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Temps de lecture estimé : 18 mn
10/06/15
corrigé 08/06/21
Résumé:  Dénouement. Les mousquetaires tentent de délivrer Caroline de Vendôme. Tout semble bien se passer, jusqu'à ce que...
Critères:  #drame #nonérotique #historique #romantisme #couplea3 fh amour nopéné
Auteur : Pierre Siorac      Envoi mini-message

Série : Dumas n'a pas tout dit, ou la vraie vie des mousquetaires

Chapitre 07 / 07
Dans les mains de Dieu

Résumé des épisodes précédents :


« Tous pour une »

Au cours d’un bal organisé par Mazarin afin de rallier à lui les seigneurs de province contre les nobles frondeurs, Aramis parvient à enlever la femme de l’un d’eux qui lui a juré son amour quelques années auparavant…


« D’Artagnan part en mission »

Tandis qu’Athos, Porthos et Aramis cherchent le meilleur moyen de prendre la fuite, Mazarin a demandé à d’Artagnan de retrouver les fugitifs, et à Rochefort de surveiller d’Artagnan.


« Caprices de femmes »

La duchesse de Longueville demande la tête d’Aramis à Rochefort ; Augustine pleure dans les bras de d’Artagnan, et Caroline exige un massage particulier.


« États d’âme et trahison »

Madame de Longueville obtient carte blanche ; d’Artagnan se bat… contre lui-même. Une étrange lettre arrive chez le cardinal de Retz.


« La Divine Providence »

Caroline et Aramis voient leurs ébats contrariés par l’arrivée de spadassins aux ordres de Madame de Longueville. Aramis sera sauvé par ses amis, mais perdra Caroline une nouvelle fois.


« Anne d’Autriche paye sa dette »

Le serment du Comte de Rochefort - La dette d’Anne d’Autriche - L’abominable projet de Madame de Longueville.




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Persuadé que le lecteur n’aura pas le cœur de laisser Caroline de Vendôme seule et abandonnée dans l’obscurité de cet odieux endroit, nous nous efforcerons de lui tenir un temps compagnie. Hélas, des siècles entiers nous séparent, et nous ne pouvons que compatir sans qu’elle le sache le moins du monde. À moins que, par un de ces miracles de l’Univers que personne n’est capable d’expliquer, notre sympathie (dans le sens premier du mot, c’est à dire : « souffrir avec ») ne puisse lui être transmise par la seule force de notre pensée.


On aurait tort de croire que la marche du temps est la même pour chacun d’entre nous. Les heures de plaisir sont toujours plus courtes que les heures de souffrance ou d’angoisse, et ces deux jours d’enfermement allaient paraître une éternité à notre belle héroïne.


C’est tout d’abord le froid qui se fit sentir en premier. La chemise que la princesse portait lors de l’assaut des sicaires de Longueville lui avait été arrachée, la laissant totalement nue. Nous n’étions qu’au début du printemps, et les sous-sols de la résidence où elle était prisonnière étaient encore glacés.

Un froid qui la faisait grelotter et auquel l’étroitesse de sa cage de fer empêchait toute échappatoire dans la mesure où elle ne pouvait ni s’y tenir debout, ni s’y allonger dans une position qui lui aurait permis de trouver un peu de confort.


Puis vint la faim… Caroline avait certes l’habitude de se contenter de repas frugaux, mais cela faisait presque une journée entière qu’elle n’avait rien mangé. Elle sentait son ventre se nouer ; son estomac se mit à la torturer à son tour, et tout cela augmentait la sensation de froid…

Puis la soif… Elle vint après. Supportable au début, elle se fit de plus en plus lancinante au fur et mesure que les heures passaient. La seule façon de l’oublier un peu aurait été de dormir, mais comment trouver le sommeil dans de telles conditions de détention ?


Alors Caroline s’accrocha à la seule pensée capable de la soutenir encore un peu. La duchesse de Longueville avait affirmé qu’Aramis lui avait échappé. Et elle savait que jamais son chevalier servant ne l’abandonnerait à son sort. Elle l’imaginait abattu, certes, mais elle le savait furieux, en train d’imaginer quelque plan pour la sortir de là. Et elle savait qu’il n’était pas seul. Elle mit ses derniers espoirs dans ses trois compagnons des derniers jours, et elle qui ne croyait plus en Dieu depuis tant d’années se décida à prier.


Ah, chère Caroline… Si vous aviez su en cet instant comment la main de Dieu guidait les cinq (et non plus trois) compagnons qui venaient à votre secours, ce n’est pas des prières désespérées que vous lui auriez adressé, mais un concert de louanges.




**************




À quelques lieues de l’hôtel privé de madame de Longueville, un carrosse tiré par quatre chevaux avançait lentement dans la nuit, accompagné par deux hommes en armes. Le long manteau noir qui enveloppait chacun d’entre eux et le visage que tous gardaient baissé sous son chapeau assuraient leur complet anonymat. Cependant, le lecteur attentif à l’histoire aura compris de qui nous parlons. D’autant plus que la taille gigantesque de l’un des cavaliers ne lui laissera aucun doute sur son identité.


