reconnaître s’être prise d’amour pour sa région d’adoption. L’hiver y est rude certes, le froid intense, mais le climat sec et sain : pas de mistral, de tremountano ou d’aquilon joufflu pour vous transpercer jusqu’aux os. Et les autres saisons sont tellement magnifiques !


Sans compter désormais un certain vannier érudit… Elle le reconnaît volontiers, ce gaillard l’a bel et bien harponnée. Pour preuve, ce matin, elle a été ravie de rencontrer un pays, de pouvoir converser avec lui en langue d’oc, mais elle n’a pas répondu à ses avances : il y a peu, elle aurait sûrement suivi le bonhomme en un lieu désert, écarté les cuisses pour un petit sac de lavande et quelques anecdotes du pays des cigales. Mais aujourd’hui, l’aubaine ne l’a pas tentée…


La ravaudeuse est arrivée en Alsace, au château des Heiligenstein, il y a un peu plus d’an, au terme d’un voyage de trois années. Fuyant un père ivrogne qui la battait comme plâtre et la prostituait à l’occasion pour financer ses beuveries, la gamine avait un jour sauté dans le chariot d’un marchand hollandais. Le brave homme, obèse et débonnaire, témoin de la violence et de la veulerie du père indigne, avait recueilli la pauvrette sans hésiter, l’avait nourrie et enseigné la couture. Avisé, le marchand avait compris que cette jeunette débrouillarde et amène lui serait un atout précieux pour attirer le chaland. Prévoyant, le bonhomme lui avait donné des leçons régulières d’allemand et de hollandais, afin que la gamine puisse dialoguer avec la clientèle lorsque leurs pérégrinations les mèneraient plus au nord. Et Sylvette avait fait preuve d’un véritable don dans l’apprentissage de ces langues et usait d’ailleurs fréquemment de l’allemand en aparté avec son patron lorsque les négociations devenaient compliquées avec un client.


Justus Ondervort était un commerçant malin et organisé. Ayant acquis un joli lot d’étoffes sur un bateau à Sète, il en avait chargé un tiers dans son chariot, stock qu’il comptait bien écouler avant d’arriver à Lyon. Là, il récupérerait le reste du chargement dont il avait négocié l’envoi par péniche halée. Il y avait quelques risques à cette expédition, le Rhône, au cours capricieux et dangereux, provoquait de nombreux naufrages et il n’était donc aucunement assuré que son stock arriverait bel et bien jusqu’à Lyon. Malgré tout, le risque était calculé.


Porté sur les femmes bien en chair, Justus Ondervort n’avait jamais importuné sa jeune vendeuse, dont il gaussait les aventures furtives et aussi nombreuses que leurs haltes marchandes. Il reconnaissait cependant sa malice et son ingéniosité qui lui faisait toujours choisir des pigeons gras et argentés. Sans être pour le moins gironde, cette frêle jeune fille aux formes plutôt discrètes savait tirer avantage de son teint très mat qui la démarquait des autres femmes, de ses yeux noisette et charmeurs, de ses longs cheveux bruns cuivrés et soyeux, et surtout de la grâce incomparable de ses gestes et mouvements. Maligne, sûre d’elle et gentiment effrontée, elle savait repérer les benêts, les charmer en les défiant avec humour et manœuvrait habilement pour obtenir ce qu’elle voulait. Quitte à leur forcer la main, voire à carrément les délester : combien de fois le marchand et sa jeune protégée n’avaient-ils pas dû déguerpir précipitamment pour échapper aux foudres d’un bourgeois, furieux de se retrouver… toutes bourses plates ! Ces chaparderies amélioraient leur ordinaire et ils en riaient volontiers. Le brave homme avait tout de même tenté de prévenir la drôlesse :



Bien qu’elle lui ait expliqué cette médecine, à ses dires, imparable, le marchand n’en fut pas jamais vraiment rassuré.


Ensemble, de foires en marchés, de gros bourgs en citadelles, Justus et Sylvette avaient en un an et demi traversé le Languedoc, arpenté les Cévennes, la Provence en tous sens, remonté toute la vallée du Rhône jusqu’à Lyon où ils avaient rechargé leur chariot aux entrepôts du port. Au rythme lent des bœufs qui tiraient leur équipage, ils avaient ensuite parcouru la Bresse, le Comté du Jura et la Franche-Comté avant finalement d’atteindre le centre de l’Alsace.


Finalement, non parce qu’il aurait s’agit là du but projeté de leur voyage, mais simplement parce que le brave marchand y avait, bêtement, rendu l’âme. À cause d’une guêpe ! L’homme parlementait avec des soldats de guet pour pouvoir entrer dans un château lorsqu’il avait avalé l’insecte qui l’avait piqué au fond de la gorge. Le temps de franchir le pont-levis, le malheureux décédait, étouffé par le gonflement de son gosier.


