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Temps de lecture estimé : 15 mn
04/12/18
Résumé:  La vie se complique. Paris offre pourtant toujours de belles visites à faire et puis... les uns et les autres vont et viennent.
Critères:  hagé jeunes lingerie nopéné -initfh
Auteur : Jane Does      Envoi mini-message

Série : Journal d'une catin

Chapitre 04 / 12
Le cadeau de Georges

Résumé épisode I : « L’apprentissage »

Un temps lointain où les filles n’avaient pas la même valeur que les garçons !


Résumé épisode II : « Tante Gertrude »

Visite parisienne chez une vieille tante et bruit de bottes, à l’aube d’une jeune vie.


Résumé épisode III : « Un salon particulier »

Se faire belle reste tout un art et Madame se montre pleine de surprises.




Le cadeau de Georges




Un samedi soir ordinaire pour tellement de gens, mais je n’en faisais pas partie. Ce soir, je devais sortir en compagnie de cette Madame dont le Tout-Paris s’était longtemps arraché les faveurs. La destination m’était bien inconnue et mon cœur battait la chamade depuis la veille. Bertrand, le bras droit de ce Christian Dior, dont tous dans les milieux de la mode vantaient les mérites, ce brave chauve avait déposé dans la soirée plusieurs boîtes et cartons à mon intention. Certains contenaient des sous-vêtements d’un chic inespéré. Et puis une robe de soirée qui allait, aux dires de Gertrude, faire tourner les têtes de bien des hommes.


Malgré l’absence de ma protectrice, je me mis nue une fois de plus devant ce Bertrand qui ne cilla pas pour autant des paupières. Cette fois encore, il ne me frôla nullement alors que j’essayais des habits qui m’allaient comme des gants. Je virevoltais devant la psyché qui me renvoyait une image inouïe de cette femme que j’avais peine à reconnaître. Le tondu aussi battait des mains avec de drôles de trémolos dans la voix. Je comprenais que ces hommes à hommes avaient donc un timbre spécifique ? Ou bien n’était-ce qu’une simple idée reçue que mon esprit encore malléable reprenait à son compte ?


Les étoiles illuminaient le ciel parisien. La vieille dame aux cheveux blancs marchait à mon bras. Nous remontions le boulevard de Clichy. Là-bas tout au fond, au pied de la butte Montmartre les grandes pales scintillantes du cabaret-dancing « Le Robinson Moulin-Rouge », reconstruit après un grave incendie et dont Geneviève m’avait vanté les mérites, nous attirait de toutes ses lumières. Il était… beau. Je n’avais de ma vie jamais rien vu de pareil. Moi, petite provinciale à l’accent du nord très prononcé, j’allais ce soir pour la première fois de mon existence vivre une soirée qui promettait d’être inoubliable.


Pour cela elle resterait dans ma mémoire tristement célèbre. Nous étions donc le dimanche trois septembre mille neuf cent trente-neuf. Et dès notre arrivée le bal fut interrompu par une nouvelle qui affolait tous ceux qui venaient pour faire la fête. Notre pays avait déclaré la guerre à notre ennemi juré, l’Allemagne. Mon rendez-vous avec la vie parisienne prenait l’eau de toute part. Une agitation sans nom s’emparait des badauds, qui ce soir-là déambulaient dans les rues de la capitale, comme des âmes en peine. Même Geneviève s’était départie de son flegme presque britannique.


Le spectacle annulé, nous avions nous aussi suivi le mouvement et avions erré, un peu au hasard des rues et artères de ce Paris pourtant d’ordinaire si vivant. Cette nuit-là, Geneviève avait tenu à ce que je dorme chez elle, de peur qu’un fou ne me prenne pour cible. Tant d’excités couraient dans tous les sens depuis l’annonce de ce qui me semblait et ressemblait à une catastrophe nationale. Quelques jours plus tard, beaucoup de jeunes hommes partaient pour un front bien abstrait, pour celles qui comme nous, restaient loin de tout ceci, bien chez nous. C’est ainsi que la première sortie de cette année de mes vingt ans fut un fiasco.


Mais notre douce amie avait bien des cordes à son arc et les rendez-vous suivants se déroulèrent dans un immeuble qui lui appartenait, toujours à Montmartre. Alors un vendredi soir où elle m’avait de nouveau prise en charge, un gentil monsieur, d’un âge certain pour ne pas dire « vieux » faisait le pied de grue devant son immeuble. À notre approche, il avait levé son haut-de-forme et nous saluait avec emphase. Tellement que ça me fit sourire.