Porthos, donc, était heureux. Si ses compagnons étaient à cette heure plongés dans des méditations plus ou moins profondes, lui était tout à son bonheur de servir. Il aimait l’aventure, et ne doutait jamais que le succès couronne ses entreprises. Pour lui, les choses étaient d’une enfantine simplicité. Il était invincible, et ses compagnons étaient les plus fines lames du royaume. Il s’était amusé en écoutant ses quatre autres amis préparer leur plan avec autant de minutie que de rigueur. Lui, ce plan, il l’avait en tête depuis bien longtemps : on entrerait chez madame de Longueville, on transpercerait quelques corps, fracasserait quelques crânes, on délivrerait la princesse et on repartirait. Et ensuite, on ferait la fête, palsambleu !


D’Artagnan conduisait le carrosse. Et lui aussi était heureux. Il avait retrouvé ses amis, et s’était rendu compte avec autant de bonheur que de surprise que leur amitié était intacte. Rien n’avait changé… Porthos était toujours aussi généreux, Athos continuait d’agir en frère aîné de leur confrérie ; quant à Aramis, il était toujours en quête de cet Absolu qui le rendait presque mystique au moment de l’action et le faisait redevenir guerrier au moment de la réflexion. Il avait trouvé cet Absolu dans les beaux yeux vert émeraude de Caroline et après tout, pensait d’Artagnan, celui-là en valait bien un autre, pourvu qu’il y trouve son bonheur. Il pensa à son Augustine. Ah, comme il aurait voulu en cet instant la voir avec les mêmes yeux que son ami voyait sa bien-aimée… Il se promit d’essayer à son retour.


Athos était sans doute le seul à s’inquiéter. Oh, certes pas pour sa vie : il était prêt depuis bien longtemps à la sacrifier pour une cause qui en valait la peine, et celle qui le menait à la bataille en cet instant lui semblait l’être. Mais il aimait passionnément ses amis et redoutait qu’il ne leur arrivât malheur. Il savait depuis longtemps qu’au combat le hasard est incontrôlable. Ses compagnons avaient beau être les plus aguerris, les meilleurs épées du royaume de France, il avait beau reconnaître que leur plan était ingénieux dans sa simplicité et avait tout prévu, il savait que parfois le sort décide d’être défavorable et que dans ces moments plus rien ne se passe comme on le souhaite. Et, plus encore que la vie de ses compagnons, il craignait pour la vie de Caroline, tant il connaissait la cruauté de la duchesse de Longueville.


À l’intérieur du carrosse, Aramis faisait face à Rochefort et essayait de lire dans le fond de ses yeux. Qui donc était-il ? Pouvait-on vraiment lui faire confiance ? Qui servait-il à part lui-même ? Aux ordres de Beaufort, il était en mission pour le Mazarin qu’il prétendait trahir au profit des anciens mousquetaires, tout en haïssant Longueville dont il était encore sans doute amoureux… On arrivait au dénouement de l’histoire ; il allait falloir que chacun abatte ses cartes. Quelles étaient donc les cartes de Rochefort ?



Aramis joignit ses mains dans le dos en frémissant.




**************




Madame de Longueville avait l’art et la manière de toujours obtenir ce qu’elle voulait. Avec les hommes, cela avait toujours été d’une extrême simplicité, et somme toute assez ennuyeux. Avec les femmes, cela nécessitait de faire preuve de beaucoup plus d’imagination. Et lorsqu’il s’agissait de faire souffrir, de mettre à la torture, elle en avait à revendre.


Elle avait dit deux jours sans manger ni boire, et elle savait parfaitement ce qu’elle faisait. Au bout de deux jours, le corps commençait à s’habituer et on ne ressentait plus la faim de la même façon. Quant à la soif, il ne fallait pas excéder trois jours au risque de provoquer d’irréversibles séquelles. Or, elle ne souhaitait pas la mort de sa prisonnière : elle souhaitait son abaissement et sa déchéance. Retz avait demandé à ce que son sang ne coule pas ; il ne coulerait donc pas. Mais plus rien ne resterait de la « princesse » quand elle en aurait terminé avec elle. Elle serait devenue une esclave docile, prête à embarquer pour la Louisiane, et on en tirerait un bon prix.


La duchesse descendit donc avec deux gardes dans la salle de torture où elle retrouva Caroline, qui dès qu’elle la vit s’accrocha aux barreaux de sa cage et la regarda d’un regard à la fois terrifié et implorant.



C’était bien évidemment un piège odieux, une fois de plus. Le poisson était abondamment salé et ne faisait que renforcer la soif de la pauvre Caroline. Mais la faim lui tenaillait tellement l’estomac qu’il lui était impossible de ne pas manger. Elle eut bientôt terminé le bol en entier.