Sylvette n’avait pas à cet instant perdu son bon sens : se présentant comme la fille du malheureux, ce que personne n’était évidemment en mesure de contester, elle pleura bruyamment et à chaudes larmes la disparition de son « père tant aimé ». Un rôle au demeurant facile à jouer, la sincère amitié qui la liait à Ondervort lui valant une peine sincère et profonde. Cet homme avait à ses yeux mille et mille fois plus de valeur que son indigne géniteur. Toujours est-il que la pauvrette se retrouva donc, très naturellement et aux yeux de tous, héritière des bœufs, du chariot, des marchandises qu’il contenait, sans parler du magot amassé depuis le début du voyage. Reconnaissante et bonne fille, elle sacrifia quelques deniers pour éviter la fosse commune à son bienfaiteur et lui offrit une sépulture décente et chrétienne.


Au lendemain de ce funeste jour, et bien qu’elle fût sincèrement peinée par la disparition brutale de son aimable compagnon de route, Sylvette avait dressé son étal dans la cour du château. Bénéficiant de la sympathie des clients au courant de sa mésaventure, elle avait réalisé quelques jolies ventes. Sa chance fut surtout de compter dans ses clientes du jour la Comtesse des lieux. Laquelle, charmée aussi bien par les étoffes de qualité que par le galimatias maladroit de cette très exotique marchande lui enjoignit de demeurer sur place quelques jours afin de lui tailler quelques robes.


La jeune et mélancolique châtelaine se prit très vite d’amitié pour l’accorte marchande si adroite à manier l’aiguille. Mais si elle apprécia son savoir-faire de couturière, c’est surtout l’énergie et l’indépendance d’esprit de la jeune femme qui la séduisirent. Souhaitant s’attacher ses services autant que sa compagnie, la comtesse Kirsten von Heiligenstein réussit à convaincre son époux d’offrir un logis à la jeune étrangère. Sylvette s’installa donc dans une des six pauvres maisons blotties contre le premier mur d’enceinte du fort.

Depuis, la jeune femme continue à travailler pour sa noble cliente et quelques bourgeoises et nobles dames de Colmar où elle traîne son chariot tous les quinze jours au marché. Dans l’intervalle, les bœufs sont utilisés par les paysans du hameau qui, en contrepartie de cet usage, entretiennent les bêtes à l’année.


Ce jour, Sylvette n’est pas venue à Colmar pour installer son étal au marché, mais juste pour réaliser quelques emplettes. Après avoir autant trotté, elle se repose donc, au bord de la rivière. Le soleil printanier tape fort et la jeune femme décide d’entrer un peu dans l’eau : le fond est pierreux, mais fort glissant. Sylvette est entraînée par la pente et doit se trousser prestement. Lorsqu’elle parvient enfin à s’arrêter, elle a de l’eau jusqu’à mi-cuisses et est saisie par la fraîcheur du fond. Sans gêne et même avec une sorte de béatitude, la jeune femme soulage sa vessie. Les yeux fermés, jupes troussées presque aux hanches, elle est si tranquille et benoîte qu’elle n’entend pas arriver une de ces barques à fond plat qu’utilisent les pêcheurs du cru.



Sur sa barque, le pêcheur est si surpris qu’il en lâche un instant sa gaffe, la rattrape maladroitement, glisse et choit lourdement sur le cul au fond de la périssoire. La barque tangue, dévie et heurte la berge opposée, faisant retomber le maladroit qui peinait à se relever. Quelques témoins sur le quai rient de sa gaucherie et Sylvette, toute fière, recueille les applaudissements des badauds amusés. Elle veille toutefois à remonter sur la berge sans glisser à son tour, pour ne pas retourner les rieurs !


Revenant vers la ville, traversant le quartier de tanneurs, la jeune femme achète au passage de la poudre de feuilles de guède, pour teindre en bleu des étoffes, et remonte vers la rue des Marchands. Le rémouleur, à qui elle a confié ses ciseaux au matin, les lui a promis pour le début de l’après-midi, mais la couturière baguenaude d’étal en étal : rien ne presse, elle a tout son temps aujourd’hui, Arbogast est reparti au couvent. D’ailleurs, elle couchera en ville ce soir, à l’asile de la Porte Neuve.


