n° 18727 | Fiche technique | 19944 caractères | 19944 3503 Temps de lecture estimé : 15 mn |
16/12/18 |
Résumé: Les rencontres les plus inattendues font se mêler les évènements insolites. Les temps troublés offrent bien des choix difficiles. | ||||
Critères: #historique fh hplusag | ||||
Auteur : Jane Does Envoi mini-message |
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Résumé épisode I : « L’apprentissage »
Un temps lointain où les filles n’avaient pas la même valeur que les garçons !
Résumé épisode II : « Tante Gertrude »
Visite parisienne chez une vieille tante et bruit de bottes, à l’aube d’une jeune vie.
Résumé épisode III : « Un salon particulier »
Se faire belle reste tout un art et Madame se montre pleine de surprises.
Résumé épisode IV : « Le cadeau de Georges »
La vie se complique. Paris offre pourtant toujours de belles visites à faire et puis… les uns et les autres vont et viennent.
En fin d’après-midi, désireuse de m’enquérir de la santé de maman, je décidai de rentrer chez moi plus tôt que prévu. Pas vraiment inquiète, dès que j’eus poussé la porte, d’étranges bruits me parvinrent de l’intérieur et plus précisément du salon. Clothilde gémissait et d’un coup, l’impression que je n’avais pas vraiment crue en elle me tourmenta. Alors, très décidée, j’entrai dans la pièce. Et là… ni elle ni lui, trop occupés à partager, ne m’avaient entendu arriver. Le spectacle était affolant. Ma mère était nue, et son gigolo également. D’abord, je ne vis que son dos de femme. Puis mon regard se porta sur deux quilles poilues d’une blancheur impressionnante.
Emportée par son élan, elle continuait à se laisser monter et descendre sur ce qui me rappela un autre soir, bien lointain celui-là. Un de ceux où une paire de testicules dansaient entre d’autres jambes. Là, chez moi, dans mon salon, sur ce canapé de velours rouge, c’était le derrière de ma mère qui recevait la tige, par contre ce n’était plus Armand qui… menait la baguette. Le type couché, la bouche collée à un sein de cette femme qui m’avait mise au monde, tétait si ardemment qu’aucun des deux ne m’avait seulement aperçue. Je me repliai alors sans dévoiler ma présence.
En tirant la porte sur ma sortie, je ne savais pas si je devais en rire ou en pleurer. Ma mère s’envoyait en l’air avec le guignol vêtu comme une gravure de mode de magazine, celui rencontré au « Café de Flore ». J’étais alors revenue chez ma tante avec mille pensées au fond du crâne. C’est en traversant le square de la place Constantin-Pecqueur que, le front bas et perdue dans mes pensées, j’accrochai au passage le bras d’un monsieur qui s’y promenait.
Mes yeux se portèrent sur l’individu que je venais de heurter. Il était massif, sans doute en milieu de cinquantaine et arborait un sourire franc. Ses cheveux relativement courts et ses yeux d’un bleu plutôt foncé, il me souriait, attendant poliment une réponse à sa demande. Comment lui refuser après l’avoir presque mis les quatre fers en l’air ? Je lui décochai ma plus belle risette.
Une patrouille formée d’une douzaine de soldats arrivait près du monument à la mémoire du peintre Théophile-Alexandre Steinlen et sa fontaine. L’inconnu, ce Paul, m’avait pris par la main et les boches passèrent à quelques mètres de nous. Aucun ne jeta un coup d’œil à ce qui pour eux ne devait être qu’un père et sa fille déambulant dans le parc. Paul m’emmenait rapidement dans de petites ruelles et nous finîmes attablés « chez la Mère Catherine ». Et alors que nous sirotions un verre de vin blanc frais, l’homme me faisait une cour effrénée.
Le nommé Paul avait sorti de sa poche une sorte de gros crayon et sur le coin de la nappe de papier blanche, en deux ou trois minutes, il dessinait mon visage. C’était si ressemblant que j’avais l’impression qu’il me présentait un miroir lorsqu’il eut déchiré le morceau de dessus de table pour me l’offrir.
