n° 16847 | Fiche technique | 16857 caractères | 16857 2883 Temps de lecture estimé : 12 mn |
09/06/15 corrigé 09/06/21 |
Résumé: Le serment du Comte de Rochefort - La dette d'Anne d'Autriche - L'abominable projet de Madame de Longueville. | ||||
Critères: #historique #personnages amour fdomine humilié(e) vengeance jalousie donjon attache | ||||
Auteur : Pierre Siorac Envoi mini-message |
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Résumé des épisodes précédents :
« Tous pour une »
Au cours d’un bal organisé par Mazarin afin de rallier à lui les seigneurs de province contre les nobles frondeurs, Aramis parvient à enlever la femme de l’un d’eux qui lui a juré son amour quelques années auparavant…
« D’Artagnan part en mission »
Tandis qu’Athos, Porthos et Aramis cherchent le meilleur moyen de prendre la fuite, Mazarin a demandé à d’Artagnan de retrouver les fugitifs, et à Rochefort de surveiller d’Artagnan.
La duchesse de Longueville demande la tête d’Aramis à Rochefort ; Augustine pleure dans les bras de d’Artagnan, et Caroline exige un massage particulier.
Madame de Longueville obtient carte blanche ; d’Artagnan se bat… contre lui-même. Une étrange lettre arrive chez le cardinal de Retz.
Caroline et Aramis voient leurs ébats contrariés par l’arrivée de spadassins aux ordres de Madame de Longueville. Aramis sera sauvé par ses amis, mais perdra Caroline une nouvelle fois.
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Tandis que Porthos et d’Artagnan amenaient leur compagnon blessé « où l’on savait », Athos – qui avait depuis toujours été des quatre mousquetaires le plus clairvoyant et le plus raisonnable pour dénouer les innombrables fils des intrigues politiques – chevauchait au hasard des rues de Paris avec le comte de Rochefort afin de sonder ses véritables intentions. Les deux hommes avaient le même âge, avaient passionnément aimé la même femme, et en avaient subi tous deux les mêmes déconvenues. Ils avaient toujours combattu l’un contre l’autre, mais toujours sans mésestimer la valeur de l’adversaire. Ils avaient tous les deux un certain sens de l’honneur, et ne divergeaient en réalité que sur cette maxime de Machiavel, que Rochefort avait faite sienne, mais que la grandeur d’Athos réprouvait : « La fin justifie les moyens. »
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Il serait tentant, pour les besoins de la littérature, de décrire Mazarin comme un sot, un fourbe, un avaricieux, un bellâtre imbu de sa personne, ivre de puissance et de fortune. Il serait tentant de faire ici même œuvre que les chroniqueurs de l’époque, de tracer un de ces portraits rédigés à l’acide ou de tremper sa plume dans un encrier empli de fiel et de rancœur. À cette époque en effet, cent libellés s’envolaient chaque matin des galeries du Pont Neuf pour fustiger l’Italien et sa politique. On appelait cela « Les Mazarinades ». Peu d’entre elles, reconnaissons-le, méritent de passer à la postérité ; mais certaines étaient d’une qualité qu’il faudra bien admettre :
Ce méchant plein d’outrage
A ruiné sans défaut
Vous tous, gens de village
Vous donnant de l’impôt
Faut sonner le tocsin
Ding ding
Contre le Mazarin
Voilà ce que l’on chantait dans les rues de Paris, du matin au soir et du soir au matin.
Et Mazarin laissait chanter… « Qu’ils chantent, disait-il ; ils paieront… »
En réalité, Mazarin n’était ni sot, ni cruel. Mais il était amoureux – et cela depuis toujours – de sa reine, et cet amour était partagé. Il avait même quelques années auparavant été béni par feu le roi Louis XIII qui, préférant les hommes, avait toujours été incapable d’accorder à sa femme les honneurs qu’elle méritait. La naissance du petit roi reste pour les historiens une énigme bien singulière, à moins de croire aux miracles comme le bon peuple de Paris le crut en ces temps où l’Église trouvait, par le truchement de la Grâce Divine, des solutions aux situations les plus insolubles.
Mais il suffit de regarder l’Histoire avec un œil froid, de se pencher sur les dates, de comprendre pourquoi Mazarin fut rappelé à la cour pour devenir le parrain du futur Louis XIV, de comprendre l’insistance du roi sur son lit de mort à exiger que la reine fasse de l’Italien son Premier ministre, et de constater que ce dernier sacrifiera tout – jusqu’à sa propre dignité – pour que son « filleul » monte sur le trône débarrassé de tous ses opposants. On constatera alors que Mazarin a agi comme un père. Et on en conclura ce que l’on voudra…
Nous en conclurons ici que Mazarin n’avait pour seule préoccupation que la gloire de son « filleul » et l’amour d’Anne d’Autriche, avec laquelle il était marié en secret depuis la mort de Louis XIII. Que seule la raison d’État guidait ses décisions, et que son caractère était – contrairement à celui du grand Richelieu – beaucoup plus souple et pacifique.