À quelques pas d’elle, un camelot furète et serpente entre les badauds. L’homme n’est ni habile ni discret. Quiconque l’observerait quelques instants comprendrait que ce soi-disant colporteur ne cherche aucunement à attirer le chaland, mais s’astreint en fait à filer une personne précise. Heureusement pour lui, la ruelle est encore bien encombrée cet après-midi : les marchands itinérants en sont encore à replier leurs éventaires, les badauds flânent paresseusement d’une échoppe à l’autre et nombre de gueux sont arrivés pour glaner les pauvres restes abandonnés par les maraîchers. Quelques altercations éclatent d’ailleurs sporadiquement entre ces pauvres hères que les soldats du guet séparent sans ménagement.


Le colporteur hésite : il attend le moment favorable, avance, s’arrête, revient sur ses pas. Quand tout à coup, il s’approche rapidement d’une jeune femme qui vient de quitter le troupeau des badauds pour s’asseoir sur une borne et masser ses chevilles. L’homme fait mine de présenter ses marchandises :



Sans attendre de réponse, le colporteur s’éclipse. Le hasard alors joue en sa faveur : à deux pas de là, une femme crie « au voleur » et une forte troupe fend la foule, les badauds s’éparpillent en tous sens. Une belle confusion règne, la bousculade est sérieuse. Une femme, trop preste à s’écarter, bute sèchement contre une autre et la projette contre un étal où elle se blesse. Confuse, la première aide la seconde à se relever :



Reconnaissant la blessée qui peine à se relever, la belle dame s’exclame :



Dans sa chute, avant de s’étaler de tout son long sur le pavé, Sylvette a buté contre l’angle d’un éventaire, son sayon y est resté accroché et s’est déchiré. Et lorsqu’elle enlève sa main de son flanc endolori, ses doigts sont poisseux de sang.



Oubliant sa blessure, la ravaudeuse s’affole, scrute les environs : son bien le plus précieux, ses ciseaux ont disparu !



Sylvette se tourne en direction de la voix et reconnaît Dame Soren qui vient d’extirper l’outil précieux du dessous d’un caillebotis à l’entrée de l’échoppe voisine.



Outre sa blessure qui rougit son sayon, Sylvette est couverte de salissures terreuses et déchets de légumes divers.



Mais la pauvrette n’y parvient pas, stoppée dans son mouvement par un violent élancement au flanc. Kirsten se précipite et la soutient.



Escorté par les soldats du guet, le trio entre dans l’auberge proche.



En un instant, servantes et marmitons abandonnent leurs tâches et s’activent. Par bonheur, c’est jour de lessive et des marmites d’eau avaient justement été mises à chauffer. Alors que la blessée est installée sur le lit, le personnel va-et-vient pour apporter, qui, le baquet, qui, les linges demandés, le lait ; la brigade des marmitons défile dans la chambre avec des seaux d’eau fumante pour remplir le bain. Mais s’ils sont prestes à entrer, les gamins le sont beaucoup moins pour ressortir de la chambre : sur le lit à courtines dont les rideaux n’ont pas été fermés, Dame Kirsten soigne la couturière ; le sayon déchiré laisse voir ses cuisses et même plus, et les marmitons intéressés reluquent en se poussant du coude.



Les gamins ne se le font pas dire deux fois et disparaissent aussi vite qu’un vol d’étourneaux. Sylvette repousse sèchement la main de Kirsten qui continue à tamponner sa blessure avec un linge trempé dans du lait. L’estafilade est longue, mais peu profonde. Le sang n’en continue pas moins de perler. Saisissant sa besace, la couturière en extrait une pierre blanche qu’elle passe sur la plaie en grimaçant.



Alors que Soren, assise près d’elle sur le lit, lui nettoie ses jambes crottées avec un linge humide et s’aventure désormais assez haut sur les cuisses, Sylvette la repousse à son tour et rabat brutalement sa robe en remerciant assez fraîchement l’indiscrète soigneuse. Les deux cousines échangent un regard amusé.



Sylvette ne termine pas sa phrase pour ne pas gêner la Comtesse devant sa cousine. Avec un petit rire, et un clin d’œil pour Soren, Kirsten conclut pour elle :



Soren avoue volontiers :



Faussement choquée, mais réellement amusée, la Comtesse demande :



Franchement moqueuse, la cousine dévergondée explique :



La question lui est posée avec tant d’ingénuité que la belle ne peut s’empêcher d’en rire :



Remarquant l’air gêné, mais implorant de sa cousine, Soren change de posture, se met à quatre pattes sur le lit et mime la scène :



Au grand dam de Kirsten, Soren a glissé sa main sous sa robe. La Comtesse, redoutant que sa cousine ne se trousse et n’expose les rondeurs de ses fesses, est prête à intervenir. Mais la jeune femme se contente de mimer la scène sous ses jupes.