Le gaillard avec un sourire m’avait fait un clin d’œil. Il m’attendrissait quelque part et je me sentis remuée de partout. Un peu le même effet que lors de mes moments passés en compagnie de ma bonne Adèle. Celle-là ne m’avait toujours pas donné signe de vie. Je ne répondis pas au peintre, mais espérait-il vraiment une réponse ? Je ne pouvais pas me prononcer. Geneviève n’aurait sans doute guère approuvé, elle qui faisait tant pour moi. Enfin, notre vin bu, nous avons chacun repris nos chemins. Mais la carte de cet homme dormait sur mon sein, dans le balconnet de mon soutien-gorge. Il avait du reste, beaucoup ri de me voir la placer là ! Y avait-il lu un signe ?
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À mon retour chez Gertrude, Clotilde était elle aussi rentrée. J’eus beau détailler son visage, rien ne transpirait de ses turpitudes dans mon logement. Si ce n’étaient… ses yeux légèrement brillants savamment remaquillés. L’air détendu qu’elle affichait lui donnait plutôt bonne mine.
Ma première réaction aurait été de lui crier le seul mot qui me montait à l’esprit, « menteuse », mais par politesse, je m’en abstins. Sur ses lèvres, un sourire béat montrait ses dents blanches et si bien rangées. Puis je songeai que je n’avais rien fait d’autre moi non plus que travestir la vérité. J’avais bel et bien occulté la rencontre avec le peintre et dans mon sac, un dessin était le témoin gênant de ce pieux mensonge. Mes talons claquaient sur le trottoir, alors que je filai rapidement vers mon « chez-moi ». Je rêvais déjà d’un bon bain tiède, et cette idée me donna des ailes.
Bien sûr, tout de suite dans mon appartement, je sortis immédiatement la carte pressée contre mon sein et rangeai celle-ci avec le portrait dont Paul m’avait indiqué qu’il était crayonné au fusain. Quel délice que ce moment où enfin, mon corps se trempait dans le tube de faïence blanche ! Seul mon visage sortait de cette eau à laquelle j’avais adjoint des sels odorants. Oui, une vraie merveille de délassement que cette baignade ! Tous les bruits de la rue s’arrêtaient aux murs de l’immeuble et j’en étais heureuse.
Maman n’avait laissé aucune trace tangible de son passage. Le canapé et ses coussins remis en ordre et mon lit avait les draps tirés et peut-être, mais encore n’était-ce pas certain, une légère odeur de parfum masculin pouvait trahir la venue de son jeune amant. Je regagnai donc fraîche et propre, les femmes qui jouaient aux dominos chez ma tante. Geneviève me salua d’un signe de tête avec son éternelle bonne humeur. J’attendis donc qu’elles finissent leur partie pour lui demander de quoi étaient faites ses fameuses nouvelles.
Mes bras s’étaient refermés autour du cou de la vieille dame. Toutes nous riions de bon cœur. La joie pouvait être communicative et en ces temps tourmentés, elle se générait de tout petits riens. Il en fallait bien plus pour exploser ; pour se mettre en colère également. Ces sentiments si contradictoires n’étaient-ils pas finalement frères jumeaux ?
Nous étions ensuite toutes ressorties ! La Seine gardait ses attraits et nombre de Parisiens s’y baladaient également. Mais des uniformes portés par des hommes qui ne parlaient pas le français nous croisaient partout. La plupart flânaient, bien que d’autres soient porteurs d’armes.
Alors que nous déambulions et que maman et Gertrude s’étaient éloignées de quelques pas, ma protectrice me fit signe de me baisser. Elle me murmura, alors quelques mots :
J’avais seulement haussé la voix d’un demi-ton. La vieille dame me tança vertement.
Clothilde, avec son sourire, s’était arrêtée et Gertrude, par la force des choses, fit aussi une pause. Nous revenions alors pour un dîner, toutes ensemble, pris chez ma tantine. Après celui-ci, je délaissai les deux belles-sœurs pour regagner mes pénates. Mais avant, je fis un crochet pour écouter ce que ma bonne Geneviève avait de si urgent à me demander. Elle n’était pas là depuis plus d’une minute ou deux alors que je frappai à sa porte.
L’enveloppe n’était pas très épaisse et elle avait disparu dans la doublure de ma veste de tailleur. Mais pour demain, je trouverai bien une autre cachette plus sécurisée. Chez moi, j’avais mille et une fois tourné ce message dans mes doigts. Impossible de savoir ce qu’il contenait, mais je sentais bien que ce devait être diablement important pour qu’il faille prendre autant de précautions. J’avais comme tout le monde entendu parler des terroristes, mais jouer les espionnes ne m’avait jamais effleuré l’esprit. Je cherchai donc la cachette inviolable pour transporter mon précieux papier.