Je regardais ce couple dépareillé. Une femme aux cheveux argentés, un homme qui aurait pu être son compagnon, mari, qui avait peut-être par le passé été son amant. Ces deux-là parlaient de ma tante avec des mots choisis, dans un langage subtil. Georges, puisque que c’était son prénom, Georges racontait d’une belle voix, quelques bribes d’histoire de cette sœur de mon père, très méconnue dans notre famille. Je saisissais là, en écoutant patiemment que la traversée de l’existence de notre Gertrude, n’avait pas toujours ressemblé à un long fleuve calme. Loin de là. Mais le bonhomme en gardait un œil attendri.


Puis Geneviève finit par en venir là, où elle attendait ce Monsieur. J’écoutais ce qu’elle avait à demander à ce type qui d’un coup me paraissait plus pervers que vénérable.



Nous avions alors dévié la conversation sur… Adèle. Bien entendu, si Georges lui, ne s’inquiétait plus de rien, ma protectrice, elle, ne manquait pas de trouver des réponses à ses questions. Son interrogatoire dura un long moment. Puis le vieux bonhomme prit congé, me gratifiant d’un bisou sur la joue, comme il l’aurait fait à sa fille. J’étais presque aux anges, et plus encore lorsque Geneviève m’assura s’occuper de tout et contacter la demoiselle restée au pensionnat. Pas un seul instant, je doutais de pouvoir suivre les cours d’un genre si particulier dans lesquels Georges devait tenir le rôle de professeur attitré.




— xxxXXxxx —




Début mars 40, je prenais donc possession, acte notarié à l’appui d’un appartement dans un immeuble cossu de la butte Montmartre, à quelques pas de chez Gertrude. Georges ne s’était manifesté que pour la signature de la vente de ce nid enchanteur. Mais, Geneviève qui m’assistait dans la démarche me susurra à l’oreille que s’il avait tenu parole, je devrais bientôt également m’acquitter de ma part du marché. L’insouciance et tout à la joie de cette acquisition rapide, je lui assurai que rien ne s’y opposerait désormais. À l’issue de ces formalités, nous discutions tous un peu avec Maître Sailin, notaire qui venait d’officier.


Les rumeurs revenues du front n’étaient que peu rassurantes. Partout, nos troupes refluaient en ordre dispersé. Apparemment les Allemands gagnaient du terrain partout et ceci n’avait rien de réjouissant. Il se murmurait mille récits d’atrocité sur ces féroces soldats, tous vêtus de vert et pire encore des scènes de viols se répétaient par le bouche-à-oreille. Paris, d’un coup, se sentait menacé par ces sauvages qui souhaitaient asservir l’Europe, voire le monde entier. Nous avions donc trinqué en compagnie de ce notaire débonnaire aux allures de père de famille tranquille.


C’était en rentrant pour m’installer dans ce logement tout neuf que ma protectrice m’annonça qu’elle avait eu quelques nouvelles d’Adèle. Elle n’avait pas encore répondu favorablement au courrier que je lui avais transmis par le biais de Geneviève. Elle allait bien et cela me tranquillisa. Le pensionnat allait peut-être fermer ses portes, se trouvant tout proche du front. Georges aussi avait donné sa préférence pour ses visites. Ce serait donc chaque lundi et jeudi soir. Nous étions mardi, il me restait donc quelques heures pour m’y préparer. Je reçus des deux vieilles amies toutes les recommandations d’usage dans ce genre de circonstances et de rendez-vous.


Je prenais donc mes marques dans mon nouvel environnement. Et la musique remplissait l’espace dès mon lever. J’usais et abusais de la baignoire qui faisait ma fierté. J’y passais un temps fou, presque plus finalement que devant la coiffeuse où je me maquillais. Je me sentais heureuse et d’une certaine manière, libre. Malgré cela, le jeudi soir approchait plus vite que je n’aurais cru, voulu aussi ! Et plus l’échéance se précisait, plus je me sentais nerveuse. Alors lorsqu’à l’heure fatidique où la pendule de mon salon accrochait les vingt heures, que la sonnette de l’entrée carillonna, j’eus les jambes coupées.