Ahurie, interloquée par ces aveux et ce mime par trop explicites, Kirsten jette un regard affolé à Sylvette qui sourit de sa gêne et de sa candeur. La couturière pousse même la moquerie jusqu’à agiter son majeur dressé pour rappeler un souvenir récent à la Comtesse : celle-ci comprend le message et rougit en tortillant involontairement du bassin et en serrant les fesses.


Alors que Soren reprend posture plus décente et se rassied sagement sur le lit, la Comtesse, désireuse de retrouver bonne contenance, change de sujet et, gravement, énonce tout haut ce que beaucoup pensent tout bas :



Soren, toujours vive, saisit l’occasion et demande :



Ravie de décevoir la curieuse, Sylvette explique avec franchise :



Adoptant un air chafouin, Soren compatit faussement :



Mortifiée, la belle Comtesse se défend :



Se redressant brusquement entre les deux femmes, Sylvette intervient à son tour :



Se retournant vers la Comtesse, la jeune femme pointe du doigt l’air gourmand de Soren à cette offre et conclut :



Coincée entre les deux femmes, Sylvette est bien faraude de provoquer ainsi ses compagnes. Les cousines s’amusent de son franc-parler et du défi en forme d’invitation qu’elle vient de leur lancer. Échauffées par les confessions coquines, chacune lui caresse un mollet, les mains remontent rapidement, escaladent les genoux, rampent sous la robe, flattent l’intérieur des cuisses fraîches. Maligne, Sylvette les laisse faire sans broncher, paraît s’amadouer, puis, vivement, ramène ses genoux au menton, effectue une roulade avant, enchaîne un quart de tour, et passant dans le dos de Kirsten, lance ses jambes en avant pour s’échapper du piège.


Debout dans la ruelle du lit, elle saisit au passage le pot à lait, et le verse dans le bain. Déjà, elle est dans le baquet, tourne le dos à ses compagnes et trousse son sayon au fur et à mesure qu’elle entre dans l’eau. La drôlesse s’y prend si bien que ses spectatrices n’auront pas même le loisir d’apercevoir ses fesses pommelées qu’elle est déjà dans l’eau, jusqu’au cou. Se recroquevillant dans le baquet, elle brasse le bain pour bien mélanger le lait qui opacifie le bain et masque ses appas. Puis, se tournant vers les cousines libertines, l’espiègle affiche un air de triomphe et promène avec défi une brosse douce sur son corps. Levant une jambe hors du bain, elle la flatte avec délice avec le crin amolli, et lorsque la brosse plonge entre ses cuisses invisibles dans l’eau trouble, elle mime un plaisir exagéré à cette caresse explicite.

Kirsten et Soren ont bien du mal à ne pas rire de son effronterie et simulent comme elles peuvent courroux et agacement.



Bondissant hors du lit, les deux jeunes femmes fondent sur leur victime, l’une la saisit par les épaules, l’autre plonge les mains dans l’eau et attrape les jambes. Elles l’extirpent du bain, la transportent, toute dégoulinante sur le lit, l’allongent sur le dos. Kirsten l’immobilise pendant que Soren se défait prestement de ses vêtements. Nue, elle vient quasiment s’asseoir sur la tête de Sylvette, lui plaque derechef son bonbon sur la bouche. La couturière joue le jeu, se défend avec une belle énergie, mais Soren lui bloque les bras avec ses genoux. Kirsten s’occupe des jambes qu’elle écartèle avant de plonger ses lèvres gourmandes entre les cuisses de sa victime. Rapidement cependant, la lutte cesse, la prisonnière capitule et s’abandonne, sa langue s’insinue dans la fente de Soren, laquelle, dressée sur ses genoux, se cambre exagérément, bombe le torse et se malaxe les seins avec bonheur. Au pied du lit, profitant de la reddition de Sylvette, Kirsten relève le nez et considère le minou entrouvert :



Levant les yeux au ciel, Kirsten, d’un air pénétré, promène le bout de sa langue sur ses lèvres, avale une goulée d’air, piaffe exagérément, claque la langue comme si elle goûtait un bon vin :



Dame Kirsten abandonne un instant les deux femmes désormais tête-bêche pour se dévêtir à son tour. Grimpant sur le lit, elle s’y allonge en travers et, gourmande, reprend ses caresses buccales sur la fente juteuse de Sylvette. Soren, délogée, s’allonge elle aussi en travers, offre encore son maljoint bien bâillant à Sylvette et porte sa bouche avide sur le minou de sa cousine. Toutes trois allongées sur le flanc, jambes gauches en l’air, les jeunes femmes forment un charmant triangle lascif duquel ne tarde pas à s’échapper soupirs alanguis et plaintes satisfaites. Les lèvres impatientes butinent les corolles écloses de leurs sexes échauffés, les langues lapent le nectar, s’affairent à débusquer les boutons d’amour, s’insinuent aux portes des grottes enflammées. Les mains s’égayent sur des hanches accueillantes, des ventres creusés par le désir, des seins gonflés de sève. Les trois femmes se gourmandent, se cajolent, s’épuisent de tendresses, s’enivrent de caresses, de frôlements et pincements insidieux.