Il était à cette heure en compagnie de sa bien-aimée. Anne d’Autriche, comme toutes les femmes que l’amour a fini par combler, savait lire dans les yeux de son mari. Et elle le voyait en proie à une profonde agitation qu’il essayait de lui cacher.
Anne d’Autriche éclata d’un rire sincère. Puis ses yeux se perdirent un instant, et son esprit se remémora des souvenirs enfouis depuis bien des années…
Une lumière venait de s’allumer dans l’esprit de Mazarin. Avoir avec lui ces quatre hommes, avec leur science de la guerre et de la négociation, c’était à n’en pas douter un atout considérable pour l’avenir. Mais dans le cas présent, ils étaient un handicap terrible.
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Innombrables sont les hommes qui rêvaient de visiter les appartements de madame la duchesse de Longueville. Nombreuses également étaient les femmes qui partageaient ce rêve. Et nous les comprenons aisément. Tout n’était que dorures, meubles en bois précieux, tableaux de prix, chandeliers supportant des bougies aux odeurs envoûtantes et enivrantes. Quant à la chambre de la duchesse – qui avait reçu les visites de tant d’amants, de quelques amantes, et dont les murs drapés de rouge avaient été les témoins de tant d’ébats – elle était tout simplement un temple dédié à l’Amour sous toutes ses formes (et nous avons vu précédemment que le siècle en comptait bien plus qu’aujourd’hui), orné d’un tableau représentant la belle frondeuse sous les traits d’Aphrodite avec qui les artistes de l’époque ne cessaient de la comparer.
Mais ces rêves de visites étaient bien imprudents, tant les amants de la duchesse étaient nombreux à disparaître ensuite dans des circonstances souvent tragiques. Rochefort, de ce point de vue, avait grand tort de se plaindre de ses cinq années de captivité à Vincennes, car force était de reconnaître que, contrairement à bien d’autres, il avait survécu.
L’immense bibliothèque, qui occupait un mur entier du boudoir, accueillait tous les auteurs qu’il était possible d’imaginer. Livres de poésie, récits de voyages, ouvrages philosophiques, et même quelques livres de magie qui auraient fait se dresser les cheveux sur le crâne tonsuré des moines franciscains et donné des nuits entières de cauchemars à un inquisiteur espagnol. Mais en France, on n’inquiétait pas un personnage de ce rang pour si peu. Un arbre généalogique bien fourni suffisait à garantir une sorte d’éternelle immunité, et celui de madame de Longueville, bien qu’un peu arrangé, la faisait descendre indirectement du roi Louis XI. Elle était presque intouchable, et pouvait donc s’adonner à sa guise à tous les plaisirs qui lui passaient par la tête.
Pour la surprendre en train de s’adonner à un de ses plaisirs, justement, il suffisait de déplacer un manuscrit particulier renfermant les poèmes de François Villon. Un mécanisme se déclenchait alors, ouvrant sur le côté de la somptueuse bibliothèque une petite porte donnant sur un escalier de pierre et conduisant dans les sous-sols de sa demeure. Arrivés en bas, nous y découvrirons ce qu’il faut bien appeler des cachots ainsi qu’une salle de torture, de laquelle s’échappaient en cet instant nombre de pleurs et de supplications.
Madame de Longueville s’y tenait droite et hautaine devant la pauvre Caroline, les mains toujours liées dans le dos, et maintenue par deux gardes du corps.
Longueville passa autour du cou de Caroline un de ces colliers de fer servant à entraver les prisonniers et les esclaves.
Le désespoir de Caroline fit place au dégoût, puis à la colère, puis à la révolte.
L’un des gardes du corps de la duchesse actionna une poulie et l’on vit alors descendre une de ces cages de fer suspendues à des chaînes qui avaient tant servi au royal ancêtre supposé de madame de Longueville. Caroline y fut bientôt enfermée, malgré des hurlements et des supplications qui auraient apitoyé n’importe quel bourreau. Mais chacun sait combien une femme ayant décidé d’en faire souffrir une autre peut se montrer inflexible.
Les trois tourmenteurs sortirent et la porte se referma, laissant Caroline dans le noir, seule, et cette fois sans espoir de secours.