J’emballai alors celui-ci dans un minuscule tube d’aluminium ayant servi à loger des comprimés antidouleur. Une fois fermé, le tuyau ne dépassait pas les sept centimètres de long et gardait un diamètre à peine plus gros que mon pouce. Et ma foi, l’idée de l’enduire d’un peu d’huile et de me l’enfoncer… oui, dans l’anus, m’apparaissait comme impossible à détecter. Et demain, ce mode de transport devrait m’assurer une relative sécurité. Je remis un ou deux comprimés dans mon porte-monnaie. Ceux-ci serviraient à regarnir le tube avant de le fourrer dans mon sac pour le retour.
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À la gare, tout s’était déroulé le mieux du monde. Un garçon qui boitait, ou faisait semblant, ramassait les mégots et les papiers qui jonchaient le carrelage de ce hall immense de Montparnasse. Sa voix sonnait juste et quelques voyageurs s’arrêtaient même pour l’écouter. Je me collai donc dans un groupe de badauds. Alors que le chanteur passait près de nous, avec une voix qui se voulait ferme, devant tous les auditeurs, presque avec sarcasme, je lui lançai :
L’ouvrier ne leva pas même la tête. Il continua son nettoyage et se dirigea ostensiblement vers les escaliers menant aux toilettes. Je m’y rendis sans me préoccuper de lui. La dame pipi me sourit alors que je lui posai une piécette dans sa soucoupe. Dans une cabine, il ne me fallut guère plus de trente secondes pour ressortir de son logement le tube. En extraire la lettre fut un jeu d’enfant. De l’endroit où elle avait dormi durant toute la traversée pour venir ici, elle passa contre mon sein. Au milieu des marches, Jules me fit un clin d’œil. Et je lui tendis la main comme pour le saluer.
Il avait jeté ces mots presque comme si nous nous étions toujours connus. Je filai alors vers la sortie et repris mon chemin vers Montmartre. Tout en souriant, sans doute pour juguler la peur qui m’avait étreint les tripes, j’avais remis les deux antidouleurs dans le tube ! Ni vu ni connu, les boches pourraient toujours fouiller mon sac… ils n’y trouveraient rien d’anormal, sauf à humer le tube et en découvrir la fragrance avec le nez… et cette fois, je me sentis… heureuse. Il n’était pas loin de midi lorsque je me retrouvai chez moi. Pour quelle raison la carte et le dessin refirent-ils surface devant mes yeux ? Aucune de valable sans doute !
Puisque l’adresse me narguait et que la rue ne semblait pas très éloignée de mon domicile, pourquoi ne pas aller rendre une petite visite à ce peintre rencontré la veille ? Chose pensée, chose faite ! Quelque dix minutes plus tard, j’étais devant une plaque au nom de Paul De Montaut artiste peintre. Atelier B10 ! Le plus difficile restait donc à faire. Oser aller voir Paul, et ça… ça n’était pas une mince affaire. Je pris pourtant mon courage à deux mains et m’engageai dans le couloir qu’indiquait une flèche horizontale. Mais mes genoux n’étaient pas très sûrs alors que j’avançai vers mon but.
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L’atelier, un immense capharnaüm où des toiles se trouvaient tendues un peu partout. Beaucoup d’édifices montmartrois, surtout le Sacré-Cœur peint sous différents angles ou points de vue, et quelques portraits d’illustres inconnus. Devant un chevalet, la silhouette imposante de cet homme avec qui j’avais pris un verre hier. Je ne m’étais nullement annoncée et d’un coup, surprise, la grande carcasse du peintre eut un vrai sursaut. J’aurais pu lire dans ses yeux, la peur.
Il avait éclaté de rire, mais ne me quittait pas des yeux. Et moi… eh bien, je ne savais plus trop où me mettre. L’endroit était coloré, de grandes baies vitrées partout et au plafond aussi, laissaient passer une lumière que rien ne freinait. Puis l’odeur des huiles ou des couleurs, un mélange qui me montait au nez, arrivant de partout sans que je puisse en déterminer exactement la source… l’endroit me plaisait bien. Paul me poussa vers deux sièges branlants et maculés de peinture. Il jeta sur l’un d’eux une vieille couverture poussiéreuse. Et de sa voix suave, m’enjoignit de m’asseoir. Mon cœur battait trop fort !
À suivre…