Le tendre jeu durera longtemps. Sylvette et Soren, joyeuses complices, s’emploieront à débarrasser la jeune comtesse de toutes ses pudeurs. Tournée et retournée en tous sens et positions indécentes, Kirsten sera tour à tour bâillonnée par une chatte brûlante, asphyxiée par une bouche gourmande, dominée par une langue impérieuse, les seins frôlés, pétris, pincés, les cuisses écartelées, la chatte exposée, branlée, caressée, fouillée, pénétrée par des doigts indiscrets et habiles, les fesses cajolées, pétries, griffées, le cul flatté, léché. Et lorsqu’un pouce téméraire plongera sans ménagement dans l’étoile plissée de son fondement, Kirsten connaîtra un plaisir violent, l’expédiant, honteuse, mais ravie, vers les cimes éclatantes d’un scandaleux orgasme.


Le corps soûlé, anéanti de caresses, Kirsten subira encore avec délice et entrain les assauts incessants de ses tendres tortionnaires, abandonnera toute retenue et comblera à son tour avec force et imagination ses accortes complices. Lorsque repues, rompues, échevelées, anéanties, les trois femmes s’abandonneront, tendrement pelotonnées entre elles, l’ombre déjà aura commencé à ramper dans la chambrette…




Sous les tilleuls



La salle, longue et étroite, n’est éclairée que par un seul cierge à chacune de ses extrémités. Impossible dès lors de distinguer aucun détail avec précision. D’ailleurs, qu’y aurait-il à voir : une grande table rectangulaire, en chêne massif, et les dix chaises qui l’entourent sont les seuls mobiliers. Les murs de grès rose seraient parfaitement nus si des mousses et des lichens n’imprimaient quelques taches sombres aux formes imprécises. L’air est frais, et aux relents d’humidité se mêlent des parfums douceâtres de fruits et d’alcool remontant d’une cave dont on devine la trappe dans un angle de la pièce.


Cinq sièges sont occupés par des formes sombres et fantomatiques : les participants ont revêtu d’amples pèlerines à capuches. En bout-de-table, un homme parle, à voix basse. Nul n’est besoin d’élever la voix pour être entendu dans cette crypte. L’homme parle lentement, énonce des consignes de bon sens :



L’homme se penche vers ses voisins de droite puis de gauche et leur chuchote un mot, que les intéressés transmettent à leur tour aux suivants.



C’est la deuxième capuche à gauche du chef de table qui vient d’intervenir. Un homme vraisemblablement de forte carrure tant il paraît à l’étroit dans son ample manteau. Sa capuche ne parvient d’ailleurs pas à masquer totalement son visage rubicond. Le bonhomme est nerveux, sa respiration forte et rapide.



Ledit Caradoc est décidément de bien méchante humeur.



Pendragon écarte les mains devant lui en geste d’apaisement.



L’explication ne convainc guère l’impétueux seigneur :



Un épais silence s’installe, et chacun réfléchit. C’est Pendragon, le chef de table qui reprend la parole et énumère :



Toujours prompt, le bouillant Caradoc intervient :



Pendragon visiblement réfléchit.



Comme chacun semblant acquiescer à l’hypothèse énoncée, Pendragon reprend :



Pendragon marque une légère pause



De plus en plus nerveux et inquiet, Caradoc intervient encore :



L’assemblée reste silencieuse.





oooOOOooo




Le zéphyr roule sur les collines, vagabonde dans les campagnes, essaime les pollens de milliers de fleurs nouvellement écloses. Tous les arbres à présent ont déroulé leurs feuilles, ont retrouvé leurs chevelures hirsutes, les prés en herbe déjà ondulent sous la caresse du vent tiède. La campagne est tranquille, heureuse et verdoyante.