Pour la première fois de ma vie, j’allais me retrouver seule, face à un homme. Âgé, j’en convenais, mais un homme tout de même avec ses mystères et je crus défaillir de voir entrer ce géronte bien mis et parfumé. Il portait beau ce dandy qui entrait chez moi… enfin, il devait aussi se sentir chez lui, après tout. Il se comportait en homme du monde, me faisant la causette, captivant mon attention par des gestes élégants. Les choses sérieuses alors commencèrent dès notre venue au salon. Mais je lui sus gré de ne point me brusquer et de m’entourer de mots gentils.


Ma menotte dans la sienne, il caressait mes doigts, tremblant comme un étudiant le soir d’un premier bal de fin d’année au collège. Cependant ces effleurements n’avaient d’autre but que de m’amadouer, de m’amener à lui donner selon ses désirs un plaisir qui se justifiait par cette maison toute meublée dont j’étais l’unique propriétaire. Alors ce premier jeudi, un long apprentissage débutait dans ce boudoir, auprès d’un vieux Monsieur pas très sage, mais, ô combien courtois ! Il me montra comment me comporter en présence d’un homme d’abord, d’un amant ensuite. Tout un art dont aucune parcelle n’était distillée par les religieuses de ces prisons qu’étaient les pensionnats pour jeunes filles.


Ce rendez-vous se termina par un baiser, chaste toujours et sur la joue. Je n’avais qu’à me féliciter de cette compagnie si déroutante. Mais au fil des semaines et des rencontres avec Georges, je sus rapidement quelle caresse les messieurs préféraient, celles aussi qui abrégeaient les entrevues pour peu que l’on insistât plus que la normale. Mon professeur de sexualité s’avérait riche en compétences diverses et peu gourmand en travaux pratiques. Sans doute prenait-il son temps pour savourer une prise qui par contrat moral avec Geneviève ne pourrait avoir lieu avant ma majorité.


De fil en aiguille, mes mains aussi furent mises à contribution. Ma bouche, si elle avait la théorie, n’avait guère la matière pour réaliser des travaux de grandes ampleurs. Georges n’était plus si vaillant de ce côté-là et ma tâche se bornait le plus souvent à le laisser me couvrir de baisers mouillés. Chacun y trouvait donc son compte et je ne pouvais guère m’enflammer à la mèche éteinte de ce vieillard généreux. Ma rente mensuelle était conséquente et mon Dieu, pourquoi aurais-je dû me plaindre ? Mais juin de l’année 40 devait rattraper l’histoire.


Sur mon balcon comme beaucoup d’autres, je suivis avec des sensations de peur cette longue cohorte de jeunes guerriers conquérants qui prenait possession de notre Paris bien triste. La débâcle avait jeté sur nos routes, pêle-mêle, familles et soldats défaits. Une déroute sans pareille, tristes images que celles que nous montraient ces visages paniqués. Georges ne sortait plus de chez lui et ses rendez-vous n’étaient plus honorés. J’étais toujours vierge et ma foi… il ne me manquait pas puisqu’il assurait toujours mes revenus. Geneviève passait me voir presque tous les jours.


Nous sortions dans les rues de la ville où mon frais minois, à moins que ce ne soit mon derrière, attirait les regards concupiscents de nos vainqueurs. Partout des uniformes, à chaque coin de rue des barrages. Il me semblait avoir des facilités grâce à un sourire de circonstance, à franchir ces étapes forcées. Mais tous ces hommes n’avaient pas l’air d’être joyeux. Dans la capitale la débrouille commençait. Pour tout il fallait des tickets de rationnement. Alors on se débrouillait comme l’on pouvait.


Gertrude et Geneviève grâce à un réseau de relations mondaines encore assez bien ficelé n’avaient guère de faim à redouter. Par la même occasion, je bénéficiais de leurs largesses. En juillet, notre bon ami Georges vint me voir, pour me faire ses adieux. Il avait au préalable garni mon compte en banque d’une somme équivalente à trois années de rentes mensuelles. Il partait pour rejoindre la France libre de l’autre côté de la ligne de démarcation. Ses effusions n’avaient pas pourtant réussi à faire enfler un instrument définitivement moribond. Par contre, il m’avouait que son départ précipité était motivé par sa religion.