C’était horrible à voir. La pauvre enfant ne pouvait s’empêcher d’avaler goulûment ce repas empoisonné qui allait la mettre totalement sous la coupe de sa terrible geôlière. Elle termina à nouveau son bol de poisson séché.



Longueville remplit d’eau une coupe aux bords assez larges et la tendit à Caroline. Hélas, cette coupe ne passait pas entre les barreaux de la cage.



Et Longueville but la coupe lentement devant sa prisonnière, qui se remit à supplier.



À cet instant, la porte s’ouvrit et un garde interrompit la conversation.



Puis, se retournant vers Caroline :





**************




Rochefort entra dans le boudoir de madame de Longueville en poussant Aramis sans ménagement devant lui. Il tomba, les yeux baissés et totalement vides d’expression aux genoux de la duchesse qui le regarda de toute sa hauteur, s’assura que ses poignets étaient bien liés dans le dos, et sembla se désintéresser de lui complètement. Elle avait son jouet, un de plus… Elle s’attendait à plus de joie, à ressentir plus de désir envers cet homme qui lui avait donné tant de plaisirs. Elle se demanda finalement ce qu’elle pourrait bien en faire. Elle reporta son attention sur le comte.



La porte du boudoir s’ouvrit violemment. Athos, Porthos et d’Artagnan firent irruption.



Aramis releva la tête pour la première fois et regarda dans les yeux la mante religieuse qui avait été sa maîtresse, si longtemps auparavant. Mais il n’y avait aucune compassion, aucune pitié dans son regard.





**************




Caroline fut promptement délivrée et recouverte de la chaude cape de Porthos. Aramis lui porta une coupe d’eau fraîche aux lèvres.



Pendant ce temps, un petit tabouret de bois avait été installé au centre de la pièce, sur lequel avait pris place madame de Longueville qui, malgré la délicatesse de sa situation, avait gardé un air d’arrogance insupportable. Le comte de Rochefort, toujours l’épée à la main, prit la parole en premier :



Tous levèrent les yeux et découvrirent avec effroi le cardinal Premier ministre descendant les escaliers accompagné d’une trentaine de mousquetaires gris.

Ils tirèrent leurs épées, se préparant à livrer un combat bien inégal et cette fois perdu d’avance.



Immédiatement, toute la petite troupe mit un genou à terre en présentant les armes.





**************




Anne d’Autriche et Mazarin repartirent alors comme ils étaient venus. Les compagnons se retrouvèrent dehors devant le carrosse, et ce ne fut plus que rires, force accolades et embrassades. Puis on se décida à rentrer à Saint-Germain.

Aramis aidait Caroline à monter dans son carrosse lorsque soudain un cri retentit :



Tous se retournèrent et virent une ombre s’approcher.



Caroline blêmit. Elle avait attendu pendant des années que Philippe sache lui parler ainsi, à cœur ouvert. Elle l’avait tant aimé, lui aussi… Mais il avait semblé si insensible à cet amour. Et aujourd’hui, elle aimait follement Aramis.



Aramis avala difficilement sa salive et sentit son regard se voiler.



Le combat s’engagea devant les yeux de tous. Caroline lança un regard suppliant à Athos, lui demandant de séparer les deux adversaires, mais ce dernier lui répondit « non » de la tête. Cela n’aurait rien réglé… Il fallait une fois de plus s’en remettre à cette Divine Providence qui ne les avait jamais abandonnés.


Aramis comprit rapidement que le combat était inégal. Philippe de Vendôme était fort et savait se battre, mais il était évident qu’il agissait par désespoir et qu’il recherchait sa propre mort plus que celle de son adversaire. Et pour cause : il n’avait rien entendu des mots que Caroline lui avait murmurés sur les marches du carrosse. Il profita alors d’un moment où ils étaient suffisamment proches l’un de l’autre pour l’agripper par le cou et, le serrant contre lui, parla à son oreille :



Le prince baissa sa garde.



Philippe était désemparé. Il aurait tant voulu détester cet homme qu’il avait en face de lui, ne voir dans le chevalier d’Herblay qu’un coureur de jupons sans scrupules et sans pitié. Il découvrait une autre réalité… et il commençait à comprendre lui aussi les sentiments que Caroline éprouvait pour lui.





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Dumas n’a pas tout dit. Et l’auteur de ces lignes non plus… Il ne reste plus désormais aux lecteurs qu’à interpréter les mots, les situations, et à les recouper avec les romans écrits par l’auteur de Vingt ans après. Et à ne pas trop s’attarder sur les détails et les invraisemblances.

Cette histoire, finalement, n’est qu’une histoire d’amour et d’aventures comme tant d’autres en ont écrit.


Et bien entendu, toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant réellement existé ne saurait être que fortuite…




Pierre Siorac, Herblay, le 4 juin 2015.