Un essaim bourdonnant vient de zébrer l’azur de son vol hésitant et désordonné, alarmant un instant les amants, avant de s’éloigner vers l’orée de la forêt. Allongée sur la mousse, la tête dans les nuages, le corps apaisé, Üscheni s’interroge : elle ne comprend toujours pas ce qui l’a poussée vers le Seppi. Quand on est marié au plus beau coq du village, comment peut-on seulement regarder un balourd comme Seppi. Bien sûr, Charri a bien cherché ses cornes, ce n’est que justice ! Encore que la balance risque de pencher longtemps avant qu’Üscheni ne lui rende le dixième de sa pièce ! Elle le savait bien, en le mariant, qu’il ne serait pas fidèle et elle s’était accommodée de la chose et lui était restée fidèle. Quand on traîne dans ses jupons un chapelet de marmots, on n’a guère le temps de courir l’aventure. Longtemps, la jeune femme s’était dit qu’il finirait bien par se calmer, quand il aurait troussé tous les jupons du village. Et puis, de toute façon, il finissait toujours par lui revenir…


Pourquoi donc le sang lui était-il monté à la tête tout à coup ? Bien sûr, le spectacle de son homme chevauchant gaillardement une des ribaudes du château, l’autre soir, dans la cour dîmière, après l’enterrement du Comte, ce spectacle l’avait… l’avait…


L’avait quoi au juste ? Outrée, choquée, énervée ? Pas même, à bien y réfléchir ! Tout le monde était fou ce soir-là !


Non, Üscheni ne s’était pas mise en colère. Au contraire, puisque voyant cela, elle était venue pour prendre son tour, s’était approchée pour participer à la fête.


Non, ce qui l’avait mise hors d’elle, c’était bien que le Charri l’ait repoussée, rejetée, se moquant d’elle, d’elle et de son corps qu’il ne connaissait que trop, l’humiliant devant tout le monde en raillant sa froideur coutumière, racontant à tous ses excuses répétées pour échapper au devoir conjugal … Là, Üscheni en avait conçu des envies de meurtre ! Qu’il se moque d’elle, la renvoie, qu’il lui préfère des gueuses, grasses, flétries et avachies, l’avait bel et bien outrée, choquée, énervée, proprement mise hors d’elle !


Alors, elle s’était enfuie, quittant précipitamment l’orgie pour rejoindre le hameau. Mais ses jambes l’avaient trahie : sitôt passée la herse du château, haletante, écumante de rage et détruite par la honte, elle s’était effondrée, allongée de tout son long sur le bas-côté du chemin, enfouissant son visage dans les herbes pour masquer ses larmes. Elle était restée longtemps ainsi, allongée, secouée par ses lourds sanglots.



Üscheni avait immédiatement reconnu le bégaiement de Seppi et la silhouette bedonnante et courtaude du bonhomme s’était dessinée dans son esprit. En d’autres circonstances, elle lui aurait sans doute retourné une réponse moqueuse, mais ce soir-là, Üscheni ne se sentait pas le cœur de railler qui ce soit. Elle se contenta de ne pas réagir.


Elle n’avait pas réagi davantage lorsqu’elle avait senti les doigts de l’homme lisser ses cheveux longs et caresser sa nuque. Seppi avait entonné une tendre serinette dont la douce mélodie n’avait pas tardé à l’attendrir. « Il a une belle voix le bougre et ne bégaye pas lorsqu’il chante », avait-elle pensé, amusée par le constat. Ses pleurs s’étaient taris peu à peu. L’homme l’apaisait, sa douceur la touchait, l’étonnait.


Bien qu’elle restât sans broncher, Seppi ne profitait pas de la situation ; sa main, inlassable et patiente, caressait ses cheveux, du haut du crâne jusqu’aux pointes, au milieu du dos. Et ce mouvement, doux et répété, réveilla la fièvre insensée qui avait failli pousser la jeune femme à plonger dans l’orgie. Chacune de ces caresses provoquait des sensations grandissantes, des picotements délicieux. Üscheni se laissa faire, longtemps, appréciant la patiente retenue de l’homme…


Puis, brusquement, elle prit sa décision ! Se relevant prestement, elle attrapa la main du bonhomme, l’obligea à se relever à son tour et l’entraîna, le tirant à sa suite, vers l’orée du bois. Tout en courant et le tirant vigoureusement, elle s’était retournée plusieurs fois, s’amusant de sa mine interloquée, de sa course désordonnée et rétive. Et quand enfin, elle se s’était sentie à l’abri des regards de quiconque, enveloppée par la noirceur complice de la nuit, elle s’était arrêtée derrière un arbre et avait planté l’homme face à elle. Sous la faible lueur d’une lune en son premier quart, Üscheni, le regard enflammé, avait attrapé le bas de son sayon, l’avait troussé avant de s’en défaire par la tête, ainsi que de sa chemise. Un petit sourire de triomphe aux lèvres, elle avait exposé son corps nu au regard ahuri, mais ô combien émerveillé du petit homme. Üscheni s’était dit qu’elle n’avait pas à rougir de son corps : à vingt et un ans, après quatre enfantements, elle avait toujours la belle silhouette appétissante de ses quinze ans. Ses seins étaient plus lourds, mais pas avachis. Son ventre, plus rondelet, mais pas flétri, et ses cuisses, plus fortes, n’en étaient que plus accueillantes, ses fesses plus pommées.