Georges, à n’en pas douter, fuyait. Ses épaules s’étaient davantage voûtées et en franchissant ma porte, son regard avait quelque chose d’implorant. Celui d’un chien battu. Mais assurément, je ne me sentais pas vraiment triste. Non, c’était un tout autre sentiment. Un peu une page qui se tournait. Je l’avais remercié de m’avoir mis le pied à l’étrier, je ne me sentais pas vraiment redevable envers ce vieux Monsieur bien gentil. Il avait aussi eu en échange mon attentive fidélité, juste retour des choses. Il m’avait servi de guide et sa tâche prenait fin ce jour, par son départ précipité. Ainsi allait la vie. Geneviève saurait bien me trouver un autre « ami », mais par respect de ma parole donnée, le suivant qui viendrait n’aurait ni lundi ni jeudi.




— xxxXXxxx —




Dans le courant de juillet, ma mère débarqua seule, chez ma tante. Les traits tirés, elle avait un air malade. Si je fus heureuse de la retrouver, les nouvelles qu’elle ramenait de notre contrée n’étaient guère de nature à nous réjouir. Les occupants avaient réquisitionné la fabrique et les ouvriers étaient contraints de façonner du tissu pour eux. Mon père ne décolérait pas, mais n’avait aucun moyen de se soustraire à cela. Puis les privations avaient affamé la population. Tant et si bien qu’Armand n’avait eu d’autre choix que d’exiler son épouse. Les valises de cette mère qui ne vivait guère mieux la situation étaient dans la chambre d’ami de sa belle-sœur. Une belle revanche pour Gertrude que celle de se voir confier la garde de sa femme par ce frère qui ne la supportait pas.


Nos retrouvailles ne furent pas, à proprement parler, chaleureuses, bien que je dusse avouer que la revoir ne m’indifférait pas complètement. C’était donc avec deux bras supplémentaires que nous nous apprêtions à fêter cette Sainte-Marie qui m’émanciperait définitivement. Je ne parlais pas à ma mère de la manière dont j’avais acquis l’appartement que j’occupais. Elle n’avait nul besoin de connaître les détails sordides d’une affaire rondement menée. Dans les jours qui suivirent son arrivée à Paris, il me sembla qu’elle reprenait des couleurs. Elle tentait de se rapprocher de moi, et je ne cherchais pas à l’éloigner.


Nos pas dans les rues nous embarquaient dans des promenades le long de la Seine et je découvrais une autre facette bien différente de cette maman si distante alors que je vivais à la maison. Un jour, alors que nous prenions toutes les quatre un verre à la terrasse du Café de Flore, un jeune homme nous aborda. Il était désinvolte et volubile. Rescapé de l’enrôlement par on ne savait quel miracle, lui n’avait qu’à se féliciter de la pénurie d’hommes valides dans la capitale. Il se vantait d’être un ami du patron de ce haut lieu germanopratin. Paul Boubal qui venait de racheter le bistrot ne devait, du reste, jamais le démentir.


Alors ce godelureau en goguette, fort de sa jolie petite gueule était prêt à imaginer que toutes les femmes qui venaient là ne le faisaient que pour lui. S’il me fit les yeux doux, il n’était certainement pas assez argenté pour que Geneviève lui permette de rêver. Comment et pourquoi se rabattait-il alors sur Clothilde ? Je n’en avais aucune idée. Par contre aucune de Gertrude, Geneviève ou moi ne pouvions ignorer que maman avait eu de suite un coup de cœur pour ce gandin aux manières douteuses. Et j’en fus totalement certaine lorsqu’un matin celle-ci me tint des propos pour le moins déroutants.



Je lui avais donc remis les clés sans plus me préoccuper de son état de santé qui ne me chagrinait guère. L’avenir me donna raison. Après qu’elle eut filé sous les regards amusés de Gertrude et de notre vieille amie Geneviève, ma protectrice me fit un clin d’œil.



J’en étais estomaquée, mais m’étais aussi abstenue de répondre. Je n’avais vraiment rien vu ! Et ne savait pas non plus qui aurait bien pu faire tellement d’effet à maman ! Puis le temps de notre promenade m’avait fait sortir de la tête cette histoire de cornes. Les quais de Seine avaient bien des petits secrets que j’aimais découvrir dans de longues flâneries en compagnie de ces deux dames…



À suivre…