Bien campée sur ses jambes, provocante, elle avait attendu l’assaut, imaginant une réaction bestiale de l’homme que d’aucuns considéraient comme simplet du fait de son infirmité. Elle s’attendait à des caresses brutales, désordonnées, malhabiles, voire douloureuses, sur ses seins ; elle avait espéré se faire prendre debout, sans délai, sans avertissement, sans fioriture et sans doute, sans aucune joie pour elle. Mais peu lui importait, il lui suffisait d’être prise, que l’homme se déversât en elle, elle espérait ses spasmes précipités et la gêne qui ne manquerait pas de saisir ensuite le balourd de s’être répandu si précipitamment et si maladroitement.


Mais les choses ne se déroulèrent pas ainsi : plantée devant lui, elle avait capté son regard, y avait lu tour à tour l’étonnement, l’admiration et l’envie, mais également la peur, et même une forme de déception. Cette gêne et cette tristesse étaient si perceptibles qu’elle en conçut de la honte. Plus tard, lorsqu’elle lui avait reparlé de cet instant, Seppi lui avait avoué la crainte qui était sienne de ne la voir s’offrir à lui que par pitié pour le pauvre hère qu’il est.


Retrouvant ses esprits, dans un tardif accès de pudeur, elle allait se couvrir les seins avec les bras quand l’homme lui avait attrapé les mains, fermement, mais sans brutalité. L’attirant à lui, il l’avait éloignée de l’arbre, pour la guider vers l’herbe tendre et la mousse, l’invitant à s’allonger. Ce qu’elle fit, maladroitement, soudainement encombrée par son corps dénudé : elle s’étendit sur le dos, les bras le long du tronc, les cuisses serrées, le regard fixé vers les nues étoilées. Aussi roide qu’une bûche, aussi froide qu’un granit, résignée, elle avait alors attendu l’inéluctable accouplement comme on attend une punition méritée.


Seppi s’était allongé contre elle après s’être défait de son surcot. Üscheni avait senti sa bedaine se presser contre son flanc, et sous ses chausses, son sexe déjà dur appuyer contre sa cuisse. Étendu sur le côté, la tête appuyée sur son avant-bras gauche en béquille, l’homme l’avait contemplé silencieusement, lui caressant doucement la joue, les cheveux, le cou, longtemps, très longtemps. Ensuite, lorsqu’il avait senti un semblant de chaleur revenir aux joues de sa voisine, ses doigts avaient osé s’aventurer sur la gorge. Lentement, ils s’étaient glissés dans le sillon étroit entre les seins, avant d’en dessiner les courbes, par-dessous. Subjuguée par cette délicatesse, Üscheni avait tourné son visage vers lui, trouvé son regard et lui avait offert un timide sourire. Ce petit encouragement, conjugué à la convaincante turgescence des tétons, avait libéré l’homme. Ses doigts s’étaient montrés plus hardis, escaladant peu à peu la courbe pleine d’un sein, puis de son jumeau, contournant l’aréole sans l’effleurer pour flatter au-dessus le méplat de la poire. Les doigts avaient quitté la peau, et la main élargie, doigts écartés, la paume s’en vint, légère comme une plume, effleurer un téton dressé. Contact fugitif, dix fois, quinze fois, quarante fois renouvelé, d’un fruit à l’autre, avec des pressions plus fortes par instants, laissant espérer un contact plus franc, mais se radoucissant aussitôt.


L’agaçant manège eut pour effet d’attiser le désir d’Üscheni, elle sentit ses tétons durs comme jamais, érigés, frémissants, impatients. La jeune femme resserra les épaules, gonfla le torse, mais la paume restait toujours aussi légère, la caresse toujours aussi délicieusement agaçante. Üscheni s’arc-bouta, forçant sur sa nuque pour happer l’insidieuse caresse, mais la main s’envola, à son grand désespoir. L’homme se pencha alors sur elle, elle attendit la caresse des lèvres, mais ne ressentit que le furtif battement de cils balayant la pointe de son téton tendu. Elle réalisa que le contact d’un coquelicot ne pourrait être plus doux, que les ailes d’un papillon ne sauraient être plus légères que ce délicat balayage.


N’y tenant plus, Üscheni avait pressé la nuque de son presque amant, l’obligeant à écraser ses lèvres sur ses seins. Des seins gonflés, tout entiers tendus, durs, pleins, qui exigeaient d’être léchés, sucés, malaxés, violentés. De l’arrière de la tête jusqu’au bout de ses pieds, son corps était parcouru d’ondes bienfaisantes, ses miches presque endolories à force d’impatience, son ventre creusé par le désir. Les lèvres pressantes, la langue maligne, les mille et un agacements sur ses mamelons lui arrachaient des soupirs et petits cris de surprise et de bonheur. Üscheni se demanda même si elle n’allait pas atteindre le plaisir sous ces seules caresses.


Un incroyable incendie se répandait entre ses cuisses, enflammait son ventre et sa chatte, un feu grégeois que sa mouille ne faisant qu’attiser. Impatiente, haletante, elle faillit plonger sa main entre ses cuisses qu’elle ouvrait désormais généreusement, mais le genou de Seppi vint brusquement en bloquer l’accès.


L’homme s’était habilement débarrassé de ses chausses sans qu’elle s’en soit rendu compte, et le contact de ce genou oppressant, de cette cuisse poilue sur son bouton ardent, son sexe inondé, ces pressions régulières à l’unisson de son désir montant, l’emportèrent brutalement ; toutes digues rompues, le plaisir déferla en elle, la surprenant, la saisissant tout entière pour la projeter dans les étoiles, la chavirer en tous sens, la tournebouler à l’infini. Üscheni avait joui, longtemps, puissamment, interminablement…


Plus tard, bien après qu’elle eut repris ses esprits et se soit calmée, Seppi avait su réveiller son désir et renouveler son plaisir, le partageant alors avec elle. Üscheni avait découvert d’autres caresses, d’autres bonheurs et en avait conçu une infinie tendresse, teintée de reconnaissance pour ce petit homme replet et disgracieux qui l’ouvrait à d’autres horizons, l’emportait vers des paradis insoupçonnés.


Le lendemain, dès qu’elle l’avait pu, elle s’était échappée du logis pour le retrouver. Ne disposant que de peu de temps, leur corps à corps avait été plus tumultueux que la veille, plus brutal, mais tout aussi enivrant. Et cet après-midi encore, sous les frondaisons, Seppi lui a fait découvrir d’autres de ses talents. Üscheni se découvre avide, ensorcelée, impudique et insatiable. Accroupie sur ses talons, elle observe son amant allongé dans l’herbe, encore étourdi par leurs jeux. Attendrie, elle s’amuse de son sexe à cet instant rétréci, si tant recroquevillé qu’il paraît plus ridicule que le minuscule robinet d’un tonnelet de schnaps. Elle sourit à son ventre imposant, ses seins rebondis comme ceux d’une gamine de douze ans. Seppi ne tient pas la comparaison avec le Charri, il est loin d’avoir son corps de paysan solide, de fier-à-bras, de bravache ; et au meilleur de sa forme, le pauvre Seppi ne peut exhiber un mandrin aussi impressionnant que celui de son mari! Mais il est si malin, si adroit, et si tendre…


Marchant à quatre pattes, elle s’approche de son amant somnolant sous le soleil, et se glisse doucement entre ses jambes écartées.


Un tourbillon de vent lui ramène alors au nez une odeur épouvantable, âcre, un parfum de charogne. Inquiète, la jeune femme se redresse en direction des effluves malsains, scrute du regard les herbes qui ondulent et repère une nuée de mouches bleues.


Se levant doucement, elle ramasse son sayon qu’elle plaque contre son torse pour masquer sa nudité, et s’avance lentement en direction du tourbillon bruissant des insectes déments.


Son cri est à la mesure du spectacle qu’elle découvre : un homme, nu, émasculé, gît sur l’herbe tendre. Son ventre, fendu en deux, a vomi toutes ses tripes, ignobles boudins noirs, bleus et violacés que deux corbeaux déchirent avec méthode. Un crucifix en bois est planté, droit, dans son ventre béant. Et dans sa bouche ouverte, une pomme.


Face à ce spectacle repoussant, Üscheni sourit pourtant : elle a reconnu la sale trogne du Prévôt des Heiligenstein.



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⁽¹⁾ Bliaud : Longue robe très ample, et très serrée à la taille. Ce vêtement se caractérise aussi par ses manches, serrées de l’épaule jusqu’au coude, puis de plus en plus larges, allant jusqu’à toucher le sol. Ces manches étaient souvent portées rattachées ou nouées pour ne pas gêner les mouvements

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⁽²⁾ Koïfhus : C’est l’octroi, la douane locale, le péage où les marchands réglaient les taxes imposées par la Ville. La magnifique maison connue sous le nom de Koïfhus – Ancienne Douane que l’on admire aujourd’hui à Colmar date de 1480, donc bien postérieure à l’époque de notre histoire. Mais en 1145, les taxes, elles, existaient déjà… Retour


⁽³⁾ Stammtisch : La table d’hôtes, et plus encore, le centre de presse local de l’époque : y sont débattus, commentés, et souvent inventés les ragots et informations de la ville !

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